Bernard Tapie s’était épris de Marseille et Marseille le lui rendait bien

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Qu’on l’admire ou qu’on le déteste, difficile de douter de la sincérité de Barnard Tapie lorsqu’il déclarait son amour pour Marseille.

Si ce n’était devenu une affaire de gros sous, le stade vélodrome – pardon, l’Orange vélodrome – aurait à coup sûr pris le nom de son ancien président disparu dimanche. Celui qui a offert la première Ligue des Champions de l’Histoire à l’OM, à Marseille et à la France.

Car le stade vélodrome, c’est la première porte sur Marseille qu’a ouverte Bernard Tapie, sans savoir encore qu’en franchissant le seuil, il entrerait à jamais dans le cœur des Marseillais. Pour cette coupe d’Europe de football qui permettra toujours aux fans de l’OM de proclamer « à jamais les premiers ! », mais aussi pour une myriade de raisons.

De ses combats contre le Front National, qui ont toujours empêché Jean-Marie Le Pen d’occuper autre chose qu’un strapontin sur la scène politique locale, jusqu’à sa prise de contrôle du quotidien La Provence, entre 2012 et 2014, Bernard Tapie n’a pas seulement dit son amour pour Marseille, il le lui a prouvé. A maintes reprises. Une dernière fois en souhaitant y être inhumé, lui le titi parisien qui n’a jamais vraiment perdu l’accent de là-bas au contact de la bouillabaisse.

A Marseille on l’appelle le Boss

Ce stade qui l’a fait roi de la ville, c’est en 1986 qu’il y pénétré pour la première fois dans la peau du patron, après qu’Edmonde Charles-Roux, l’épouse du maire (PS) Gaston Defferre, l’avait convaincu de reprendre le club, alors en grand danger sur le plan sportif et financier.  Auréolé de ses succès récents dans le vélo, avec Bernard Hinault et l’équipe Look-Le Vie Claire, Tapie applique à l’OM les mêmes recettes qui lui ont réussi dans le cyclisme : il recrute à grands frais quelques stars françaises (Giresse, Genghini, Domergue…) deux étrangers de renom (l’Allemand Förster et le Yougoslave Sliskovic), ainsi qu’un jeune Français prometteur qui vient de tout casser en Belgique, Jean-Pierre Papin, que l’AS Monaco convoitait pourtant. Suivront sept saisons de rêve, avec à la clé cinq titres de champions de France, une Coupe de France et donc, une Ligue des Champions.

Décroché le 26 mai 1993 à Munich face au grand Milan AC, grâce à une tête rageuse de Basile Boli passée depuis à la postérité du foot français, ce titre suprême signe néanmoins la fin de l’ascension marseillaise du « boss », comme l’appelaient alors les joueurs de l’OM, Didier Deschamps compris.

Jusque là, tout ou presque lui avait réussi, dans tous les domaines. Sportivement, inutile de s’étendre.

Du sport à la politique, un parcours inattendu

Politiquement, ce fut peut-être plus surprenant et plus fulgurant encore que sa réussite dans le foot et le vélo.

Ce n’est pourtant pas Gaston Defferre, disparu quelques semaines après le rachat de l’OM, qui lui mit le pied à l’étrier, mais bien François Mitterrand, le président de la République en personne. Fasciné par l’énergie et la force de conviction de ce chef d’entreprises médiatique qui se disait de gauche, le vieux lion sur le déclin comprit rapidement tout le parti qu’il pourrait tirer d’un rapprochement avec Tapie, alors très apprécié des jeunes et des milieux populaires, qu’il encourageait à viser plus haut que leur âge et condition ne les prédestinait.

En jouant sur la corde sensible de l’extrême-droite, Mitterrand le convainc de se présenter aux législatives de 1988. Et lui se laisse facilement convaincre. Dans une circonscription réputée ingagnable par la gauche, il fait presque jeu égal avec Guy Teissier, qui l’emporte néanmoins de quelques dizaines de voix. Mais le scrutin est invalidé. Dans la foulée, Tapie remporte l’élection partielle l’année et entre à l’Assemblée nationale pour la première fois début 1989.

Je t’aime moi non plus avec la presse

Son sens de la formule, sa gouaille inimitable et son habilité en font un député qui compte, une voix que les médias écoutent, même si les relations sont déjà très compliquées entre les journalistes et lui. Mitterrand le voit, Mitterrand le sait. En 1993, la gauche subit une débâcle historique aux législatives, mais Tapie sauve son siège. Pas celui conquis de haute lutte 4 ans plus tôt, mais celui de la Xe circonscription, à Gardanne, beaucoup plus favorable à la gauche. Il faut dire qu’entretemps, Tapie est devenu ministre de la Ville.

C’était en 1992 et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa nomination n’avait pas forcément suscité l’enthousiasme parmi les socialistes ministrables. Dans ce gouvernement Bérégovoy, il ne comptera d’ailleurs guère d’amis, hormis Bérégovoy lui-même. Mais c’est l’époque ou tout lui réussit. Pour quelques semaines, quelques mois encore.

Premier coup de semonce moins de deux mois après son entrée au gouvernement : il est obligé de démissionner à cause de son implication dans un litige qui l’oppose à un autre homme d’affaires, Georges Tranchant. Il retrouve son ministère quelques mois plus tard après un non-lieu, mais le mal est fait. Entretemps, Mitterrand a été contraint à la cohabitation, Tapie a donc quitté une seconde fois le gouvernement et l’affaire OM/VA a éclaté, après les accusations d’un joueur de Valenciennes, Jacques Glassmann, et une belle pincée de billets retrouvée enterrée dans le jardin d’un autre joueur nordiste.

La mairie de Marseille comme but ultime

Il n’empêche : à Marseille, il continue de caracoler. Même empêtré jusqu’au cou dans les affaires un an avant la municipale de 1995, il est toujours en tête des intentions de vote dans les sondages. D’où sa conviction d’avoir été victime d’une cabale politico-sportivo-judiciaire seulement destinée à l’empêcher de rafler la mairie au nez et à la barbe de celui qui en rêve depuis 30 ans : Jean-Claude Gaudin.

Quoi qu’il en soit, ces affaires et la configuration du paysage politique de la seconde moitié des années 90 l’éloigneront durablement du sport, de Marseille et de la politique. Et il n’y a qu’au sport et à Marseille qu’il reviendra. Une première fois en 2001, à la demande de Robert-Louis Dreyfus, pour relancer un OM alors au creux de la vague. L’équipe ne tourne pas, ne gagne pas, en dépit des millions injectés par le nouveau patron d’Adidas, la firme rachetée à Tapie (ou au Crédit Lyonnais, c’est selon) quelques années plus tôt et qui sera, elle aussi, synonyme de disgrâce et d’échec pour l’ex « boss » de l’OM.

Avant de lui offrir le carburant de sa renaissance, à l’issue de l’arbitrage contesté qui lui permettra de revenir une seconde fois à Marseille et d’y renouer avec le succès et la respectabilité. Car le premier retour, en 2001, s’était soldé par un cuisant revers. Tapie échoua à relancer le club, comme s’il avait perdu le feu sacré des années 80/90, et Louis-Dreyfus ne lui céda pas ses actions, comme il en avait été question en cas de succès.

La Provence pour son come-back marseillais

Le second de ses come-back, en revanche, eut un tout autre retentissement. A la tête d’un joli magot obtenu grâce à l’arbitrage voulu par lui et validé par Sarkozy, il put en effet s’associer au Groupe Hersant en vue du rachat de La Provence, dont les héritiers de feu le magnat de la presse française étaient propriétaires depuis 2007 et le désengagement du groupe Hachette Filipacchi. Scellé en 2012, ce partenariat fit souffler un petit vent de panique sur le microcosme politique marseillais. Beaucoup craignaient, sans le dire ouvertement, qu’en rachetant le journal de Gaston Defferre deux ans avant la municipale de 2014, Tapie veuille se payer l’arme qui allait lui offrir sa revanche, en l’occurrence d’arracher à Gaudin la mairie qu’il lui avait indûment dérobée en 1995.

 C’était mal le connaître. Même après avoir pris seul les commandes du journal après le retrait d’Hersant, début 2014, il continua de jurer que la politique, on ne l’y reprendrait plus. Et il tint parole. Comme il tint parole lorsqu’il promit de ne pas interférer dans le travail de la rédaction de La Provence, nommant à la tête de celle-ci des gloires du journalisme en fin de carrière comme Olivier Mazerolle et Franz-Olivier Giesbert, en gage d’indépendance et de crédibilité professionnelle.

Que va devenir le grand quotidien de la cité phocéenne, auquel il se disait très attaché ? C’est l’une des nombreuses questions que la disparition de Bernard Tapie pose à Marseille.

Hervé Vaudoit

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