Les chiffres en trompe-l’œil du port de Marseille

Economie

En 2017, la place portuaire marseillaise a bénéficié d’une multiple conjonction astrale. En 2018, dernière année du projet stratégique en cours de déploiement, le Grand port maritime de Marseille entend donner plus de nerf à sa politique commerciale, se verdir et se connecter davantage…
 
En trompe l’œil. Si le trafic du port de Marseille est en apparence stable (à 80,6 Mt), les lignes internes commencent à bouger significativement, signe d’une dé-pétrolisation (il en aurait fini de se « shooter » avec le baril de Brent, dixit Jean-Marc Forneri, le président du conseil de surveillance jamais avare de mots qui claquent). Hors hydrocarbures, l’ensemble se consolide avec une croissance de 8 % ce qui permet de couvrir intégralement le manque à gagner provoqué par la décrue du brut (structurellement inexorable). Et de faire ressortir un chiffre d’affaires attendu de 7 % aux alentours de 160 M€. Une zone de confort qui peut s’avérer utile alors que l’État réfléchit à faire évoluer la gouvernance et le modèle économique des grands ensembles portuaires français.
De façon factuelle, cela fait en fait quelques années que Marseille Fos additionne les trafics en croissance plus forte que la moyenne européenne.
Cette année, l’augmentation est d’autant plus signifiante qu’il s’agissait d’un exercice « à haut risque », insiste la présidente du directoire, Christine Cabau-Woehrel. L’arrêt de l’import de brut à la raffinerie Total de la Mède devait en effet se solder par une perte « anticipée » de 2,7 Mt*. Le port phocéen, longtemps « isolé » de la compétition interportuaire mondiale en raison de sa spécialisation en vracs liquides (porte d’entrée du pétrole en France), a donc passé sans grand encombre le grand test. Les amortisseurs semblent en place.
 
Enjeu stratégique de la logistique
En 2017, la place portuaire marseillaise a bénéficié d’une multiple conjonction astrale qu’est la reprise économique (un peu), la reconfiguration des grandes alliances maritimes mondiales**, qui a notamment bien servi la place portuaire phocéenne, le retour payant de ses investissements (probablement) à la fois pour mettre en place de nouvelles dessertes (qui mécaniquement dopent la demande) et rendre disponible du foncier. La demande grandissante en locaux d’entreposage en arrière des terminaux portuaires (essor de Fos-Distriport et de la zone de la Feuillane au plan logistique) est une aubaine dans un contexte de réorganisation des flux logistiques mondiaux consécutive à la saturation des ports du Nord de l’Europe, là où « la pénétration des voies est telle que les conteneurs peuvent rester deux jours à quai », souligne Jean-Marc Forneri.
« Fixer des activités logistiques sur un territoire permet de (re)conquérir de la clientèle et de capter des volumes supplémentaires. Le trafic d’Electrodepot ne passait pas Fos. En s’installant à La Feuillane, il va générer des volumes supplémentaires », commente Christine Cabau-Woehrel.

 
Fini d’être le « parent pauvre » dans le secteur du conteneur ?
S’il fallait s’accrocher sur une seule donnée : à n’en pas douter, ce serait celle des conteneurs, dont le trafic est un révélateur de sa bonne insertion dans l’économie mondiale, tout en étant le talon d’Achille des ports français, très loin derrière le range nord-européen (Rotterdam, premier port européen dans ce domaine, manipule à lui seul plus que tous les ports français réunis).
En 2017, ces derniers ont encore persisté et signé. Le 14e port mondial (sur le segment conteneurisé) Anvers s’affiche à 10,4 MEVP, soit autant de boîtes traitées (+4,1 %). Fin septembre, Rotterdam (12e mondial) était déjà à + 10,1 % par rapport à son exercice précédent avec 9,4 MEVP (12,3 MEVP sur une année pleine en 2016). Hambourg (17e) qui n’a pas encore publié ses données pour 2017, était à 8,9 MEVP en 2016.
Tandis que le leader français sur ce segment – les trois ports composant l’alliance Haropa (Le Havre, Rouen, Paris) – n’a traité « que » 3 millions de « boîtes (+ 14 %). Le dossard 110 dans la compétition mondiale, Marseille, a manutentionné 1,4 million de boîtes.
Toutefois, avec une croissance de 10 %, « Marseille-Fos est deux fois plus dynamique que la moyenne européenne, indique la directrice générale du port, c’est spectaculaire et surtout significatif d’une reconquête de parts de marchés dans la durée car cela fait la sixième année que l’on croît sur ce segment ».
 
80 M€ d’investissements
« Ce bilan est le fruit de plusieurs années d’investissements humains et matériels », signale le président Forneri.
Cela fait plusieurs années que le GPMM investit chaque année peu ou prou 80 M€ dans ses infrastructures. Ainsi en 2017, il a consacré plus de la moitié de son enveloppe à des travaux structurants comme l’élargissement de la passe Nord pour améliorer l’accessibilité aux plus grands navires ou l’aménagement de terminaux. Il fut impliqué aussi depuis quelques années dans la remise en en état la plus grande forme de réparation navale de Méditerranée, la Forme 10, qui a reçu son premier navire en octobre dernier.
« Cet outil nous apportera évidemment de l’attractivité supplémentaire car il permet aux armateurs de programmer des arrêts techniques très proches des endroits où ils opèrent leurs opérations commerciales. Dans cette immédiate proximité, nous avons un avantage concurrentiel qui n’a pas d’égal tout autour de la Méditerranée », explique Christine Cabau-Woehrel. Le GPMM y aura consenti avec les collectivités locales un peu moins de 32 M€.
Manifestement pas vainement. Ces trois derniers mois, une dizaine de paquebots de grande capacité se sont succédé dans l’installation XXL. In fine, l’année s’est soldée par 2 231 jours d’occupation et 98 navires traités dans les trois bassins marseillais de réparation navale, soit une hausse de l’activité de 10 %.
 

©NBC

 
Dans la cour des grands
Ses résultats sont moins spectaculaires sur le trafic passagers (2,7 millions de passagers) avec une légère augmentation de 1 %, plombé par l’activité croisière (1,55 million de croisiéristes) en repli de 7 % tandis que les lignes vers la Corse retrouvent de l’aplomb (+8 %) et plus encore celles vers l’Algérie (+11%).
Mieux que l’ensemble du marché puisque la desserte maritime corse enregistrait fin décembre 2017 une croissance de 2,12 % (4,15 millions de passagers dont 2,8 millions sur les lignes françaises). La performance marseillaise est à l’égal de celle du trafic aérien qui prospère depuis quelques années (sur la déconfiture de la SNCM ?) avec 4,025 millions de passagers et croissance de plus de 8 %.
Concernant le passage à vide des croisières, les choses étaient prévues, signale la direction générale. Le port, qui grandit très rapidement sur ce segment (9e au monde en termes de transit et 5e en Méditerranée) et que ni la conjoncture ni le terrorisme n’auront réussi à le faire dévisser, devait l’an dernier faire face à la cessation d’activité de Croisières de France et à un repositionnement des escales des compagnies américaines, indique la direction générale.
Si 2017 a marqué le pas, le Club de la Croisière Marseille Provence reste ferme sur sa ligne de crête : hisser Marseille dans le top 10 des ports de croisière mondiaux à l’horizon 2020 avec 2 millions de passagers mais avant cette échéance, devenir le 4e port de croisière de Méditerranée, devant Venise. Ce qui, suivant sa stratégie des petits pas ne paraît plus fantasque. 530 escales (contre 430 l’an passé) sont programmées en 2018 et près de 1 750 000 croisiéristes sont attendus.
 
Asphyxie 
Il s’agit désormais d’accompagner « le grand sujet de demain » : l’amélioration des systèmes de propulsion pour réduire l’impact environnemental des navires conformément aux nouvelles législations mais aussi et surtout prendre en compte la mauvaise humeur des riverains qui se disent « asphyxiés par la fumée des bateaux de croisière ». La presse s’en est largement fait l’écho.
« Que peut-on faire avec les armateurs de façon à améliorer la situation et réduire l’impact quel qu’il soit ?, c’est cela le sujet » veut désamorcer la directrice générale. « D’abord le port de Marseille travaille de concert avec les armateurs pour mettre en œuvre avec eux les solutions qu’ils auront choisies pour réduire leurs émissions. L’embranchement à quai est une (La Méridionale, qui représente 20 % des escales du bassin Est, a amorcé le mouvement dès 2015 avec trois de ces navires, ce qui permettrait de s’épargner l’émission de particules (PM10) et de CO2 équivalant à 3 000 véhicules/jour. Corsica Linea, délégataire du service public sur la Corse, vient d’annoncer qu’il en ferait de même, ndlr).
Selon les armateurs, il faut compter près d’1 M€ par navire pour raccorder les navires au système d’alimentation électrique de courant quai. La Méridionale y a investi quelque 5 M€ par exemple.
Aussi, continue-t-elle d’énumérer, les navires équipent de plus en plus leurs unités de scrubbers (en 2017, 8 navires passés par Marseille étaient dotés de ces pièges à fumées). Enfin, des armateurs en ont fait l’annonce dernièrement**** : ils se dotent d’une flotte en GNL, ce qui résout complètement la problématique des émissions de fumées. Le premier Costa en propulsion GNL est attendu à Marseille en 2019. MSC a également deux unités en construction dans les chantiers de Saint-Nazaire », énumère-t-elle, consciente que « l’on ne pourra pas tout régler d’un coup mais on sait grâce aux mesures d’Air Paca que depuis 2011, les émissions de dioxyde de soufre dans l’environnement portuaire ont diminué de 40 % ».
 
Prime à la vertu
Selon les modélisations de l’association de surveillance de la qualité de l’air, le transport maritime est à l’origine de 33 % des émissions d’oxyde d’azote présent dans l’atmosphère à Marseille et de 13 % des PM10 (particules fines de diamètre inférieur à 10 microns). C’est la phase à quai qui est la plus problématique (pour un navire de croisière moyen, la consommation de carburant serait d’environ 700 l/h lorsqu’il est à quai).
Inciter les armateurs à changer leur pratique en appliquant une prime financière à la vertu environnementale, la mesure est déjà prévue par l’Europe dans le cadre de la Stratégie de transport maritime d’ici 2018 mais tarde à se concrétiser. Depuis le 1er juillet 2017, le GPMM a rejoint la dynamique du World Ports Climate Initiative (WPCI) et accordera un bonus, sous forme de réduction de droits portuaires pouvant aller jusqu’à 10 % aux navires dont les pratiques respectueuses vont au-delà de la réglementation, suivant un indice (index environnemental des navires) supérieur ou égal à 35. Le groupe Costa a été le premier à signer cette charte qui récompense quatre de ses navires.
 
Le GPMM a décidé d’inciter, sous forme de réduction de droits portuaires pouvant aller jusqu’à 10 %, les navires dont les pratiques respectueuses vont au-delà de la réglementation. Le groupe Costa fut le premier à le signer il y a quelques mois. ©DR

 
En 2018 ?
Cette année sera dernière année du projet stratégique piloté par Christine Cabau-Woehrel.
« Soyez certains que nous serons agressifs commercialement cette année. On entre dans une phase où le port sera amené à faire efforts très significatifs sur sa politique commerciale et sa politique d’aménagement foncier pour amplifier ses succès. Soyez aussi assurés que le conseil de surveillance est particulièrement exigeant sur les performances demandées à Christine Cabau-Woehrel et ses équipes », entonne Jean-Marc Forneri avant d’ajouter : « nous avons deux sous-axes adossés à cette stratégie : verdir et devenir un port connecté, inscrit dans les technologies du 21e siècle ». Surtout ne pas prononcer « smart port » car « je n’aime pas ce terme », ajoute-t-il.
 
—- Adeline Descamps —
 
*« 2 M » pour Maersk et MSC, « Ocean Alliance » mené par CMA CGM et le chinois Costco, et « The Alliance ».
** Dans le cadre de la restructuration de son activité de raffinage en France, le groupe pétrolier s’est engagé à convertir sa raffinerie de la Mède en bioraffinerie.
***Le port de Marseille dispose d’un bassin dédié aux bateaux de croisière et de 3 terminaux dont le plus vaste est exploité par une société privée, Marseille Provence Cruise Terminal (MPCT) avec pour actionnaires MSC et Costa Croisières. Six méga-paquebots peuvent y être réceptionnés simultanément.
****Costa a ouvert le bal en commandant les deux premiers navires du secteur fonctionnant au gaz naturel liquéfié (GNL). En 2021, ce sera au tour de MSC Croisières de mettre à l’eau le premier des quatre navires de la « World Class » équipé en GNL. Brittany Ferries puis CMA CGM ont lancé tout récemment leurs premières commandes de navires propulsés au GNL. 
 
 
 
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Faits marquants de 2017

  • Trafic total Marseille Fos : 80,6 Mt (stable)
  • Le trafic, hors hydrocarbures, est en croissance de 8 %
  • Hausse de l’activité conteneur pour la 6e année consécutive [+10 % avec 1,4 millions d’EVP traités]
  • Marseille Fos bénéficie de la hausse du marché automobile français en 2016 véhicules neufs [+ 18 %]
  • Progression soutenue des remorques Corse et Maghreb [+ 11 %]
  • Les vracs solides montent en puissance [+ 5 %] dans un contexte européen maussade
  • En 2017, Marseille Fos a valorisé 55 hectares de surfaces dédiées à la logistique et à l’industrie
  • Le chiffre d’affaires est attendu en progression de 7,3 %
  • Passagers croisières 1,5 millions de passagers [- 7 %]

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Aménagement du J1 : « Les meilleurs architectes du monde »

 
A propos du J1, Jean-Marc Forneri, dans le texte :
« Le 9 janvier, nous avons clôturé les offres. Nous avons reçu un nombre intéressant de projets. Parmi eux, des grands noms de l’hôtellerie, de la construction et de la finance et les meilleurs architectes du monde, cela va de Norman Forster à Wilmotte. Certains font faire l’objet d’une étude très sérieuse. Nous soumettrons en juin à un jury une présélection de 3 ou 4 candidats. Ce jury sera composé de représentants des collectivités locales et de l’État, ainsi que de chefs d’entreprise comme Tanya Saadé qui a par exemple donné son accord au nom de CMA CGM. Dans une seconde phase, les dossiers retenus seront examinés par un jury international (composition pas arrêtée), qui se réunira en novembre ou décembre. Le résultat sera connu en janvier 2019 ».
 

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