Quand les destins portuaires de Marseille, du Havre et … de Lyon sont liés

Economie

Les ports qui gagnent sont ceux qui sont desservis par des dessertes routières, ferroviaires et fluviales massifiées, de longue distance et  compétitives. C’est du moins la recette de la gagne des ports nord-européens qui règnent en maître sur les trafics de la plupart des grandes régions françaises, y compris à proximité des plus grands ports français. Axes Seine et Rhône-Saône, même combats. Les parts de marché à (re)conquérir se situent précisément là…
 
Cela fait quelques années qu’ils nous racontent la même histoire. Plusieurs conférences de presse annuelles que l’exécutif du Grand port maritime de Marseille (GPMM) nous présente le scénario de la confiscation des trafics par Anvers (le bien nommé « premier port français ») et ses comparses du nord-européen – Rotterdam, Hambourg Bremerhaven -, par lesquels transitent 50 % des conteneurs à destination ou en provenance de la France et 75 % des marchandises qui arrivent en Europe. Plusieurs années que Jean-Marc Forneri, le président du conseil de surveillance du port de Marseille et Christine Cabau-Woehrel, à la direction générale, nous font le récit d’un progressif « rééquilibrage entre le Nord et le Sud ». Et nous passent le film d’une « alternative sudiste » qui deviendrait peu à peu crédible avec naturellement, Marseille-Fos comme LA porte d’entrée et de sortie de marchandises du Sud de l’Europe.

Jean-Marc Forneri, le président du conseil de surveillance du GPMM et Christine Cabau-Woehrel, présidente du directoire. Lors de la conférence de presse « annuelle » en janvier ©DR

 
La thèse de Marseille-Fos en tant que port d’intérêt « sud- européen »
La proposition aurait fait sourire il y a encore quelques années alors que la place portuaire n’était pas réputée pour son calme social.
La thèse de Marseille-Fos en tant que port d’intérêt « sud- européen » est aujourd’hui présentée très sérieusement. Non pas tant en raison de la localisation avantageuse de Marseille (stratégique sur la Méditerranée). Ou de la configuration nautique de l’outil (tirants d’eau élevés, infrastructures dimensionnées pour accueillir des porte-conteneurs opérant sur le trade Asie-Europe), ou encore de ses réserves foncières (1 200 à 1 300 ha disponibles), quand ses concurrents du grand Nord frisent l’embolie. Mais tout simplement parce que le port serait redevenu fréquentable et dont témoigneraient les résultats des trafics de l’année qui vient de s’écouler, flèche Christine Cabau-Woehrel (cf. Les chiffres en trompe l’œil du port de Marseille).
©GPMM

 
Désintoxication en bonne voie
Pour de vrai, la purge opère. Le port phocéen semble avoir éradiqué ses vieux démons – manque de fiabilité portuaire, instabilité sociale – pour accéder à la respectabilité (la confiance de ses clients, chargeurs et armateurs).
La porte d’entrée du pétrole en France en aurait aussi fini de se « shooter » avec le baril de Brent (garantit Jean-Marc Forneri) pour devenir le port de tous les trafics et de toutes les énergies, « vertes » si possible, est-il vivement recommandé.
Il aurait aussi gagné en visibilité internationale, jusqu’à être distingué aux « Assises du port du futur » à Singapour pour son système d’information CI5 (le logiciel développé par la société marseillaise MGI qui trace la marchandise door-to-door notamment via l’intelligence artificielle). Un des éléments qui structure sa smart « portization » en cours de déploiement.
 
Entre-soi méditerranéen
Mieux, la place phocéenne s’est investie tête de pont d’une association qui ambitionne de regrouper les ports du pourtour méditerranéen (et plus si affinités …) et qui tiendra son second Medports forum les 7 et 8 février prochain. Depuis son arrivée à la tête du GPMM, la présidente du directoire cherche à installer une nouvelle ligne de « flottaison » portuaire, qui permettrait en option basse, de rééquilibrer les échanges sur le marché euro-méditerranéen, et en version ambitieuse, d’affirmer les ports dudit « range Sud » (Marseille-Fos, Algesiras, Valence, Barcelone, Gênes, Giaio Tauro, La Spezia, etc.) en alternative crédible à ceux du range Nord, eux déjà organisés en réseau et dominant toutes les grandes routes maritimes.
Elisabeth Borne, ministre des Transports, à l’occasion de sa visite dans les bassins Est du port de Marseille, aux côtés de Christine Cabau-Woehrel, à la tête de ©GPMM

 
Un port redevenu fréquentable ?
Enfin, il aurait atteint une certaine notabilité au niveau national, qu’illustrerait le défilé ministériel ces derniers mois dans ses bassins. « Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique, chargée des transports a passé toute une journée dans nos bassins mais aussi Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire ou Karima Delli, présidente de la Commission transport du parlement, accompagnée d’une délégation de députés européens », veut croire Christine Cabau- Woehrel, avec un sensibilité VIP qu’on ne lui soupçonnait pas.
Respectable et fréquentable. La direction du port en veut pour preuves quelques éléments, qui ont consacré ces dernières années son retour en grâce auprès de ses usagers.
La présence sur ses deux terminaux conteneurisés de Fos des plus grands noms de la manutention portuaire mondiale en est un (Eurofos, du groupe PortSynergy, détenu à parité par CMA CGM-China Merchants et Dubaï Port World et Seayard, filiale de Terminal Investment Ltd, du consortium MSC, APM Terminals et Cosco). L’accroissement de la taille des navires qui touchent ses quais sur le service Asie ou l’ouverture de lignes (trois cette année), tel le nouveau service sur les États-Unis, en sont deux autres.
©GPMM

 
Coup de poker
Pour ceux qui ne seraient pas initiés au secteur, pour reprendre l’expression favorite du président de surveillance Forneri quand il veut « éclairer » les journalistes, la décision d’un armateur de positionner des escales sur un port n’a rien d’un coup de poker. C’est notamment la profondeur de son hinterland (marché de consommation, présence des activités économiques etc.) qui déterminera l’ouverture d’un service et la taille du navire. Encore faut-il que cet arrière-pays portuaire soit desservi avec des dessertes routières, ferroviaires et fluviales, massifiées, de longue distance, de qualité et à coûts compétitifs.
 
Jean-Philippe Salducci, président de l’UMF Marseille Fos ©DR

Bataille des arrière-pays, le grand sujet portuaire
Car « le port n’est pas la destination finale de la marchandise. Il n’est que l’infrastructure permettant le changement du transport de la mer vers la terre », explique didactique Jean-Philippe Salducci, le président de l’Union maritime et fluviale (UMF), qui a fait de l’amélioration rapide de la connexion des terminaux à conteneurs de Fos avec l’hinterland une des priorités de son mandat. Une fois la marchandise à bon port, « elle doit continuer son chemin sans être bloquée, gênée par des contraintes techniques ou un coût ».
« Quand on développe un port, il faut s’occuper de ce qui se passe sur les quais mais aussi à terre. Les développements autour des pré- et -post acheminements sont majeurs, dit autrement la direction générale du port. La bataille des parts de marché avec les ports du Nord de l’Europe se gagnera à terre par la massification des flux », plaide-t-elle.
Tous l’enjeu pour les ports français résident bien là, dans leurs prolongements terrestres (les corridors de transports) qui leur garantissent fluidité des circulations et si le territoire « se débrouille bien », peuvent apporter de la valeur ajoutée par la transformation industrielle des marchandises (selon l’adage : plus de marchandises traitées in situ, plus d’emplois pour le territoire).

« On a le crapaud de Camargue qui hurle qu’on veut le tuer, la sauterelle qui ne peut plus traverser la route…»

« A Rotterdam, ils ont compris depuis longtemps que la valeur ajoutée du transport, c’était le report modal et la logistique qui permettent de recomposer les flux pour les réexpédier plus loin : ils dépotent (conteneurs ouverts, ndlr), rempotent (marchandises reconditionnées voire transformées, ndlr) et ils expédient. Et c’est ainsi qu’ils créent des emplois et de la richesse. Ici, dès que l’on veut faire une zone logistique, on a le crapaud de Camargue qui hurle qu’on veut le tuer, la sauterelle qui ne peut plus traverser la route…». Le président de l’UMF soutient qu’en créant des plateformes logistiques le long de la vallée du Rhône, l’on pourrait par exemple remotiver un usage du fleuve, à la peine ces dernières années.

Port de Rotterdam ©DR

C’est en tout cas grâce à la mise en œuvre des corridors multimodaux (route, fleuve, fer) et de services associés aux flux, que règnent en effet en maîtres les « amis » du range nord-européen, dont les lignes de force sont bien connues : un hinterland à longue portée qui leur permet d’atteindre des marchés éloignés, pourtant a priori destinés à des ports géographiquement plus proches. Ainsi, au fil de l’eau, se sont-ils retrouvés en quasi quasi-monopole dans le trafic de conteneurs à destination ou en provenance de la plupart des grandes régions françaises : à l’importation, la part des ports étrangers est par exemple de 45 % en Ile‐de‐France et de 51 % en Rhône‐Alpes pour les conteneurs. Á l’exportation, les taux correspondants sont de 34 % et 31 %*.
Pour synthétiser en quelques formules-choc. En dépit de ses 3 427 km de côtes, le trafic cumulé des ports métropolitains français (toutes marchandises confondues) n’atteint même pas le tonnage du seul port batave Rotterdam. Et il faut cumuler les trafics de Marseille, Le Havre et de Dunkerque pour presque s’élever à la hauteur du port belge Anvers. Le volume de boîtes multicolores traitées dans tous les ports français représente la moitié du trafic géré par le seul Hambourg.
 Hinterland des principaux ports européens ©AGAM
 
Plus de marchandises traitées sans camion supplémentaire sur les routes…
Force est de reconnaître qu’en France l’attractivité « coût, délai, qualité » des ports, celle de la chaîne logistique complète door to door (porte-à-porte), en intégrant les coûts des pré- et post-acheminements, ne joue pas vraiment en faveur d’un report modal. L’articulation sans couture avec le fer ou le fleuve reste encore à trouver.
Pour que le report modal fonctionne, il n’y a pas « quantité de solutions », défend Jean-Philippe Salducci, qui ne cherche pas à imposer partout la barge (« toutes les marchandises ne sont pas réceptives ») : « Si on n’impose pas le changement, rien ne bougera. Il n’y a objectivement aucune raison de favoriser un mode qui coûte plus cher et qui est plus lent. Le mode fluvial suppose une manutention lourde, ce qui augmente la facture et sa ramification est unique (il ne peut desservir que ce qui est le long du Rhône, ndlr) ».
Le délai est aussi tout relatif, les barges ne disposant pas de postes à quai ni de dockers dédiés. « Le rail est moins lourd au niveau de la manutention, son réseau est en éventail mais il a d’autres contraintes. In fine, la route est le seul mode de transport qui ne repose que sur une seule manutention, n’a pas de limites dans la destination et emmène le conteneur jusqu’au dernier km »
Sauf que…seul le réseau routier est saturé alors qu’un seul convoi fluvial soulagerait les routes de 250 camions.

 
Objectif : 30 % du trafic conteneurisé utilisant les modes massifiés
Ces derniers temps, le trafic fluvial, déjà parent pauvre du transport, n’a pas été aidé. « L’aide à la pince », qui finance la rupture de charge du transport combiné, indispensable à son équilibre économique, a été supprimée. D’où les chutes de trafic généralisées à quasiment tous les ports ces deux dernières années, selon les professionnels. En particulier à Marseille, où il a déçu (en repli de 5 %).
Résultats : la part du mode fluvial pour le trafic de conteneurs depuis et vers Marseille-Fos est de 8 %. Et guère plus au Havre, autour de 9 %.  Avec respectivement un peu plus de 70 000 conteneurs pour le port normand et 79 000 pour le phocéen, leurs infrastructures respectives ne peuvent pas être saturées. Sous pression avec la relance du projet de Canal Seine-Nord-Europe, qui présente le risque de détourner une partie des convois de conteneurs vers le port belge sur les rives de l’Escaut, Le Havre ambitionne d’atteindre une part fluviale de 20 % à l’horizon 2020. Marseille-Fos, qui « veut être un port qui compte en Europe dans les transports massifiés » s’est assigné un objectif de 30 % du trafic conteneurisé utilisant les modes massifiés (fer et fleuve, contre 17 % aujourd’hui).
 

« En France, en raison de nos réglementations, un poisson met 10 jours à sortir des quais après les procédures phytosanitaires. Du coup, le poisson que vous retrouvez dans votre assiette passe par le Portugal ! »
 

Connectés à des réseaux fluviaux à grand gabarit desservant l’intérieur des terres, les ports du Nord, eux, creusent chaque année un peu plus l’écart. Dans les pré- et post-acheminements conteneurisés, la part de la voie d’eau s’élève à 38 % à Anvers et 36 % dans à Rotterdam. Et d’ici 2019, ce sont près de 20 M€ qui seront investis par la place portuaire belge pour renforcer ses capacités fluviales et supprimer chaque année 250 000 transports routiers comme elle s’y est publiquement engagée.
Entre la Belgique et la France en particulier, Anvers a multiplié ces derniers temps les services intermodaux, notamment des lignes conteneurisées fluviales avec les ports de Strasbourg et de Mulhouse-Rhin, via l’opérateur Logirhône, ou entre Mertet (Luxembourg), Metz et Anvers via l’opérateur Luxport. Au plan ferroviaire, un nouveau service multimodal hebdomadaire se connecte au terminal de Lille-Dourges.
Alors ? « Soit le gouvernement taxe le camion pour le coût devienne dissuasif, soit il aide les autres modes de transport pour qu’ils soient plus attractifs ». Mais en taxant les premiers, est-il conscient, cela peut se solder par des pertes de trafics sur nos ports au profit des concurrents « si tous les pays d’Europe n’ont pas la même exigence ». « En France, en raison de nos réglementations, un poisson met 10 jours à sortir des quais après les procédures phytosanitaires. Au Portugal, il n’y a aucun contrôle. Du coup, le poisson que vous retrouvez dans votre assiette passe par le Portugal ! »

 
Consécration de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône
« 75 % des flux entrants et sortants de Fos en camion, c’est encore beaucoup trop, reconnaît Jean-Christophe Baudouin, qui préside le Conseil de coordination interportuaire Méditerranée, une instance créée en mai dernier pour accroître la compétitivité de l’axe logistique Rhône-Saône*** (et qui était d’ailleurs une des préconisations du rapport parlementaire Attractivité et compétitivité du range France Med et de l’axe Rhône-Saône ).
 « On a besoin de souplesse avec un transport qui combine tous les modes. C’est cette homogénéité qui permet des acheminements variés et massifiés et aux clients, d’adapter et de choisir selon leurs besoins en transport. Cette très bonne répartition modale fait la force des ports nord-européens. Maintenant, il faut ajuster les modèles économiques pour que le fer et l’eau soient à des niveaux de compétitivité comparables à la route ».

« La position du gouvernement sur ces sujets est limpide (…) Trois principales portes d’entrée à la France »

Pour l’ex directeur des stratégies territoriales du CGET, l’agenda politique s’y prête.
« La position du gouvernement sur ces sujets est limpide. Les objectifs ont été affirmés à l’occasion du Comité interministériel de la mer (Cimer) à Brest et des Assises de la mer au Havre ».
Le président Emmanuel Macron a notamment posé « le schéma d’un système portuaire structuré autour de trois principales portes d’entrée à la France – Le Havre et Dunkerque pour le Nord de l’Europe, et Marseille pour le Sud. L’objectif est d’arriver à ramifier les hinterlands de façon à ramener les flux entrants et sortants vers ces « gateways » productifs que doivent être les ports ».
Les codes ont changé. De simples infrastructures, les ports doivent devenir des  écosystèmes capables d’attirer des investisseurs sur leur domaine. C’est du moins l’ambition affirmée par le gouvernement en marche pour la reconquête portuaire.
Front commun pour étendre la zone d’influence vers l’Est

Jean-Christophe Baudouin, délégué interministériel au développement de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône, a été chargé de plancher sur une stratégie de développement économique. ©DR

Le premier Ministre a enchâssé le pas du président Macron quelques jours plus tard pour réaffirmer que « pour que le grand port français de la Méditerranée puisse remplir pleinement sa vocation, il doit (…) pénétrer profondément dans les terres, vers le nord, le long du Rhône et de la Saône jusqu’à Lyon ». C’est à cet effet que Jean-Christophe Baudouin, nommé délégué interministériel au développement de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône, a été chargé de plancher sur une stratégie de développement économique (cf. plus bas : Où en est le conseil de coordination ?).
Á Marseille-Fos, cela fait quelques années que l’axe rhodanien – cet axe irrigué par la voie d’eau et le rail -, fait l’objet d’investissements ciblés de façon à « pénétrer profondément dans les terres », pour reprendre l’expression du Premier ministre. Car avec son potentiel de trafic de 600 000 conteneurs EVP, les parts de marché que Marseille peut conquérir se situent précisément là, sur le trafic depuis et vers Anvers et Rotterdam.
 
 Certains paient. D’autres patinent.
Sur les 83 M€ d’investissements prévus au budget du GPMM en 2016, 55 millions étaient notamment fléchés vers le report modal rail et voie d’eau. En 2018, une enveloppe de 82 M€ est prévue dont 10 M€ pour des investissements ferroviaires.
Certains se concrétisent. D’autres patinent. Le terminal de transport combiné rail-route – qui était pourtant un des objectifs de la réforme portuaire de 2008 visant à développer les modes de transports alternatifs à la route – a particulièrement du mal à voir le jour. Les travaux devaient démarrer à l’été 2015 pour une mise en service prévue mi-2017. Le nouvel équipement devait être en mesure de traiter jusqu’à 150 000 conteneurs et caisses mobiles par an, soit le double du nombre de « boîtes » qui empruntent le rail aujourd’hui. Mais sous la pression des riverains, il a été ajourné « dans l’attente de la résolution d’un certain nombre de sujets connexes qui se sont invités dans le débat public », souligne avec prudence Christine Cabau Woehrel. Quoi qu’il en soit, il a été reconfiguré. « Pour l’heure, aucun calendrier n’est fixé pour sa mise en service » a-t-elle indiqué dans l’attente de « l’issue des négociations entre l’état et la SNCF pour la cession des terrains ».
 
Lors de l’annonce de l’inscription du tronçon Fos-Genève au corridor européen n°2. (de g.à d. : Jean-Philippe Salducci, président de l’UMF Marseille-Fos, Bernardino Regazzoni, ambassadeur de Suisse en France, Jean-Luc Chauvin, président de la CCIMP, Renaud Muselier, président de région PACA, Christine Cabau-Woehrel, présidente du directoire du GPMM et Guillaume Confais-Morieux, directeur général du corridor mer du Nord-Méditerranée. ©FJonniaux

 Lobbying
Pour déployer sa stratégie multimodale, le GPMM s’appuie sur l’association Medlink Ports créée en 2015 pour favoriser le rapprochement entre Marseille et Lyon, via une offre logistique unifiée et intégrée** le long de l’axe Rhône-Saône sur le modèle de Haropa de l’axe Seine (GIE fédérant les ports de Paris, Rouen et Le Havre).
Appelée à devenir l’outil opérationnel du Conseil interportuaire de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône, l’association, actuellement présidée par Christine Cabau-Woehrel, s’est aussi mis en tête de développer le volume de marchandises dangereuses sur le Rhône, visant à faire passer la part de 4 % actuellement à 20 %.
« Nous représentons le premier ensemble fluvio-portuaire français avec 103 Mt, garantit Christine Cabau-Woehrel. Et sur , c’est le ferroviaire qui a le plus augmenté cette année (+14 % de conteneurs passés par les voies ferroviaires cette année). Ainsi, 140 000 conteneurs (sur un total de 1,4 million) sont arrivés ou ont été évacués par rail en 2017. Une quinzaine d’opérateurs de transport combiné desservent actuellement les installations industrialo-portuaires et couvrent une petite trentaine de destinations en France et en Europe.
L’AGAM vient d’éditer une publication exclusivement consacré à l’axe rhodanien. Vu à travers différents prismes. ©AGAM

 
S’imposer comme le port de de proximité de la Suisse et de Lyon
Vu ainsi, Lyon et Marseille ont des destins liés, l’une étant le débouché de l’autre et inversement (les conteneurs qui arrivent ou partent de Lyon transitent pour environ 55 % par Marseille Fos). Tout un symbole, la place portuaire phocéenne a été l’invitée d’honneur du Progrès et de la CPME Auvergne-Rhône-Alpes lors de la Fête de l’Entreprise à Lyon où elle a pu sensibiliser 3 000 décideurs et entrepreneurs auralpins d’utiliser ce qui devrait être leur « port naturel ».
Les efforts commencent à payer. La grande affaire de 2018, c’est la navette. En partenariat avec Haropa – Port du Havre et l’opérateur de transport combiné Naviland Cargo (filiale de SNCF Logistics), une navette ferroviaire trihebdomadaire sera mise en service vers la Suisse Romande (terminal de Chavornay, situé à proximité de Lausanne, via le terminal de Dijon-Gevrey en Bourgogne).
 « La suisse est une première étape. Demain, ce sera l’Allemagne et pourquoi pas ensuite, l’Europe centrale », commente Christine Cabau-Woehrel.
La mise en œuvre de cette navette fait suite au lobbying déployé par l’UMF auprès des instances européennes pour étendre, à partir de Fos vers Genève, le corridor ferroviaire européen mer du Nord-Méditerranée**** (axe Irlande – Ecosse – Nord du Royaume Uni-Pays-Bas-Belgique-Luxembourg-Marseille).
Pas une mince affaire. Deux ans « de labour ». Il faudra un jour s’intéresser aux raisons pour lesquelles, au niveau ferroviaire, la France est étrangement écartée des grands corridors européens, comme le montrent les cartes.

« Cela garantit que nous avons de sillons ouverts, ce qui a permis de mettre en place la navette. Il reste encore à régler les choses réglementairement. Cela devait se faire en fin d’année dernière mais il y a du retard », précise Jean-Philippe Salducci, qui dit ne pas en connaître les causes tout en rappelant que sur ce dossier, la France rencontre une franche opposition des pays du Benelux car « en rééquilibrant les flux, on redevient des concurrents majeurs ».
 
Exemplaire …
« Ce projet est exemplaire, s’enthousiasme Jean-Christophe Baudouin, car il est porté par les deux principaux ports français : Le Havre et Marseille avec une consolidation des flux en région Franche Comté/Bourgogne ».
En s’appuyant sur deux sites de remplissage nord et sud, les opérateurs ferroviaires minimise en effet les risques tout en maximisant les chances de remplir ses trains. Quant aux transporteurs et entreprises, la solution permettrait de gagner 5 jours de mer par rapport aux ports du range nord (à 900 km de Genève), – et en matière de fluidité ferroviaire, le transit time est capital – « ce qui nous permet d’afficher un door-to-door sur des produits textiles de 17 jours en provenance de l’Inde, de 8 jours sur les fruits secs en provenance de Turquie et seulement de 72 heures pour acheminer des produits pharmaceutiques depuis Genève sur Alger », défend Jean-Philippe Salducci dont le métier est d’être pilote.
 
Nouveau nœud 
Pour offrir la possibilité de transférer les marchandises sur les trains depuis Valence, Barcelone ou Marseille, l’un des deux principaux chantiers à réaliser demeure le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise – seul moyen pour le port de Marseille-Fos de représenter une alternative aux ports du nord à moyen terme quand il devra absorber des volumes de conteneurs atteignant les 4 millions d’EVP -, entend-on dire.
« Si la liaison ferroviaire Lyon-Turin se fait, sans contournement de Lyon, les trafics passeront par les ports italiens », avertit encore le président de l’UMF.
Apparemment, selon les rendus de ses préconisations à la ministre des Transports ce 1er février, le Conseil d’orientation des infrastructures, qui n’avait pas à se prononcer sur le tunnel franco-italien du Lyon-Turin (acté par ailleurs), ne partage pas l’enjeu, disqualifié au profit de la modernisation de l’axe Dijon-Modane pour le fret.
L’autre chantier concerne le canal à grand gabarit entre le Rhône et le Rhin. Cette infrastructure devrait « libérer la croissance du mode fluvial en étendant son pouvoir d’attraction sur le bassin rhénan et les marchés cibles du port de Marseille-Fos que sont notamment la Suisse et l’Allemagne du sud », prédisent les ardents promoteurs de l’ouvrage.

« Tout le monde sent bien qu’il se passe quelque chose ici. Ce port est performant et il le sera encore davantage quand la rotule sera réalisée ».

Pour Jean-Christophe Baudouin, aixois d’origine, qui a une bonne connaissance des territoires (par ses fonctions en tant que directeur général des services dans de nombreux départements), le GPMM réunit beaucoup de conditions pour réussir son pari d’augmenter de 50 % la part des trafics auralpins qui passent par Marseille-Fos. « Tout le monde sent bien qu’il se passe quelque chose ici. Ce port est performant et il le sera encore davantage quand la rotule sera réalisée ».
Cette opération vise à « combler le trou » qui sépare les deux quais à Fos de façon à « créer un linéaire de quai continu de 2,6 km offrant un nouveau poste à quai pour des plus grands porte-conteneurs, soit une capacité de croissance de l’ordre de 50 % », précisait Jean-Marc Forneri, le président du conseil de surveillance lors de la conférence de presse. Ce chantier de 30 M€ doit démarrer au premier semestre, pour une durée de deux ans.

©GPMM

 
Réindustrialisation pour accélérer
Quoi qu’il en soit. « Sans prescripteurs qui ont envie de passer par Marseille, tous les schémas d’intermodalité seront vains », lance Jean-Christophe Baudouin, qui gage sur l’émergence d’espaces industrialo-portuaires pour accélérer.
« La réindustrialisation est un point capital car pour que les bateaux s’arrêtent dans les ports, il faut qu’il y ait de bonnes raisons. L’annonce de Quechen obtenu contre Rotterdam est de bonne augure (un accord a été signé en vue de lancer la phase finale de négociation pour l’implantation sur 12 ha sur le port de Marseille-Fos de l’usine européenne du Chinois Quechen Silicon Chemical, n°3 mondial de la silice pour des pneus verts, ndlr). Avec des projets comme Piicto (plateforme d’innovation autour de l’écologie industrielle, ndlr), Marseille-Fos devient une plateforme intéressante notamment pour les industries du futur. Il faut donc arriver à ce que l’articulation port, fleuve, fer soit optimisée pour le rendre encore plus attractif à l’international ».
Le port a changé de logiciel 
Dans ce contexte, la demande grandissante en locaux d’entreposage en arrière des terminaux portuaires (essor de Fos-Distriport et de la zone de la Feuillane au plan logistique) est une aubaine dans un contexte de réorganisation des flux logistiques mondiaux consécutive à la saturation des ports du Nord de l’Europe.
« Fixer des activités logistiques sur un territoire permet de (re)conquérir de la clientèle et de capter des volumes supplémentaires. Le trafic d’Electrodepot ne passait pas par Fos. En s’installant à La Feuillane, il va générer des volumes supplémentaires », commente Christine Cabau Woehrel.
En 2017, 55 ha de surfaces logistiques et entrepôts ont été commercialisés. 50 ha le seront cette année au nord du site de la Feuillade. Un enjeu de taille que l’implantation d’activités logistiques pour l’emploi à en croire les économistes qui soutiennent que 1 000 conteneurs génèrent 1 emploi portuaire, 6 si la marchandise est dispatchée dans le territoire, auxquels se rajoutent 3 à 4 emplois en transport.
« C’est cette dynamique-là qui m’intéresse, concluait Christine Cabau-Woehrel la conférence de presse annuelle il y a quelques jours. Moi, le mythe des 100 Mt de trafic pour le port de Marseille, je l’adore, mais je préférerais que l’on parle du port comme un outil qui crée de la valeur ajoutée, de l’emploi, accueille des nouvelles entreprises. C’est moins spectaculaire mais ô combien plus intéressant ».
 
— Adeline Descamps —
 
*Selon le rapport parlementaire Attractivité et compétitivité du Range France Med et de l’axe Rhône-Saône, la France importe/exporte 6 millions d’EVP/an (Équivalent vingt pieds, unité de mesure du conteneur) par voie maritime dont 4 transitent par les ports français. Deux millions passent donc par les autres ports européens et pour l’essentiel par les ports du range Nord. 2 autres millions, transitent par les ports du range Nord et sont dépotés à proximité.
** Le réseau compte 16 adhérents, dont les ports multimodaux du bassin Rhône Saône (Pagny, Chalon, Mâcon, Villefranche-sur-Saône, Lyon, Vienne Sud/Salaise-Sablons, Valence, Avignon/le Pontet et Arles), les ports maritimes connectés au réseau fluvial (le GPMM et le port de Sète), le gestionnaire d’infrastructures sur le bassin Rhône-Saône (VNF), l’aménageur de sites industriels et portuaires sur le Rhône (la CNR).
*** Le bassin Rhône–Saône contribue à près de 40 % du trafic en volume, à 70 % des tonnes/km et à près de 100 % du trafic conteneur. Ces trafics sont principalement liés à l’approvisionnement de l’agglomération lyonnaise et du couloir de la chimie ainsi qu’à l’activité céréalière bourguignonne vers les marchés méditerranéens et le Moyen-Orient.
**** Le sujet est à relier à la politique européenne des transports et les 9 corridors (RTE-T, le réseau transeuropéen de transports), qui doivent quadriller l’Europe. Chaque corridor doit combiner trois modes de transport, relier trois États membres et comporter deux tronçons transfrontaliers. Ils seront connectés entre eux et engloberont 94 ports et 38 aéroports à terme. Le projet impose aussi de créer 15 000 km de voies ferrées à grande vitesse et de développer 35 projets d’infrastructures transfrontaliers (comme le tunnel ferroviaire mixte fret et passager entre Lyon et Turin, qui suppose un fort report modal de la route vers le rail, ou encore le canal Seine-Nord Europe, pour ce qui concerne la France).
 
 

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Le Conseil de coordination interportuaire, où en est-on ?

Bâtir une stratégie de développement économique fondée sur la chaîne logistique de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône, telle est la mission du Conseil de coordination interportuaire qui a été créé en mai dernier. Jean-Christophe Baudouin, qui en a la charge, a depuis « visité quantité de sites et rencontré quelque 200 à 250 acteurs ». L’ancien directeur des stratégies territoriales au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), instance sous la tutelle administrative depuis le 1er janvier 2018 du ministère de l’Aménagement du territoire et de la Ville (depuis sa création en mars 2014, il était rattaché au Premier ministre), a opté pour la méthode participative et la stratégie du jongleur (« on ne s’interdit rien. On expérimente. Notre raison d’être est d’explorer tous les possibles »)
Il a donc tenu à impliquer de nombreux acteurs, dit-il – les ports maritimes et fluviaux, quatre régions, des métropoles, VNF, CNR, les CCI, les transporteurs, les bateliers, les acteurs économiques, Medlink… – car « la finalité de la démarche est avant tout économique : créer de la valeur et des emplois sur un axe qui se situe à l’intersection de 4 régions, allant du littoral méditerranéen, incarné par Marseille, à son prolongement naturel Rhône-Saône, animé par Lyon et sa région, et d’autres aires urbaines dont le maillage est perfectible » .
Concrètement, répartis en groupes de travail de 15 à 20 membres, ils vont plancher ce premier semestre sur une demi-douzaine de thématiques*. Cette première année sera une phase de production. « Il ne s’agit pas de refaire des rapports. Ils existent. Dans ces groupes de travail, nous allons analyser finement  un certain nombre d’éléments : comment les ports et les territoires interagissent les uns avec l’autre, comment s’articulent les flux, par segment de trafic, quel foncier consacré aux plateformes logistiques, si elles sont performantes, bien maillées en fonction des flux que l’on essaie de capter de la Suisse, de l’Allemagne, et de l’Est, etc. ».
D’ici la fin du semestre, le Conseil de coordination interportuaire se réunira pour s’approprier ce travail global. Il en ressortira un schéma directeur avant la fin de l’année. Et « tout ne passera pas des infrastructures nouvelles » :
« Oui, on a des dysfonctionnements sur le fret ferroviaire. Oui, certaines lignes capillaires dédiées au fret ferroviaire ont besoin d’être rénovées (lignes parcourues exclusivement par des trains de marchandises pour desservir directement les entreprises qui ont des problématiques de tonnages ou de dangerosité des matières transportées, ndlr). Oui, le contournement de Lyon est un sujet. Mais, prévient-il, « tout ne passera pas par les infrastructures. Il y a beaucoup à faire dans les organisations. Il y a nécessité de se parler ».
« J’attends beaucoup de Conseil en termes de mutualisation, réagit Jean-Philippe Salducci pour lequel il est nécessaire d’avoir un alignement à la fois des visions, des stratégies et des pratiques. C’est une hérésie de continuer laisser les régions et les ports gaspiller de l’argent public en se faisant de la concurrence. Deux exemples : Toulon veut créer un quai croisière – un investissement de 80 M€ – alors qu’ il y a 5 postes à quais croisières pas saturés à Marseille. En revanche, à Toulon, le transport régulier sur la corse se développe fortement. Accompagnons cette spécialisation. A Sète, il est question de 100 M€ dans un terminal conteneur tandis que nous avons trois infrastructures à Marseille. En revanche, ils ont un trafic de passagers sur le Maroc, et un segment de transport d’animaux vivants dynamiques. Aidons-les à développer ces activités ».
Le président de l’UMF, qui chapeaute une vingtaine de métiers portuaires, souhaite également du changement au niveau de la gouvernance : « il y a un baron dans chaque port qui cherche à attirer les flux dans sa baronnie. L’on doit travailler dans le sens de l’intérêt général de façon à mieux répartir les investissements ». Là où c’est le plus rentable, plus fluide, suscitant le moins de gêne possible, et en adéquation avec les forces de chacun, signifie-t-il.
A.D
 
* Les thématiques retenues : dynamiques socio-économiques ports et territoires ; interfaces ports et flux massifiés ; tourisme, culture, patrimoine ; réindustrialisation et économie durable ; Foncier et plateformes logistiques ; recherche et innovation
 
 

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