La région Provence-Alpes-Côte d’Azur étale sur 284 pages l’éthique de ses élus

société

Dans un contexte où la défiance envers les décideurs politiques se porte à merveille, la culture de l’éthique émerge lentement. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur fait partir de ces encore trop rares collectivités à avoir installé en leur sein une instance de déontologie et un code de conduite en matière de transparence de la vie publique. Elle vient de publier son deuxième rapport d’activité. Que révèle cette somme de 284 pages ?
 
Entre le premier et le second, quelques lettres se sont agrégées mais elles sont révélatrices. « Sur le chemin de la prévention et de la transparence au cœur du Conseil régional », exposait humblement le premier rapport relatif à l’activité de la commission de déontologie pour l’année 2016. « Sur le chemin de la transparence consolidée et de la poursuite de la prévention au cœur du Conseil régional », s’affirme davantage le second état des lieux portant sur les règles éthiques observées par les 123 élus régionaux* durant l’année 2017 (dont 99 dans leur premier mandat). Une somme de 284 pages avec annexes balayant les actions, pratiques, usages des élus de la région Provence Alpes Côte d’Azur dans des domaines ultrasensibles car au fondement de la confiance des administrés français envers leurs institutions : intégrité, probité, impartialité, exemplarité … des élus dans l’exercice de leurs fonctions.
La défiance envers les décideurs politiques se portent à merveille, la culture de l’éthique gagne lentement les collectivités. Pour rappel, depuis l’initiative de Provence-Alpes Côte d’Azur, qui faisait figure de pionnière, quelques autres régions ont suivi depuis, notamment Ile-de-France, Bretagne, Hauts de France et quelques villes comme Strasbourg.
 
Du bon usage de la probité …

Catherine Husson-Trochain, présidente de la commission de déontologie de la région PACA ©DR

L’instance, dont la création avait été promise durant sa campagne par l’ex-président LR de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur Christian Estrosi, a été remis récemment à Renaud Muselier à l’occasion de l’Assemblée plénière du Conseil régional. Et rendu public avec une mise en ligne (nonobstant le caractère anonyme des données recueillies).
Au titre des principales missions que s’est assignée Catherine Husson-Trochain, la présidente honoraire de la cour d’appel d’Aix-en Provence (photo), choisie par le président de la région Sud pour piloter cette commission de déontologie, qu’elle a voulue collégiale en s’entourant de personnalités au CV qui posent* : il est question de veiller à l’application du code de déontologie adopté par les conseillers régionaux, prévenir les potentiels conflits d’intérêts entre leurs fonctions publiques et leurs activités privées, élaborer des règles de conduite définissant les différents types de comportements à proscrire, sérier les risques, former les élus aux questionnements éthiques (liés à leurs activités professionnelles rémunérées, leurs intérêts privés, participation à des colloques, les voyages à l’invitation de tiers, etc.).
 
Assiduité des élus quelque peu malmenée
La commission désamorce d’emblée toute interprétation quant aux absences, particulièrement marquées en 2017 (477 versus 415 en 2016), des élus aux 2 300 participations auxquels ils étaient attendus (plénières, commissions permanentes, groupes de travail…), en évoquant une calendrier électoral dense (trois élections entre avril et septembre : présidentielles, législatives et sénatoriales). Soit un taux d’absentéisme moyen de 20,74 % sur toute la période, ce qui représente près de quatre jours par conseiller régional. Quasiment tous les élus ont été absents ont moins une fois et 77 des 123 conseillers l’ont été plus de trois fois. Sachant que 8 conseillers régionaux cumulent à eux seuls 51 des 477 absences enregistrées.
Ce sont les commissions d’études et groupes de travail qui en font les frais car les plénières font le plein.
Près d’un élu sur deux a fait valoir des obligations professionnelles. Les 14 conseillers qui n’ont apporté aucune justification aux 24 absences constatées, en sont de leur poche : 7 979 euros d’indemnités ne leur ont pas été versés.
La « garante des règles et de l’éthique de la Région », a poussé cette année l’analyse en passant au tamis les origines géographiques de façon à « identifier si la distance par rapport au lieu où se tiennent les réunions est un facteur d’absentéisme supplémentaire ». Elle en déduit aucun lien direct, estimant que « le nombre d’absences est plutôt proportionnel au nombre d’élus par département ». Les Bouches-du-Rhône et les Alpes Maritimes sont en effet responsables de plus de 60 % des absences.
 
 
Les formations baissent, le coût augmente
La même raison – agenda politique –, ainsi que « des changements du fait de l’application de la loi sur le non cumul des mandats », sont invoqués pour expliquer le moindre succès des formations auprès des conseillers régionaux (45 ont été formés contre 75 l’an dernier). Toutefois, il sera noté la forte mobilisation des élus de l’opposition : 80 % des 40 élus FN forment le bataillon des demandeurs (contre 16,25 % pour la majorité).
Sur une enveloppe annuelle de 430 500 euros que la Région consacre à la formation des élus, les sessions dédiées à la déontologie ont représenté 124 325 € (112 344 € en 2016) et si le nombre de formations est en repli de 171 à 76, le coût moyen par jour de formation est passé de 781,92 contre 488,45 € en 2016 !
 
Fichés « cadeaux »
Sujet sensible s’il en est, les dons et cadeaux inférieurs à 150 euros, ainsi que les voyages à l’initiative de tiers, tiennent une place importante dans le rapport pour la relation de dépendance à l’égard d’une personne morale ou physique qu’ils peuvent générer. A fortiori, dans la perspective des dispositions nouvelles sur ce thème qui entreront en application au 1er juillet 2018.
En France, il n’existe pas, à ce jour, de réglementation générale sur les cadeaux et autres avantages en nature reçus par les élus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ou mandats locaux. À défaut de mesures contraignantes de nature législative, la démarche déontologique consiste alors à poser des règles pour encadrer la pratique (sur le principe général du refus, moyennant des aménagements). Si la déontologue n’a aucune compétence pour demander à un conseiller de renoncer à un cadeau ou à une invitation, elle peut toutefois alerter sur le risque. De même, si un conseiller a un doute, il peut saisir la commission.
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, la commission de déontologie a fait le choix de distinguer les cadeaux reçus à titre personnel et ceux, en tant que représentant de l’institution pour mieux objectiver les situations personnelles de façon à affiner ses règles en la matière sur un mode « work in progress (ce qui peut être considéré comme cadeaux ou pas par exemple).
Quoi qu’il en soit, les conseillers régionaux sont invités à renseigner une fiche « cadeaux ». 50 % des élus de la majorité l’ont retournée. Aucun de l’opposition en revanche. Parmi les répondants, seulement 3 avaient eu des cadeaux « de nature très variée, et de faible valeur. En tous les cas, ils n’étaient pas de nature à faire douter de la probité de ceux qui les ont reçus ou à influencer l’exercice de leur mandat », indique le rapport.
 
Doute raisonnable sur l’impartialité et l’objectivité
Les élus sont tenus de renvoyer une fiche concernant leurs intérêts et patrimoine.

Les présidents des Conseils régionaux et les conseillers régionaux qui bénéficient d’une délégation de fonction et de signature sont tenus par les lois (celles du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et du 20 avril 2016 sur la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires) de transmettre à la Haute autorité pour la transparence de la vie Publique (HATVP) leurs déclarations d’intérêts (ce que détient la personne concernée, en relation avec les fonctions exercées) et de patrimoine (étendue et le contenu : biens immobiliers ; valeurs mobilières, assurances vie, comptes bancaires, véhicules ; emprunts et dettes).
En la matière, Provence-Alpes-Côte d’Azur a choisi de demander aux élus, qui n’ont aucune obligation légale en la matière, une déclaration d’intérêts personnels et privés et de situation patrimoniale, mais sur la base du volontariat. Quant aux autres, concernés par la loi (27 en 2017, soit 21,95 % des conseillers), ils sont tenus de transmettre une copie des documents remis à la HATV.
Pas toujours au fait de l’origine des liens entre leur mandat et leurs activités
Á l’expérience, il s’avère que les élus ne sont pas toujours au fait de l’origine de leurs liens (activité professionnelle du déclarant ou de son conjoint, actions détenues, un siège social au Conseil d’administration d’une entreprise, activités bénévoles). Par exemple, lorsque le conjoint est retraité depuis moins de cinq ans, il ne suffit pas de déclarer cette situation. Il est nécessaire de déclarer aussi les activités professionnelles exercées par le conjoint avant son départ en retraite.
Près de 60 % des élus régionaux ont remis leur déclaration d’intérêts et patrimoine à la commission de déontologie, dont 91 % issus du groupe de la majorité.
15 recommandations
Sur toutes ces questions, la commission a formulé une quinzaine de recommandations, couplées à des propositions de compléments au code de déontologie. Restent aux élus (TOUS les élus) à s’emparer de cette démarche à laquelle ils rechignent encore visiblement.
 
— Adeline Descamps —
Le rapport d’activité de la Commission de déontologie est téléchargeable sur le site de la Région.
* 80 pour le groupe de la majorité Union pour la Région, 40 pour le groupe d’opposition Front National et 3 non-inscrits non apparentés (ils sont 7 à ce jour suite à des transferts de groupe)
* Christian Lambert, président honoraire du tribunal administratif de Saint-Denis et de Mamoudzou ; Jean-François Bernicot, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes ; Georges Consolo, administrateur général des Finances publiques honoraire ; Marie-Josée Domestici-Met, professeure émérite de l’Université Aix-Marseille.
 

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Aller plus loin

 
Quelques rappels 
 En matière de transparence de la vie publique, la base législative française repose principalement sur la loi du 11 octobre 2013, la Charte de l’élu local du 31 mars 2015, la loi du 20 avril 2016.
Les textes du 11 octobre 2013 relatifs à la transparence de la vie public ont rénové le dispositif français de prévention des atteintes à la probité publique en coordonnant les règles préventives et répressives.
Elles donnent notamment une définition des conflits d’intérêts et confient à une structure indépendante, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) la mission d’accompagner les principaux décideurs publics dans l’exercice de leurs missions, tout en lui donnant les moyens d’exercer un contrôle sur le respect de leurs obligations. Elle est chargée de contrôler les déclarations d’intérêts et de patrimoine d’un nombre de responsables publics de plus en plus important. Le champ d’application s’est élargi avec la loi du 20 avril 2016 liée à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires aux responsables de cabinet des autorités territoriales, à l’encadrement supérieur des grandes collectivités et de leurs groupements, ainsi que les personnes occupant des fonctions particulièrement exposées au risque de conflits d’intérêts.
Sur la base du rapport intitulé « Renouer la confiance publique » paru en janvier 2015 et contenant 20 propositions, le législateur a créé en 2015 la Charte de l’élu local comprenant 7 articles repris dans le code général des collectivités territoriales (CGCT).
Plus récemment, la Loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin 2 » a renforcé l’arsenal en matière de conflits d’intérêts avec la création d’un répertoire unique des représentants d’intérêts visant à faire la lumière sur le lobbying auprès des décideurs publics.
Le décret du 14 mars 2017 a précisé les modalités d’organisation et de fonctionnement de l’Agence française anticorruption annoncée dans la précédente loi.
 
 
 
 
 
 
 

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