[Enquête Mobilité] Transports et emploi, l’infernale problèmatique

Economie

Les liens entre l’insuffisance des transports publics et les difficultés de recrutement des entreprises ont fait l’objet de maintes analyses, plus ou moins controversées. Dans les zones d’activité, la mobilité professionnelle se heurte à bien des obstacles. A fortiori dans la métropole aixo-marseillaise …   
« Il y en a certains qui, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’il y a des postes ailleurs parce qu’ils ont les qualifications pour le faire. Et ce n’est pas loin de chez eux ». Tous les médias et les réseaux sociaux ont repris en boucle la phrase prononcée en octobre 2017 par Emmanuel Macron lors d’un déplacement en Corrèze sur le thème d’apprentissage en réaction à l’accueil que lui avaient réservé des salariés en colère de l’équipementier automobile creusois GM&S. Le président songeait alors à la fonderie d’Ussel, qui aurait « des marchés jusqu’en 2022 ».
Malheureuse par ses sous-tendus, la théorie du président était surtout invalidée par la pratique : la mobilité doit parfois surmonter bien des obstacles pour être opérante. En l’occurrence : 140 km, deux heures de route et un péage onéreux pour des ouvriers dont les niveaux de rémunération ne figurent pas a priori parmi les plus élevés.
La mobilité ferait-elle baisser le chômage ?

Lors d’un déplacement, Emmanuel Macron prononce une phrase fâcheuse : « Il y en a certains qui, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’il y a des postes ailleurs parce qu’ils ont les qualifications pour le faire. Et ce n’est pas loin de chez eux ».

Priorité des politiques urbaines dont dépendent les problématiques d’emploi, d’aménagement, de foncier, de logement et d’attractivité, la capacité de se déplacer dans les métropoles (appelées à accueillir 60 % de la population mondiale d’ici à 2030*) est à ce jour considéré comme l’un des enjeux majeurs auxquels les cités devront faire face. A fortiori au moment où certains métiers sont en tension et tandis que l’emploi se concentre de plus en plus dans les métropoles, où la distance que l’on parcourt importe moins que le temps que l’on met à la parcourir.
Les liens entre l’insuffisance des transports publics et les freins à l’emploi ont fait l’objet de maintes études. Le fait que la mobilité ferait baisser le chômage reste toutefois à controverse. Néanmoins, un rapport du Conseil d’analyse économique chiffre à 2,5 points de chômage la conséquence du « spatial mismatch » (désajustement entre lieu de résidence et localisation des emplois). Et selon un rapport IGF-Igas, 44 % des chômeurs de 18 à 30 ans ont renoncé à un emploi pour des difficultés liées aux transports.
Le vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence, délégué au développement des entreprises, aux zones d’activité, au commerce et à l’artisanat Gérard Gazay, avait soutenu à l’occasion d’une rencontre à la CCI Marseille Provence « qu’il y a aujourd’hui sur notre territoire 20 000 emplois non pourvus alors que nous comptons quasiment 140 000 demandeurs d’emplois. Parmi eux, on estime à 40 000 ceux qui ne prennent pas un poste à cause d’un problème de transport ».

« Une personne résidant à La Ciotat n’ira pas travailler à Fos-sur-Mer »

Guy Partage … partage : « Notre problème est clairement de faire venir les salariés sur le lieu de travail, confirme le président de Convergence 13, un réseau qui fédère près de 90 % des zones d’activité structurées en associations. Une personne résidant à La Ciotat n’ira pas travailler à Fos-sur-Mer. En voiture, il faut compter une heure à condition que ce soit en fluide. En transports en commun, c’est complètement hors de propos. Paris est engorgée alors que la ville dispose d’une armature de transport sophistiquée, alors imaginez ici, où c’est le désert ».
La desserte des zones d’activité n’échappe pas à la règle valable pour les déplacements domicile-travail : plus de 90 % des flux se font en voiture. La part des transports en commun serait de moins de 5 %. Plus largement, les zones périphériques représentent 40 % des flux et 60 % des kilomètres parcourus pour aller travailler.
« Les zones d’activité se sont implantées là où personne ne voulait aller, rappelle Guy Partage, loin des systèmes de transport et des cœurs de ville. On ne refera pas l’histoire mais nous avons aujourd’hui la possibilité de rapprocher lieu de vie et de travail », croit-il savoir.

 Éparpillement de l’urbanisation, premier générateur de trafic routier
 Le porte-voix des pôles d’activité fait partie de ceux qui considèrent que la nouvelle architecture institutionnelle (la loi NOTRe du 7 août 2015 a acté le transfert, à compter du 1er janvier 2017, de l’ensemble des zones d’activités économiques (ZAE) aux communautés de communes et d’agglomération) et l’Agenda de la mobilité (et demain, le plan de déplacement urbain métropolitain) sont des occasions inédites pour repenser l’offre dans l’intérêt des entreprises et des besoins de mobilité des actifs, voire de définir une « véritable stratégie d’accueil des activités économiques », intégrant les problématiques de transport, de logement et d’environnement.
Pour être clair, en finir avec les principes d’aménagement qui ont régi ces zones pendant des décennies : une localisation en périphérie et une accessibilité essentiellement routière. Aujourd’hui, ces schémas entrent en conflit avec les objectifs des collectivités locales qui veulent réduire la consommation d’espaces et la dépendance à la mobilité routière. L’éparpillement coûte par ailleurs cher : 37 Md€ seraient aujourd’hui dépensés par les collectivités territoriales françaises dans les transports.
Des solutions de porte-à-porte
Ils pénaliseraient aussi et surtout les entreprises, se soldant par des difficultés de recrutement et du turn-over.
« Les parcs d’activité doivent être reliés aux bassins d’emploi et d’habitat pour constituer une vraie valeur ajoutée en matière d’attractivité du territoire et mieux répondre aux exigences nouvelles des entreprises en matière d’environnement, d’accès routier, de connectivité, de logement des salariés et de transports en commun », signifiait Johan Bencivenga, le président de l’UPE 13, à l’occasion des « États généraux » des zones d’activité organisés à la CCIMP en 2016, réclamant des solutions multimodales (transports en commun, voiture, parcs relais, déplacements piétonniers et cyclables) pour offrir « des réponses de porte-à-porte ».
Les habitants des quartiers nord, qui ne peuvent accéder facilement qu’à moins de 30 % des futurs emplois, tels que les planifient les documents d’urbanisme, auraient sans doute apprécié.

Source : Métropole AMP
Les entreprises, contributrices au financement des transports à hauteur de 40 %
Quant au financement des transports urbains (point clé des récentes Assises nationales de la mobilité), l’équation s’avère de plus en plus complexe, avec un financement reposant à 40 % sur le versement transport (dont sont redevables les entreprises à partir de 11 salariés), à 40 % également sur les impôts locaux et à 20 % sur les usagers. Ainsi, les entreprises implantées dans les ZAE d’Aix-Marseille Provence (« une entreprise sur deux du territoire et deux salariés sur trois ») laisseraient-elles entre 120 et 150 M€ par an via le Versement transports (297 M€/ an pour toutes les entreprises métropolitaines).
S’il n’est pas question d’un retour en centre-ville (la périphérie restera un territoire de localisation majeure pour une grande partie des activités économiques), se pose néanmoins la question de l’évolution urbaine de ces espaces qui s’étendent sur plus de 25 000 ha, soit près de 5 % de la superficie des Bouches-du-Rhône. 98 % des espaces sont aujourd’hui occupés et seulement une ou deux centaines d’hectares sont encore disponibles pour des implantations ou des extensions. Le besoin de foncier sur ces zones est estimé à plus de 500 ha. D’où l’urgence « à mettre en œuvre les moyens pour accompagner convenablement les gens vers le lieu de travail », alerte le président de Convergence 13.  

 PDE et PDIE
 Les collectivités locales comptent aussi, elles, sur la nouvelle obligation faite aux entreprises de plus de 100 salariés de réaliser un plan de déplacement entreprise (PDE, rebaptisé « plan de mobilité » dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte) pour influencer les usages autre que la voiture individuelle et notamment, trouver des réponses au problème de la distance entre les arrêts de transports collectifs et les entreprises, point particulièrement prégnant dans les zones d’activité.
Il est surtout attendu que cet outil soit mis en œuvre à l’échelle d’une zone d’activité via l’élaboration de plans de déplacement inter-entreprises (PDIE) dont le process sera long. Car il s’agira de collecter toutes les données sur la domiciliation de l’ensemble des personnels, les conditions d’accessibilité de chacun, les besoins en services de proximité… avant de pouvoir identifier les mesures les plus pertinentes à mettre en place.
Les nouveaux modes d’organisation du travail (horaires décalés, aménagement d’espaces de coworking ou de plateformes de télétravail dans des pôles d’échanges où se concentre l’accessibilité en transports collectifs) sont aussi perçus comme des solutions pour modifier les pratiques de déplacements.
« Mobilty Tour »

Jean-Pierre Serrus, en charge des transports à la Métropole, Laurent Amar, élu à la CCIMP et Guy Partage, le président de Convergence 13 qui fédère les ZAE.

Récemment, la CCI Marseille Provence a restitué les résultats de son « Mobilty Tour » entamé en octobre dernier en partenariat avec Convergence 13. Une action qui visait à dresser une cartographie des pratiques et besoins de mobilité des ZAE dans 13 secteurs économiques, soit environ 18 500 entreprises et 160 000 emplois concernés. « L’idée était de mesurer l’adéquation entre l’Agenda de la mobilité métropolitaine et les attentes du monde économique et ainsi, de construire des solutions au plus près du terrain : prioriser des investissements, faire remonter des besoins ou des pratiques innovantes …», explique Laurent Amar, élu à la CCI Marseille Provence dont la délégation s’intitule « transformation du territoire aux standards internationaux ».
Parmi la vingtaine de priorités listées, « les voies réservées sont ultra-prioritaires parce que l’expérience de l’A51 dans le sens descendant Aix-Marseille a été probante. Tout le monde en veut désormais. Cela ne règle pas pour autant tous les problèmes, a fortiori ceux du dernier km : du domicile au réseau de bus ou du réseau de bus au lieu de travail. Cette problématique est commune à tous ».
Raison pour laquelle d’ailleurs, Cap au Nord Entreprendre, association qui fédère 8 500 entreprises des quartiers Nord de Marseille (75 000 emplois mais seulement ⅓ des salariés y habitant), a mis en place « Nord We Go », un service de navettes actif aux heures de pointe entre le métro Bougainville et les 13e, 14e et 15e arrondissements.
Ce « Mobilty Tour » a également mis en évidence de fortes attentes sur les dessertes des grandes portes d’entrée du territoire** que sont le port, l’aéroport et la gare Saint-Charles (cf. Ces espaces qu’Euroméditerranée veut façonner pour eux), fait valoir Laurent Amar.

L’entreprise marseillaise Totem Mobi propose des Twizy électriques en autopartage, solution particulièrement adaptée pour les trajets de plus ou moins de 10 km. Elle espère développer ses partenariats avec les zones d’activité.

Sans couture
« Ces retours d’expérience nous permettent d’affiner : sur certaines zones il faut travailler sur le covoiturage, sur d’autres, sur le transport à la demande. On a ainsi un autre éclairage de la mobilité pour traiter ce qui se passe à proximité des entreprises. Il faut que l’on arrive rapidement à résoudre deux niveaux pour mettre un terme au tout-voiture et l’on ne parviendra à convaincre que quand il y aura des solutions offertes de bout en bout » abonde Jean-Pierre Serrus, manifestement heureux que sa feuille de route entre en résonnance avec le terrain.
C’est dans ce même esprit de co-construction que la Métropole Aix-Marseille-Provence a lancé le 2 mars (avec une date limite de dépôt des candidatures fixée au 25 mai) un appel à projets (Solumob) doté d’une enveloppe globale de 400 K€. Objectif : faire émerger des solutions innovantes de mobilité dans les 174 zones d’activités du territoire. Les projets, qui devront avoir un impact sur un minimum de 500 emplois, être exemplaires et reproductibles, favoriser le report modal, améliorer l’accessibilité aux nouvelles mobilités, construire de nouvelles gouvernances ou réduire l’impact environnemental des déplacements, seraient à ce jour au nombre d’une trentaine.
—- Adeline Descamps —
* Etude sur la mobilité d’ici 2030 par Bloomberg et McKinsey : « An integrated perspective on the future of mobility »Les géographes soutiennent par ailleurs que 90 % des Français vivent en métropole, au sens où la plupart vivent dans la zone d’influence de ces métropoles et s’y rendent au moins ponctuellemente
  ** Desserte de l’aéroport : voies réservées sur autoroute à partir de Marseille et l’aéroport ; doublement de la RD9 à partir d’Aix-en-Provence ; liaison en site propre depuis la gare de Vitrolles aéroport VAMP et connexion avec les zones d’activité avoisinantes ; réouverture de la voie ferrée Aix-Rognac. 
Desserte du Grand port maritime de Marseille GPMM : continuité autoroutière A55-A56 (contournement Martigues/Port-de-Bouc + liaison Fos-Salon) ; traitement des zones de saturation de la ZIP ; aménagement des bassins Est (Portes 4/4bis, Canet/Mourepiane)
 
Cet article fait partie d’une enquête en trois volets 
[Enquête 1/3] La mobilité, horizon indépassable de la Aix-Marseille Provence ?
[Enquête 2/3] Transport et emploi, l’infernale problématique
[Enquête 3/3] Mobilité : tout un modèle à réinventer
 

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