Le groupe Suez a annoncé la transformation de l’usine de traitement de boues issues de la station d’épuration de la métropole Aix-Marseille Provence pour servir un ambitieux projet de méthanisation. Le début d’une nouvelle approche énergétique avec la transformation des déchets organiques ? Et l’on parle déjà d’un or vert…
Vu du ciel, elle sature le cadre telle une intruse. Il y a en effet comme une incongruité à voir une torchère dans une calanque. Plus paradoxale encore est la présence d’une station d’épuration au cœur d’un parc national (et marin).
Pour Alexandre Gallèse, élu au bureau de la métropole Aix-Marseille Provence, en charge de la stratégie environnementale, du plan climat et de la prévention des risques, la symbolique vaut parfois de l’or, en l’occurrence, vert.
« Que l’on puisse supprimer cette cheminée qui rejette du méthane brûlé dans l’air à perte (sous-entendu : ni récupéré et transformé en électricité ou en chaleur, ndlr) est une image forte pour tous », estime-t-il, gageant sur le fait qu’à l’issue de la reconfiguration que le groupe Suez s’apprête à faire, elle disparaîtra.
Il aura donc fallu quelques années et plusieurs étapes pour parvenir à une solution globale de « verdissement » de ce réceptacle historique des eaux usées de Marseille. Jusqu’à 1987, date de création d’une station d’épuration pour les 18 communes de l’ex-communauté urbaine (les compétences d’assainissement échoient désormais à la métropole), les eaux usées étaient rejetées sans traitement en mer. Depuis 2008, un procédé biologique complète le traitement physico-chimique.
Comment verdir ?
Délégataire jusqu’en 2028 via sa filiale la SERAMM de la gestion du système d’assainissement des eaux usées et pluviales de l’agglomération de Marseille et autres communes* (1,8 million d’habitants), le groupe Suez va investir 2,38 M€ pour reconfigurer l’usine qui traite à ce jour les 10 000 tonnes de boues issues des traitements réalisés au sein du complexe souterrain de la Géolide, implanté en cœur de ville à Marseille aux pieds du stade Vélodrome (le traitement des 200 000 m3 d’eaux usées/jour s’effectue en deux ensembles distants de 6 km).
En 2019, elle sera alors la plus grande unité, par sa capacité de production, de biométhane en France, assure Suez. Le biogaz, issu de la « digestion » des boues, sera récupéré, transformé en biométhane et injecté dans le réseau souterrain public de gaz naturel exploité par GrDF. Le volume sera de nature alimenter à 2 500 foyers, soit 10 000 habitants.
Mais cette « énergie verte plutôt recherchée », selon Suez, pourra également être valorisé auprès d’industriels à des fins d’utilités, d’autorités organisatrices de transport pour l’approvisionnement de transport en commun au gaz naturel vert (l’équivalent de 150 bus de la RTM, Régie des transports métropolitains, par exemple) ou encore de collectivités pour les véhicules utilitaires (Aix-en-Provence achète déjà du GNV pour faire rouler 7 % de sa flotte). Le spécialiste mondial des métiers de l’eau et des déchets aurait déjà lancé les consultations auprès d’opérateurs gaziers.
Économie circulaire à la triple dimension, eau, déchets et énergie
Suez, qui envisage d’augmenter de 30 à 50 % sa production de biométhane en France d’ici 2020 « afin que ces sites deviennent des sites de ressources en phase avec l’économie circulaire », n’en est pas à son premier essai, signifie Hervé Madiec, directeur régional Suez Eau PACA (photo). La technologie développée à Marseille a déjà été expérimentée pour Grenoble-Alpes Métropole et le biométhane est produit dans d’autres de ses sites en France (Strasbourg, Annecy, Quimper ou Bordeaux), ne « serait-ce que parce qu’une station d’épuration produit du biogaz pour ses propres besoins » mais sans toutefois être valorisé (le groupe valorise 17 Mt de déchets par an et fabrique 7 TWH d’énergies locales et renouvelables). « Mais ailleurs, nous ne sommes pas à une telle ampleur. Marseille va servir de référence pour le groupe », ajoute le représentant régional de Suez, qui a également sous sa gestion les stations d’épuration de Nice et de Cannes. « On peut penser qu’à terme, toutes aient des cycles thermiques performants ».
Pourquoi Marseille ?
La station de Marseille était dimensionnée pour le faire, parce qu’il s’agit d’un site important en nombre d’habitants traités – critère déterminant pour assurer le modèle économique – et parce qu’il y avait déjà des digesteurs**, et donc déjà en capacité de produire du biogaz interne à l’usine. Les investissements concernent d’ailleurs ces cuves de façon à réaliser les opérations qui visent à séparer méthane du dioxyde de carbone et du sulfure, ces impuretés dont le biogaz doit se débarrasser pour être qualifié de « biométhane » (cf. plus bas, le process).
Modèle économique ?
Dans ce projet, la Métropole Aix-Marseille Provence a mis sur la table 2,65 M€ aux côtés de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (2,52 M€), de la Région (800 K€) et de l’ADEME PACA (640 K€). Soit un investissement global de 9,2 M€.
Mais cet investissement public/privé ne devrait pas impacter le budget des ménages, garantit Hervé Madiec, « puisque nous prenons le risque industriel et la vente du biométhane aux opérateurs gaziers générera une recette supplémentaire qui contribuera à amortir l’investissement ». Le gestionnaire mise sur un revenu annuel de l’ordre de 1,7 M€ une fois l’installation en pleine capacité de production, soit 3,5 Nm3 (millions de normo mètre cube) à l’issue des 11 ans qui le mènera à l’échéance de sa DSP (amorçage à 2,3 Nm3).
A cette échéance, la Métropole percevra directement les revenus générés par la revente de biométhane « qu’elle pourra utiliser comme elle veut, soit pour payer son investissement soit pour baisser le tarif ».
Un investissement acceptable ?
« Les subventions permettent de rendre cet investissement acceptable et amortissable dans un délai raisonnable. La consommation d’énergie de la métropole s’élève à 8 Md€/an et nous n’en produisons que 7 % », souligne Alexandre Gallèse, qui voit moult avantages dans un gaz vert « made in Provence », à commencer par une moindre dépendance aux importations, outre les bénéfices environnementaux.
Reconfigurée, l’unité de traitement de boues réduirait de 30 % sa combustion d’énergie fossile et d’autant les émissions de CO2 (perte d’énergie fossile auparavant brûlée en torchère). La part de biogaz valorisable augmentera de 35 %.
« Si nous arrivons à mettre en œuvre tous nos projets prévus par notre Plan Climat, que nous voterons en décembre, on pourrait produire 15 à 20 % de l’énergie consommée dans les 15 ans à venir », gage l’élu qui espère atteindre une part de véhicules à énergies vertes autour de 20 % dans les 5 à 10 ans (contre moins de 10 % aujourd’hui).
L’étape d’après ?
S’il est possible, comme il est envisagé d’ici quelques années, de produire du biométhane à partir de biomasse sèche (notamment de bois, par gazéification), de micro-algues ou d’électricité d’origine renouvelable (méthanation) associée au « power-to-gas », la métropole Aix-Marseille Provence devrait avoir d’autres armes à fourbir.
GRTgaz a choisi la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer pour installer la première unité expérimentale en France du procédé « power-to-gas » au sein de Piicto, une plateforme d’innovation créée pour accueillir des projets innovants en lien avec l’économie circulaire et des démonstrateurs préindustriels en phase avec la transition énergétique (hydrogène, valorisation du CO2, stockage d’énergie ou bioraffinage).
— Adeline Descamps —
*Allauch, Septèmes-les-Vallons, Carnoux-en-Provence, la ZI de Gémenos
** Un digesteur désigne une cuve qui produit du biogaz grâce à un procédé de méthanisation des matières organiques.
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Aller plus loin …
Qu’est-ce que le biométhane ?
La méthanisation consiste à produire du biogaz et du digestat à partir de la dégradation de matière organique (ordures ménagères, déchets agricoles et industriels, déchets agroalimentaires…). Le biogaz peut être valorisé pour la production de chaleur ou d’électricité (ou les deux par cogénération). Il est qualifié de « biométhane » (dont la production n’est autorisée que depuis 2011) après avoir été débarrassé de ses impuretés et composants indésirables, à savoir principalement le dioxyde de carbone, le sulfure d’hydrogène et l’eau. Atteignant alors la qualité du gaz naturel, il peut être injecté dans les réseaux gaziers après avoir été odorisé.
Le digestat peut, quant à lui, se substituer partiellement à des engrais minéraux dont la production consomme beaucoup d’énergie.
Le principal usage est le biométhane carburant (BioGNV). La ville de Lille fait rouler ses bus avec du gaz renouvelable produit à partir des biodéchets collectés auprès des ménages, espaces verts et cantines. Paris, où une ligne de bus roule déjà avec ce carburant, a lancé la collecte des déchets alimentaires des particuliers, pour produire compost et biogaz.
Ikea, Monoprix, Picard, Biocoop ou Carrefour font rouler des flottes de camions au BioGNV pour desservir les centres-villes. Fin 2017, Carrefour avait ouvert 9 stations-service biométhane permettant à 200 camions de livrer 250 magasins à Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et Lille.
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Le biométhane, en tête d’affiche des politiques publiques
La loi sur la transition énergique promulguée par Ségolène Royal a avancé un objectif de 10 % de gaz renouvelable injecté dans les réseaux à horizon 2030. Un objectif intermédiaire de production de 8 terawattheures (TWh) en 2023 a été fixé par la Programmation pluriannuelle de l’énergie.
En 2030, la production de biométhane devrait s’appuyer, dans l’Hexagone, à 80 % sur un gisement agricole (il y a 450 000 exploitations agricoles actuellement), le reste venant des stations d’épuration de l’eau (elles sont 21 000) et des déchets ménagers.
À fin décembre 2017, 44 sites de méthanisation injectent du gaz renouvelable dans les réseaux gaziers français (source : Ministère de la transition énergétique), contre plus de 200 en Allemagne, qui a déjà diminué les aides à la filière, signe de sa maturité, et 80 en Italie, qui va bénéficier d’un régime d’aides public en faveur du biométhane et des biocarburants (La CE a donné son aval).
En 2017, la production a atteint 406 GWh, contre 125 GWh en 2016. Par ailleurs, une puissance de 7 958 GWh/an de 361 projets était en attente d’autorisation au 31 décembre 2017.
Trois régions, Grand Est, Hauts-de-France et Ile-de-France, concentrent 50 % des capacités installées au 31 décembre 2017 et 54 % des injections sur l’année.
Sébastien Lecornu, le secrétaire d’État chargé de la transition écologique, a fait plancher un groupe de travail, qui doit rendre ses conclusions fin mars.
Il devrait en sortir un train de mesures visant à simplifier les procédures, à l’image de ce qui a déjà été fait dans l’éolien. Les contraintes administratives (autorisations, restrictions : seule l’utilisation de déchets est autorisée pour la méthanisation) et financières (frilosité des banques) sont évoquées par la filière pour expliquer le retard du développement du biogaz en France.
La filière étant jeune, le coût de production reste élevé (quatre à cinq fois le coût du gaz fossile importé). Pour soutenir la filière, le biométhane est soutenu par des subventions de l’Ademe et depuis 2011, par un tarif d’achat subventionné, garanti sur 15 ans (entre 45 et 95 €/MWh alors que les prix de marché du gaz en Europe avoisinent 15 €/MWh). La participation publique s’élèverait actuellement en France à près de 300 M€ par an.
Les projets de méthanisation nécessiteraient aujourd’hui, selon l’Ademe, des investissements de l’ordre de 300 000 euros à 15 M€.
Les installations de méthanisation sont répertoriées et cartographiées sur le site internet Sinoé de l’Ademe.
A.D
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