On parle généralement du stress comme d’un phénomène impalpable. On dit qu’on est « speedé » mais on n’y voit pas forcément un caractère de gravité. Le stress, c’est pourtant dangereux pour notre santé ?
Professeure Gabrielle Sarlon : Le stress peut être d’abord un bon stress, celui qui va nous motiver, nous donner envie de nous dépasser et nous donner envie de faire des choses : ça, c’est le bon stress. Et heureusement qu’il y en a ! Mais parfois il y a du stress qui va être un stress intense, aigu, trop fort et qui va retentir sur la santé de façon brutale. Et il y a un autre type de stress qui va être un stress plutôt chronique, un stress de fond qui tous les jours, accumulé, même s’il est petit, va pouvoir retentir sur la santé mentale – on le sait, l’anxiété, la dépression réactionnelle au stress – mais aussi sur la santé physique, la santé organique. Il peut s’agir de maladies cardiovasculaires mais aussi de maladies hormonales, de cancers et de plein de choses.
90% des Français ont connu un stress au moins dans l’année
Quel est l’impact du stress sur les maladies cardiovasculaires et sur le cœur ? Comment agit-il ?
Avec le stress, il va y avoir une libération d’hormones à la fois par le cerveau mais aussi les glandes surrénales, comme l’adrénaline ou le cortisol. Ces hormones vont retentir sur le système artériel et le système cardiaque. Donc les artères vont se serrer, le cœur va s’accélérer et du coup, en réaction, il y aura une montée de la pression artérielle. Avec tous ces phénomènes on aura la possibilité de développer des maladies cardiovasculaires en lien avec le stress.
Comment arrivez-vous en tant que médecin à définir un état de stress pathologique ? Cela concerne-t-il un nombre significatif de patients ?
Il est vrai que c’est difficile. Il n’y a pas de vraie définition pour savoir à partir de quand le stress va retentir au quotidien sur la personne. Ce que l’on voit, c’est qu’il y a des personnes pour lesquelles le stress va retentir en permanence sur la vie au quotidien de ces gens qui ne vont pas pouvoir travailler, qui vont mal dormir. Toute leur vie va être impactée par le stress et ils ne peuvent plus avancer. L’état de stress pathologique peut être défini comme ça. Mais aussi quand quelqu’un présente une maladie, et notamment une maladie cardiovasculaire, si dans l’interrogatoire on sent qu’il y a un stress chronique, c’est quelque chose sur lequel on pourra agir. Après, sur la prévalence de cet état dans la population, des enquêtes de santé publique nous disent que 90% des Français ont connu un stress au moins dans l’année. Donc c’est important. Quand on essaie d’aller plus dans les détails, 25% des Français auraient connu un stress vraiment intense, pathologique, dans sa vie.
Une pointe au coeur ? C’est souvent le stress !
Si je ressens régulièrement ou souvent des petites pointes dans la région du cœur – on en a tous – mais que l’ECG (l’électrocardiogramme) n’a rien révélé d’anormal, faut-il mettre cela sur le compte du stress?
Dans la population générale on sait que le cœur est localisé dans la poitrine. Et souvent les gens qui vont être inquiets, et qui connaissent bien l’anatomie, vont, pour faire ressortir leur stress, avoir l’impression qu’ils ont des douleurs cardiaques. C’est souvent une pointe localisée derrière la poitrine, ou le cœur qui s’accélère, ou un petit essoufflement. Mais tout ça n’est pas lié à un vrai problème cardiaque. C’est finalement le stress qui va mimer, qui va donner l’impression de retentir sur le cœur mais ce n’est qu’un phénomène de stress.
Et ce n’est pas dangereux ?
Ce n’est pas dangereux. Par contre, ça montre qu’il y a un état de stress et il va falloir prendre en charge le stress plutôt que de s’imaginer qu’il y a une maladie cardiaque et vouloir absolument traiter la maladie cardiaque alors que le problème, c’est le stress !
La pression sur les femmes et les violences engendrent du stress
Il semble que les femmes soient plus sujettes au stress que les hommes. Est-ce attesté ?
Il est vrai que dans les enquêtes de santé publique, ce qui ressort c’est que les femmes rapportent plus de stress en proportion que des hommes interrogés. Il y a des explications qui peuvent être hormonales, organiques, par exemple les œstrogènes féminins, les hormones féminines, peuvent retentir sur certains systèmes au niveau cérébral qui vont être sensibles au stress. Donc on a peut être une explication hormonale.
Mais après, il y a un effet sociétal où la femme depuis 50 ans peut travailler, sort de sa maison, est épanouie mais aussi doit s’occuper de la famille, des courses, du ménage, de plein de choses qu’on appelle la charge mentale. Et probablement que ça participe aussi au stress. Il y a des choses dont on ne parle pas beaucoup, c’est tout ce qui va être les violences qui peuvent être perpétrées sur les femmes, que ce soit mentales ou physiques, et aussi des états de vulnérabilité de la femme, qu’elle soit sociale ou financière, qui peut l’amener à des situations de stress parce qu’elle est dépendante.
Le « coeur brisé » : on dirait un infarctus et c’est grave
Et cette situation peut avoir un impact sur des maladies cardiovasculaires ?
Elles peuvent être du coup plus sensibles aux maladies cardiovasculaires. Il y a aussi un état anatomique qui fait que la femme va avoir des plus petites artères que les hommes. Quand ces artères se serrent à cause du stress, elles peuvent développer un état, un souci cardiovasculaire peut-être de façon plus fréquente que les hommes.
Parlez-nous d’un syndrome dont on entend beaucoup parler : ça s’appelle « le cœur brisé ». Qu’est ce que c’est ? Le stress en est-il responsable ?
Le syndrome du coeur brisé a été décrit il y a longtemps par des Japonais. On appelait cela, du temps où j’étais interne, le syndrome de tako tsubo. Il est maintenant appelé « cœur brisé » et il est en lien avec une libération brutale et importante d’adrénaline, donc de l’hormone de stress, qui va mimer une crise cardiaque. Ce sont souvent des femmes, souvent des femmes ménopausées, qui vont avoir des douleurs brutales dans la poitrine ou un essoufflement, comme un infarctus, avec des signes infarctus. Ils sont en fait non pas liés à une artère bouchée au niveau du cœur, mais à une sidération du muscle cardiaque. C’est-à-dire que le muscle cardiaque, à cause du stress, ne peut plus se contracter et va donner l’impression d’une crise cardiaque.
Mais ça se traduit comment ? Est-ce que c’est grave ? Est-ce quelque chose qui va rentrer dans l’ordre ou est-ce qu’on va avoir le même effet finalement qu’une crise cardiaque, avec un cœur qui va dysfonctionner après ?
Malheureusement, tout à fait. En termes de gravité au début, ça peut être aussi grave qu’une crise cardiaque. La différence c’est qu’on ne va pas aller déboucher l’artère mais on va donner des médicaments qui vont permettre en fait de retonifier le cœur, et permettre du coup au cœur après de fonctionner normalement et de passer le cap de la gravité. Mais en tout cas, sur le début, ça va être aussi grave qu’une crise cardiaque.
Donc il faut consulter ?
De toute façon les personnes sont tellement pas bien qu’elles arrivent souvent en urgence, comme un infarctus.
Un stress intense peut déclencher un AVC ou un infarctus fatal
Un gros coup de stress en famille, ou au travail, peut-il tuer la personne qui en est victime ?
Si je vous dis oui, on va inquiéter tout le monde. D’abord ce que je voulais passer comme message, c’est qu’il faut exprimer ses émotions. Quand on est en colère, quand on est stressé, il faut pouvoir le verbaliser. Mais malheureusement, chez des personnes qui vont avoir une fragilité familiale à faire des accidents cardiovasculaires ou pour une raison particulière, on peut sur un gros coup de stress faire brutalement monter sa tension et faire une attaque cérébrale, ou un infarctus, ou une dissection aortique. Oui malheureusement, sur un coup de stress très intense, on peut arriver à un problème fatal.
Quelles solutions pour faire redescendre cette pression ? A part de dire au patient de se calmer – ce qui en général ne sert sans doute à rien -, existe-t-il un traitement contre le stress, des médicaments un peu comme les anxiolytiques ?
Je fais souvent des consultations d’hypertension artérielle qui est une maladie en fait où la pression va augmenter dans les artères. Souvent les patients sont des patients qui peuvent être stressés et la première étape dans ces consultations, ça va être de faire exprimer au patient qu’il est stressé. Je crois que le premier traitement, c’est de faire reconnaître au patient qu’il est stressé. Parce que s’il n’arrive pas à l’accepter, on ne pourra pas agir dessus.
Reconnaître qu’on est stressé, c’est la base
Donc de chercher les causes de son stress ?
D’abord de dire « Eh bien oui, je suis stressé » et après, du coup, la personne va être sensibilisée et on va peut-être pouvoir l’adresser vers une prise en charge adaptée du stress, c’est-à-dire vers un psychologue ou un psychiatre si nécessaire. Avec parfois la prescription de traitement anxiolytique ou parfois antidépresseur. Mais la base de tout va être que la personne doit verbaliser ce stress. Certaines personnes n’arrivent pas à reconnaître qu’elles sont stressées et on n’arrive pas à les prendre en charge correctement.
Quels sont les conseils simples que vous pouvez donner pour être moins stressé ?
Comme je vous l’ai dit, il y a une libération d’adrénaline intense dans le stress. Donc la première étape va être de consommer cette adrénaline. Comment on la consomme ? Avec l’activité physique. La première étape dans le stress, c’est d’arriver à motiver les personnes pour faire de l’activité physique adaptée. Cela ne veut pas dire aller faire un match de foot ou de handball ou quelque chose de très agressif mais peut être de la marche au quotidien, régulièrement, pour arriver à consommer cette adrénaline.
Aller marcher, se défouler
C’est-à-dire d’aller se « défouler », quand on dit « Oh là là, tu m’as l’air stressé, va faire un tour ! » ?
Cela peut être au quotidien d’aller marcher 30 min pour arriver, peut-être, à se libérer des tensions qu’on vit au quotidien. Et puis après repartir sur de bonnes bases. Donc déjà pratiquer l’activité physique régulière, pour consommer cette adrénaline qui est générée en continu. Après il y a le sommeil et l’alimentation, c’est aussi la base pour éviter le stress. Une alimentation trop riche en sucre, en aliments gras, ça va faire fabriquer aussi du cortisol et ça va augmenter chez certaines personnes – en tout cas ça va maintenir un état de stress. Il y a aussi tout ce qui va être le sommeil, c’est-à-dire éviter les écrans avant de dormir, d’essayer d’éviter en fait tout ce qui va être activité un peu excitante avant de dormir pour avoir un bon sommeil et lutter contre le stress. Vraiment, je pense que l’activité physique est un premier élément pour lutter contre le stress.
Recommandez-vous de pratiquer des exercices à la maison, comme par exemple la relaxation, le yoga ou la fameuse cohérence cardiaque ?
Des patients vont être réfractaires à l’activité physique. Ils ne sont pas motivés, ils n’ont pas envie et donc on peut les orienter quand ils sont stressés vers des techniques de relaxation. Cela peut les aider justement à se relaxer, donc ça va être des techniques qui peuvent être assez professionnelles comme de faire de la sophrologie ou du yoga. Il y a des gens qui vont aimer ça. Mais après ça peut être des techniques simples qu’on va pouvoir répéter à la maison, comme la respiration abdominale ou la cohérence cardiaque, qui sont des techniques de respiration, d’inspiration et d’expiration prolongée et forcée, plusieurs fois par minute, pour arriver en fait à relaxer les artères, le cœur et faire baisser la pression artérielle. Cela va activer certains systèmes nerveux qui vont relaxer tout ça et nous permettre après de repartir sur de bonnes bases.
Prenez soin de vous, et mangez du chocolat !
Donc il suffit de s’asseoir dans son canapé et de se mettre à respirer tout doucement, tranquillement ?
Exactement. De se programmer quand on n’est pas bien, quand on se sent stressé, une fois dans la journée pour se reconcentrer. Arriver en fait à reconnecter son cerveau et son corps à un moment donné, de les reconnecter et de leur permettre d’être bien coordonnés.
On attaque une nouvelle année et la nouvelle année c’est toujours le moment des bonnes résolutions. Quelles sont les bonnes résolutions que vous pouvez nous conseiller pour 2024 ?
Débuter une nouvelle année, c’est toujours enthousiasmant. On a toujours l’espoir qu’elle se passe bien et ce que j’ai envie de vous dire, c’est « Ecoutons-nous, prenons soin de nous ». Essayons peut-être de prendre le temps de vivre et de laisser parfois le stress de côté. Essayez de faire du sport, essayez de faire des techniques de relaxation mais aussi faites-vous plaisir ! Mangez du chocolat par exemple, ça permet d’avoir plein de magnésium et c’est un aliment qui permet de lutter contre le stress.
Conférences gratuites à Gap, Toulon, Nice et Marseille
En partenariat avec les hôpitaux régionaux, MProvence a lancé en ce début d’année une campagne d’information sur les maladies cardiovasculaires, qui sont les plus meurtrières avec les cancers. Chaque jour en France, 400 personnes en meurent. Or 80% seraient évitables. C’est pour faire prendre conscience de cette situation et des solutions pour y échapper que 4 conférences publiques et gratuites sont proposées ce mois de janvier 2024 sur le thème : « Janvier mois des bonnes résolutions: votre coeur et vos artères ont besoin de vous. » La Pr Gabrielle Sarlon participera aux conférences à Gap et Marseille. Le public pourra poser ses questions aux experts.
Gap : jeudi 18 janvier à 17h30 au Pôle Universitaire, 2 rue Bayard, 05000 Gap.
En présence de : Pr G. Sarlon – Dr J.Bertolino – Dr L. Thebault-
Dr C.Vallée- Dr J.Quilici – Dr P.Lemiere – Dr F.Devemy- équipe EFICAS
Toulon : jeudi 25 janvier à 17h30 à l’hôpital Sainte-Musse, 54 rue Henri Sainte-Claire Deville, 83100 Toulon.
En présence de : Dr Jean-Noël Poggi – Dr Camille Chiabrando – Dr Léonie Gey – Florence Milhes
– Steven Laujac – Isabelle Chantraine – Dr Sophia Bensedrine
Nice : mardi 30 janvier à 17h30 au Centre Universitaire Méditerranée, 65 Promenade des Anglais, 06000 Nice.
En présence de : Pr Lefthériotis – Dr Ch.Bonnin – Dr S. Telo – Pr E. Jean-Baptiste – Dr A. Fush – Dr E.Ferret-Courjon
Marseille : mercredi 31 janvier à 17h30, Aix-Marseille Université, amphi Gastaut, jardin du Pharo, 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille.
En présence de : Pr G. Sarlon, Dr J. Bertolino, Dr F. Silhol, Dr N. Prieur Blanc, Pr S. Beliard, Pr J.-C. Deharo, Dr J.-F. Renucci, S. Dolhadile (infirmière de pratique avancée), J. Defazio, patient expert, François Crémieux, directeur général de l’APHM.
Renseignements : 06 33 78 35 79
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