Alerte au cancer du poumon chez les femmes… et les fumeurs de cannabis!

Marseille a accueilli la 1re conférence de la campagne d'information sur le cancer du poumon lancée par MProvence. Le nombre de cas de cancer chez les femmes augmente de façon exponentielle à cause du tabagisme. Il faut miser sur le dépistage par scanner dès 50 ans si vous êtes fumeur ou ancien fumeur. Voici les conseils des experts.

À Pleins Poumons

La Dr Anne Madroszyk a glacé l’auditoire réuni hier soir par MProvence au siège d’Aix-Marseille Université à l’occasion de la conférence d’information publique sur le cancer du poumon. Responsable de l’oncologie thoracique à l’Institut Paoli-Calmettes, elle a dévoilé des chiffres affolants concernant la flambée de cas chez les femmes en France. Et d’abord celui-ci : « +5% de cas annuels, une augmentation comme dans aucun autre cancer. »

Les femmes fument de plus en plus

En l’an 2000, les femmes représentaient 16% des cancers du poumon, 24,3% en 2010 et… 34,6% en 2020 et même 41,1% chez les moins de 50 ans ! La cause est évidemment le développement du tabagisme féminin. Leur consommation de cigarettes – le tabac est responsable de 85% des cancers du poumon – a rejoint celle des hommes. Si la proportion d’hommes fumeurs a baissé depuis les années 60 en passant de 45% à 35%, en revanche celle des fumeuses régulières a bondi de 10% à quasiment 25%.

Conséquence implacable: plus de 10.000 femmes décédées de ce cancer en 2023. Les complications liées au tabac commençant à apparaître 20 à 30 ans après le début du tabagisme, la Dr Madroszyk prédit que la mortalité par cancer du poumon va rapidement dépasser celle du cancer du sein (12.000 décès/an). Comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis. L’âge moyen de survenue du cancer du poumon chez la femme se situe entre 60 et 65 ans (contre 67 ans chez l’homme) et seul 1 cas sur 5 est découvert suffisamment tôt pour être opéré. Or on sait que le retrait de la tumeur est une condition essentielle pour espérer s’en sortir durablement.

membre de la salle

Face au tabac, les femmes ont plus de risques que les hommes

Autre analyse déroulée par l’oncologue marseillaise, celle tirée de l’étude Cascade de 2022. Elle a inclus 2.400 femmes. 85% étaient des fumeuses et 15% étaient sevrées du tabac. « On a trouvé 2 à 3% de cancers du poumon, ce qui est 2 à 3 fois plus élevé que chez les hommes. Probablement que pour une exposition tabagique identique, les risques de développer un cancer du poumon sont nettement supérieurs que pour les hommes. »

Cigarettes « light »: pire que les autres !

Quelles sont les hypothèses de cette inégalité entre les sexes ? Ecartant le risque hormonal, la spécialiste s’interroge sur 3 autres facteurs pouvant l’expliquer : 1- la différence de surface corporelle : les femmes sont généralement plus petites et pèsent moins lourd pour une même exposition aux substances cancérigènes du tabac. 2- Elles présenteraient une addiction plus forte au tabac. 3- Elles privilégient les cigarettes dites « light », dotées de filtres ventilés et censées être plus « légères », associées à une image de moindre toxicité… qui comportent tout de même 83 carcinogènes et 7.000 substances chimiques ! Une étude américaine de 2017 réalisée par le National Cancer Institute a pointé le rôle des « light » dans l’augmentation des cancers du poumon profond (adénocarcinomes), concluant que ces cigarettes à filtres ventilés ont sans doute causé plus de dégâts que les plus « traditionnelles ».

Les femmes insuffisamment alertées des risques

On fumerait cependant de moins en moins en France, notamment chez les jeunes. Le coût astronomique du paquet de cigarettes y est pour beaucoup. Mais les médecins ne voient pas encore de fléchissement de la courbe des cancers, au contraire. 1 femme sur 4 fumait quotidiennement en 2021 : c’est + 2% par rapport à 2019. Tout ceci fait dire à Mme Madroszyk  que « les femmes sont insuffisamment alertées des risques« .

Tabagisme passif des enfants

La Dr Madroszyk a encore délivré deux informations saisissantes. La première sur l’impact du tabagisme passif, notamment la fumée de cigarette des parents ingérée par les enfants. On a tous vu ou subi ces trajets en voiture vitres fermées et habitacle enfumé. Beaucoup l’ont également vécu à la maison, en discothèque et bien sûr au bureau où fumeurs et non fumeurs bossaient face à face jusqu’à la fin des années 90. Ce tabagisme passif vécu dans l’enfance ou plus tard peut générer des cancers du poumon 40 ou 50 ans plus tard. « Le corps garde cela en mémoire« , souligne l’oncologue.

Cannabis : une bombe à retardement

Deuxième mise en garde, adressée aux fumeurs de cannabis : « Cela n’est pas du tout intégré par la population, mais le cannabis est aussi un facteur de risque de cancer du poumon. C’est une bombe à retardement. » 10% des adultes français consommeraient régulièrement cette drogue. Une étude française constate que les patients fumeurs de cannabis – et qui sont souvent aussi des fumeurs tout court – déclarent un cancer plus jeunes, avec des formes plus graves et de moins bon pronostic et de survie à 5 ans que les fumeurs du seul tabac.

Le cannabis comporte 4 fois plus de goudrons que la cigarette et une concentration de carcinogènes plus élevée. Le THC qui en est le principe actif joue le rôle de bronchodilatateur et favorise une pénétration plus profonde de la fumée. Bref, il faut en finir avec cette image à la cool du cannabis. C’est un poison, qui d’ailleurs provoque également, par exemple, des cancers de la vessie et des testicules.

Et le CBD ?

Répondant à la question d’une auditrice sur un possible impact du CBD (le cannabidiol, ce composant supposément relaxant du cannabis) vendu légalement sous forme d’huile, de fleur ou de produits alimentaires, Mme Madroszyk a évacué cette hypothèse. « Dans le cannabis comme dans la cigarette, c’est la combustion qui pose problème« . La fumée qui sort de la cigarette posée au bord du cendrier serait d’ailleurs encore plus nocive que celle ingérée par le fumeur !

Face à ce tableau très sombre, les médecins plaident pour un dépistage précoce par scanner, à partir de 50 ans pour les fumeurs et les anciens fumeurs. Pour le Dr Ilies Bouabdallah, chef du service de chirurgie thoracique de l’Hôpital Saint-Joseph de Marseille, il faut accélérer et pousser l’Etat à systématiser ce dépistage par scanner thoracique à faible dose, donc très peu irradiant, et sans injection.

2 millions de fumeurs de plus de 50 ans pourraient alors recevoir une invitation de la Sécu, comme c’est déjà le cas pour le cancer du sein, du col de l’utérus et du côlon-rectum. Actuellement, la France ne conduit que des études-pilotes sur le sujet, dont plusieurs dans notre région.

Dr Ilies BOUABDALLAH, chef du service de chirurgie thoracique, Hôpital Saint-Joseph
Dr Ilies BOUABDALLAH, chef du service de chirurgie thoracique, Hôpital Saint-Joseph

Cancer du poumon = une vague de Covid par an !

« Le cancer du poumon est la première cause de décès dans le monde. Avec plus de 30.000 morts, c’est en France l’équivalent chaque année d’une vague de Covid ! Et ça augmente de façon exponentielle chez les femmes. » Le chirurgien a rappelé que, pour qu’un patient ait une chance de survie significative, il faut que son cancer soit repéré tôt, quand il est encore circonscrit au poumon et n’a pas métastasé vers le cerveau ou les os. Dans ce cas, le cancer est opérable et on peut retirer la tumeur. Une totale guérison est alors envisageable. « Malheureusement, seuls 15% des cas sont détectés à un stade précoce, généralement de manière fortuite, à l’occasion d’un examen fait pour une autre raison. »

Les résultats très encourageants du dépistage à 50 ans

C’est pourquoi le Dr Bouabdallah recommande dès à présent aux fumeurs de plus de 50 ans de parler de ce dépistage à leur médecin traitant et d’aller faire un bilan avec un pneumologue. C’est indolore. Ils seront évidemment accompagnés, s’ils le souhaitent, pour arrêter le tabac. « Il faut voir ce dépistage comme une opportunité de mieux vieillir. » Et les anciens fumeurs ? « Quand on a arrêté de fumer après avoir fumé longtemps, le risque de cancer est présent. Donc oui, le dépistage est là aussi recommandé. »

Une étude américaine publiée en 2011 et une étude européenne de 2020 démontrent le rôle majeur du dépistage. Sur 10 ans, la diminution du risque de mortalité par cancer du poumon est de 26% chez les hommes et de 33% chez les femmes. C’est considérable.

Thierry : « Demain, je prends rendez-vous pour un scanner »

Le conseil n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Après la conférence, Thierry, un alerte sexagénaire de 67 ans venu assister aux débats avec son cousin Jean-Louis, se confiait : « J’ai arrêté de fumer depuis 7 ans et là je viens de dire à ma femme de me prendre rendez-vous dès demain chez le pneumologue. »

A la question d’un jeune homme s’interrogeant sur le délai nécessaire pour régénérer des poumons encrassés par les goudrons, le Dr Arnaud Boyer, pneumologue à Saint-Joseph, répond : « Si on arrête de fumer à 40 ans, on retrouve l’espérance de vie d’un non-fumeur. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne fera pas un cancer du poumon. Mais il y a un intérêt à stopper le tabac à tout âge, à 50, 60 comme à 70 ans. »

Les autres causes de cancer

Le Dr Boyer a recensé les causes de cancer autres que le tabac, impliquées dans 10% à 15% des cas. Le tabagisme passif figure en haut du spectre. Il pointe ensuite l’exposition professionnelle à des produits comme l’amiante, les rayonnements ionisants et cite le radon, un gaz inodore présent dans les sols.

Une irradiation d’origine médicale ancienne peut également déclencher un cancer du poumon, par exemple si on a bénéficié d’une radiothérapie il y a trente ans pour soigner un autre cancer. La pollution de l’air extérieur est une cause de cancer de plus en plus avérée. Sont notamment mises en cause les particules très fines, inférieures à 2,5 microns. Les facteurs génétiques ne sont pas à exclure.

Dr Arnaud BOYER, pneumologue, adjoint au chef du service de pneumologie, Hôpital Saint-Joseph
Dr Arnaud BOYER, pneumologue, adjoint au chef du service de pneumologie, Hôpital Saint-Joseph

Des révolutions en cours dans les traitements

Le professeur Laurent Greillier, chef du département de pneumologie, allergologie et cancérologie à l’Hôpital Nord (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille), a fait le point des progrès en matière de soins. Ils sont considérables depuis 20 ans, qu’il s’agisse de l’approche chirurgicale mini-invasive, de la radiologie interventionnelle qui par exemple permet de brûler les tumeurs, ou des médicaments avec l’individualisation des chimiothérapies. Depuis 10 ans, les thérapies ciblées sont bien plus efficientes.

« On augmente la survie des patients et on permet à certains de vivre avec leur cancer comme avec une maladie chronique. » Le Pr Greillier évoque deux révolutions en cours sur les traitements : 1- les inhibiteurs ALK grâce auxquels 50% des patients ainsi traités sont en vie 5 ans après la découverte de leur cancer à un stade avancé; 2- les inhibiteurs des points de contrôle : « Ces médicaments agissent comme des anticorps qui vont stimuler le système immunitaire pour combattre le cancer. De nouveaux médicaments sont à l’étude pour entrer dans la cellule cancéreuse et libérer la chimiothérapie à l’intérieur. »

L’avenir, dans les dix ans, c’est la médecine dite « d’interception ». « Cela consiste à détecter le problème avant même que ce soit un cancer ! On pourra aussi bénéficier de l’apport de l’intelligence artificielle, qui permettra de prédire l’efficacité d’un traitement avant son administration au patient. »

Marc : le cancer découvert par chance

Débutée en parlant de l’alerte sur l’augmentation du nombre de femmes, la conférence dans l’amphithéâtre d’AMU au Pharo s’est terminée sur le témoignage émouvant d’un homme, Marc Demauret. Cet ancien fumeur, qui a été opéré, met aujourd’hui son énergie à aider les nouveaux patients à travers l’association « Le Souffle d’après ».

« Sans l’expertise du corps médical, je ne serais pas là. Quand on m’a annoncé que j’avais un nodule cancéreux sur le poumon, j’ai été traversé par la peur et l’espoir. La peur d’y rester et l’espoir de se battre et de dire non au cancer. Mon chirurgien – le Dr Bouabdallah – a porté cet espoir, il m’a parlé des probabilités de guérison. »

Pour mener son combat, Marc a enfilé ses baskets. Il courait avant la maladie et il court de nouveau depuis son opération, déjà la bagatelle de 2.000 km. Il court des marathons ! « C’est un ennemi sournois, ce cancer. Parce qu’on ne sent rien, aucun symptôme, pas de douleurs. C’est ma pratique du sport qui m’a amené à consulter et qu’on découvre par hasard mon cancer. J’ai eu de la chance. Mais on ne peut pas remettre en permanence sa vie à la chance. »

Marc Demauret, Association « Le souffle d’Après »

« N’ayez pas peur du dépistage »

Pourquoi la course ? « Je m’accroche à la course car c’est une manière de se sentir vivant. La course, c’est le souffle, et le souffle c’est la vie« . L’association qu’il préside est présente sur internet et organise des rencontres. Son objectif est de soutenir les nouveaux patients qui s’interrogent, qui ont des angoisses, des doutes, avant et après l’intervention.

Evidemment, Marc est un militant du dépistage. « On a un système de soins au top en France. J’aimerais que vous vous rendiez compte de la chance que nous avons de pouvoir bénéficier d’un dépistage pour s’assurer que tout va bien. Et si par malheur l’examen révèle quelque chose, plus tôt la maladie sera traitée, mieux ce sera ! Ne soyez pas effrayés, faites-vous dépister ! »

3 conférences à Toulon, Avignon et Nice

Avec le concours des pneumologues et chirurgiens des hôpitaux locaux, MProvence organise encore 3 conférences gratuites et ouvertes au public sur le thème : Cancer du poumon : comment l’éviter, le repérer, le soigner ?

  • Toulon : ce mercredi 15 mai à 18h30 au Campus du Rugby Club Toulonnais, 53 rue Melpomène.
  • Avignon : mercredi 22 mai à 18h. Au Crédit Agricole Amandier, 168 avenue Pierre Sémard.
  • Nice : jeudi 30 mai à 18h. Centre Universitaire Méditerranéen, 65 Promenade des Anglais.

Inscription recommandée sur masanteprovence@gmail.com. Renseignements : 06 33 78 35 79

 

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