« C’est merveilleux de voir grandir les enfants greffés »

250 petits sont greffés chaque année en France. C'est insuffisant. Rien qu'à Marseille, 20 mineurs sont actuellement en attente de greffe de coeur, de foie et de rein. Leur vie est en jeu. Malheureusement, près d'une famille sur deux refuse encore le prélèvement d'organes sur leur enfant en état de mort cérébrale après un accident. Entretien avec la Dr Florentine Garaix, pédiatre à la Timone, est responsable du suivi médical au sein d'une équipe qui prend en charge les enfants transplantés. Elle participe à la campagne de sensibilisation au don d'organes organisée par l'APHM et notre média.

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On y pense peu. On en parle rarement. Mais les enfants sont également concernés par les greffes d’organes. A partir de quel âge un enfant peut-il recevoir une greffe ? Et combien d’enfants sont concernés dans notre pays, et bien sûr à Marseille en particulier ?

Dr Florentine Garaix : Les enfants peuvent être concernés malheureusement dès qu’ils vont tomber malade. Donc tout petits. On peut greffer à l’âge de quelques mois du cœur ou du foie, et jusqu’à leurs 18 ans. En France, environ 250 enfants vont être transplantés par an. A Marseille c’est une vingtaine d’enfants à peu près, essentiellement des patients greffés du foie et du rein.

Quels sont les organes qui sont greffés sur de si jeunes patients ?

Les greffes chez les tout-petits concernent le cœur ou le foie. Chez les plus grands on peut faire des greffes de cœur, de foie, de rein. On peut aussi faire des greffes de poumon mais c’est beaucoup plus rare, d’intestins ou de pancréas. A Marseille on pratique tous les types de greffes sauf intestin et pancréas.

Des enfants greffés à l’âge de 3 mois

C’est-à-dire qu’on peut greffer un bébé qui a moins d’un an, lui transplanter un cœur ?

Oui on peut faire une greffe cardiaque. Des enfants qui avaient 3 mois ont été greffés à la Timone Enfants. Ils vont maintenant très bien et vont à l’école.

Quelles sont les maladies qui peuvent conduire à cette nécessité d’avoir une greffe d’organe ? On rappelle que c’est une intervention qui est lourde…

Par exemple pour le cœur, ça va être des dysfonctions du muscle cardiaque, des cardiomyopathies. Pour le foie, ça va être une maladie un peu rare de l’enfant qui s’appelle l’atrésie des voies biliaires, où la bile détruit l’intérieur du foie très rapidement puisqu’elle ne s’est évacue pas et ça donne des cirrhoses. Pour le rein, ça va être un peu différent de l’adulte avec des maladies rénales qui peuvent être liées à des anomalies urologiques, donc des soucis de « tuyauterie », et chez les plus grands aussi des soucis néphrologiques avec des maladies du rein, des glomérulopathies.

Un coeur d’adulte greffé  dans un corps d’enfant

D’où proviennent ces organes greffés ?

Bien évidemment, pour ce qui est des organes thoraciques – le coeur ou les poumons – ce sont des donneurs en état de mort encéphalique, qu’ils soient pédiatriques ou jeunes adultes. On a en France la chance d’avoir une priorité pour les adultes de moins de 30 ans pour des receveurs pédiatriques, notamment locaux. C’est une vraie chance pour eux. Après il y a des organes tels que le rein ou le foie où on va pouvoir avoir des donneurs vivants.

On peut greffer à un enfant qui a 10 ans le cœur de quelqu’un qui en aura 25 ?

Oui à partir du moment où le gabarit est correct pour l’équipe chirurgicale et en fonction de la pathologie. Parfois ils sont petits mais ils ont des maladies cardiaques qui font qu’ils ont des énormes coeurs. Donc finalement, si on a un jeune adulte de petit gabarit, on peut tout à fait avoir une différence d’âge importante. Ce qui compte, c’est une bonne adéquation pour la fonction.

La mère, le parrain peuvent donner un rein ou une partie du foie

Si on prend le rein, on sait qu’on en a 2. Les enfants peuvent-ils bénéficier du don d’un rein d’un de leurs parents ou bien d’un frère, d’une sœur ?

Don de rein du vivant oui. Par contre il faut que le donneur soit adulte, majeur. Frères et sœurs peuvent donner à partir du moment où ils sont majeurs. On aime bien en général qu’ils aient déjà un peu roulé leur bosse et pas qu’ils donnent à 18 ans. Mais on peut aussi recevoir un rein d’un parrain, d’une marraine, de toute personne qui a un lien très fort qui sera attesté par la justice puisque les donneurs vivants passent devant le tribunal. Concernant le foie, on peut avoir aussi des parents avec le même type de lien de proximité. A ce moment-là, ce sera juste une partie du foie qui sera donnée. On peut faire de la greffe hépatique à partir de donneur vivant. C’est une particularité dans certaines villes notamment Marseille.

C’est quelque chose qui fonctionne bien ?

C’est quelque chose qui fonctionne bien ! Il faut des équipes bien entraînées. C’est une belle issue. Surtout, actuellement, on a une pénurie de donneurs pédiatriques. Donc c’est vraiment une chance pour ces enfants.

Un traitement anti-rejet à vie

Etre greffé suppose de prendre un traitement à vie. Ceci afin que l’organe qui nous est greffé, et qui va rester un corps étranger, ne soit pas rejeté par notre organisme. Quels sont les effets secondaires de ces traitements pour ces enfants ?

On peut parler de cohabitation au long cours. Effectivement le traitement va éviter le rejet et s’il survient, ce traitement va permettre dans la plupart des cas de le traiter. Donc l’issue peut être favorable. Ce traitement doit se prendre à vie par contre. Il n’est pas aux mêmes quantités, il n’a pas la même intensité en début de greffe et en suivi de greffe. Et c’est toute l’importance de suivi et de l’adaptation en fonction des différents moments. Ils ont été greffés dans l’enfance mais on leur souhaite, s’ils le souhaitent, d’avoir des enfants, on changera les traitements à ces moments-là. Du coup ils prennent un traitement à vie, ils s’habituent, c’est lourd. C’est ce qui fait que la greffe n’est pas une guérison mais une maladie chronique. On troque une maladie mortelle contre une maladie chronique.

Ces immunosuppresseurs ont-ils des effets secondaires ?

Ils ont des effets secondaires. Ils peuvent donner du diabète, de l’hypertension. Ils peuvent avoir une toxicité mais si on ne les avait pas, il n’y aurait pas de survie. Voilà, on combine. Il y a quand même des traitements de plus en plus performants, avec des nouvelles molécules, de la recherche qui ne cesse d’avancer. Pour l’instant on reste encore sur des traitements lourds mais qui sont tout à fait compatibles avec la vie quotidienne.

Il pourra être greffé plusieurs fois

Un organe greffé a une durée de vie malheureusement limitée, en tout cas pour ce qu’on sait aujourd’hui. Quelle est par exemple la durée de vie pour un cœur ou un rein ?

La durée de vie moyenne, c’est difficile de le dire parce que, quand on n’est pas dans la moyenne, eh bien ça ne se passe pas bien. Parfois certains jeunes adolescents arrêtent très vite les traitements et c’est une catastrophe. Ils perdent leurs greffons très rapidement. Mais on peut espérer qu’en général ils gardent leurs greffons plus que au moins deux décennies, voire plus, et tout est mis en place notamment le suivi, l’éducation thérapeutique et une forte alliance avec le corps médical, le patient et sa fratrie pour qu’on puisse optimiser les choses pour garder ce premier greffon le plus longtemps possible.

Un enfant peut-il être greffé à plusieurs reprises ?

Un enfant pourra être greffé à plusieurs reprises et parfois greffé d’un autre organe. Les enfants qui sont greffés du cœur dans l’enfance peuvent avoir des complications sur leurs reins (en raison) de leur immunosuppression ou des différents traitements, ou de leur propre maladie. Ce qui fait qu’ils vont être secondairement receveurs de rein, parfois avec un cœur qui va bien, mais ils vont devoir avoir une greffe de rein supplémentaire.

« On est très durs pour leur réussite scolaire »

Un enfant greffé peut-il mener une vie normale, jouer sans risque avec ses copains, au foot, voyager, peut-il manger des hamburgers et boire du soda ?

Une vie normale oui, le plus proche de la normale possible. On a souvent des accidents qui ne sont pas en lien avec la greffe. Je cite toujours le cas de cette jeune fille qui faisait du cheval et elle est tombée de cheval. Il n’y a pas eu de souci sur son greffon mais elle a perdu une phalange. Donc elle a bien fait de faire du cheval quand même. Mais oui, ils mènent une vie proche de la normale. Il y a quelques sports pour certains qui ne leur sont pas autorisés mais c’est vraiment rare.

Concernant l’alimentation, on aime bien qu’ils mangent le mieux possible. Oui à un hamburger de temps en temps, mais comme les autres enfants ! Et les sodas, ce sont les mêmes consignes que pour ceux qui ne sont pas greffés ! Donc une vie normale avec des écarts de temps en temps mais pas tout le temps. L’objectif c’est ça. On leur apprend. On les aide justement avec les infirmières d’éducation thérapeutique à apprendre à voyager. On est très durs avec eux pour leurs résultats scolaires. On veut vraiment qu’ils aient une intégration, un job et c’est très, très important. Comme les autres.

10 à 20 enfants meurent chaque année faute de greffons

Manquez-vous de greffons pour opérer des enfants ? Pour le dire autrement, des enfants meurent-ils faute de dons d’organes ?

Oui on manque vraiment de greffons, avec une nette diminution du nombre de donneurs pédiatriques, pour une bonne raison. C’est que la mortalité routière a nettement diminué, donc la mortalité pédiatrique aussi. C’est une très, très bonne chose. Par contre, le refus en pédiatrie (NDLR : de la part des familles pour le prélèvement d’organes sur les enfants en état de mort cérébrale) dépasse les 45% alors qu’il est plutôt en moyenne autour de 33% chez les adultes. Donc il est très élevé et c’est vraiment dommage parce qu’effectivement, il y a une mortalité en liste d’attente. On dénombre entre 10 et 20 enfants chaque année qui meurent faute de greffons.

Les receveurs sont très reconnaissants envers les familles de donneurs

Justement, perdre un enfant est sans doute ce qui peut arriver de pire à des parents. Comment arrivez-vous à les convaincre de faire un don d’organes ?

Je ne pourrais pas répondre à cette question puisque, heureusement, il y a une séparation. C’est-à-dire que les équipes médicales qui s’occupent des patients en attente de greffe et qui vont les suivre après la greffe ne sont pas les mêmes que les équipes qui vont s’en occuper (des donneurs). Sauf certaines réanimations où il peut y avoir des patients communs. Les équipes de Coordination hospitalière qui prennent justement en charge les familles durant un entretien au moment où il y a une mort encéphalique qui survient, ce ne sont pas les mêmes équipes. Et heureusement puisque, sinon, on serait juge et partie. Ce n’est pas possible. Bien évidemment ils essaient de les convaincre et d’expliquer. Il faut voir où est le le besoin.

Nous on a un fort témoignage des patients greffés. Ils ont une estime et une reconnaissance pour leur donneur et les familles des donneurs. Vraiment, les familles des donneurs c’est très important. Les receveurs sont reconnaissants et les familles des receveurs sont vraiment très reconnaissantes de leur donneur.

Marseille : 20 enfants attendent une greffe

À Marseille, c’est l’hôpital de la Timone Enfants qui réalise ces transplantations d’organes. Combien avez-vous d’enfants aujourd’hui sur liste d’attente ?

On a à peu près une vingtaine d’enfants sur liste d’attente de greffe, essentiellement en attente de foies et de reins. On a actuellement 6 enfants en attente de transplantation cardiaque. C’est beaucoup.

Quel âge a le plus petit patient ? Quel âge a le plus grand ?

C’est un petit peu moins d’un an et les plus grands ont 17 ans.

« C’est merveilleux de les voir grandir »

J’imagine que c’est une joie pour vous de voir ces enfants greffés puis de les accompagner après, pendant des années, dans leur vie…

Oui et puis dès qu’ils ont l’âge de la majorité ou l’âge de l’envol, où ils partent vers l’université, on les passe à nos collègues chargés des greffés adultes. C’est ce qu’on appelle la transition ou le transfert. C’est merveilleux. J’ai reçu la semaine dernière un mail d’une patiente qui est partie chez les adultes depuis un an et qui me dit « Je suis heureuse, je vais très bien, je fais une formation c’est super. Je continue à prendre mes traitements. » Donc bien sûr c’est une joie quand on reçoit des faire-part de naissance. Parfois il y a des nouvelles qui sont plus douloureuses avec un accompagnement qui doit être fait pour une nouvelle greffe chez les adultes. Mais oui c’est merveilleux de les voir pousser, grandir, jouer, être heureux, se faire engueuler par leurs parents parce qu’ils sont ados. Voilà, il y a des difficultés. Ce sont des choses de la vie.

Conférence à Marseille le 4 décembre

La Dr Florentine Garaix interviendra à l’occasion de la conférence publique et gratuite « Je suis, tu es, il est donneur » consacrée au don d’organes, mercredi 4 décembre à 18h30 au centre des congrès du Pharo, jardin Emile Duclaux, 58 boulevard Charles Livon, 13007 Marseille. Elle sera accompagnée de Justine, une adolescente de 14 ans greffée du coeur à l’âge de 11 mois. Venez poser vos questions et témoigner ! Le bracelet vert du don d’organes sera remis aux participants.

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