Les maladies du foie explosent, les greffes ne pourront pas suivre

Les greffes d’organes demeurent un sujet méconnu et pourtant déterminant pour des milliers de nos concitoyens. L’an dernier en France 5 633 malades ont reçu un cœur, des poumons, un rein ou encore un foie et peuvent ainsi tout simplement vivre, et souvent vivre bien. Le foie est un organe dont la fonction absolument vitale reste mystérieuse pour le commun des mortels. Rappelez-nous où est situé cet organe et à quoi il sert.

Dr Sophie Chopinet : Le foie est un organe très volumineux. C’est l’organe le plus volumineux de l’organisme ! Il est situé dans la partie supérieure droite de l’abdomen juste derrière les côtes. Il est séparé des poumons par le diaphragme. C’est un organe vital assez souvent méconnu par rapport au cœur ou aux reins mais le foie va avoir une fonction indispensable à la vie pour toute personne. Ce qui est connu, c’est qu’il a une fonction de détoxification. Donc il va épurer les substances toxiques de l’organisme.

Si le foie dysfonctionne : la greffe ou la mort

Mais c’est également une véritable usine de fabrication de protéines qui sont indispensables à la vie, notamment des éléments qui sont nécessaires à la coagulation du sang. Il a aussi une fonction de stockage des glucides et des lipides. C’est une véritable usine dans ce sens-là et il va aussi produire la bile qui va être indispensable pour la digestion, et notamment la digestion des graisses. Cela veut dire que si cet organe venait à dysfonctionner totalement, on ne pourrait tout simplement pas vivre. On ne peut pas vivre sans un foie qui est fonctionnel et contrairement au rein par exemple, il n’y a pas de choses pour pallier ça. Il n’y a pas de dialyse ou de mécanisme simple pour épurer et remplacer le foie. Donc si le foie dysfonctionne, la seule possibilité va être de remplacer le foie avec la greffe d’organe.

Une jaunisse, des démangeaisons, pas grand-chose… au début

Quand le foie dysfonctionne, au départ c’est assez souvent indolore. Il y a pas de douleur liée au dysfonctionnement du foie. Va apparaître au début une jaunisse, un ictère, des anomalies biologiques. On peut avoir des démangeaisons notamment, une augmentation du volume de l’abdomen qui est liée à de l’acite. Quand le foie ne va plus justement détoxifier toutes les substances toxiques qui arrivent par les intestins, il va en découler l’apparition d’un coma dans les stades les plus sévères liés à toutes ces substances qui ne peuvent plus être épurées par l’organisme.

On peut tous se retrouver en urgence vitale

Ce dysfonctionnement peut-il arriver finalement à chacun d’entre nous ?

Ces dysfonctionnements peuvent arriver de façon aiguë : ce sont les hépatites fulminantes. Des hépatites très graves qui vont apparaître brutalement, notamment qui peuvent être secondaires à des causes médicamenteuses, des hépatites virales ou parfois sans cause identifiée. Ce mécanisme peut apparaître de façon chronique, lié à certaines maladies chroniques, aux hépatites virales, les hépatites B, les hépatites C, la consommation d’alcool.

Greffes : le « foie gras » humain va dépasser les cirrhoses

Mais également, et c’est ce qui est en train d’apparaître comme une des causes les plus importantes de maladies chroniques du foie, c’est la maladie métabolique liée au surpoids, à la sédentarité, au diabète, qui entraîne une accumulation de graisse dans le foie qu’on appelle la stéatose hépatique. Elle est en train de concerner 20 à 25% de la population mondiale.

Elle devient une des principales maladies chroniques du foie et va devenir dans quelques années la première indication de transplantation. Actuellement la première indication de transplantation hépatique pour les adultes, c’est le cancer du foie, le cancer hépatocellulaire. Le cancer primitif du foie en général apparaît sur une atteinte chronique qui s’appelait la cirrhose. La cirrhose est un état irréversible du foie, donc une atteinte fibreuse du foie qui nécessite une transplantation hépatique.

C’est inquiétant ce que vous dites quand vous parlez de la stéatose hépatique, qu’on appelle vulgairement le « foie gras » ! Cela concerne visiblement déjà des millions de personnes aujourd’hui dans le monde. Et il y en aura de plus en plus parce qu’on pèse de plus en plus lourd, on est de plus en plus en surpoids dans nos pays. Cela veut-il dire que potentiellement ce sont tous des gens qui pourraient aller vers un besoin de greffe ?

Tout à fait ! L’évolution de la stéatose hépatique va se faire vers la fibrose et la cirrhose d’origine métabolique et va entraîner une augmentation de la nécessité des transplantations hépatiques.

L’opération peut durer plus de 7h

Combien de greffes de foie sont réalisées chaque année à Marseille, dans ce service à l’hôpital de la Timone ? Et est-ce une greffe compliquée ?

Environ entre 50 et 60 transplantations hépatiques sont réalisées par an à Marseille, ça va dépendre des années. 1300 greffes de foie environ sont réalisées au niveau national. C’est une greffe qui est assez compliquée, qui va durer, au point de vue d’une durée opératoire, entre 5 et 7 h voire plus si c’est compliqué. Les difficultés techniques sont notamment liées à la dysfonction du foie qui entraîne des troubles de la coagulation sanguine ou parfois une altération générale de toutes les dysfonctions de l’organisme. L’altération de la fonction du foie va avoir des répercussions sur le rein, sur les autres organes. La défaillance même de cet organe vital a des conséquences au niveau de l’organisme de façon générale.

Quel âge ont vos greffés en général ?

La moyenne d’âge en général est de 50 ans pour les pour les adultes.

Une vie normale après la greffe

Et on peut greffer des enfants…

On greffe également des enfants pour des pathologies très particulières. Ce sont essentiellement des anomalies congénitales. La première indication de greffe est l’atrasie des voies biliaires qui est liée à une oblitération des voies biliaires à la fois dans le foie et en extra hépatique, qui empêche la bile de s’écouler du foie vers les intestins. Ce qui va entraîner une toxicité liée à la bile. Pour ces indications là, les patients vont être greffés en général quelques années après la naissance. On essaie au maximum de ne pas les greffer dans les premières années pour que les enfants aient une certaine croissance, un certain poids avant la transplantation.

Vous l’avez dit : la greffe de foie est complexe et compliquée. Comment vit-on après une greffe de foie ? Peut-on retrouver une vie quasi normale ?

Oui on peut retrouver une vie tout à fait normale après une transplantation hépatique. Reprendre son travail, avoir une vie de famille, avoir des enfants quand on a été transplanté et et qu’on est une femme. Pour ces malades qui ont une maladie chronique qui les fatigue beaucoup, la transplantation, c’est vraiment une 2e vie. C’est une véritable renaissance. Ils peuvent avoir une activité normale, refaire du sport. On a des patients qui vont pouvoir reprendre une activité intense.

De grands sportifs ont été transplantés du foie. Ce qui est contraignant, ça va être la prise des médicaments et des anti rejets. La prise des anti rejets va entraîner une diminution de l’immunité, donc un risque plus important aux infections. Mais en dehors finalement de ces règles de vie qui s’appliquent pour ces patients, ils peuvent reprendre une vie tout à fait normale.

Un foie peut vivre plus de 100 ans !

Un foie greffé a-t-il une durée de vie illimitée ? Et sinon, peut-on être greffé une deuxième fois ?

Le foie est un organe qui vieillit très bien. Donc il n’y a pas de date limite finalement pour un foie. On sait que certains patients ont été greffés avec des foies un petit peu âgés, donc il y a des foies qui vont être centenaires ! (NDLR : c’est-à-dire que le foie transplanté peut dépasser le siècle de vie entre sa première vie chez le donneur et la suivante chez le receveur, surtout si le foie a été prélevé par exemple chez un patient de 60 ans et greffé à un autre de 40 ans).

On peut être greffé une 2e fois sans aucun problème. Et pour les patients qui sont greffés dans l’enfance, ils peuvent avoir une 2e greffe ou au contraire leur greffon va pouvoir durer toute leur vie. Surtout, ce qui est assez fabuleux chez les enfants, c’est que finalement on va leur greffer une petite partie de foie et cette petite partie de foie va grandir avec eux. Elle va grossir avec la croissance de l’enfant, c’est assez extraordinaire.

On peut donner son foie jusqu’à plus de 70 ans

On peut prélever un foie sur une personne décédée, en état de mort cérébrale, jusqu’à quel âge ?

Il n’y a pas de limite d’âge pour prélever les foies. C’est plus la qualité du foie, les antécédents chez le donneur qu’on va prendre en compte pour greffer ou pas ce foie. On greffe moins souvent au-delà de 80 ans mais avant 80 ans, on greffe assez facilement des foies à partir d’un donneur de 70 ans par exemple.

En 2023 à Marseille 56 fois adultes et 7 fois enfants ont été greffés. Avez-vous répondu à tous les besoins ?

On n’a pas pu répondre à tous les besoins notamment pour les adultes car il y a une pénurie d’organes actuellement pour toute la France, qui concerne tous les organes. Il y a donc encore et toujours des patients qui vont décéder en attente d’un organe. Cela a concerne 10 à 20% des patients en attente de transplantation hépatique.

30 patients en attente de foie sont décédés à Marseille

Combien de patients sont décédés faute de greffons disponibles ?

Environ 30 patients sont décédés (sur l’année à Marseille), soit pour une aggravation de la maladie soit ils sont décédés en attendant, pour environ 100 patients qui sont en attente de transplantation hépatique sur une année entière donc ça représente quand même une grande partie des patients qui pourraient être sauvés et ne le sont pas faute de greffons disponibles.

Que pouvez-vous dire aux Français po,ur qu’ils soient encore plus favorables au don d’organes  ? Je rappelle qu’en France 36% des familles refusent le don d’organes de leurs proches en état de mort cérébrale et ce chiffre dépasse les 50% à Marseille. Vous, vous sauvez des gens quand vous greffez des foies, qu’avez-vous avez envie de dire aux personnes qui nous écoutent ou qui vont nous lire ?

Ce que j’ai envie de leur dire, c’est à quel point la greffe permet à chacun – ça peut être un proche à nous – de retrouver une 2e vie. Une véritable renaissance grâce à ce cadeau – parce que c’est quelque chose d’une générosité absolue, d’offrir un de ses organes pour pouvoir sauver son prochain. Un magnifique élan de solidarité et vraiment quelque chose – quand on voit les patients sur la façon dont ils sont redevables à leur donneur – qui est absolument magnifique.

Foie artificiel, foie animal ? Même pas en rêve !

Vous êtes dans un service hospitalo-universitaire où l’on fait donc de la recherche. Peut-on espérer un jour qu’un foie artificiel vienne pallier le manque d’organes disponibles ?

Le foie est un organe très complexe, qui n’assure pas uniquement une fonction d’épuration, de détoxification. Il a une fonction de production de protéines indispensables, de production de facteurs de coagulation. Toute cette complexité paraît absolument impossible pour la réalisation d’un foie artificiel. C’est un organe qui est vraiment très, très complexe à reproduire.

Il est une question évidemment qu’on se pose tous : un foie d’animal un jour, qui serait élevé spécialement pour être compatible avec l’homme, c’est quelque chose qui est envisageable ou est-ce totalement irréalisable à ce jour ?

Actuellement ce sont des choses qui ne sont pas réalisables pour des problèmes de compatibilité et qui rendent le foie de l’animal pas du tout superposable, pour l’instant, au foie de l’homme. On n’en est pas du tout à ce stade là, on n’en est même pas vraiment encore dans les prémices, en tout cas pour la transplantation hépatique.

Un accident peut arriver à tout le monde

Vous participez à la grande campagne de sensibilisation au don d’organes à destination du grand public, organisée par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille et notre média MProvence. Vous allez notamment rencontrer des lycéens. Pourquoi cet engagement, cette volonté d’aller informer et convaincre ?

Tout d’abord parce que, quand arrive un drame dans une famille et qu’on se pose dans ces situations dramatiques la question de donner ses organes, c’est un moment qui est très difficile. Si on n’a pas été informé avant, et si on n’en a pas discuté avant, c’est très difficile pour les familles de prendre cette décision là. Il est très important en fait d’en parler très tôt et finalement on se rend compte qu’avec les jeunes, ce sont des questions qui sont très faciles à aborder. En fait ce sont de questions qui se posent. Les questions de la mort, de ce qu’on va devenir, sont finalement des questions que tout le monde se pose dès plus jeunes âge et qu’il est important d’aborder.

Et ensuite de pouvoir respecter le choix finalement, et de l’exprimer de son vivant : à savoir si on souhaite donner ses organes pour que, dans les situations deviennent dramatiques, ce soit clair pour la famille et que tout le monde en ait discuté. C’est très important d’en parler aux repas de famille, quand on peut et avant que les choses soient dramatiques. Un accident peut arriver à tout le monde, ça peut arriver du jour au lendemain et en fait il faut en avoir parlé.

Conférence publique à Marseille le 4 décembre

Dans le cadre du congrès de la Société Francophone de Transplantation, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille et MProvence vous invitent mercredi 4 décembre à 18h30 à une conférence gratuite sur le don et la greffe d’organes. Comment ça marche ? Pourquoi nous pourrions tous avoir besoin d’un organe ? Qu’en disent les religions ? Médecins, familles de donneurs et greffés témoigneront. Venez poser vos questions. Rendez-vous au centre des congrès du Pharo, jardin Emile Duclaux, 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille (parking Q-Park face au jardin du Pharo).

Renseignements : 06 33 78 35 79