La première transfusion sanguine en France, « de bras à bras au moyen d’une seringue », a eu lieu le 16 octobre 1914 à Biarritz pour tenter de sauver un sujet en choc hémorragique. Au même moment, un jeune médecin marseillais né en 1885, mobilisé au début du conflit puis affecté au laboratoire du Val-de-Grâce à Paris, s’illustre pour secourir des soldats : c’est Alexandre Ranque.
C’est là qu’il développe un procédé de préparation de « vaccins stérilisés et rendus atoxiques par l’iode » contre la fièvre typhoïde, procédé qu’il avait imaginé en 1912 avec le Dr Senez. De nombreux soldats sont ainsi immunisés. Démobilisé en 1919, il reprend ses activités de médecin biologiste et va fonder le premier laboratoire médical de biologie du Sud-Est au 2 rue Lafond, près de la préfecture de Marseille.
Ils ont sauvé les enfants de La Conception
En 1939, il organise un centre de recueil et de conservation du sang qui permettra de transfuser de nombreuses victimes des bombardements accomplis par les Italiens en juin 1940 puis par les Américains en mai 1944. On dénombre des milliers de victimes. C’est l’ébauche du premier Centre de Transfusion Sanguine de Marseille.
Mais ce pionnier ne s’arrête pas là. En 1942, avec son fils aîné Jacques, il met bénévolement au service de la nation sa compétence, son matériel, ses locaux et sa propriété de Mazargues pour produire du sérum antidiphtérique. L’Institut Pasteur de Paris, coupé de la zone libre, ne pouvait plus fournir notre région. « De nombreux enfants atteints de diphtérie et hospitalisés à l’hôpital de La Conception dans le service du Pr Paul Giraud furent ainsi sauvés« , écrivait le professeur Robert Aquaron dans une publication en 2023 de l’Association des Amis du Patrimoine Médical de Marseille, à laquelle nous avons emprunté plusieurs anecdotes.
Une médecine engagée et solidaire
« Alexandre et Jacques Ranque ont permis de sauver d’innombrables vies, a souligné le Pr Jacques Chiaroni, directeur général de l’Etablissement Français du Sang (EFS) en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, lors de l’hommage rendu jeudi dernier devant une centaine de personnes. Ils allaient chaque dimanche rencontrer des donneurs de sang pour les remercier. Leur héritage traduit une idée de la médecine engagée, solidaire. Que cette plaque nous rappelle que chacun de nos gestes s’inscrit dans une longue chaîne de solidarité transgénérationnelle. »

Mais reprenons le fil de cette aventure singulière. En 1946 Alexandre Ranque transfère son laboratoire au 16 rue Dragon (6e arrondissement). C’est là qu’il va développer le Centre de Transfusion Sanguine (CTS) des Bouches-du-Rhône avec le soutien de sa famille. En 1951, le centre est transféré dans des locaux plus grands près de l’hôpital Sainte Marguerite et du centre anti-cancéreux (Paoli-Calmettes). Le 16 rue Dragon restera encore longtemps un site de prélèvement pour les donneurs de sang. C’est encore en 2025 un laboratoire d’analyses médicales ! On s’y croirait revenu presque 80 ans en arrière quand on y met les pieds…
La Résistance dans la cage de Poupoule
En 1955, Alexandre est remplacé par son fils Jacques qui, à 40 ans, a déjà une belle carrière médicale et de chercheur derrière lui, en parasitologie et dermatologie notamment. Sans oublier la petite histoire dans la Grande Histoire que soulignera le Pr Stéphane Ranque lors de la cérémonie d’hommage à ses aïeux en ce 11 septembre 2025 : durant la guerre, Jacques participe à la Résistance, son groupe se réunit dans la cage de Poupoule, l’éléphante du zoo Longchamp. Il échappe par miracle à la Gestapo grâce à un postier résistant qui intercepte une lettre le dénonçant.
Jacques crée un secteur d’hémostase-coagulation, avec la collaboration d’un ingénieur chimiste Lucien Bondil et du Dr Francis Sicardi. Le CTS phocéen est alors de toutes les innovations, par exemple pour traiter l’hémophilie. Il crée, après Paris et en même temps que Lyon, le 4e centre européen de dépistage de la syphilis. En 1963, sous son impulsion, le CTS adopte le recueil du sang en poche de plastique plus facile à manipuler que les flacons de verre.
Construction du CTRS boulevard Baille
C’est encore lui qui en 1972 préside à la construction du Centre Régional de Transfusion Sanguine (CTRS) au 149 boulevard Baille. L’objectif est alors de desservir au plus près les deux grands hôpitaux que sont La Conception et la Timone. Marie Ranque assure pour sa part la distribution du sang. 53 ans plus tard, l’entité rebaptisée « Etablissement Français du Sang » poursuit toujours fièrement sa mission en alimentant 141 hôpitaux et cliniques en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Corse, au profit de plus de 47 000 patients (chiffres 2023).

Les Ranque père et fils ont toujours eu l’amour de leur prochain chevillé au corps. Le Pr Stéphane Ranque, spécialiste en parasitologie à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille et Aix Marseille Université, souligne encore que « tous les matins, avant de rejoindre son laboratoire, Alexandre soignait les déshérités. »
Autre héritière de cette prestigieuse lignée, la Dr Stéphanie Ranque-Garnier (qui officie à la Timone) est née dans les années 75. Elle se souvient avec émotion de cette épopée qui mobilisait toute la famille depuis des décennies. « Toute petite, je venais même faire mes devoirs ici. C’était pareil pour mes cousins. »

La famille Ranque a la transfusion dans le sang, au sens propre comme au sens figuré. Grâce à cet engagement, Marseille et la région doivent tant à Alexandre et Jacques. Surtout ceux et celles qui ont échappé à la mort ou à la maladie.
En 1979, Jacques Ranque a quitté le CTS pour se consacrer à la parasitologie à la faculté de médecine de la Timone et à l’hôpital Houphouët-Boigny. Il est décédé en 2007. Mais l’histoire continue et Marseille n’oublie pas ses illustres pionniers

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