L’agriculture bas-alpine face à une situation compliquée

Economie

Face à la pénurie de salariés dans l’agriculture, l’État, Pôle emploi et le monde agricole s’organisent pour favoriser le retour à l’emploi, faire connaître les métiers de l’agriculture et changer l’image du secteur auprès des chômeurs

Trouver de la main-d’œuvre fiable et pérenne dans l’agriculture relève pour certains exploitants d’un véritable casse-tête. L’année 2021 a été, pour beaucoup d’entre eux, extrêmement difficile faute de personnel fiable en nombre suffisant.

Anne-Marie Durand, directrice départementale de l’Emploi, du Travail, des Solidarités et de la Protection des populations (DDETSPP) des Alpes-de-Haute-Provence, constate que ces difficultés de recrutement touchent tous les secteurs et que la reprise économique accentue les besoins de main-d’œuvre sur une même période. La DDETSPP enregistre d’ailleurs une hausse de 6 % de l’emploi salarié dans l’agriculture entre 2020 et 2021. Un chiffre en trompe-l’oeil qui ne reflète pas la pénurie de candidatures constatée par les employeurs.

Rassurer les chefs d’entreprise

Richard Spinosa, directeur de Pôle emploi pour les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute- Provence, est particulièrement sensibilisé à ces problématiques. Il assure que ses équipes traitent le sujet en étroite collaboration avec la profession. « Nous travaillons sur de vrais parcours, pour que les salariés puissent enchainer les périodes de travail et alterner entre des postes agricoles et dans d’autres secteurs économiques », explique-t-il.

Il souhaite également rassurer les chefs d’entreprises trop souvent confrontés à des salariés qui viennent travailler uniquement pour recharger leurs droits au chômage et les laissent tomber une fois le quota atteint. « La nouvelle convention de l’assurance chômage ne permettra plus aux demandeurs d’emploi de toucher plus en ne travaillant pas. Maintenant, il leur faudra une période de travail de six mois pour ouvrir des droits et le rechargement se fera également au bout de six mois. Cela devrait donc rendre impossible ces pratiques douteuses. Ce système devrait assurer une plus grande équité entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas », assure-t-il.

En 2020, Pôle emploi a diligenté une enquête en besoin de main-d’œuvre pour 2021, comme elle le fait chaque année. Menée dans tous les secteurs, cette enquête a révélé que dans les Hautes-Alpes, sur 11 690 intentions d’embauches, 1260 concernaient l’agriculture (390 ouvriers-salariés agricoles et 870 dans l’arboriculture), et dans les Alpes-de-Haute-Provence, 9400 intentions d’embauches ont été recensées, dont 890 pour le secteur agricole (590 ouvriers-salariés agricoles et 300 dans l’arboriculture).

©AG

Travailler sur l’image

Lors de cette enquête, il a été demandé aux employeurs d’indiquer s’ils pensaient rencontrer des difficultés pour leur recrutement. Dans les Hautes-Alpes, 32 % ont déclaré des difficultés pour les salariés agricoles, contre 45 % dans les Alpes-de-Haute-Provence et 57 % dans l’arboriculture, alors qu’étonnamment aucun employeur bas-alpin n’a soulevé de difficultés.

En 2019, du 1er au 31 août, Pôle emploi enregistrait 232 offres d’emplois agricoles. En 2021, ce chiffre est passé à 262, avec un taux de satisfaction de 83,8 % – un résultat qui ne prend pas en compte l’éventuelle défection des salariés. Autre chiffre important : à ce jour, 2034 demandeurs d’emplois recherchent un poste agricole dans ces deux départements.

Aujourd’hui, Pôle emploi et l’État se posent la question de comment attirer le public vers ces métiers trop souvent décriés, mais surtout méconnus. Ils travaillent notamment de concert avec les organismes de formation ADFPA dans les Hautes-Alpes, CFPPA de Carmejane et Mission jeunes dans les Alpes-de-Haute-Provence. « L’agriculture a une image qu’il faut modifier, car le métier n’est plus celui d’hier. Il y a de la technicité, un savoir-faire et des prérequis qui entraine un besoin de qualification et on ne peut faire évoluer les choses qu’avec la profession », analyse Anne-Marie Durand.

« Nous devons remettre de l’attractivité dans ces métiers mais aussi redonner envie aux employeurs de se tourner vers la main-d’œuvre locale, confie Richard Spinosa. Nous avons un gros travail à faire en commun, voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous sommes dans une période un peu nouvelle pour l’agriculture. C’est un effort sur le long terme. Nous devons permettre aux demandeurs d’emploi de s’épanouir dans ces emplois mais aussi les former pour alléger le travail des exploitants. C’est ce que nous avons fait durant le 1 er confinement avec l’ADFPA pour former des gens aux méthodes de l’arboriculture : taille, passage du Caces, pose de filets, etc., poursuit-il. Ce sont des métiers difficiles nous le savons mais nous essayons de trouver les bonnes stratégies. Quand nous finançons des formations c’est pour qu’il y ait un retour à l’emploi derrière sinon cela ne sert à rien. C’est pour cela que nous travaillons avec les organismes pour créer des formation sur-mesure comme nous l’avons fait dans les Hautes-Alpes avec l’ADFPA. »

Un travail collectif

Pôle emploi déploie également plusieurs actions dites d’adaptation (Action de formation préalable au recrutement (AFPR) ou Préparation opérationnelle à l’emploi individuel (POEI)) qui permettent aux salariés de bénéficier d’une formation dans une structure qui s’engage à les embaucher ensuite. Par ailleurs, avec la Région, l’opérateur public pilote un Plan d’investissement dans les compétences (PIC), qui devrait permettre d’accélérer le recrutement avec des formations qualifiantes et de redynamiser le marché de l’emploi.

Particulièrement pour le secteur agricole, ils travaillent sur le projet Tempora qui permettra de réhausser le niveau de qualification des saisonniers et des personnes intéressées par le milieu agricole. L’ADFPA dans le 05 et le CFPPA Carmejane sont les opérateurs de ce dispositif qui démarrera en novembre.

Toujours à Carmejane, le projet « Les pieds sur terre » vise à intégrer, grâce à l’agriculture, des populations étrangères présentes légalement sur le territoire. À l’heure actuelle, 83 personnes sont dans ce dispositif et les demandes affluent. L’objectif est d’accompagner 144 personnes sur trois ans et de lever les freins à l’emploi pour ces nouveaux arrivants.

« L’objectif de l’État est de faire changer le regard de chacune des parties sur l’autre et de les faire se rencontrer, souligne Anne-Marie Durand. Nous travaillons aussi avec les professionnels pour améliorer le logement des saisonniers. Nous sommes également présents pour avertir les agriculteurs qui souhaitent faire appel à des travailleurs détachés. Nous leur demandons d’être vigilants. Des dérives existent et ils pourraient être tenus pour responsables si les entreprises de travail temporaire auxquelles ils font appel ne respectent pas la réglementation. Nous devons travailler main dans la main sur tous ces sujets. »

Alexandra Gelber pour L’Espace Alpin

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