A l’image de Lascaux ou de la grotte Chauvet, elle est un monument de l’art préhistorique. Une sorte de chapelle Sixtine des âges farouches, où les premiers artistes ont pénétré il y a quelque 33 000 ans pour y peindre et y graver un étonnant bestiaire parvenu intact jusqu’à nous. A ce titre, la grotte Cosquer méritait pleinement ce que ses alter ego d’Ardèche et de Dordogne ont déjà : une réplique visitable par le grand public, aussi fidèle que possible à l’original.
Pour cette cavité nichée au pied de la pointe de la Voile, à l’extrémité de la calanque de Sormiou, il s’agit moins de protéger ses œuvres de la sur-fréquentation que d’offrir une possibilité d’immersion simulée dans ce qui reste – et restera – la plus inaccessible des grottes ornées jamais découvertes en France. Et de fixer pour toujours les dessins et les gravures promis à disparaître des parois de la vraie grotte, du fait de la montée du niveau de l’eau liée au réchauffement climatique.
Car durant les presque 10 000 ans où nos ancêtres sont venus y exprimer leur créativité, ils y entraient à pied sec, en suivant torche à la main le long boyau aujourd’hui immergé qui donne accès à la première salle. A l’époque, le climat de la région était peu ou prou identique à celui de la Norvège aujourd’hui et le niveau de la mer était de 120 m à 135 m plus bas que sa jauge actuelle.
La fin de la période glaciaire et la montée des eaux qui a suivi, entamée il y a 19 000 ans, avait définitivement condamné l’entrée de ce sanctuaire 9000 ans plus tard. Jusqu’à ce qu’Henri Cosquer, un plongeur professionnel en quête de nouveaux spots, n’y émerge par hasard, un beau jour de 1985. Sans remarquer que ses parois de calcaire étaient recouvertes de dessins et de gravures.
Trois morts dans le boyau d’accès
Avec son parfum de trésor englouti mis au jour fortuitement par un citoyen ordinaire, l’histoire de cette grotte semblait réunir tous les ingrédients du scénario idéal. Sauf qu’un drame s’y est joué au moment de sa découverte, le 1er septembre 1991. Ce jour là, un groupe de quatre plongeurs grenoblois en stage à Cassis s’était aventuré dans le couloir d’accès, à 37 mètres sous la surface. Trois d’entre eux n’en étaient pas ressortis vivants.
Le surlendemain, Henri Cosquer était allé déclarer sa trouvaille en toute hâte aux Affaires maritimes de Marseille, mais la belle et parfaite histoire avait déjà du plomb dans l’aile. Non seulement parce qu’en vertu de la loi, Henri Cosquer n’aurait pas dû attendre avant de signaler sa découverte aux autorités, au risque d’ailleurs de se faire doubler par un autre plongeur audacieux. Mais aussi parce qu’on ne saura jamais si le groupe venu d’Isère s’était vraiment retrouvé là par le plus grand des hasards, comme le soutenait lors de son procès le moniteur qui accompagnait la palanquée, ou si la présence d’une grotte ornée sous-marine dans les parages leur avait déjà été signalée, poussant les plongeurs amateurs dans cette expédition périlleuse et finalement fatale. Le moniteur sera condamné à de la prison ferme, mais cette question restera sans réponse.
Une découverte fortuite
Quoi qu’il en soit, selon le récit qu’il en a toujours fait, Henri Cosquer assure qu’il a découvert « sa » grotte de façon parfaitement fortuite, alors qu’il inspectait les falaises du littoral à la recherche de coins intéressants où amener les clients du Centre Cassidain de Plongée, le club qu’il avait créé et dirigeait encore sur le port de Cassis.
Dans le récit qu’il fait de sa découverte en cette fin d’année 1991, il raconte avoir parcouru les 175 m ennoyés du boyau d’accès à la lumière d’une lampe torche et être sorti pour la première fois dans la grotte à la fin de l’été 1985, sans remarquer quoi que ce soit. Il y revient une seconde fois quelques jours plus tard, mais tombe en panne de lumière au bout de quelques minutes, alors qu’il vient de prendre pied à l’air libre dans la cavité. Il se retrouve ainsi dans l’obscurité la plus complète, incapable de se repérer dans une grotte à la topographie complexe et qu’il connait à peine.
Tenaillé par la trouille de ne jamais pouvoir retrouver la sortie avant l’épuisement de sa réserve d’air, il se remet à l’eau à tâtons et finit tant bien que mal par refaire le chemin à l’envers et apercevoir la lumière au bout du tunnel.
Une frayeur qui le tiendra éloigné de la grotte plusieurs années, avant d’y revenir seulement au début des années 1990, toujours selon ses déclarations.
Des œuvres révélées sur film
Il lui faudra cependant encore quelques plongées pour identifier les premières peintures, puis toutes les autres, au fur et à mesure de ses explorations, seul ou en compagnie de quelques amis plongeurs qu’il avait mis dans la confidence. Selon lui, c’est en juillet 1991, deux mois avant le drame, qu’il aura cette révélation, en apercevant la silhouette des chevaux dans le halo de sa lampe. Avant de s’émerveiller une fois développés les clichés pris dans la grotte avec son Nikonos V, révélant d’autres œuvres peintes que le plongeur n’avait pas vues dans la pénombre.
Le 3 septembre 1991, Henri Cosquer devient donc l’inventeur de la grotte qui porte depuis et très officiellement son nom. Dans un entretien qu’il nous avait accordé au début des années 2000, il avait d’ailleurs convenu que son empressement à déclarer sa trouvaille juste après ce drame était pour lui plus qu’une précaution, une nécessité.
Pour être intervenus sur site le jour de l’accident, les plongeurs spéléologues du groupe Spéléo-Secours, tous de très bon niveau, venaient en effet de découvrir l’entrée de la grotte et n’auraient sans doute pas mis longtemps à trouver la sortie vers les salles peuplées de chevaux, de pingouins, de bisons et de mains en négatif dont Cosquer était alors le seul – ou presque – à connaître le secret. Il ne pouvait donc pas prendre le risque de se faire « souffler » sa découverte par d’autres.
Dernières visites avant fermeture
Selon les rumeurs qui ont circulé à l’époque dans les milieux de la plongée, quelques privilégiés suffisamment à l’aise en technique sous-marine eurent encore le loisir d’aller visiter le sanctuaire dans les semaines qui suivirent la révélation de son existence, reprise par les médias du monde entier. Mais dès l’hiver 1991/1992, le ministère de la Culture fit construire un premier système de fermeture qui en interdit l’entrée à tout intrus.
Seuls les scientifiques, principalement Jean Courtin les premières années, eurent alors l’autorisation d’y pénétrer régulièrement pour leurs travaux. Depuis 30 ans, ils ne sont d’ailleurs qu’une poignée à avoir pu obtenir le précieux sésame. Et ce sont Luc Vanrell et Michel Olive, pour le compte du service régional de l’archéologie (SRA) du ministère de la Culture, qui en sont les gardiens depuis le début des années 2000.
Polémique sur l’authenticité des oeuvres
Le drame des plongeurs grenoblois ne fut pas la seule controverse à agiter le Landerneau après la révélation de l’existence de la grotte. Sans avoir pu les approcher, quelques préhistoriens imprudents crurent en effet bon d’émettre des doutes sur l’authenticité des œuvres, et le mensuel Science et Vie leur offrit une formidable tribune en mars 1992, concluant que les peintures étaient à coup sûr un travail d’étudiants farceurs des beaux-arts, qui – c’est bien connu -, affichent tous un niveau de plongée suffisant pour amener leurs pinceaux, leurs couleurs et assez d’éclairages à 37 mètres sous la surface de l’eau pour le seul plaisir de berner les gogos.
Il n’empêche, cette polémique eut encore une certaine résonnance pendant quelques mois, le temps que les datations au carbone 14 et les premiers travaux scientifiques ne viennent confirmer l’âge véritable et l’intérêt patrimonial de cette cavité engloutie et des oeuvres – authentiques – qu’elle contenait.
Est-ce pour cela que la réplique de la grotte actuellement en chantier dans les sous-sols de la Villa Méditerranée a mis 30 ans à sortir de terre – pardon, de l’eau ? Sans doute pas, même si les polémiques sont toujours un facteur retardant quand il s’agit d’archéologie.
Une idée vieille de 30 ans
L’idée d’une reproduction a évidemment germé dès la fin 1991, car personne n’ignorait alors le succès considérable rencontré par la réplique de Lascaux, à une époque où Marseille ne figurait pas encore sur les cartes touristiques comme une destination prioritaire. D’autant qu’alors, la grotte Chauvet restait à découvrir (1) et que Cosquer abritait des peintures et des gravures bien plus anciennes que celles de la célèbre grotte découverte en Dordogne pendant la 2e guerre mondiale.
En 1993, il y eut bien une exposition Cosquer dans les sous-sols des docks de La Joliette, alors à l’état de friche industrielle. Quelques reproductions grandeur nature des principales œuvres projetées sur les murs, une maquette animée qui replaçait le sanctuaire dans son contexte géographique, avec des plages repoussées du côté de l’île de Planier, à plusieurs kilomètres du littoral actuel… et c’est à peu près tout.
Une « Cité de la Mer » qui n’a jamais vu le jour
Dans la foulée de l’élection de Jean-Claude Gaudin à la mairie de Marseille, où il succéda à Robert Vigouroux en mars 1995, l’espoir d’une réplique sur le modèle de Lascaux reprit du poil de la bête. Renaud Muselier, alors tout jeune 1er adjoint, eut même le projet de créer une véritable « Cité de la Mer » – qui a finalement vu le jour en 2002 à Cherbourg -, en s’appuyant sur le patrimoine maritime local, et notamment les engins de la Comex, en figure de proue cette reproduction de la grotte Cosquer sur laquelle plusieurs architectes avaient d’ailleurs commencé de plancher.
En 2004, le même Muselier renonça définitivement à cette idée, reportant toutes ses ambitions maritimes sur l’accueil des épreuves de la Coupe de l’America à la voile, pour laquelle les Suisses d’Alinghi, vainqueurs du trophée l’année précédente à Auckland (Nouvelle-Zélande), recherchaient une base en Méditerranée. Ils l’installeront in fine à Valence, en Espagne, séduit par l’épaisseur du chèque, mais aussi en vertu des liens d’amitié qui unissaient Ernesto Bertarelli, le patron du défi helvète, et le roi Juan Carlos, grand amateur de régates devant l’éternel.
Exit, donc, la Cité de la Mer de Marseille. Et exit l’America’s Cup.
Appel à projet infructueux
Dernier épisode en date au début des années 2010, quand la Ville de Marseille lança un appel à projet, alors que la construction d’une réplique de la grotte Chauvet à Vallon-Pont d’Arc venait d’être annoncée. Opération infructueuse, les élus marseillais ayant alors fait le choix de ne pas contribuer financièrement au projet, ni de s’engager à combler les trous en cas d’exploitation déficitaire les premières années, ce qui est généralement le cas dans ce genre d’opération entre des promoteurs privés et une collectivité publique.
A l’époque, le seul projet dévoilé fut celui d’un grand groupe de BTP, associé à l’architecte marseillais André Stern. Il proposait d’installer un grand bâtiment d’accueil en forme de tipi entre la falaise du fort d’Entrecasteaux et la rampe Saint-Maurice, la réplique de la grotte devant être construite dans les anciennes soutes à munitions du fort, selon une formule différente dans sa volumétrie que le projet actuellement en construction dans les entrailles de la Villa Méditerranée. Le projet était plus que séduisant, mais cela ne suffit pas à débloquer le verrou financier.
Le Conseil régional à la manoeuvre
Il était donc écrit qu’avec Jean-Claude Gaudin à la mairie, ce « Cosquer Bis » ne verrait jamais le jour.
Et il aura effectivement fallu attendre que Christian Estrosi et Renaud Muselier gagnent les élections régionales, en décembre 2015, pour que la question se pose à nouveau. En même temps qu’une autre : que faire de la Villa Méditerranée, voulue par leur prédécesseur socialiste Michel Vauzelle, qui coûtait – et coûte toujours – 4,5 millions d’euros par an en fonctionnement et n’avait toujours pas de fonction clairement définie à l’époque ?
C’est ainsi que le projet de réplique de la grotte Cosquer a refait surface, apportant enfin une réponse nette à ces deux questions cruciales.
Dans quelque mois, on pourra apprécier de façon concrète la pertinence de ce choix audacieux. L’inauguration de nouvel ensemble est en effet prévue pour le 4 juin 2022, quelque 37 ans après la première visite d’Henri Cosquer dans « sa » grotte. Il était temps !
- (1) : Jean-Marie Chauvet l’a découverte en décembre 1994 sur la commune de Vallon-Pont d’Arc, en Ardèche.
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