Le transport représente la première source d’émission de gaz à effet de serre: 31%. Et le transport routier de marchandises émet 20% du gaz à effet de serre du transport français, en rejetant 40 millions de tonnes (MT) en équivalent CO2 annuellement. L’objectif du gouvernement consiste à réduire de plus de 6MT/ an à l’horizon 2030, grâce au développement de l’hydrogène vert.
Les premiers poids lourds électriques à hydrogène pour le transport de marchandises voient le jour en France et en Europe à travers le consortium HyTrucks, autour d’Air Liquide. Il associe les ports de Rotterdam, Duisbourg et Anvers pour alimenter 1000 camions électriques à hydrogène et bâtir 25 station de ravitaillement d’ici 2035.
Le programme H2Haul fait circuler des camions en France, en Allemagne et en Suisse. Il réunit une vingtaine d’acteurs parmi lesquels Iveco et Air Liquide, également associés dans une expérimentation à Fos-sur-Mer qui doit voir le jour en 2022, dans le cadre du projet baptisé HyAMmed (Hydrogène à Aix-Marseille pour une mobilité écologique et durable), qui vise à développer une flotte de camions de 44 tonnes roulant avec une pile à combustible. « L’hydrogène peut contribuer de manière significative à réduire les émissions du secteur des transports, car il est particulièrement adapté aux véhicules lourds longue distance », assure Matthieu Giard, membre du comité exécutif d’Air Liquide et directeur des activités hydrogène.
Lomatrans associé à Hynova
Transporteur basé à Châteauneuf-les-Martigues, Lomatrans s’est impliqué en 2021 dans la création d’une station mobile d’avitaillement à hydrogène destinée à alimenter un nouveau tender yacht conçu par Hynova et fraichement sorti des chantiers navals de La Ciotat. « Nos chauffeurs possèdent l’expertise dans la manipulation des bouteilles de gaz, souligne Paul Menotti, le Pdg de Lomatrans, précisant que Air Liquide a fourni une remorque spécifique, courte et maniable pour circuler sur le port de Monaco. Renault a déployé un tracteur aux normes ADR niveau 2, qui fonctionne au B100, à l’huile de colza. Sur la remorque, des bouteilles d’hydrogène alignées et le « i Cube » conçu par Hy2gen. »
Pré-séries de camions à hydrogène dès 2023
L’Europe a fixé un objectif de 60 000 camions à pile à combustible et un réseau de 1500 stations hydrogène d’ici 2030. Selon le Livre Blanc mobilité, publié le 16 février dernier par France Hydrogène, « les premières pré-séries de camions à hydrogène seront disponibles dès 2023-2024 et 2026-2028 pour les productions en série ».
Les villes françaises pointées du doigt par Bruxelles pour dépassement régulier des normes sur la qualité de l’air déploient progressivement leurs zones à faibles émissions de mobilité (ZFE-m) dont les véhicules les plus polluants seront progressivement bannis. 23 communes en France doivent définir de telles zones d’ici la fin de l’année.
1000 stations à hydrogène selon la PPE
Des accords stratégiques se nouent en ce moment même autour de la mobilité, du stockage et de l’infrastructure de recharge. 40 stations de recharge H2 sont déjà présentes en France en 2020. Un objectif de 1000 stations est fixé à l’horizon 2030 par la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Hype : Objectif 10 000 taxis bleus
L’association France Hydrogène estime toutefois ce rythme trop lent et préconise d’accélérer le maillage national. Ce que font les taxis bleus Hype, apparus en 2015, et dont la flotte ne cesse de grossir sur le bitume parisien. De cinq véhicules en 2015, la compagnie en exploite aujourd’hui plus de 600, avec comme objectif d’atteindre 10 000 véhicules en 2024. La société prévoit ainsi la création d’un réseau de stations de production et de distribution. Elle nourrit également l’ambition de s’étendre à quinze autres métropoles françaises, mais aussi à l’international.
En janvier, Hype a passé un accord avec Ecolotrans pour investir le terrain de la logistique urbaine. « Avec cette opération, Hype souhaite accélérer le passage à l’hydrogène du transport poids lourds, de la logistique du dernier kilomètre ou de services publics comme la collecte des déchets », indique Mathieu Gardies, président de Hype. L’accord avec MacPhy, spécialiste des équipements de production et distribution d’hydrogène zéro carbone (électrolyseurs et stations de recharge), va permettre le déploiement d’infrastructures hydrogène pour les solutions de mobilité urbaine zéro émission en France et en Europe. Le potentiel de commandes porte sur 50 stations de 15 à 25 mégawatts d’ici fin 2025. Dans le transport de voyageurs en autocar le constructeur albigeois Safra développe un autocar à hydrogène avec le soutien de la Région Occitanie. Safra a déjà vendu 24 autocars de sa série Businova à hydrogène.
Le maritime cherche encore des solutions pour les grandes capacités
Les initiatives partenariales se multiplient (CorridorH2, CATHyOPÉ, H2Accelerate…) associant public et privé, constructeurs et fournisseurs d’hydrogène. En mer également, les projets vont bon train. Il est vrai que 2,9 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent du secteur maritime, dont 87 % des navires de marchandises. Aujourd’hui, les développements dans la propulsion hydrogène ne concernent que des navires de faible capacité. Le défi à relever pour voir plus grand concerne le volume de stockage de l’hydrogène, 4,3 fois plus important que le diesel maritime pour le même potentiel énergétique. Il faudra donc compenser cet écart avec une optimisation de tous les paramètres de consommation, poids, hydrodynamique, rendement de la propulsion et aussi le recours à un mix d’énergies renouvelables.
Hylias, Hynova, Neptech…
Depuis plus de 2 ans, le projet Hylias (Hydrogen for Land) est à l’étude. Il vise à mettre en service un navire à propulsion hydrogène électrique pour assurer le transport de passagers dans le golfe du Morbihan en 2024. Le navire de 24 mètres pourra accueillir à son bord entre 150 et 200 personnes. Il est conçu comme un premier de série démonstrateur. Le projet ouvre également l’opportunité de développer toute une filière bretonne d’excellence autour du bateau « zéro émission ».
A la Ciotat, Hynova a développé un petit bateau électrique alimenté par une pile à combustible. Quant à NepTech, fondée en 2020 à Aix-en-Provence par trois citadins, marins et passionnés par les technologies de la mobilité, elle clôture en ce moment même une levée de fonds de 800 000 €. cette start-up ambitionne de construire des catamarans nouvelle génération de 12 à 14 m à propulsion électrique, avec une solution d’hybridation à pile à combustible. Lauréate en mai 2021 de l’appel à innovation « mobilités Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 », aux côtés de Toyota et Energy Observer Développement (Eodev), NepTech envisage de déployer deux navires zéro émission en rade de Marseille, ville hôte des épreuves de voile, mais aussi sur la Seine, pendant et surtout après les JO. Son prochain objectif est de mettre à l’eau une première navette fin 2023.
Un deuxième Energy Observer à hydrogène
En 2025 doit sortir une nouvelle version de l’Energy Observer, le navire démonstrateur qui navigue à l’hydrogène. Doté de voiles rigides, il mesurera 120 m de long et 22 m de large, avec une capacité d’emport de 5000 tonnes de marchandises. A bord, 70 tonnes d’hydrogène liquéfié offrant au navire 500 km d’autonomie. CMA CGM, qui exploite déjà des navires au GNL, est associée au projet afin d’envisager à terme l’industrialisation de ces nouvelles solutions énergétiques expérimentées par Energy Observer.
« Les experts en R&D de CMA CGM et d’Energy Observer fédèreront ainsi leurs compétences et leurs connaissances pour développer les solutions technologiques capables de limiter l’impact environnemental du transport maritime », indique l’armateur marseillais. « Ce que l’on souhaite faire avec Energy Observer 2, c’est réunir les meilleurs industriels pour mettre au point un navire de transport polyvalent de taille moyenne, qui navigue sans émission», promet Victorien Erussard, fondateur et capitaine d’Energy Observer, qui est intervenu lors du One Ocean Summit, en février dernier à Brest.
Des navires de transport de passagers, de marchandises, mais également des navires de servitude seront demain propulsés avec de l’hydrogène. La Région Occitanie a ainsi commandé aux chantiers navals Piriou une drague à hydrogène pour le port de Sète, livrable en 2023. A Dunkerque, Engie s’est associé à Infinium, fournisseur de technologie pour e-carburants ultra-bas carbone, afin de développer « Reuze », un projet de production de carburant de synthèse à destination du transport aérien et maritime, deux secteurs difficiles à décarboner.
Capter le CO2 de l’industrie
Ces e-carburants ultra-bas carbone seront produits grâce à la technologie exclusive d’Infinium, à partir des 300 000 tonnes de CO2 captées sur les installations de production d’acier d’ArcelorMittal, associé à de l’hydrogène vert produit par un électrolyseur de 400 MW installé par Engie, qui agira sur le projet en tant qu’intégrateur global.
D’autres débouchés à destination de l’industrie chimique sont également envisagés. « L’hydrogène et les e-carburants vont jouer un rôle important pour la réduction des émissions de CO2 de secteurs industriels difficiles à décarboner et pour la durabilité de grandes entreprises de transport, estime Sébastien Arbola, directeur général adjoint d’Engie. Selon lui, avec un démarrage commercial visé en 2026, le projet Reuze soutiendra la stratégie ambitieuse d’Engie de déployer 4 GW de capacité de production d’hydrogène vert d’ici 2030. »
Dans le secteur ferroviaire, Alstom joue les locomotives sur l’hydrogène. Après l’acquisition en avril 2021 d’Helion Hydrogen Power à Aix-en-Provence, Alstom ne cesse de multiplier les partenariats industriels pour structurer la filière hydrogène. Après Snam, entreprise italienne de transport de gaz naturel, Plastic Omnium, spécialiste du stockage d’hydrogène, Hynamics et Eversholt, le constructeur de trains a passé un accord en novembre 2021 avec l’Allemand Liebherr Aerospace & Transportation SAS, basé à Toulouse et spécialisé dans la fabrication de compresseurs adaptés aux piles à combustible.
Des trains à hydrogène dans les régions françaises…
Le développement de la filière hydrogène d’Alstom s’appuie notamment sur le site de Tarbes, spécialisé dans les systèmes de traction « verts », et sur le site Alstom Hydrogène à Aix-en-Provence, qui couvre l’ensemble de la chaîne de valeur des piles à combustible à forte puissance.
Le groupe s’est mobilisé dès 2013 sur la conception d’un train régional équipé d’une pile à combustible hydrogène, le Coradia iLint. Les deux premiers trains 100% hydrogène ont été mis en service commercial en 2018 en Allemagne. A ce jour, 41 rames ont été commandées par deux Landers allemands et des expérimentations réussies ont eu lieu en Autriche, aux Pays-Bas, en Pologne, en Suède et en France. En 2021, la France est, elle aussi, entrée dans le cercle des pays fondateurs avec la commande par la SNCF de 12 rames (+ 2 en options) de trains Coradia polyvalent Regiolis bi-mode (traction électrique/caténaire et hydrogène/pile à combustible) pour le compte des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche Comté, Grand Est et Occitanie.
…Y compris en Corse
Perfusée aux énergies fossiles et totalement dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements, l’île de Beauté fonde de sérieux espoirs dans la filière hydrogène. Outre la décarbonation de ses activités, convertir l’ensemble de ses installations à l’hydrogène lui offrirait une plus grande autonomie énergétique, y compris pour les transports.
C’est d’ailleurs dans ce domaine que le premier projet hydrogène corse devrait voir le jour, avec la transformation du trinighellu, le « petit train » de passagers, en circulation sur les deux lignes de chemin de fer de l’île. Récent lauréat des Hydrogénies (1), qui lui ont décerné le 15 mars le prix du meilleur projet hydrogène de la mobilité ferroviaire, aéronautique, maritime ou fluviale, le projet HyCor prévoit non seulement de convertir les trains diesel à l’hydrogène, mais aussi d’utiliser le réseau ferré corse pour transporter l’hydrogène des lieux de production vers les lieux de consommation.
Deux sociétés corses en pointe
Porté par les sociétés HyFit et Verso Energy, avec le soutien de la collectivité territoriale corse, opérateur des trains sur l’île, ce projet a été pensé par Bertrand Ciavaldini, le patron d’HyFit, et Xavier Caitucoli, son homologue chez Verso Energy, une entreprise qu’il co-dirige avec Antoine Huard. Le premier vient de l’industrie automobile, le second est l’un des cofondateurs (avec Fabien Choné et Thierry Roussel) de Direct Energie en 2003. Corses tous les deux, ils ont réfléchi aux solutions envisageables pour décarboner la production électrique et les transports publics dans l’île. « Aujourd’hui, rappelle Bertrand Ciavaldini, environ 70% de l’électricité consommée en Corse est produite sur l’île à partir d’hydrocarbures. Idem pour les trains, qui marchent au diesel. Comme il est impossible d’envisager une production électrique qui reposerait seulement sur le solaire ou l’éolien et qu’électrifier les voies ferrées nécessiterait des investissements énormes, la seule solution pour avoir à la fois de l’électricité verte et des trains qui ne polluent pas, c’est l’hydrogène. »
Les premières discussions avec la collectivité territoriale ont débuté en octobre 2020. Moins d’un an plus tard, les trois partenaires déposaient leur dossier à l’Ademe. Depuis, plusieurs partenaires industriels et financiers ont rejoint l’aventure, convaincus que l’hydrogène était LA solution énergétique d’avenir pour la Corse. « Si les choses se déroulent comme prévu, que nos demandes de subvention aboutissent, annonce Bertrand Ciavaldini, nous espérons les premiers roulages d’essai courant 2024, pour une mise en circulation des premières rames fin 2025, avec pour objectif de finir le déploiement du dispositif un an plus tard. »
Toutes les mobilités de l’île concernées par cette conversion
Au-delà de la conversion des trains, c’est la mise en œuvre d’un véritable écosystème hydrogène autonome que le projet HyCor ambitionne pour la Corse. « Nous envisageons de concentrer la production d’hydrogène sur deux sites et de le transporter vers les différents lieux de consommation par rail, ce qui permettra d’équilibrer le système en permanence, en fonction des besoins », détaille Bertrand Ciavadini. Mais l’objectif de conversion ne concerne pas que les trains. A terme, c’est l’ensemble des mobilités en Corse qui pourraient passer à l’hydrogène.
« Les bus, les bennes à ordures, les voitures en libre service et même les ferrys et les cargos qui desservent l’île y auront intérêt », pronostique le patron d’HyFit, qui évalue les besoins globaux de l’île « autour de 20 tonnes par jour en régime de croisière, contre 7 et 8 tonnes pour cette première phase. » En complément d’un autre projet, il envisage également d’alimenter les 3 grands ports de Corse que sont Bastia, Ajaccio et île-Rousse, puisque « le réseau électrique corse n’est pas assez puissant pour absorber les pics de consommation et ne permet donc pas d’alimenter les navires à quai en électricité, comme à Marseille », justifie-t-il.
Idem pour les camions et les voitures, qui « rouleront un jour à l’hydrogène dans l’île » assure-t-il, prévoyant « une forte baisse du prix des voitures à pile à combustible dans les années qui viennent », surtout si les gouvernements européens continuent d’alourdir les taxes appliquées aux combustibles fossiles.
À Aix, Hy2Gen France engagée sur Brégaillon et Signes
Hy2Gen France, filiale française du groupe allemand basée à Aix-en-Provence, développe, finance et construit des installations de production d’hydrogène vert et de biocarburants. « Nous développons deux projets en région sud, indique Cyril Dufau-Sansot, Pdg d’Hy2Gen et de sa filiale française. Le premier concerne l’écosystème Hynovar porté par la CCI de Toulon dans le cadre du projet Sunrhyse visant à produire sur le plateau de Signes de l’hydrogène vert par électrolyse de l’eau. Nous sommes également en discussions avec des avionneurs, avitailleurs et l’aéroport de Marseille-Provence pour produire du biojet. »
En février 2022, Airbus a annoncé un premier vol d’essai d’un avion à hydrogène dès 2025. Un A380 qui sera doté de quatre réservoirs d’hydrogène liquide. En complément des moteurs à propulsion kérosène. Comme dans le transport maritime de navires de grande capacité l’enjeu portera sur les volumes des réservoirs. Par ailleurs, l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry accueillera en 2023 un projet pilote porté par Airbus, Air Liquide et Vinci Airports afin de développer des stations d’avitaillement à l’hydrogène.
Nathalie Bureau du Colombier et Hervé Vaudoit
- (1) : Organisé depuis 2019 par Sakura Consulting en partenariat avec l’Ademe, France Hydrogène, l’Assemblée nationale et les Assises européennes de la transition énergétique, ce concours récompense une entreprise ou une organisation à l’origine d’un projet remarquable ou d’une solution innovante dans le domaine de l’hydrogène.
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