Il est une maladie méconnue qui oblige des dizaines de milliers de Français un jour sur deux à passer 3 à 4 heures raccordés à une machine pour purifier leur sang, c’est l’insuffisance rénale. Elle conduit à la dialyse. De quoi s’agit-il précisément ?
Pr Philippe Brunet : La dialyse, c’est le nettoyage du sang par des systèmes de machines. On a 2 grands principes. Premièrement, on a une machine qui va faire le nettoyage directement par l’accès au sang sur une veine du bras, qui va faire passer le sang dans des tubulures et qui va le filtrer pendant des séances qui vont durer à peu près 4 h, et cela 3 fois par semaine. La 2e grande méthode, c’est une dialyse qu’on appelle « dialyse péritonéale », c’est la dialyse par le ventre. Il faut savoir que nous avons à l’intérieur de notre abdomen une cavité qui s’appelle le péritoine, à l’intérieur de laquelle on peut mettre un liquide. Ce liquide, qui est laissé en permanence dans le corps du patient, va permettre de récupérer les toxines et de nettoyer le corps. Ce liquide va être changé plusieurs fois par jour ou il va être changé pendant la nuit par une petite machine qui peut faire entrer et sortir le liquide automatiquement.
Hypertension et diabète, ennemis des reins
Combien de personnes en France sont dialysées ?
On a à peu près 50 000 personnes traitées par dialyse en France actuellement.
Quelle est la raison principale qui conduit à la dialyse ?
Il y a plusieurs maladies rénales qui peuvent détruire les reins. Quand on est en dialyse, ça veut dire que les reins sont complètement détruits, ne fonctionnent plus. Il y a quelques maladies très connues qui peuvent conduire dans certains cas à la destruction des reins : c’est l’hypertension et le diabète. A côté de ces grandes maladies, il y a tout un tas de maladies plus rares comme les maladies des voies urinaires, des maladies inflammatoires, des maladies génétiques, qui elles aussi peuvent conduire à la destruction progressive des reins.
5 millions de Français touchés
Si on parle de l’hypertension et du diabète, ça fait déjà quelques millions de personnes, ça fait beaucoup de monde ! Est-ce que finalement tout le monde peut être concerné un jour par ce problème d’insuffisance rénale et aboutir à une dialyse ?
Tout le monde peut être concerné par l’insuffisance rénale. Mais tout le monde heureusement n’est pas concerné par le risque de dialyse. L’insuffisance rénale, à des degrés modérés, peut toucher une grande partie de la population. On estime qu’en France nous avons à peu près 5 millions de personnes qui sont susceptibles d’avoir une maladie rénale à des stades très précoces, très préliminaires, et c’est tout l’intérêt de connaître ces maladies, de les dépister, pour pouvoir mettre en place des préventions et traitements qui vont ralentir, qui vont stopper l’évolution de l’insuffisance rénale. Qui vont bien sûr empêcher d’arriver au stade de la dialyse.
Calculs rénaux et dialyse
Des calculs rénaux – beaucoup de gens en font – peuvent-ils conduire à une insuffisance rénale ?
Aujourd’hui le traitement des calculs a été énormément amélioré. Il y a de longues années, les calculs étaient capables de détruire complètement les reins et d’obliger les patients à passer en dialyse. Aujourd’hui il y a des techniques pour éliminer les calculs ou pour prévenir leur formation, qui sont très développées. On n’observe quasiment plus de patients qui sont en dialyse à cause des calculs.
Vous avez évoqué les différents types de dialyse. On peut être dialysé à domicile. Combien de personnes peuvent-elles être dialysées chez elles sans être obligées de se rendre dans un centre spécialisé 3 fois par semaine ?
On touche là aux différentes méthodes de dialyse. Effectivement, la dialyse à domicile est quelque chose qui est très intéressant; ça touche à peu près 7% des patients dialysés en France qui profitent de la possibilité de faire la dialyse à domicile. On essaie de la développer davantage car c’est extrêmement intéressant. Ces patients ont beaucoup d’autonomie, beaucoup de liberté, ils maîtrisent très bien leur technique.
Les patients sortent lessivés, fatigués
Au-delà de la contrainte spatio-temporelle très forte – il faut raccorder son corps à une machine pendant plusieurs heures plusieurs fois par semaine – la dialyse provoque-t-elle des effets secondaires importants ? Est-ce que sa récurrence abîme le corps ?
Si on parle de dialyse la plus classique, qui est la dialyse par le sang, ce qu’on appelle l’hémodialyse et qui est réalisée avec 3 séances par semaine, 3 séances d’environ 4 heures. C’est une dialyse qui est épuisante. En une séance de 4 heures on essaie de faire le travail que font les reins en 48 heures ! Donc c’est un véritable lessivage ! Les patients qui sortent de ces séances sont fatigués et ont besoin en gros d’une demi-journée pour récupérer. C’est quelque chose qui est quand même dur. Après, il y a d’autres techniques.
Il y a la possibilité de faire cette hémodialyse non pas en 3 séances par semaine mais en 6 séances par semaine, qui sont des séances plus courtes. On s’aperçoit que c’est beaucoup mieux toléré par l’organisme. Les patients qui font ça se sentent bien et sont beaucoup moins fatigués.
Dialyse par le ventre, l’idéal ?
Il y a aussi la dialyse par le ventre, la fameuse dialyse péritonéale dont je parlais tout à l’heure. Cette dialyse est une dialyse continue puisque le patient a son liquide à l’intérieur du ventre en permanence. Simplement, ce liquide est changé régulièrement et la dialyse se fait de manière continue sans que le patient finalement n’ait à s’en occuper. Cette dialyse est très, très bien tolérée. Elle ne provoque pas de fatigue. Au contraire, elle donne beaucoup de liberté, beaucoup d’autonomie et disons un meilleur état de santé au patient.
Dialysés, ils courent le marathon !
Peut-on néanmoins mener une vie familiale professionnelle voire même une vie sportive pleinement épanouissante quand on est dialysé ?
La réponse est oui ! C’est-à-dire que, malgré toutes les contraintes, la majorité des patients arrivent à mener leur vie familiale, leur vie professionnelle, ils ont des engagements associatifs. On a même des grands sportifs parmi les dialysés ! On a des coureurs de marathon, des coureurs de trail. On a même un patient en dialyse péritonéale qui a fait le tour du monde en voilier. Donc c’est possible et il faut que les patients aient ces exemples pour voir que, finalement, la vie vaut la peine d’être vécue même avec ces contraintes majeures que sont l’insuffisance rénale et la nécessité de passer en dialyse.
Limiter les boissons et le sel
Faut-il observer une hygiène de vie spécifique quand on est dialysé ?
Oui. Il y a quand même des points à respecter. Le point principal, c’est la boisson. C’est la nécessité de réguler la quantité d’eau que l’on absorbe. Parce qu’à chaque séance, la dialyse va éliminer non seulement les toxines mais va également devoir éliminer toute l’eau qui s’est accumulée dans le corps depuis la dernière séance. Et plus cette quantité d’eau va être importante, plus le patient va ressentir de la fatigue. Donc le patient a tout intérêt à avoir le moins d’eau possible à éliminer.
Alors comment faire ? Eh bien, il faut se rappeler que ce qui fixe l’eau dans le corps, c’est le sel. L’eau suit le sel. Donc quand on mange salé, on a soif et on a envie de boire beaucoup d’eau. Donc la bonne recette et le bon régime pour un patient dialysé, c’est de manger le moins salé possible de manière à ce qu’il n’est pas soif et à ce que sa prise d’eau entre 2 séances (de dialyse) soit la plus faible possible. Voilà le point essentiel.
La greffe de rein, unique solution
La greffe de rein est-elle l’unique solution pour mettre fin à la dialyse ? Et est-ce que cette greffe de rein est toujours plus bénéfique que la dialyse ?
Oui, la greffe de rein est l’unique solution. Pourquoi ? Parce que quand on parle de dialyse – et ici on parle de dialyse chronique – c’est le traitement de patients dont les reins sont détruits. C’est-à-dire qu’ils ont une insuffisance rénale chronique irréversible. On ne peut pas revenir en arrière. On ne peut pas régénérer les reins qui ont été détruits. On ne sait pas le faire. Aujourd’hui, pour mettre fin à ce programme de dialyse pour ces patients, la seule possibilité c’est d’avoir accès à la greffe rénale.
On n’enlève pas les reins inutiles !
Une petite précision : quand nos reins ne fonctionnent plus, on ne les enlève pas. Ils restent dans notre corps ?
Les reins qui ne fonctionnent plus sont des reins qui deviennent petits et qui la plupart du temps peuvent être laissés en place. On n’a pas besoin de les retirer.
Ils ne dégénèrent pas vers une maladie ?
Très exceptionnellement il peut y avoir des kystes sur ces reins qui apparaissent et qui ensuite peuvent évoluer vers des tumeurs. Donc il doit y avoir une surveillance annuelle par de simples échographies pour vérifier qu’il n’y a pas ce problème sur les reins. Mais c’est la seule chose. Sinon ils ne gênent pas et malheureusement ils ne servent plus à rien.
2 à 4 ans d’attente !
Je reviens à la greffe de rein. Quel est le délai d’attente pour être greffé ?
Le délai d’attente pour la greffe rénale est malheureusement trop important puisqu’on est entre 2 et 4 ans. Cela va beaucoup dépendre des personnes : ça va dépendre du groupe sanguin de la personne qui attend la greffe – il y a des groupes plus rares que d’autres – et ça va dépendre aussi de ce qu’on appelle les anticorps. C’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de personnes qui ont développé au cours de leur vie des anticorps dirigés contre les organes, dirigés contre des tissus étrangers. Evidemment, ces personnes qui portent des anticorps doivent avoir un organe très, très compatible pour que leur greffe réussisse. Ces personnes peuvent éventuellement attendre plus longtemps pour avoir une greffe.
Les grossesses rendent la greffe plus restrictive chez la femme
Est-ce qu’il y a une différence entre les sexes ? Est-ce que les hommes ou les femmes attendent plus les uns que les autres justement pour des problèmes d’anticorps, par exemple à cause des grossesses chez la femme ?
Une des causes principales d’apparition d’anticorps c’est chez les femmes à l’occasion de leurs grossesses Et donc il peut y avoir effectivement des cas un peu plus difficiles chez certaines femmes.
Tous les dialysés peuvent-ils être greffés ? Tous les dialysés souhaitent-ils être greffés ?
Il faut savoir que la greffe ce n’est pas la guérison totale. La greffe, c’est un autre traitement qui a ses propres contraintes et qui nécessite en particulier la prise d’un traitement anti rejet, donc un traitement qui va diminuer les défenses immunitaires du corps pour que la greffe soit acceptée. Ce traitement qui diminue les défenses, évidemment il diminue les défenses aussi contre des maladies. Il faut qu’on vérifie que la personne qui est candidate à la greffe va pouvoir supporter ce type de traitement qui diminue énormément ses défenses.
Certains patients âgés refusent la greffe
Donc certains patients ne souhaitent pas être greffés, même s’ils pourraient bénéficier d’une greffe ?
Certains patients, quand on leur présente les contraintes de la greffe – la surveillance, la prise de médicaments anti rejet, etcetera – font le choix de ne pas être greffés. Cela concerne surtout des patients qui sont déjà assez âgés, qui ont parfois eu beaucoup de problèmes médicaux, beaucoup de maladies et il y a un certain ras-le-bol, si on peut dire, des contraintes médicales. Certains qui sont bien équilibrés avec la dialyse préfèrent rester en dialyse. C’est une minorité mais ça arrive. Sinon, la majorité essaie d’avoir une greffe, de se faire inscrire sur la liste d’attente de transplantation rénale ou d’avoir éventuellement la chance de trouver un donneur vivant dans son entourage. Ces personnes, pour pouvoir accéder à la greffe, doivent ne pas avoir de contre-indications.
Avoir eu un cancer n’est pas une contre-indication
Les grandes contre-indications qui peuvent empêcher de réaliser la greffe, ce sont tous les états instables, quel que soit l’organe. Pour une greffe de cœur, il ne faut pas avoir fait un infarctus dans l’année précédente. Il faut être bien stabilisé. Au niveau d’un cancer, on peut avoir fait un cancer mais il faut un certain délai. Il faut que le cancer soit guéri évidemment et il faut un certain délai après la guérison pour être sûr que la greffe ne va pas réactiver le cancer. Il faut qu’on soit dans un état pulmonaire correct, avoir un bon état au niveau psychologique.
Quelqu’un qui est en pleine dépression, évidemment ça va être très difficile pour lui d’accepter toutes les contraintes des examens pré greffe, du suivi post-opératoire de la greffe. Donc quelqu’un qui est en pleine déprime, il vaut mieux qu’il attende de se retrouver en meilleure forme. Il y a tout un tas de points à vérifier pour qu’on soit sûr que la greffe va être réussie et qu’elle va profiter au patient.
Des patients ont vécu 40 ans en dialyse !
Peut-on vivre longtemps et très vieux tout en étant dialysé ?
Oui, on peut vivre longtemps. Même si elle est très dure à supporter, la dialyse a fait d’énormes progrès et on a des personnes qui ont fait plus de 40 ans en dialyse chronique. Etant contre-indiquées à la greffe, elles n’ont pas pu accéder à la greffe et on a vu que la la dialyse pouvait continuer pendant de longues années.
On peut se poser la question de la survie quand on est greffé. La greffe également donne de longues années de vie. On arrive à avoir plus de la moitié des patients qui ont entre 15 et 20 ans de survie de greffe. Donc ce sont des traitements qui ont fait d’énormes progrès, qui sont assez au point aujourd’hui et qui donnent de bons résultats.
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