Fatou Gosselin est une bonne élève. Cette habitante de Gap (Hautes-Alpes) a toujours fait le test de dépistage du cancer colorectal adressé par l’Assurance Maladie, tous les deux ans à partir de 50 ans. A chaque fois il revenait négatif. La dernière fois, Fatou s’est dit que ça la gonflait un peu. « Je n’avais jamais rien, donc je pensais que je n’avais pas de problème. J’ai failli renoncer. Mais je l’ai fait pourtant, c’est quand même tout simple à réaliser chez soi. Et là, j’ai reçu l’annonce : traces de sang dans les selles. Mon médecin généraliste m’a dit qu’il fallait passer une coloscopie. J’ai quand même mis du temps pour y aller et puis je me suis décidée. »

C’est le Dr Jean-Guy Bertolino, gastro-entérologue au centre hospitalier de Gap, qui procède à l’examen. Et là, bingo ! Il repère un énorme polype. « Il était bénin mais aurait pu se transformer en cancer dans quelques années. Le polype a été retiré voilà quelques semaines, affaire réglée« . Le témoignage de Mme Gosselin a planté le décor de la conférence d’information sur le cancer colorectal organisée par MProvence ce mercredi soir pluvieux de mars au sein du Pôle universitaire de Gap. 80 personnes ont applaudi cette patiente ainsi que Jean-Louis Gourgouillat. Pour cet ancien journaliste, c’est une autre chanson. Malheureusement.
Le cancer a rattrapé Jean-Louis
« J’ai fait le test vers 50 ans. Tout va bien alors, pas de traces de sang détectées. Je reçois ensuite les courriers m’invitant à faire le dépistage mais je me dis que ça n’a rien donné la première fois et je laisse filer. Et puis un jour, quinze ans plus tard, j’ai du sang dans les selles. Je pense « hémorroïdes ». Je ne réagis pas. Et ça recommence trois mois plus tard avec un bon mal de ventre. » Direction l’hôpital de Gap. Le verdict tombe : cancer du côlon. Il s’est développé pendant des années dans l’intestin sans que Jean-Louis s’en doute : « Je n’avais pas de symptômes« . Il aurait pu en mourir. C’est au prix d’un traitement lourd qu’il est présent ce soir-là dans l’amphi universitaire pour témoigner.

« Sans test, on court à la catastrophe »
« On m’a fait une chimiothérapie et des rayons qui ont fait régresser la tumeur de 50%. Puis on m’a opéré à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille. Je me suis retrouvé avec une poche (une stomie recueillant les selles) collée sur le ventre pendant six semaines. Je n’ai qu’un message à vous passer : faites bien le test tous les deux ans. Sinon une catastrophe se prépare. Offrez l’enveloppe bleue du test à vos parents et à vos grands-parents ! »
Le Dr Bertolino n’avait plus qu’à dérouler pour convaincre les récalcitrants de bien faire le test immunologique fécal. Mais on part de loin. De très loin. Figurez-vous que les habitants des Hautes-Alpes sont les meilleurs élèves du dépistage dans notre région Sud-Paca… avec 32,6% de participation. Un score digne d’une élection législative partielle qui ne mobilise personne ! La moyenne de participation au dépistage par le test culmine à 26,6% en région. Des chiffres que l’on peut toutefois tempérer car ils ne prennent pas en compte les « dépistages » réalisés directement par coloscopie sans passer par la case du test. Dans certains départements on ne serait pas loin de 50%. Mais de toute façon, c’est trop peu.
100% des Français ont un risque de cancer colorectal

Dr Bertolino : « Pourquoi les chiffres sont mauvais ? Parce que quand on n’a pas de symptômes, on se croit en bonne santé. Mais souvent on est porteur de petits polypes d’abord bénins, qui grossissent dans notre intestin. Ils vont mettre 10 à 15 ans pour se transformer en cancer. C’est pourquoi notre leitmotiv est de dépister des lésions pré-cancéreuses qui ne donnent pas de symptômes. 80% de la population française présente un risque moyen de développer un cancer colorectal, et 20% un risque élevé ou très élevé en cas d’antécédent familial ou de maladies associées. Donc on est tous concernés. »
« Le test de l’analyse de vos selles, où l’on recherche la présence de sang invisible à l’oeil nu, ne revient positif que dans 4% des cas. Alors on prescrit une coloscopie sous anesthésie générale à l’hôpital. Dans près de la moitié des coloscopies, on ne trouve pas de cancer. Dans 30% des cas on voit des lésions, comme des diverticules, qui n’ont rien à voir avec le cancer. Dans environ 20% des cas, on détecte des lésions pré-cancéreuses, des polypes, qu’on retire et vous ne développerez pas de cancer. Il reste 2 à 3% des cas où c’est trop avancé et on vous enverra chez le chirurgien pour retirer une partie de l’intestin, en général ce cancer est alors curable. » Résumé de ce toubib alpin militant : « Dépister, c’est ne pas être malade OU guérir une maladie prise très tôt. »
« Prenez soin de vos fesses ! » lance la Dr Sarlon au public
Il n’en demeure pas moins que 17 500 Français meurent chaque année de cette maladie et que plus de 47 000 nouveaux cas sont identifiés et pris en charge. Cinq ans après le début de la maladie, seuls 2 patients sur 3 sont encore en vie. C’est le deuxième cancer le plus mortel en France, il touche quasiment autant de femmes que d’hommes.

Rappelant ces chiffres terribles, la Dr Emmanuelle Sarlon, présidente des médecins de l’hôpital gapençais, avait bien planté le décor en début de conférence : « Prenez soin de vos fesses ! Vous trouvez ça choquant ? Nous, ce qu’on trouve choquant, ce sont tous ces morts, chaque année. Et aussi le fait que les deux tiers des plus de 50 ans ne font pas le test. On a environ 100 000 personnes qui sont hospitalisées chaque année en France pour ce cancer. Et ce sont des traitements lourds. J’ai une demande à vous faire ce soir : soyez nos ambassadeurs pour convaincre vos proches de faire le test. »
Convaincre les populations fragiles
Si le taux de dépistage doublait en France, pour atteindre 65% comme dans des pays nordiques ou en Californie, les scientifiques ont calculé que cela épargnerait 10 000 vies chaque année, ainsi que l’apparition de 20 000 à 25 000 nouveaux cas. « En France, la prévention n’est pas notre point fort, regrette Jean-François Gourdon de l’Assurance Maladie des Hautes-Alpes. On est convaincu qu’il faut investir massivement dans la prévention. Des employés appellent les personnes les plus fragiles et les plus éloignées du soin pour les inviter à se faire dépister. »

Les pharmaciens à l’offensive
Les Hautes-Alpes tentent d’accélérer la sensibilisation tous azimuts, en allant vers la population. Présence de stands sur les manifestations publiques avec le Centre régional de dépistage des cancers, la Ligue contre le cancer ou les équipes de soignants, participation à des courses sous la couleur bleue symbole de ce mois de sensibilisation Mars Bleu… La Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) met également le paquet. Les pharmaciens du département proposent de remettre le test aux assurés qui le souhaitent. « On leur en parle, on connaît bien notre patientèle, souligne le Dr Benjamin Queyrel, qui tient une officine à Gap. Le test est disponible presque partout. Chez les médecins, les pharmaciens donc, et certains infirmiers peuvent le remettre. Je vois de plus en plus de gens le demander à la pharmacie. »

Plein de mauvaises raisons de ne pas faire le test
Il y a quand même des trous dans la raquette. « Souvent les professionnels de santé ne pensent pas à en parler à leurs patients, ou alors ils ne disposent pas de test à remettre et parfois même ces tests sont périmés, concède le Dr Nicolas Gayraud, généraliste à la Bâtie Neuve. Et parfois c’est le patient qui nous dit que ça ne le concerne pas, qu’il ne se sent pas prêt, qu’il ne se sent pas malade. Ou alors il est gêné, trouve que c’est sale de faire le test. Et d’autres préfèrent ne pas faire le test car ils ont peur qu’on leur trouve un cancer ! Pour ma part, je me suis mis une alerte sur mon logiciel afin de rappeler à mes patients de faire le test tous les deux ans. »

Les infirmiers montent au front
Ah ça oui, on part donc de très loin ! Une expérimentation est conduite dans ce département via la CPTS. Infirmière libérale, Murielle Poletti la détaille : « 40 infirmiers volontaires vont bénéficier d’une formation pour inciter leurs patients à faire ce test, dans le but d’augmenter la participation au dépistage. L’expérimentation débutera en avril, l’objectif est de 1 000 tests par an. » Question d’un auditeur : « Ce test est possible jusqu’à 74 ans, et après ? » Ensuite, c’est à l’appréciation du médecin de le recommander en fonction de l’état de santé du patient. « On passe du dépistage organisé au dépistage ciblé individuel, mais non, on ne laisse pas tomber les gens » promet le Dr Gayraud.
Dédramatiser la colo…

Céline Ray et Thomas Faget, infirmiers diplômés d’Etat en endoscopie à l’hôpital, ont détaillé le process mis en place pour faciliter la prise de rendez-vous grâce à une cellule de programmation et la préparation des patients à la coloscopie notamment. « Il faut dédramatiser cet examen« , plaide Mme Ray, qui envoie des recettes pour manger avec peu de résidus 3 jours avant l’examen. Autre objectif qui fait l’objet d’un projet sur Gap, c’est notamment de permettre une prise en charge rapide, dans un délai d’un mois, pour les patients qui ont un test positif.

Vive les lentilles !
L’exposé de la diététicienne, Manon Hareaut, était très attendu. Car on sait que l’on peut prévenir 40% des cancers grâce à des changements dans notre mode de vie. Et particulièrement en modifiant notre alimentation. Rappel de base : les viandes rouges (boeuf, veau, porc, mouton, abats…) c’est maximum 500 grammes par semaine et la charcuterie 150 grammes. « Les légumes secs sont les grands oubliés de nos assiettes, il faut réhabiliter les lentilles, pois chiches, haricots secs, au moins deux fois par semaine. Et pas nécessaire de les faire tremper avant. Ils existent en conserve et en surgelés, c’est très bien aussi ! » L’important, c’est quand même le fait-maison : « Il permet un meilleur contrôle des aliments et il offre une meilleure qualité nutritionnelle et gustative. »

Le surpoids provoque 14% des cancers du côlon
Enfin, gare au sucre qui se niche partout. Les recommandations, c’est 25 à 50 grammes de sucre libre par jour, en gros 8 à 10 morceaux de sucre. Or une crème dessert c’est l’équivalent de 4 morceaux, 2 biscuits c’est 2 morceaux et une canette de soda 7 morceaux. Mollo sur le beurre, la margarine et le gras des produits industriels. Les Français deviennent trop gros : 32% des adultes sont en surpoids et 17% sont obèses. « La surcharge pondérale est responsable de 14% des cancers du côlon et de 7% des cancers du rectum« , insiste Mme Hareaut.
L’activité physique réduit le risque de cancer

Gautier Zoumai, enseignant en activité physique adapté au Centre médical de la Durance, a invité tout le monde à se bouger, minimum 30 mn par jour de manière un peu intensive. « Et il faut aussi du renforcement musculaire. Après 65 ans, on ajoute des exercices d’équilibre et de force d’intensité modérée à soutenue. » Bref, il faut le faire travailler ce corps, et à tout âge ! D’ailleurs il a fait se lever tout le monde dans l’amphi pour marcher sur place et ainsi alerter sur le danger de la position assise prolongée. « L’activité physique réduit le risque de cancer de 17% ainsi que le risque de récidive. »

Le nouveau directeur du Centre hospitalier intercommunal des Alpes du Sud, Nicolas Razoux, n’avait plus qu’à conclure l’exercice en se félicitant de cette soirée de sensibilisation du public. Y a plus qu’à : marcher et courir, manger moins et mieux, et bien sûr faire le test de dépistage du cancer colorectal après 50 ans…
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