Cancer : arrêtons de tourner autour du pot, agissons !

Le cancer colorectal tue 17 500 Français par an dont 1 320 dans notre région où sont dépistés 3 600 nouveaux cas par an. Comment changer la donne et y échapper ? Grâce à l'alimentation, à l'activité physique et au dépistage notamment. A l'initiative de MProvence, les experts ont planché devant le public mardi soir à Marseille et délivré les conseils pour éviter ce cancer et sinon l'affronter.

Santé

Lorsque le docteur Yves Rinaldi s’est approché du micro hier soir dans l’amphi d’Aix Marseille Université au Pharo, à l’occasion de la conférence publique proposée par notre média, on savait qu’il allait secouer le cocotier de nos habitudes coupables. Ce gastroentérologue de l’Hôpital Européen de Marseille n’est pas qu’un excellent praticien. C’est également un militant qui s’est fixé pour mission de faire reculer le nombre de cas de cancers du côlon et du rectum. Et pour y arriver, il faut arrêter de tourner autour du pot (sans mauvais jeu de mots !). Ce cancer tue à grands coups de faux dans notre pays (17 500 personnes chaque année) et ce toubib sait qu’on aurait les moyens de pulvériser cette maladie si on voulait bien s’y mettre vraiment.

1 verre ça va, 3 verres bonjour le cancer !

« 50% des cancers colorectaux sont attribuables à notre mode de vie. Il y a des facteurs sur lesquels on peut avoir un impact fort. C’est le cas avec ce que nous mangeons. » Et de citer : 1- l’alcool qui augmente de 20% le risque de cancer du côlon, « plus on boit, plus on risque« . « On peut boire 1 verre de vin par repas – mais pas un verre de whisky, hein ! Soit 2 verres maximum quotidiens. Et pas tous les jours. Il faut garder deux jours consécutifs sans boire une goutte d’alcool. Je ne préconise pas le zéro alcool car on sait que ça ne marche pas, la population n’adhère pas à ces recommandations radicales. » Pour le tabac, c’est le même niveau de risque : +20%. Là, il vaut mieux carrément stopper la clope.

Dr Yves RINALDI, oncologue digestif, hôpital Européen, Marseille
Dr Yves RINALDI, oncologue digestif, hôpital Européen, Marseille

2- L’alimentation ultra transformée augmente de 10% l’ensemble des risques de cancers (pas que le colorectal). Dans le viseur également de Doc Rinaldi, la viande rouge et la charcuterie que nous consommons trop en France. « 500 grammes de viande rouge et 150 grammes de charcuterie par semaine, c’est le maximum recommandé. Leur surconsommation est responsable de 5 600 cas de cancer par an en France, dont 75% sont dus à la charcuterie. Remplacez cela par de la volaille, des oeufs, du poisson ! » 3- Le sucre est l’ami du cancer. Sodas, jus de fruits : « C’est moins d’un verre de boisson sucrée par jour« .

400 grammes de fruits et légumes par jour

Au registre des préconisations, le médecin détaille : 1- « Ayez une alimentation riche en fibres. 5 fruits et légumes par jour, ça marche pour prévenir le cancer colorectal ! Cela diminue de 50% le risque. On a besoin de 30 grammes de fibres par jour, en moyenne on est à 20 grammes. Pour 30g, il faut consommer 400 grammes de fruits et légumes. » La carence en fibres occasionnerait 6 800 cas de cancer colorectal par an en France.

Au fait, le bio, c’est forcément mieux ? Peut-être. Mais c’est très cher. Et les études scientifiques sont insuffisantes à ce jour pour prouver sa supériorité pour notre santé sur l’agriculture conventionnelle, même si on pressent bien que le recours massif aux pesticides est délétère. Mais à quelle dose dans nos assiettes ? Le Dr Rinaldi confesse manger aussi des fruits et légumes non bio.

Recommandation alimentaires pour eviter le cancer colorectal

Le lait protège du cancer colorectal

2- Le lait est protecteur contre le cancer du côlon grâce à son apport en calcium. Le Dr Rinaldi regrette les polémiques qui ont jeté un voile de méfiance sur les produits laitiers (tellement utiles par ailleurs pour la santé osseuse). « Il faut consommer 2 à 3 produits laitiers par jour, yaourts, fromage. » La carence en produits laitiers provoquerait 850 cas de cancer colorectal par an. 3- Ne lésinez pas sur les légumes secs, le pain complet ou aux céréales, les fruits à coque non salés comme les amandes, et les huiles de colza, olive et noix.

Il n’existe pas un aliment anti cancer !

Mais le médecin prévient : il n’existe pas d’aliment anti cancer. C’est la diversité qui engendre un cocktail bénéfique de notre estomac jusqu’à l’anus en passant par l’intestin ! « Ces habitudes alimentaires doivent se prendre dès l’enfance. C’est pourquoi nous devons réintroduire chez nos enfants la notion de bien manger, les emmener faire les courses avec nous pour leur expliquer les aliments et cuisiner ensemble. On peut s’appuyer sur le Nutriscore qui figure sur les emballages et on doit favoriser le fait-maison. »

Le cancer se nourrit du surpoids

Décidément très en forme, le Dr Rinaldi a prévenu sur « l’épidémie d’obésité qui arrive« . « Dès qu’on présente un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 22, on augmenterait son risque de cancer colorectal. » C’est pas épais un IMC à 22… Avec un IMC de 25 à 30, c’est de +26% à +32%. Et avec un IMC à 30, c’est +41%. Par exemple, c’est le cas pour un homme mesurant 1,70 m et pesant plus de 86 kg et pour une femme de 1,65m pesant plus de 81 kg.

En France, beaucoup de monde est concerné par cette menace qui favorise d’ailleurs bien d’autres cancers ainsi que les maladies cardiovasculaires. Selon une enquête de l’INSERM de 2023, 43% des adultes sont en surpoids (IMC supérieur à 25) et 17% en obésité. On comprend mieux pourquoi le cancer colorectal continue à flamber, même si le surpoids n’est pas la seule cause, loin de là. Mais c’est une cause sur laquelle on peut agir.

Activité physique : l’autre arme anti cancer

Autre volet sur lequel chacun peut être acteur de sa santé, l’activité physique. La Dr Emmanuelle Norguet, gastroentérologue et hépatologue à la Timone (APHM), l’a répété : « Le risque de développer un cancer colorectal diminue avec une pratique régulière. C’est le seul traitement qui marche partout. On réduit de 20-25% le risque de développer un cancer colorectal avec 30 minutes d’activité physique quotidienne un peu intense, c’est-à-dire en étant un peu essoufflé (marche rapide par exemple). Et c’est encore plus vrai pour réduire le risque de mortalité après avoir été opéré d’un cancer du côlon. Mais c’est comme le brossage de dents, il faut le faire tous les jours. » Précision sur l’activité physique : c’est tout ce qui fait bouger nos muscles, y compris lors de certaines activités professionnelles et le ménage (comme passer la serpillière et laver les vitres, en revanche ça ne marche pas pour le jardinage « sauf si on passe la tondeuse en montant une pente !« ).

Dr Emmanuelle NORGUET, gastro-entérologue et hépatologue, CHU Timone, Marseille
Dr Emmanuelle NORGUET, gastro-entérologue et hépatologue, CHU Timone, Marseille

A noter que pour les personnes touchées par un cancer, l’activité physique est paradoxalement « un très bon remède contre la fatigue induite par les traitements« .

Rendre le test de dépistage obligatoire ?

Au registre des questions qui dérangent, celle provoquée par l’exposé de la Pr Laetitia Dahan : faut-il obliger les assurés sociaux à faire un test de dépistage s’ils veulent être pris en charge en cas de cancer colorectal ? Comme l’a rappelé la cheffe du service d’hépato-gastroentérologie et oncologie digestive à la Timone, c’est ce qu’il se passe en Californie où une major de l’assurance santé a contraint ses adhérents à faire le FIT sous peine de ne pas rembourser les soins extrêmement onéreux en cas de cancer déclaré. Du coup, le taux d’adhésion a littéralement explosé, à près de 85%, et le nombre de cancer a… littéralement chuté ! CQFD.

Pr Laetitia DAHAN, cheffe du service d'hépato-gastro-entérologie et oncologie digestive, CHU Timone, Marseille
Pr Laetitia DAHAN, cheffe du service d’hépato-gastro-entérologie et oncologie digestive, CHU Timone, Marseille

Question de votre serviteur : pensez-vous qu’on devrait en arriver là pour sauver des vies en France ? Mme Dahan ne le pense pas, évoquant le caractère rétif des Français à toute mesure obligatoire. Elle préfère une adhésion personnelle. Il n’empêche, ça fait sacrément réfléchir. Car aujourd’hui le taux de participation au test FIT entre 50 et 74 ans culmine à 34,2% en France. 2 assurés sociaux sur 3 ne le font pas malgré la lettre d’invitation de l’Assurance Maladie et la simplicité enfantine à le réaliser : tremper un bâtonnet dans ses selles grâce au kit reçu à domicile ou retiré dans sa pharmacie, puis le poster dans l’enveloppe prétimbrée fournie à cet effet.

Maryse, 68 ans : « Je n’ai pas fait le test, j’ai développé un cancer »

Présente dans l’assistance, Maryse, 68 ans (photo ci-dessous avec le Pr Seitz) a expliqué avoir négligé ce test alors qu’elle observait par ailleurs scrupuleusement le dépistage du cancer du sein. Début 2024, après avoir beaucoup maigri et ressenti une fatigue intense, elle s’alarme et consulte. Le diagnostic tombe le 30 janvier : cancer colorectal. Elle sera prise en charge à la Timone et aujourd’hui elle va bien mais reste sous surveillance. « Je n’avais pas de problèmes digestifs, ni de transit. Je ne voyais pas l’utilité de faire ce test. J’avais tort. Je veux dire aux gens : ne soyez pas spectateurs de votre santé ! »

Le professeur Jean-François Seitz, gastro-entérologue et cheville ouvrière de cette campagne de prévention Mars Bleu dans notre région, prévient : « On pense à tort que c’est un cancer masculin. Or il y a quasiment autant de femmes que d’hommes qui sont atteints. » Les médecins sont également confrontés à pas mal de cas inexpliqués, comme celui de cette autre auditrice présente hier au Pharo, une jeune maman âgé de 30 ans et atteinte d’un cancer au stade 4, donc grave.

Jean-Louis : sauvé par le test réalisé à 53 ans

Le Pr  Seitz insiste pour que les 50 – 75 ans renouvellent le test tous les 2 ans. Un polype met dix ans à se transformer en cancer. « Si tout le monde s’y mettait, on sauverait 10 000 vies par an en France et on éviterait 20 à 25 000 nouveaux cas de cancer colorectal chaque année encore. »

Un qui se félicite d’avoir fait ce test, c’est bien Jean-Louis, autre témoin de notre conférence. « J’ai reçu l’invitation de la Sécu, j’ai fait le test à la maison et on m’a trouvé un cancer du rectum. » Il a pu bénéficier d’un traitement conservateur du rectum comprenant une chimiothérapie, ce qui lui a évité d’avoir une poche, et donc de continuer à mener une vie normale. « Il est en rémission, même si on continue la surveillance« , se réjouit le Dr Rinaldi qui assure son suivi.

Du sang, un test positif : une colo dans les 3 mois s’impose

Le test décèle les traces de sang microscopiques et invisibles à l’oeil nu dans nos excréments. Il revient positif dans 4% des cas (donc on est rassuré dans 96% des cas !), ce qui oriente automatiquement vers la coloscopie sous anesthésie générale à l’hôpital pour retirer d’éventuels polypes avant qu’ils ne se transforment en cancer. Et… on n’en parle plus ! Le problème est réglé. Difficile d’obtenir un rendez-vous avant 6 mois quand vous appelez l’hôpital ou passez par Doctolib ? Sauf si vous dites à la secrétaire du médecin que vous avez un test positif (ou du sang dans vos selles) : vous aurez un rendez-vous assez rapidement. Ou alors fuyez cet hôpital qui ne fait pas son boulot sérieusement !

L’IA aide à repérer des cancers quasi invisibles à l’oeil

Pr Philippe GRANDVAL, chef du service d'endoscopie digestive et de gastro-entérologie, CHU Timone, Marseille
Pr Philippe GRANDVAL, chef du service d’endoscopie digestive et de gastro-entérologie, CHU Timone, Marseille

La coloscopie, c’est la partie du Pr Philippe Grandval, chef du service d’endoscopie digestive et de gastro-entérologie à la Timone. « Dans 50 à 60% des cas suivant un test positif, on trouve des lésions – des polypes – qu’il faut enlever. » Il raconte que les évolutions technologiques et particulièrement l’intelligence artificielle permettent à l’opérateur de repérer des polypes qui auraient pu lui échapper et se transformer en cancer avant le prochain contrôle. « L’IA nous permet aussi d’analyser plus finement la lésion, de mieux caractériser le polype et ainsi elle aide à la décision de le retirer ou de laisser faire le chirurgien si c’est nécessaire. L’IA va encore fortement progresser, elle bouscule nos pratiques. Certes, il y a des coûts importants mais ce sera profitable à tous. »

La chirurgie pour « guérir » les patients

Le Dr Xavier Hanna, chirurgien à l’Hôpital Saint Joseph, a justement expliqué la façon d’opérer. « On n’enlève pas que la tumeur mais on élargit jusqu’au curage des ganglions attenant à la tumeur, voire à d’autres organes périphériques. » Il convient en effet de retirer tous les foyers cancéreux quand c’est encore possible. « On arrive à guérir les patients« , se félicite-t-il. Toutefois, certaines chirurgies peuvent être délabrantes et générer des troubles du transit ou sexuels permanents, ou encore la pause d’une stomie – une poche fixée sur le ventre qui recueille les selles, une fois la partie malade de l’intestin retirée. « La qualité de vie est déterminante une fois l’intervention réalisée, c’est pourquoi nous devons choisir le projet chirurgical avec le patient. »

Dr Xavier HANNA, chirurgien viscéral et digestif, hôpital Saint-Joseph, Marseille
Dr Xavier HANNA, chirurgien viscéral et digestif, hôpital Saint-Joseph, Marseille

L’ère de la médecine personnalisée

A l’Institut Paoli-Calmettes, le Pr Emmanuel Mitry s’occupe des formes avancées de stade 4, qui ne sont pas accessibles à un traitement localisé. « Nous sommes vraiment entrés dans l’ère de la médecine personnalisée sur les caractéristiques tumorales, avec des progrès importants en termes de survie. » En 2025, le taux de survie à 5 ans après la découverte du cancer colorectal atteint 65%.

Mais on revient à la question initiale : comment convaincre la majorité des Français de plus de 50 ans de faire le test ? Eh bien l’entrée en lice depuis deux ans des pharmaciens est une opportunité supplémentaire. Pas encore décisive, mais ça va dans le bon sens. On a tous une officine près de chez soi pour se procurer la fameuse enveloppe plastifiée bleue ! La Dr Felicia Ferrera, présidente de l’URPS-Pharmaciens en PACA, a conseillé à ses collègues de mettre carrément les kits derrière le comptoir, bien en vue. « On voudrait faire de PACA le meilleur élève de France ! » Il y a du boulot. Avec un taux de 32,7% de participation, on part de loin…

Pr Emmanuel MITRY, gastro-entérologue et hépatologue, Institut Paoli-Calmettes
Pr Emmanuel MITRY, gastro-entérologue et hépatologue, Institut Paoli-Calmettes

Dépister les populations éloignées des soins

Une autre éclaircie est venue d’Olivier Reilhes, directeur de la santé publique et environnement à l’Agence Régionale de Santé. « On espère que la prise en charge de l’APA – l’activité physique adaptée – par l’Assurance Maladie sera effective en 2025 dans les situations de cancer. » Bref, du sport sur ordonnance pour améliorer le combat contre la maladie. Le programme expérimental baptisé « As du Coeur » et portant sur les maladies chroniques a non seulement montré un bénéfice évident pour les patients (466 étaient inclus dans l’essai), mais aussi une économie financière très importante pour l’Assurance Maladie.

M. Reilhes insiste pour que le dépistage du cancer colorectal soit promu auprès des populations les plus éloignées des systèmes de soins, comme dans les quartiers Nord de Marseille. « On a touché 15 000 personnes et on a un projet pilote sur Avignon. Et bien sûr, nous devons parler de la prévention primaire : bien manger, faire de l’activité physique, ne pas fumer… » Une conviction partagée par le président d’Aix Marseille Université. Le professeur Eric Berton avait souligné, en ouverture de cette conférence, qu’on a tous le pouvoir de  « changer les choses à notre niveau » et que l’université la plus grande de France soutiendra toutes les initiatives allant dans ce sens.

Prochaines conférences MProvence sur le cancer colorectal à Gap, Toulon, Avignon et Nice

Gap, mercredi 12 mars à 18h, Pôle universitaire, 2 rue Bayard.

Toulon, jeudi 13 mars à 17h30, salle Franck Arnal, rue Vincent Scotto.

Avignon, mardi 18 mars à 18h, campus de la Chambre de Commerce, allée des Fenaisons.

Nice, mardi 25 mars à 18h, salle Le Stockfish, Maison de l’Etudiant, 5 avenue François-Mitterrand.

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