Il en a fallu du courage hier soir à Georges Dubrez pour venir raconter à Marseille devant plus de 100 inconnus réunis dans un amphithéâtre de l’université d’Aix-Marseille l’épreuve de son cancer de la prostate, l’ablation totale de l’organe malade il y a dix ans, les conséquences radicales sur la sexualité notamment et la reconstruction. Et toujours cette peur que la maladie ressurgisse et l’emporte.
A notre demande, cet adhérent de l’association ANAMACaP qui aide les patients à affronter leur cancer a pris la parole le premier devant un auditoire largement masculin -sujet oblige ! – et une dizaine de médecins parmi les plus réputés. On entendait les mouches voler.

Le tabou du toucher rectal et de ce cancer
En 2025 encore, évoquer le spectre de ce cancer reste tabou pour nombre de Messieurs. La prostate, cette petite glande reproductrice située sous la vessie, c’est comme les testicules dans l’imaginaire masculin. Un symbole de virilité, de puissance, de reproduction. Et puis, surtout, sa surveillance nécessite que l’urologue la palpe pour savoir si elle n’a pas une induration, une tumeur, et pour ça il doit introduire un doigt dans l’anus. A Marseille, et bien au-delà, les bravaches fanfaronnent : « Il n’est pas né celui qui me mettra un doigt dans le cul ! » Cette « culture » machiste provoque ainsi des morts qui auraient pourtant été évitables.
Georges a surmonté tout ceci, bien obligé direz-vous quand son analyse de sang a montré un taux de PSA anormalement élevé. Pour cet ancien cadre administratif d’une collectivité locale, le plus dur n’a pas été l’intervention chirurgicale. « Le plus difficile dans ce cancer, c’est tout ce qui n’est pas médical. » Une atteinte à l’estime de soi bien sûr, une image de virilité gommée, l’isolement qu’induit la maladie, tout ceci il a dû le gérer.

« Ma chance, c’est mon épouse »
« Ma chance, c’est mon épouse. On se rend compte alors qu’on n’est pas qu’un homo erectus. J’ai aussi eu la chance d’avoir un coach sportif pour reprendre pied, et je rencontre toujours un psychologue. Je considère que je n’ai pas vaincu mon cancer mais j’apprends à apprivoiser ma peur et l’appréhension d’une récidive. »
Songeant sans doute à cette épée de Damoclès qu’il voit suspendue au-dessus de sa tête, subitement Georges se tait, étreint par l’émotion. Dans l’assistance, on a tous envie de le soutenir et de l’applaudir. Il s’excuse. Avant de reprendre : « Je vais vous dire mon secret : je développe ma vie intérieure. Je vis l’instant présent. Je vois le bien en chacun. » Et il a même un deuxième secret face à la maladie : « Ne pas rester seul. »
D’où son engagement associatif. Ce témoignage, chaleureusement applaudi par l’auditoire, a impressionné jusqu’aux médecins présents dans la salle de conférence du Pharo. « Ne stressez pas ! lui a lancé avec beaucoup d’empathie le docteur Thomas Maubon, urologue à l’Institut Paoli-Calmettes. Si votre maladie revient, nous saurons vous traiter. »

Traitement = séquelles sexuelles
Au sujet de l’impact des traitements sur la sexualité, le Dr Maubon estime qu’il faut en effet dire les choses clairement aux patients atteints de ce cancer qui est le plus fréquent chez l’homme. On dénombre 60 000 nouveaux cas par an en France, à un âge médian de 69 ans. Mais il survient parfois dès 50 ans et a tué 9 220 hommes en 2023 (derniers chiffres disponibles, source Institut national du cancer). « Aucun traitement ne vous épargnera des séquelles sur le plan sexuel, ni des séquelles psycho-affectives. On doit vous le dire sinon on n’est pas sincère. Si un urologue vous dit que vous n’aurez pas de séquelles, partez en courant ! »
En cause, l’impact de la chirurgie ou des rayons sur les nerfs érecteurs qui longent la prostate. Leur préservation est souvent difficile quand le cancer a bien colonisé la glande. « Avec la chirurgie, les conséquences sont immédiates. Il y a une disparition de l’éjaculation, des troubles de l’érection fréquents, une réduction de la taille du pénis fréquente elle aussi, parfois des troubles de l’orgasme. » Quant à l’hormonothérapie, si elle est très efficace, elle flingue carrément la libido durant le traitement et les érections sont altérées, mais cela est réversible.
Tous des bêtes de sexe ?
« L’important est qu’on soigne très bien ce cancer, souligne le chirurgien. Les gens dépistés tôt et traités si besoin ne mourront pas de ce cancer. » Les chiffres en attestent : 5 ans après l’apparition de leur maladie, 93% des patients sont en vie. « C’est pourquoi on doit aussi s’attacher à leur qualité de vie« , insiste le Dr Maubon. Et pour cela, il appelle les hommes à être… honnêtes. « Soyez honnêtes avec nous quand on vous questionne sur votre sexualité avant de vous soigner. Si on écoute beaucoup d’entre vous, vous êtes des bêtes de sexe, des bonobos ! »
Pour envisager tel ou tel traitement, et préparer le malade à envisager la suite, l’urologue a en effet besoin de savoir si la sexualité est déjà plus ou moins défaillante, si c’est un aspect fondamental de sa vie affective ou si c’est une donnée peu importante. Le Dr Maubon incite d’ailleurs les patients à venir le rencontrer avec leur conjoint. On en revient au secret de Georges : ne pas rester seul…
L’espoir, ce sont les solutions médicamenteuses (Viagra, Cialis…) que ce médecin prescrit systématiquement après un traitement, la rééducation, les piqûres dans la verge juste avant un rapport et ça fonctionne très bien – des piqûres qui ne seraient pas douloureuses, foi de toubib ! Et ça peut aller jusqu’aux implants péniens. Tout ceci, l’urologue doit vous l’expliquer.
Les fuites urinaires, l’autre angoisse
L’autre angoisse des patients, ce sont les fuites urinaires post-traitement. C’est justement la spécialité du professeur Gilles Karsenty, chef du service d’urologie à l’Hôpital de La Conception (APHM). « Il est tout à fait possible de traiter le cancer en préservant ou en restaurant la continence et l’érection. » Selon lui, la chirurgie robotique peut y contribuer un peu mieux que la chirurgie conventionnelle grâce à la précision du geste qu’elle permet. Mais comme le rappellera le professeur Romain Boissier, il faut surtout s’adresser à un chirurgien qui opère beaucoup de cancers de prostate (en gros, un chirurgien peu rompu à l’usage du robot fera du moins bon boulot qu’un confrère qui excelle en chirurgie ouverte).
« S’il y a des séquelles avec des fuites, car la situation ne permet pas toujours de préserver les bandelettes musculo-nerveuses, on dispose d’un vaste arsenal thérapeutique« , assure le Pr Karsenty. Dans la majorité des cas, l’incontinence urinaire rentre dans l’ordre dans les mois suivants l’intervention.

Le diagnostic précoce diminue la mortalité de 13%
Mais revenons à la base, qui justifie cette campagne de sensibilisation aux cancers masculins, que les sociétés savantes et les hôpitaux promeuvent désormais durant tout le mois de novembre. Comme pour le cancer du sein pour les femmes en octobre, elle vise particulièrement à inciter les hommes à faire un diagnostic du cancer de prostate à partir de 50 ans – ou 45 ans en cas d’antécédents familiaux ou d’origine afro-antillaise – comme l’a rappelé le Pr Boissier, qui office à l’hôpital de La Conception. Car ce cancer est silencieux. Quand il se manifeste par des douleurs ou des pertes de sang, c’est qu’il est déjà bien avancé et agressif.
Faut-il vraiment se faire doser le taux de PSA par une prise de sang et demander à son médecin de procéder à un toucher rectal (ces deux examens étant complémentaires) ? Citant une étude européenne qui a impliqué 162 000 hommes – dont 72 888 ont été ainsi dépistés – le Pr Boissier répond par l’affirmative. « Le diagnostic précoce diminue la mortalité de 13% ».

C’est le videur de la boîte de nuit qui décide
Prenant le relais, le docteur Michaël Baboudjian a présenté le parcours qui attend le patient chez lequel on suspecte un cancer. Car à ce stade on n’est certain de rien. Il doit passer une IRM. « L’IRM, c’est comme le videur en boîte de nuit. Il décide si tu entres ou si tu sors« , explique l’urologue de l’Hôpital Nord (APHM). Cette imagerie est donc le juge de paix. Si elle montre une anomalie sur la prostate, on passe à la dernière étape qui confirmera ou pas la présence d’un cancer, et sa gravité : la biopsie.
Il s’agit alors, sous anesthésie locale, d’aller prélever des « carottes » dans votre prostate en espérant taper dans la tumeur. Le Dr Baboudjian insiste cependant sur un point qui préoccupe fortement les hommes : un taux de PSA supérieur à 4 nanogrammes par millilitre de sang (c’est le chiffre qui « clignote » sur votre analyse de sang) ne signifie pas automatiquement cancer de prostate. « Quand on a une hypertrophie bégnine de prostate (NDLR : qui n’a rien à voir avec un cancer), le taux de PSA fait le yoyo, il monte au-delà de 4, puis descend, puis remonte… Ce qui doit interroger, c’est le taux qui monte d’année en année, de 4 à 6, puis 8, puis 10… » D’où l’importance de faire doser son PSA une fois par an (et un toucher rectal tous les deux ans suffit selon le chirurgien).

Un taux de PSA parfois trompeur
A noter que si vous avez une prostatite, ce taux va monter à cause de l’infection puis redescendra une fois celle-ci traitée. Si vous avez fait du vélo la veille de la prise de sang, le taux peut être plus élevé en raison de la proximité de la selle avec la prostate. Mais faire du vélo ne déclenche pas de cancer ! D’ailleurs le taux redescend. « Un cancer a un risque d’être métastatique à partir de 20 de PSA, indique le médecin. Mais certains ont 20 et pas de cancer. C’est le résultat de l’IRM qui est important« .
Et arrive l’instant tant attendu qui prend le visage de l’urologue Géraldine Pignot : celui où l’on parle de la surveillance active. L’IRM a détecté un cancer confirmé par la biopsie, mais il est localisé à la prostate seule, petit, jugé indolent et de faible grade d’agressivité (score de Gleason 6 ou ISUP 1). S’il y a dix ou quinze ans on faisait systématiquement sauter ou on irradiait toute prostate contaminée – avec les effets secondaires que l’on sait -, c’est fini. « Aujourd’hui c’est le traitement personnalisé pour le bon patient au bon moment. »

99% de ces patients ne mourront pas de leur cancer
« Ces cancers n’ont pas de capacité métastatique à l’instant de l’observation, explique la chirurgienne de Paoli-Calmettes. 99% des patients diagnostiqués avec un cancer peu agressif ne mourront pas de ce cancer de prostate. 20 à 25% des cancers diagnostiqués sont très peu agressifs, donc on entame la surveillance active et on s’assure que le degré d’agressivité n’évolue pas. » La tumeur doit être de petite taille au toucher rectal, le PSA inférieur à 10 et l’IRM pas inquiétante. « On évite ainsi le surdiagnostic ».
La surveillance active suppose cependant de doser le PSA tous les 3 à 6 mois, de passer une IRM tous les 12 à 18 mois et une biopsie de réévaluation entre 6 mois à un an après le diagnostic puis tous les 3 ans. Si une augmentation de l’agressivité du cancer est détectée, un traitement est proposé.
55% des patients surveillés n’ont pas été traités
Une étude a montré qu’après 16 ans de suivi, 55% des patients restent en surveillance active, sans évolution de la maladie. « Les autres sont finalement traités mais on aura gagné, 3, 4 ou 5 années de qualité de vie, sans perte de chance en termes de survie. »
Le Pr Boissier a détaillé les interventions chirurgicales proposées quand le cancer demeure localisé à la prostate, jusqu’à son retrait qui s’accompagne de celui des vésicules séminales, supprimant la possibilité d’éjaculation et donc de reproduction. Il existe aussi un traitement moins invasif appelé Focal One ou HIFU, par ultrasons focalisés de haute intensité sur la zone touchée. Il s’agit d’un traitement toujours en cours d’évaluation destiné à des cancers peu avancés chez des patients soucieux de la continence et d’une sexualité active.
La radiothérapie, l’autre alternative
Le radiothérapeute Emmanuel Gross (Hôpital Clairval) a présenté les avantages de la radiothérapie, « qui peut intervenir au même niveau que la chirurgie sur des cancers localisés, avec parfois une hormonothérapie complémentaire ou en cas de récidive du cancer après chirurgie. » Les innovations technologiques ont permis de ramener les séances de rayons de 38 à 20, voire 5 dans certains cas. La radiothérapie a les mêmes effets secondaires que la chirurgie mais de façon décalée. Elle peut aussi générer des soucis digestifs.
Et les traitements médicamenteux alors du type chimiothérapie ? C’est le rayon du docteur Thomas Chevalier, oncologue médical à l’hôpital de la Timone et à celui de Martigues. « On observe des métastases chez 10 à 15% des patients, qui souvent touchent l’os, mais aussi les ganglions autour de la prostate, dans le ventre, le haut du thorax voire plus rarement les poumons ou le foie. Souvent les métastases surviennent après un premier traitement. »

L’hormonothérapie est privilégiée
Dans ce cas, le médecin peut s’orienter vers une chimio intraveineuse, une thérapie ciblée orale, de la médecine nucléaire ou une radiothérapie. Mais le gros traitement, c’est l’hormonothérapie. Elle permet de faire baisser le taux de testostérone qui est le carburant du cancer. « Le but du traitement n’est alors pas de guérir le patient mais de contrôler la maladie le plus longtemps possible tout en préservant la qualité de vie. »
Et demain ? « Les progrès sont rapides car des nouveaux traitement arrivent en permanence« , indique le Dr Chevalier.

Toujours plus de cancers de prostate
On le constate, le cancer de la prostate fait l’objet de nombreuses avancées thérapeutiques et les laboratoires travaillent d’arrache-pied à la mise au point de nouvelles molécules et d’équipements. Il faut dire que le marché est immense, le vieillissement de la population élargissant incessamment le cercle des malades, comme l’a rappelé la Dr Géraldine Pignot.
Mais finalement, peut-on prévenir ce cancer, l’éviter ? C’est la docteur Jennifer Campagna, urologue à l’Hôpital Nord, qui a conclu la séquence avec d’utiles conseils et la communication d’une étude britannique étonnante sur le sommeil.

40% des cancers évitables
On pourrait éviter 40% de tous les cancers « en agissant juste sur notre mode de vie. On peut avoir un impact en évitant que la cellule ne se transforme à cause de l’inflammation provoquée par l’obésité ou l’inactivité. Il s’agit par exemple d’avoir une activité physique régulière, 30 à 40 minutes de marche quotidiennes. Tout cela booste notre système immunitaire. »
Concernant le cancer de la prostate en cas de traitement, l’activité permet de lutter contre la maladie et diminue les effets secondaires des traitements (baisse de la fatigue, recul de la masse grasse, augmentation de la masse musculaire…). Après le cancer, il est établi que 3 heures de marche rapide par semaine sont associées à une diminution de 57% du risque de récidive.
Existe-t-il des aliments miracles ? Aucun affirme la médecin. « Mais on peut là encore agir en consommant des aliments riches en anti oxydants, en sélénium comme le blé et le riz complet, en vitamine E et A (fruits et légumes). »
Mauvais sommeil = risque de cancer accru
Et le sommeil alors ? « Une mauvaise qualité de sommeil provoquerait une augmentation du risque de cancer de prostate selon une récente étude anglaise. » Elle a inclus 34 000 hommes observés pendant 7 nuits. Les éveils prolongés après le début du sommeil – plus de 30 mn – généraient 15 à 20% supplémentaires de cancer de prostate. Un effet qui serait lié à l’interruption de sécrétion de la mélatonine, l’hormone qui régule le sommeil. Les troubles du sommeil pourraient donc constituer un facteur de risque important du cancer de la prostate.
Moralité : mangez équilibré, bougez tous les jours (la fatigue aide d’ailleurs à l’endormissement), et dormez bien. Peu importe selon l’étude les horaires et la durée de sommeil, si tant est qu’elle reste suffisante pour être reposé.
MProvence poursuit ses conférences d’information sur le cancer de la prostate, publiques et gratuites :
- Mercredi 12 novembre à 18h à l’Estérel Aréna de Saint Raphaël
- Lundi 24 novembre à 18h au Stockfish de Nice
- Mercredi 26 novembre à 18h à l’Institut du cancer Sainte Catherine à Avignon
- Jeudi 27 novembre à 18h au salon VIP du Palais des Sports de Toulon
- Renseignements : 06 33 78 35 79
Pour contacter l’association ANAMACaP (Association Nationale des Malades du Cancer de la Prostate): www.anamacap.fr / info@anamacap.fr et permanence téléphonique du lundi au jeudi de 9h à 13h et de 14h à 16h au 05 56 65 13 25 (numéro non surtaxé)


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