On connaît tous une personne frappée par un cancer du pancréas. On assiste à une très forte augmentation des cas puisqu’il est le 6e cancer le plus fréquent, avec 16 000 cas déclarés en 2023 en France et 12 700 décès, selon des chiffres qui remontent à 2021. Et c’est peut-être plus en 2025. Il est donc le 3e cancer le plus mortel, derrière le poumon et le côlon-rectum. Nous allons tenter de mieux comprendre les causes de ce cancer absolument redoutable et de faire le point sur sa prévention et sa prise en charge avec le docteur Sami Hamed, chirurgien digestif à l’hôpital Saint-Joseph à Marseille.
Rappelons d’abord les bases de notre sujet : qu’est-ce que le pancréas, à quoi sert il ?
Dr Sami Hamed : Le pancréas est une glande située dans la cavité abdominale qui sert à 2 choses. Globalement, il a une fonction exocrine, c’est-à-dire qu’il fabrique des enzymes qui servent notamment à la digestion. Et il fabrique également des hormones, c’est sa fonction endocrine. Et l’hormone la plus connue, c’est l’insuline. Donc ça sert à réguler le sucre dans le sang.
Donc c’est un organe absolument vital ?
C’est un organe très important, mais on peut vivre sans pancréas. A l’heure actuelle, il existe des médicaments qui permettent de substituer toutes ces fonctions. L’insuline existe. Les enzymes pancréatiques existent, donc on peut le supplémenter avec des médicaments. Ce n’est pas forcément très simple à gérer quand on n’a plus du tout de pancréas. Mais on arrive à vivre sans pancréas.
Obésité et diabète impliqués dans l’augmentation des cas
Sait-on pourquoi le cancer du pancréas ne cesse de progresser ? En connaît-on les causes ?
Il est très difficile de répondre à cette question parce qu’il y a plein de causes, elles ne sont pas toutes identifiées. Globalement on fait quand même aujourd’hui beaucoup, beaucoup d’examens d’imagerie, des scanners, des IRM pour X raisons. Et cela permet de dépister des cancers qui, jusque dans un passé récent, n’étaient pas diagnostiqués. Donc forcément on découvre plus de cancers fortuitement. L’autre cause, c’est que la population vieillit. Et donc il y a plus de patients qui peuvent présenter des cancers. C’est un cancer qui survient à un âge un peu avancé également.
Dans les autres facteurs, il y a le tabac, mais il est plutôt en recul dernièrement. Mais un des facteurs qui vraiment augmente, c’est l’obésité; et le diabète. Ce sont des facteurs qui peuvent vraiment augmenter le risque de cancer. Il y a plein d’autres facteurs comme des polluants, les facteurs génétiques. Mais ce sont surtout l’obésité et le diabète qui sont en constante augmentation.
Un cancer grave car silencieux
Pourquoi ce cancer est-il si grave ?
Malheureusement, ce cancer est souvent diagnostiqué à un stade avancé et quasi inopérable ou non traitable. En fait c’est un cancer qui donne très peu de symptômes au début. On sait qu’il y a seulement 15 à 20% des patients qui sont opérables. Donc à un stade inopérable, le risque de survie à plus d’un an est très faible. Les symptômes apparaissent à un stade où la tumeur devient suffisamment grosse pour toucher les nerfs ou comprimer les voies biliaires, donc à un stade avancé et malheureusement inopérable. Quand les symptômes arrivent, le cancer a souvent un peu dépassé.
Les femmes rattrapent les hommes
On va en reparler pour voir comment on peut le dépister, le détecter. Est-ce un cancer qui touche autant les hommes que les femmes ?
Jusqu’à présent, il y a un peu plus d’hommes touchés que de femmes. Mais on voit dans les tendances que les cas de cancer du pancréas augmentent un peu plus rapidement chez la femme que chez l’homme. Et globalement, ça devrait s’équilibrer prochainement.
Sait-on pourquoi ça augmente un peu plus chez les femmes ? Est-ce lié à à l’obésité dont on sait qu’elle est plus importante chez les femmes notamment. Est-ce lié à la progression du tabac ?
Il y a probablement moins de tabac, donc un peu moins de croissance chez l’homme, et plus d’obésité. Les facteurs sont difficiles à interpréter. Mais y a aussi le vieillissement de la population, plutôt chez les les femmes. Tout cela fait que ça devrait s’équilibrer.
Pourquoi de plus en plus de jeunes
L’âge médian du diagnostic est de 71 ans pour les hommes et de 74 ans pour les femmes, selon l’Institut national du cancer. Mais vous prenez également en charge des patients qui sont plus jeunes. Est-ce que ces patients ont un profil particulier ?
En effet la moyenne d’âge du cancer du pancréas est un peu au-delà des 70 ans, mais on voit régulièrement des patients jeunes. Ces patients ont un profil un peu différent. Souvent, ce sont des patients qui ont un antécédent familial de cancer, avec un terrain un peu génétique chez lesquels d’ailleurs on peut des fois faire un dépistage s’il y a plusieurs cas de cancer du pancréas dans la famille proche.
C’est vrai qu’il y a aussi l’augmentation importante de l’obésité et du diabète qui expose un peu plus les patients jeunes. Quelques mutations génétiques existent, elles ne sont pas toutes identifiées et d’ailleurs très souvent on ne les retrouve pas. Mais on a déjà ciblé quelques gènes.
L’espoir dans l’intelligence artificielle
A ce jour, on estime que le taux de survie à 5 ans – donc 5 ans après le diagnostic de ce cancer -, est de 11 à 13%. C’est-à-dire que 8 à 9 patients sur 10 seront décédés avant 5 ans. Voyez-vous des raisons d’espérer une amélioration ? On entend régulièrement des annonces comme celle d’un inhibiteur du gène qui stimule la croissance des cellules cancéreuses. On évoque aussi l’arrivée d’un vaccin. Faut-il y croire pour bientôt ?
Alors oui la recherche est très productive sur le domaine. Le point clé, c’est vraiment de dépister le plus tôt possible les patients parce que ce sont des patients qu’on va réussir à opérer. Ce sont eux qui vont avoir les meilleures chances de guérison. Donc pour cela, on va pouvoir s’aider de plein de choses. Notamment, on en parle beaucoup actuellement, c’est l’intelligence artificielle.
Il y a des choses qui sont faites là-dessus pour faire une analyse de tous les scanners qui sont faits en temps réel. On pourrait peut-être dépister des cas de cancer du pancréas de façon fortuite. Ce qui permettrait de les prendre en charge plus tôt.
Le vaccin : un projet contre le cancer du pancréas
Il y a également des tests sanguins qui sont en cours d’évaluation. Un peu comme le PSA pour dépister des cancers de la prostate. Il y a plein, plein d’études qui sont en cours pour analyser aussi les molécules pour la chimiothérapie, l’immunothérapie. Et donc vous parlez d’un vaccin. En effet, il y a une étude qui est en cours, qui a été faite pour l’instant sur peu de patients, donc qui nécessite un peu plus d’études scientifiques pour vraiment voir si c’est un réel bénéfice. Mais ça fait partie des projets.
Alors dans quel délai va-t-il y avoir une révolution ? On peut imaginer que ça va se faire dans quelques années. Ce n’est pas demain qu’il va y avoir une révolution sur le cancer du pancréas, mais en tout cas on prend le chemin pour vraiment trouver quelque chose de novateur et de révolutionnaire.
« Urgences Pancréas » : pour gagner des mois sur la maladie
On est à l’hôpital Saint-Joseph qui est l’un des grands hôpitaux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Quels sont vos moyens pour prendre en charge ce cancer ?
Le but est de dépister le plus tôt possible les patients. Donc c’est pour ça qu’on a mis en place une plateforme Urgence Pancréas. Le but est d’essayer de gagner du temps sur cette maladie qui évolue très rapidement. On a mis en place un système de diagnostic où on va raccourcir tous les examens qui, des fois, dans la vie réelle, prennent plusieurs semaines voire plusieurs mois.
On va essayer de condenser tous ces examens nécessaires en quelques jours, une semaine, pour avoir un diagnostic le plus précoce possible et enclencher le plan de traitement qui nécessitera de la chirurgie ou de la chimiothérapie. Le but, c’est de gagner des mois sur une maladie qui n’en laisse pas beaucoup.
Seule la chirurgie permet d’allonger vraiment l’espérance de vie
On dit notamment, comme pour le cancer du poumon, qu’on peut échapper à ce cancer s’il est encore opérable. Donc s’il est localisé, c’est bien ça ?
Oui. En effet, dans les études, la chirurgie est le seul traitement curatif. Les patients qu’on arrive à opérer vont avoir une médiane de survie de 4 ans et demi, c’est-à-dire qu’à 4 ans et demi (après le diagnostic), il y aura un patient sur 2 qui sera toujours vivant. Sans chirurgie, uniquement avec de la chimiothérapie, on sera à moins d’un an.
En fonction de la localisation de la tumeur, on peut en gros faire une opération qui va enlever soit la queue du pancréas, donc l’extrémité du côté gauche, soit la tête du pancréas du côté droit. Si malheureusement la tumeur n’est pas résécable, pas enlevable, on ne proposera que de la chimiothérapie. De temps en temps on peut proposer de la radiothérapie, dans des cas très précis.
Les avantages de la chimiothérapie
Quand vous avez opéré un patient, lui faut-il un traitement complémentaire ? Par chimiothérapie notamment ?
Oui, c’est quasi systématique pour l’adénocarcinome du pancréas, qui est la tumeur la plus fréquente. La chimiothérapie est quasi indispensable pour gagner encore de la survie, des mois de vie après le traitement. Alors des fois elle n’est pas possible pour X raisons, parce qu’elle serait peut-être trop délétère pour le patient ou que le patient n’est pas en état de la supporter à cause parfois de la chirurgie qui a été trop lourde. Elle reste recommandée en post-opératoire et même des fois, on la réalise en préopératoire pour pouvoir amener le patient à une opération parce qu’elle n’était pas faisable initialement.
Les cancers du pancréas, du côlon, du poumon en hausse chez les femmes
Des traitements pour vivre sans pancréas
Quand vous aurez retiré le pancréas, comment est-ce qu’on va vivre ?
Le pancréas n’est pas un organe vital. On arrive à vivre sans, mais ça impose quand même pas mal de conséquences. La plupart du temps, on n’enlève qu’une seule partie du pancréas, soit la tête, soit la queue du pancréas, et donc le pancréas restant suffit à assurer les fonctions de base. Cela peut entraîner quand même quelques petites séquelles fonctionnelles. Comme un diabète – que l’on peut traiter assez facilement avec des cachets ou de l’insuline – ou une insuffisance de digestion.
Il existe des traitements qui contiennent ces enzymes pour aider la digestion. Parfois on est obligé d’enlever la totalité du pancréas, alors ça impose un traitement à vie un peu plus lourd et le diabète est un peu plus difficile à gérer. Mais on arrive à vivre à peu près normalement sans pancréas et avec ces traitements notamment.
Comment savoir si j’ai ce cancer…
Comment savoir si je suis potentiellement atteint par ce cancer, alors que je n’ai aucun symptôme ? Est-ce que certains examens comme des prises de sang ou un scanner thoracique permettent de le détecter fortuitement ?
A l’heure actuelle, il n’y a pas de dépistage comme on peut le voir pour le cancer du sein ou le cancer du côlon. Donc on ne réalise des examens que s’il y a une l’apparition de symptômes, de douleurs, fatigue, etcetera. Des fois on dépiste fortuitement sur un scanner qui a été réalisé pour une autre raison. Par exemple un scanner des poumons et on voit un peu le pancréas, on voit qu’il y a une une boule et donc c’est là où on va investiguer.
Concernant les examens de dépistage du cancer, ça reste des examens d’imagerie classique comme le scanner abdominal ou l’IRM. On peut également s’aider de marqueurs tumoraux visibles dans la prise de sang, s’ils sont augmentés. C’est pas forcément fiable mais ça peut nous aider dans le diagnostic. Après, le diagnostic de certitude sera fait par une échoendoscopie, c’est-à-dire une endoscopie. On va aller réaliser une biopsie de la masse. Et l’analyse nous donnera le diagnostic définitif.
Si mon père ou ma mère a eu ce cancer…
Si un de mes parents a eu ce cancer, suis-je plus à risque de le développer ?
En effet un antécédent familial donne un risque supplémentaire de survenue d’un cas de cancer. Dans les recommandations, on attend l’apparition de deux cas de cancers. Mais à mon avis, déjà si un cas s’est manifesté, il faut en parler à son médecin généraliste. Pour peut-être proposer un dépistage et ça peut se discuter en réunion (multidisciplinaire, NDLR) pour déterminer la forme de dépistage. On peut même réaliser une analyse oncogénétique, c’est-à-dire la recherche de gènes. Alors encore une fois, tous les gènes n’ont pas été identifiés. Mais si on retrouve un gène spécifique, ça peut enclencher sur un dépistage précoce.
Vous allez inquiéter beaucoup de gens en disant ça vu le nombre de décès par cancer du pancréas qui ne cesse d’augmenter. Si j’ai un aïeul – mon père, ma mère – qui a eu ce cancer à plus de 80 ans, est-ce que je dois m’inquiéter ? Ou est-ce que c’est finalement une maladie de la vieillesse ?
Un cancer à l’âge de 80 ans n’est pas forcément lié à une hérédité particulière. Mais il faut faire une analyse de l’arbre généalogique et voir s’il y a eu d’autres cas. Si on dépiste par exemple deux cas, les recommandations sont assez claires, il faut entrer dans un dépistage. Si vous avez un parent qui a eu un cancer à 50 ans, ça change un peu les choses parce que là, on est plus sur une forme peut-être héréditaire.
Les symptômes qui alertent : fatigue, perte de poids, douleurs lombaires
Quels sont les symptômes qui peuvent faire penser à ce cancer ?
Il y a les symptômes « généraux », qui ne sont pas forcément liés au cancer du pancréas. Dans les symptômes de cancer, il y a la fatigue un peu inhabituelle, prolongée. La perte de poids est un facteur très fréquent et ça doit à chaque fois alerter. De façon inexpliquée, la perte d’appétit. Sur le cancer du pancréas, il y a quelques symptômes assez spécifiques.
Un des symptômes fréquents, ce sont des douleurs abdominales et lombaires. On a l’impression des fois d’avoir un lumbago. Des choses comme ça, ça peut alerter. Et également l’ictère. C’est-à-dire la jaunisse. C’est un des signes de cancer de la tête du pancréas. Il y a aussi l’apparition d’un diabète sans explication, sans taux d’obésité, qui doit quand même alerter. Ça doit faire systématiquement rechercher une tumeur du pancréas par une imagerie.
Conseils pour éviter ce cancer
Quelles sont les recommandations en matière d’hygiène de vie que vous pouvez donner, pour essayer d’éviter ce cancer ?
Il faut déjà supprimer tous les facteurs de risque. Le facteur de risque numéro un, c’est le tabac. Comme pour le cancer du poumon, quasiment comme pour tous les cancers. C’est un moyen d’action entre guillemets facile. Maintenant, il existe beaucoup d’aides pour arrêter le tabac. L’autre facteur qui a été retrouvé, c’est l’obésité. Il faut surveiller son poids, son surpoids et la correction de cela permettra peut-être d’éviter l’apparition d’un diabète et aussi de cette forme de cancer.
Dans l’hygiène de vie, le sport a aussi montré une diminution globale des cancers. Et même parmi les gens qui ont un cancer, ceux qui font du sport ont une meilleure survie, des meilleurs résultats oncologiques. Donc vraiment le sport a un effet bénéfique sur la prévention mais aussi sur le traitement d’un cancer.
Gare aux aliments ultra transformés
On va parler un peu d’alimentation. Faut-il éviter certains aliments ?
A l’heure actuelle, il n’y a aucune preuve scientifique qui a montré que tel ou tel aliment protège ou au contraire aggrave le cancer du pancréas. Globalement, tout le monde est un peu d’accord sur le fait que les produits ultra transformés ne sont pas forcément bénéfiques pour la santé, notamment les aliments très riches en graisses saturées. Ou en sucre. Pareillement la viande rouge a été évoquée, un peu moins pour le cancer du pancréas que pour le cancer du côlon. En gros, il faudrait avoir une alimentation relativement saine. C’est un peu du bon sens, mais il n’y a pas vraiment d’aliment qui a été mis en cause scientifiquement parlant.
Légumes verts et fruits rouges : merci la vitamine B9 !
A contrario, est-ce qu’il y a des aliments qui permettent de prévenir son apparition, que vous recommandez particulièrement ?
Pareil, la science est pauvre là-dessus. Il y a quelques études qui ont montré qu’une alimentation riche en folates, c’est-à-dire en légumes verts, haricots verts, etcetera, et en fruits rouges serait peut-être bénéfique. Les études montent un peu en puissance pour dire que vraiment il faudrait supplémenter l’alimentation en folates, c’est la vitamine B 9. Il faut une alimentation relativement équilibrée, riche en en légumes, pauvre en sucres et en graisses saturées.
Donc on privilégie les légumes verts, les haricots verts, les brocolis, la salade… et les fruits rouges. On va arriver en été et c’est une bonne occasion….
En effet, il faut en profiter. Et ce n’est pas spécifique au pancréas. C’est aussi pour le cancer du côlon que l’on connaît bien maintenant, qu’on a bien étudié. Donc ce sera bénéfique dans la prise en charge de toutes les pathologies oncologiques, mais aussi cardiovasculaires, etcetera.
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