Le cancer du sein reste le cancer le plus fréquent chez la femme avec plus de 60 000 nouveaux cas par an en France. C’est aussi la première cause de mortalité par cancer chez la femme avec plus de 12 000 décès annuels. Le dépistage est très efficace et les traitements sont de plus en plus performants. Mais ce cancer frappe quand même 1 femme sur 8 et ce n’est pas prêt de baisser.
Pour comprendre ce qu’il se passe en 2025 et dans les prochaines années, la professeur Emmanuelle Charafe répond à nos interrogations. Chercheur au Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille (CRCM), elle est spécialisée en cancer du sein à l’Institut Paoli-Calmettes et experte en cellules souches cancéreuses dans le cancer du sein. Pourquoi ce cancer demeure-t-il aussi fréquent aujourd’hui ?
Professeur Emmanuelle Charafe : D’abord, ce cancer est multifactoriel. Il est absolument bien décrit au niveau des facteurs de risques (génétiques, endocriniens, liés au mode de vie, à l’alcool, au tabac, etcetera). Après, il y a des facteurs de risques qui sont moins bien connus, moins bien investigués, notamment des facteurs environnementaux. Il y a pas mal de choses qui sont en train d’être travaillées, mises à jour, notamment l’impact de certains pesticides qui pourraient impacter aussi sur ce cancer.
Donc il y a une part que l’on connaît et puis une part qui reste à découvrir. Notamment, ce qui est assez frappant, c’est l’augmentation – même s’il n’y a pas encore vraiment de chiffres mais on le voit de façon assez nette – des cancers, et notamment des cancers du sein chez les femmes jeunes.

Attention aux crèmes de soin et l’alimentation
Quelles sont les autres causes ?
Il y a une part des cancers, à peu près 10%, qui est héréditaire, qui est liée à la génétique, avec des gènes de susceptibilité qui ont été découverts. D’autres qui sont encore à découvrir très probablement. Il y a des facteurs endocriniens avec un rôle quand même important de certaines thérapeutiques. On a notamment pas mal discuté il y a quelques années du rôle des traitements hormonaux modulateurs ou d’autres perturbateurs endocriniens qui peuvent être un peu plus insidieux, qui peuvent être mis dans des crèmes, qui peuvent être mis dans l’alimentation, etcetera.
Ils peuvent passer inaperçus et finalement s’accumuler au cours de la vie et stimuler l’axe endocrinien qui fait survenir les cancers. Puis il y a des facteurs liés au mode de vie : une surcharge pondérale, pas de sport, la prise d’alcool assez régulière qui peut intervenir, le tabac ça reste encore discuté mais enfin bon, quand même !
Du pétrole dans nos huiles et le lait
Cela veut dire que par son mode de vie, on peut quand même influer sur le risque ou pas d’avoir un cancer du sein ?
Oui. Dans tous les cancers mais dans le sein aussi, il est prouvé que bien se nourrir diminue le risque de cancer. Alors après, on peut avec tous les scandales qu’on voit de nos jours, se questionner sur ce qu’est bien se nourrir. Parce qu’on découvre sans cesse des choses qui n’avaient pas été vues, notamment des polluants, des dérivés du pétrole par exemple que l’on voit maintenant dans les laits, dans les huiles, parce que ça aide à mieux extraire l’huile !
Il y a plein de choses qu’on ne nous dit pas ou qu’on ne sait pas ou qu’on n’a pas encore mises à jour et qui sont peut-être dans nos assiettes. Et malgré le fait qu’on croit bien se nourrir, on ne se nourrit pas très bien. Je pense que là il y a une des clés effectivement. Et puis faire du sport, avoir un mode de vie sain, c’est important.

2 cancers sur 10 récidivent, quel traitement ?
On dit que l’on guérit 9 cancers du sein sur 10 c’est considérable, avec un taux de survie à 5 ans après le diagnostic de 88%, c’est considérable aussi. Mais peut-on vraiment parler de guérison ou de rémission complète alors que les récidives sont régulières ?
On a heureusement des guérisons et des rémissions complètes. Mais on peut dire que dans à peu près 2 cas sur 10, on peut avoir des récidives. Et c’est ces cas-là qui doivent vraiment nous intéresser. Parce que pour l’instant, la majorité des prises en charge et des traitements sont faits pour les cancers qu’on arrive à guérir. Il n’y a pas tellement de modèles et de traitements qui sont « designer » pour ces récidives. Et on est en train de montrer que ces récidives sont différentes du cancer primaire. Donc les mêmes traitements ne marcheront pas. Il faut adapter le traitement à la récidive.
« On devrait se faire dépister dès 45 ans »
Parlons du dépistage puisqu’on sait qu’un cancer du sein repéré tôt se traite plus facilement. Quelles sont vos recommandations pour les femmes, à partir de quel âge faut-il s’en soucier ?
Eh bien tout dépend de son histoire familiale et personnelle. Si on n’a pas de risque particulier, c’est le dépistage organisé – de 50 à 74 ans avec une mammographie tous les 2 ans. Il y a des recommandations de l’Europe qui disent que ça pourrait être bien de commencer à 45 ans. Ce n’est pas ce qui est fait actuellement en France mais on peut, je pense, raisonnablement commencer à 45 ans à se faire dépister.
Alors le dépistage, c’est la mammographie certes. Mais c’est aussi toute une éducation de la femme qui doit apprendre à s’auto-palper, donc voir régulièrement si elle sent des boules, des nodules dans son sein ou dans les aires ganglionnaires. Et puis c’est aller régulièrement chez le médecin qui va vous faire un examen bien documenté. Ce médecin pourra voir des choses aussi et puis évidemment il y a la mammographie qui ne peut être un bon examen que si la femme a un certain âge. Par exemple chez les patientes très jeunes, qui ont un risque familial, la mammographie n’est pas un examen performant parce que le sein est trop dense. Donc on va préférer d’autres méthodes comme par exemple des IRM.
Lire aussi : « Cancer du sein : mes 7 conseils à toutes les femmes »
2 innovations majeures
Vous travaillez sur les cellules cancéreuses. Vous analysez ces cellules cancéreuses quand des femmes sont malades. Quelles sont les innovations majeures dans la prise en charge des patientes ?
Les innovations majeures dans la prise en charge des patientes, j’en vois de 2 types. La première vient du fait qu’on prend mieux en charge la complexité de l’écosystème tumoral. On sait maintenant que toutes les cellules cancéreuses ne sont pas identiques. Certaines ont la capacité à aller donner des métastases, d’autres ont moins cette capacité et vont rester tout le temps localisées à l’endroit où elles se trouvent, donc dans le sein. Donc ça, on le sait.
Mais on sait aussi que ces cellules là sont dans un environnement qui est particulier. L’environnement, ça peut être des fibroblastes, des vaisseaux, et ça peut être un environnement immunitaire qui – on est en train de le travailler un petit peu partout dans le monde – peut être différent et il peut être plus ou moins permissif. Donc cet écosystème tumoral, on arrive à mieux le prendre en compte grâce à la recherche de nos jours et grâce aux innovations plutôt diagnostiques – on en a parlé (le 2 octobre 2025) lors de la table ronde qui était faite à la Région. Ces innovations nous permettent de prendre en compte de façon spatiale cette hétérogénéité, et ça je trouve que c’est très important. Il n’y a pas encore de thérapeutiques qui sont « designées » dessus mais ça va venir. Parce que maintenant les technologies nous permettent d’avancer très vite.
On sait mieux évaluer le risque de cancer
L’autre axe très important pour moi, c’est un axe plutôt de prévention. Avec des lésions qui sont maintenant bien identifiées, qui sont des lésions qu’on appelle pré néoplasiques et ces lésions là sont associées avec un risque de développer un cancer. Mais ce risque là, on a du mal à le stratifier. A présent, notamment dans les centres anti-cancéreux comme l’Institut Paoli-Calmettes où je travaille, on a ce qu’on appelle une réunion de concertation pluridisciplinaire autour de ces lésions là.
On met en regard les généticiens qui connaissent les risques génétiques, on met en regard les sénologues spécialisés, donc les radiologues spécialisés dans la sénologie. On met en regard les pathologistes, les oncologues, les chirurgiens. On discute des cas et on voit ce qui est le plus adapté. Parfois on va être amené en fait à juste observer, suivre la patiente avec des mammographies régulières. Et d’autres fois on va être un peu plus invasif et on va retirer la lésion.
Mais justement, dans les 2 cas, ce risque on ne l’évalue pas toujours très bien : on peut sur ou sous-évaluer avec les outils actuels. C’est là je pense que, dans les innovations, l’IA va beaucoup nous aider en intégrant un nombre important de cas, d’images de radiologie et d’anatomopathologie, d’évolutions de patientes, de données moléculaires… L’IA va donc nous aider à mieux évaluer ce risque pour les lésions issues du dépistage.
L’IA est plus précise que l’œil humain
Parlez-nous de l’intelligence artificielle (IA) puisque vous y croyez beaucoup ! Comment ça marche ? Qu’est-ce qu’elle apporte en plus ?
Elle apporte en plus un degré de précision que l’œil humain n’est pas capable de voir. On l’entend tous les jours et quand on va chez son radiologue sénologue qui vous fait une mammographie. Il utilise très fréquemment des algorithmes d’intelligence artificielle qui permettent d’orienter le diagnostic. Attention : l’intelligence artificielle, c’est une orientation diagnostique, ça reste quand même à la main du médecin de le prendre en compte ou pas. Son expérience et son intime conviction restent le maître mot du diagnostic. Et donc du coup, dans ces petites lésions, eh bien l’IA va probablement nous aider à mieux prendre en charge ce risque.
Parce que si la patiente est juste suivie par des mammographies régulières, c’est quand même une épée de Damoclès qui est sur sa tête, c’est très angoissant pour elle. Et puis si elle est opérée parce qu’on dit « Quand même, cette lésion a un risque quand même important » mais peut-être, si ça se trouve, elle n’aurait jamais développé un cancer. Et cette patiente, elle va subir une anesthésie, elle va subir une chirurgie, elle va s’arrêter de travailler.
Il y a une sanction pour elle qui est dans sa chair et puis il y a une sanction aussi sociale parfois. Il y a aussi une sanction pour le reste de la société qui va avoir à faire face à un arrêt de travail, donc il y a des coûts aussi derrière. Je pense qu’avec des nouvelles technologies et avec l’utilisation de l’intelligence artificielle et des algorithmes d’intelligence artificielle, on peut améliorer la précision de ce risque.
L’IA va révolutionner les diagnostics
L’intelligence artificielle est-elle déjà employée aujourd’hui par les radiologues de notre région ?
Elle est employée par les radiologues de notre région. Elle est aussi employée par les pathologistes, moi je suis anatomopathologiste. Il y a un peu moins d’algorithmes reconnus et marqués CE-IVD (dispositifs de diagnostic in vitro) parce que ces dispositifs, pour être utilisés dans le cadre du diagnostic, ils doivent faire l’objet de certifications particulières. Ils doivent s’engager dans un processus de certification qui est complexe et exigeant, heureusement d’ailleurs. En anatomie pathologique on a un peu moins ça, mais on y arrive là aussi, on va y arriver de plus en plus. Je pense que ça va révolutionner ces métiers diagnostics en tout cas.
Emmanuelle Charafe est également conseillère municipale de Marseille (majorité présidentielle) et 14e vice-présidente de la Métropole Aix Marseille Provence, déléguée à la Santé, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche.
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