Vous avez développé le programme FairEmbo, notamment pour éviter le décès des mères lors de l’accouchement. Quelle est l’ampleur du phénomène dans les pays pauvres ?
Professeur Vincent Vidal : Dans les pays émergents, il n’y a pas ou peu de possibilités de faire de la radiologie interventionnelle, de l’embolisation. C’est-à-dire obturer les artères quand elles saignent. Ceci pour plein de raisons. Ce n’est pas lié à l’absence de radiologues, mais à un défaut de matériels. Le fait de pouvoir mettre un cathéter dans les artères et de pouvoir obturer ces artères, ça va être très efficace quand il y a une fracture du bassin, de la rate, pour les polytraumatisés de la route, et pour les femmes après l’accouchement : on peut aller boucher les artères utérines quand il y a un saignement. Il est cent fois plus fréquent qu’une femme meurt d’hémorragie de la délivrance au Tchad qu’en France.
« C’est un plan B mais très efficace »
Comment intervenez-vous ? Quelle solution miracle avez-vous développé puisque le problème est le non accès à des matériels coûteux ?
Malheureusement, il n’ya pas de miracle ! C’est un plan B qui est très efficace d’un point de vue clinique, et très sécuritaire. On a proposé, suite à des recherches faites dans notre laboratoire à la faculté de médecine (Aix-Marseille Université), un agent d’embolisation. C’est un produit fait à base de fils de suture conventionnels qu’on utilise des milliards de fois dans l’année.
On a d’une certaine façon pu les injecter à l’intérieur des artères et cela permet d’occlure les artères. On l’a fait notamment au Sénégal. Les radiologues sénégalais qui sont formés à ces techniques n’ont pas les produits que nous avons, et qui peuvent coûter 500 ou 600 voire 700 euros pièce. Mais ils peuvent mettre ces fragments de fils de suture à l’intérieur des vaisseaux et donc obturer les artères.
Et c’est tout aussi efficace ?
Cela peut être un peu plus long à mettre en oeuvre, mais c’est tout aussi efficace d’un point de vue clinique. On ne va pas développer tout un pan de la médecine. On apporte juste un outil supplémentaire à des gens qui regardent des patients sur lesquels ils pourraient intervenir, mais ils ne le peuvent pas.
Au Tchad, 10 radiologues pour… 16 millions d’habitants !
Il s’agit bien de sauver des vies. Vous êtes intervenu au Sénégal, au Cambodge et d’autres pays sont au programme…
On est également allé en Côte d’Ivoire, on y retourne en janvier, et on va au Cameroun en février (NDLR: cette interview a été réalisée en janvier avant ces deux missions, dont la photo du Pr Vidal avec ses homologues camerounais est tirée pour illustrer cet article) pour aider ces radiologues, leur montrer ces techniques qui ne coûtent rien. Et aussi pour parler avec les autres médecins et les directeurs d’hôpitaux. Ceci pour les convaincre que la radiologie interventionnelle sauve des vies et de façon pas chère. Après, on a d’autres pays qui sont encore un peu plus limités.
On a avec nous à Marseille une médecin tchadienne. Il faut bien comprendre qu’au Tchad, il y a dix radiologues pour 16 millions d’habitants. Rien qu’à Marseille il y en a au moins 50 ou 60 ! Et il n’y a pas de radiologie interventionnelle. Elle est venue à Marseille pour se former chez nous et pourra retourner au Tchad pour débuter la radiologie interventionnelle et réaliser ces embolisations.
Le premier volet de FairEmbo, c’est quand je vais sur place montrer qu’on peut faire des choses, et c’est eux qui le font bien sûr. Le deuxième aspect est de recevoir des gens qui sont prêts à démarrer la radiologie interventionnelle dans ces pays et les former pendant un an, afin qu’ils puissent repartir dans leur pays pour développer ce traitement des hémorragies.
Il y a du fil de suture partout dans le monde
Quelle est l’origine de ce projet fantastique ?
On s’est rendu compte tout simplement au cours de voyages, notamment en Egypte, qu’il y avait des défauts de disponibilité de ces produits et on a essayé d’imaginer comment les remplacer. Le fil de suture a été élaboré depuis des dizaines d’années, on en connaît très bien la sécurité. On sait qu’il y en a partout, dans n’importe quel hôpital dans le monde, y compris dans les pays les plus émergents et les moins riches. Parce que tout le monde peut suturer une plaie. On a réussi à démontrer que ça fonctionnait. FairEmbo a vraiment un impact important sur l’hémorragie.
FairEmbo associe Aix-Marseille Université et l’APHM…
FairEmbo est une chaire d’Aix-Marseille Université et l’APHM est partie prenante dans notre fondation, qui n’est pas une association. Les bienfaiteurs font un chèque à l’université, pas à une personne. On est sur une chaire universitaire et ça nous aide à faire des déplacements pour expliquer la technique et recevoir ces médecins étrangers venant essentiellement de l’Afrique subsaharienne et d’Afrique de l’Ouest, francophone.
« On peut faire beaucoup avec des bouts de fil »
La radiologie interventionnelle coûte cher et nécessite des équipements pointus. Il faut les financer, payer les interventions, les suites opératoires, former les médecins. Vous arrivez à répondre à la demande ?
Oui, car un hôpital qui, aujourd’hui, n’a pas de radiologie interventionnelle se rend compte qu’il est obligé de traiter les patients d’une autre façon. Par exemple, on voit que le prix d’une embolisation de l’utérus pour un cas gravissime sera finalement moins important que pour une patiente qui va avoir besoin qu’on lui retire l’utérus, qu’elle reste trois semaines à l’hôpital avec toutes le suites que cela comporte. Si jamais il y a un décès, c’est encore pire. Vous avez le problème humain, vous laissez un orphelin voire plusieurs, un mari, un veuf. Il y a un impact sociétal et financier important.
On imagine que la radiologie interventionnelle est un truc qui coûte des milliards ! Oui dans certains cas, pour certaines pathologies. Mais à ce niveau là, on peut faire beaucoup de choses avec – j’ai envie de dire – des bouts de ficelle ou, c’est presque ça, ce sont des bouts de fil quoi !
Pour contacter FairEmbo :
Institut Marseille Imaging, Cécile Lavoute, bâtiment CERIMED, Campus Santé Timone, 27 boulevard Jean Moulin, 13005 Marseille. 04 91 32 41 81
Photo illustrant cet article : le Pr Vidal (à gauche) avec l’équipe médicale de l’hôpital de Yaoundé, la semaine dernière (DR).
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