C’est une histoire banale comme il s’en produit des dizaines de milliers chaque année dans notre beau pays. Celle d’un patient vauclusien – appelons-le Michel – âgé de 59 ans. Et c’est le docteur Laurent Mineur, oncologue radiothérapeute à l’institut de lutte contre le cancer Sainte-Catherine, qui l’a racontée à l’occasion de la première conférence sur la prévention proposée le 1er mars à Avignon par MProvence, avec le Centre régional de dépistage des cancers (CRCDC) Sud-Paca .
Très actif, il n’a pas le temps de faire la coloscopie…
Michel avait fait un premier test de dépistage du cancer colorectal à 50 ans, comme le recommande l’Assurance Maladie. Puis il a négligé de le refaire tous les deux ans malgré les invitations reçues à la maison. 7 ans après il refait quand même un test, qui revient positif. Entre-temps son frère a eu un cancer du côlon. Son médecin traitant a alors préconisé à Michel de passer une coloscopie à l’hôpital pour vérifier qu’il n’avait pas de polype pré-cancéreux.
« Mais ce monsieur professionnellement très actif a dit ‘je n’ai pas le temps de prendre une journée pour m’arrêter pour voir l’anesthésiste’, ni de faire la préparation le dimanche (c’est-à-dire boire un 1,5 litre de produit pour se purger) et de prendre le lundi pour faire la coloscopie. Malgré ça, il n’a pas voulu. »
Bingo : la tumeur ressemble à une grosse framboise
A 59 ans, Michel refait un test. Positif. Coloscopie. Le verdict tombe : cancer du rectum. « On lui retrouve une tumeur asymptomatique de 3 cm, une sorte de grosse framboise, pas très importante en volume« , se souvient le Dr Mineur. Le bilan la classe T3N0. C’est grave. « En principe, les patients vont déjà avoir de la chimio, des rayons, et ensuite une opération pour enlever le rectum. Le rectum, quand il se porte bien, on ne se rend pas compte de son utilité et de sa valeur. Or il nous permet d’avoir une vie sociale normale. On peut garder ses selles, je peux me retenir 2 ou 3 heures sans problème. J’ai envie de faire un gaz, je ne suis pas obligé de quitter la réunion, je peux me retenir. »
Sans rectum, on ne peut presque pas se retenir
« Quand le rectum est malade, c’est un problème. En plus il est à 2 cm de l’anus, et le chirurgien risque de faire une amputation de l’anus, car il faut qu’il ait une marge suffisante en bas et c’est très juste. Donc il y aura sûrement une amputation ou une suture à ras le canal anal. Quand on n’a plus de rectum, on va à la selle 4, 5, 6 fois par jour. Cela prend n’importe quand, ce sont des envies urgentes, on n’a que 10-15 mn pour aller aux toilettes. Quand vous travaillez, la vie est beaucoup plus compliquée. Ce patient me voit donc en tant que radio-onco-thérapeute et je lui dis qu’on va faire un protocole pour essayer de conserver son rectum. » C’est une procédure de plus en plus courante mais qui ne peut être cependant proposée à tous les malades. C’est en fonction du résultat de la biopsie réalisée dans la tumeur.
En cas de grosse tumeur, on ampute le rectum et l’anus
L’intérêt du dépistage, c’est que la personne était sans symptôme, donc ne se doutait de rien. Le patient a eu radio-chimiothérapie, sans chimio avant. Il a pu entrer dans ce protocole car on a découvert sa tumeur précocement. « En cas de grosse tumeur, on ne discuterait pas : on enlèverait le rectum et peut-être l’anus. Six semaines après, il ne restait qu’une cicatrice. Soit le chirurgien l’enlève par les voies naturelles pour être sûr qu’il ne reste pas de cellules cancéreuses dedans. Soit on pratique la contact-thérapie en mettant un tube dans le rectum et on fait trois séances de rayons très, très fortes. En France il n’existe que deux appareils, un à Nice, un à Lyon. Ce que nous avons fait avec le patient à Nice car la chirurgie réduit quand même la quantité de rectum » (NDLR : il mesure 12 cm).
Après 4 ans, le patient va très bien
Ce patient est resté sous étroite surveillance deux ans, qui est contraignante avec toucher rectal, rectoscopie et IRM tous les trois mois. Sans oublier que le risque de récidive du cancer n’est pas marginal, et dans ce cas la chirurgie sera plus compliquée et aboutira à l’ablation du rectum. D’où l’importance de bien informer le patient pour discuter du choix de l’intervention. « A la moindre petite rechute, on passera à la chirurgie du rectum, prévient le Dr Mineur. Le patient a pu reprendre le travail deux mois après le traitement, avec un transit normal. Voilà quatre ans qu’il a été traité, il va très bien. On a réussi à lui sauver son rectum et sa vie sociale. »
Sur les 43 000 nouveaux cas de cancers colorectaux annuels, il y a un tiers des tumeurs dans le rectum. Soit environ 14 000 nouveaux patients par an, pour lesquels dans 30% des cas on peut espérer ne plus opérer le rectum et le conserver. « Quand j’ai 55 ans et que je suis en pleine activité professionnelle, c’est important. Ce sont des stratégies nouvelles. »
Y aura-t-il assez de médecins ? Non…
On pourrait se réjouir de cette avancée thérapeutique. Mais le problème est qu’il n’y a plus suffisamment de médecins généralistes et de moins en moins de gastro-entérologues. Or cette prise en charge plus complexe que la chirurgie (qui est plus délabrante, on l’a compris) réclame un suivi médical poussé.
Que faut-il en conclure ? Eh bien d’abord que c’est le dépistage avec le test FIT qui permet d’identifier le danger potentiellement mortel. On dénombre 17 500 décès par an en France d’un cancer colorectal, c’est le 2e cancer le plus meurtrier après le tabac, comme l’a rappelé ce 1er mars à Avignon le Dr Julie Sigrand, gastro-entérologue à l’hôpital d’Avignon. « On n’est pas très bons sur le taux de dépistage« , déplore-t-elle. Il plafonne autour de 34% parmi les 50-74 ans. « On se moque souvent des pays du sud de l’Europe, mais le taux de dépistage est de 47% en Italie et de 64% en Espagne« , souligne le Dr Gautier du CRCDC.
L’enquête qui dérange
A l’arrivée, les cas sont plus graves, et les décès nombreux. Le docteur Clémence Lefevre (clinique Fontvert) et le docteur Alban Benezech (hôpital d’Avignon) ont montré avec force détails comment se présentent les polypes pré-cancéreux et leur degré de gravité. « Une fois sur trois on trouve un polype lors de la coloscopie« , indique ce dernier.
Cyril Sarrauste a été confronté à ce type de cancer. Depuis quelques années, ce colosse barbu anime l’association Patients en réseau, qui répond aux malades et les informe. Elle a réalisé en 2021 une enquête sur les freins au dépistage. 35% des personnes renoncent à faire le test, 18% n’ont pu accéder au kit de dépistage, et 17% disent avoir peur de la coloscopie alors qu’elle n’est pas proposé en première intention.
Les pharmaciens pour changer la donne ?
Autre enseignement du sondage, la faible implication des généralistes. 18% ne disposaient pas de test, 18% ont remis le test sans explication. Et seul un médecin sur 3 a évoqué le dépistage avant leurs 50 ans avec les patients interrogés. Toutefois, M. Sarrauste estime qu’on va franchir un cap en 2023 grâce à l’entrée dans la danse des pharmaciens qui peuvent désormais remettre le test. Et on va plus souvent chez son pharmacien que chez son médecin !
Médecin généraliste à Avignon, le Dr Jean-Luc Vidal a rappelé qu’il est très difficile pour nombre de ses confrères d’avoir suffisamment de temps pour évoquer tous les dépistages en plus du sujet qui amène à consulter. « Ici un généraliste suit 1 500 à 2000 patients… En France, on est en retard en matière de santé publique ! »
Nous remercions Anne-Marie Jouffroy-Bologna, présidente de la Ligue contre le cancer en Vaucluse, pour son accueil, et Karine Chesnel de Sainte-Catherine pour son appui. La conférence était organisée avec le soutien institutionnel de Bayer.
Les prochaines conférences publiques
Prochaines conférences publiques et gratuites sur le dépistage du cancer colorectal dans le cadre de l’opération « Plus Bleu le Printemps! » organisée par MProvence (toujours à 18h) :
- 20 mars : Hôpital militaire Sainte-Anne à Toulon
- 30 mars : Hôpital Privé de Provence à Aix-en-Provence
- 6 avril : Centre Universitaire Méditerranéen (65 Promenade des Anglais) à Nice
- 12 avril : Aix-Marseille Université (jardin du Pharo) à Marseille
- 13 avril : Institut Universitaire de Technologie à Gap
Inscription recommandée sur masanteprovence@gmail.com en précisant vos nom, prénom, la ville choisie et le nombre de personnes
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