Nous vivons assaillis d’informations mais certaines d’entre elles arrivent rarement à nos oreilles. Elles sont pourtant essentielles car elles sauvent littéralement des vies et contribuent à cette formidable solidarité nationale française. C’est le cas du don d’organes. Nouveau constat de ce manque d’informations ce mardi 18 novembre avec les élèves de première et terminale du lycée Saint-Charles Camas, dans le 5ème arrondissement populaire de Marseille.
Réunis pour une conférence à l’initiative de leur responsable pédagogique, Marianne Roux, dans le cadre de la campagne de sensibilisation conduite par notre média et l’hôpital public (APHM), la centaine d’adolescents a fait le constat qu’ils ne savent pas vraiment de quoi on parle. Rarement le sujet a été abordé et approfondi en leur présence.
On peut tous avoir besoin d’un organe de secours !
Aussi d’aucuns sont-ils étonnés d’apprendre que tout le monde pourrait avoir besoin d’un organe un jour en cas d’urgence, de la naissance jusqu’à plus de 80 ans, et que ce n’est pas réservé à certains malades chroniques. Les chiffres claquent : 309 greffes d’organes à Marseille l’an dernier pour 900 malades en attente – 23 000 pour la France entière et toujours plus d’inscrits sur la liste d’attente. Plusieurs dizaines de patients sont morts faute de greffons disponibles, dont 3 enfants à l’hôpital de la Timone.
Au début de la soirée, à la question de savoir s’ils donneraient leurs organes en cas de décès accidentel, le verdict renvoie exactement à la situation dramatique que constatent les médecins à l’échelle de toute la ville : 5 élèves sur 10 y sont opposés. Paradoxalement, et un peu égoïstement, 8 élèves sur 10 accepteraient de recevoir une greffe d’organes si leur survie en dépendait.

« On n’en parle pas en famille »
C’est le résultat d’un sondage effectué auprès des 200 lycéens de l’établissement et rapporté par quatre d’entre eux, très motivés par ce sujet citoyen, Marion, Chiara, Wiswal et Elias. Ils ont posé la question de savoir où chacun en a entendu parlé. « On constate qu’on n’en parle pas vraiment dans les familles. Les réseaux et l’école nous en parlent mais de manière trop générale. » Les rapporteurs évoquent également une méconnaissance largement partagée. « Peu d’élèves savent qu’on peut greffer les poumons, et certains pensent qu’on peut greffer le cerveau. »
Conclusion des élèves : « Notre étude montre que la volonté réelle de donner reste mitigée et que l’important est d’en discuter. »

Marseille : + de 50% de refus de prélèvement
C’est une bonne base de départ pour les 3 intervenants présents ce soir-là : la docteur Véronique Delaporte, chirurgienne spécialiste de la greffe de rein à l’hôpital de La Conception, l’infirmière Marlène Frutoso, de la commission hospitalière des prélèvements d’organes, et Camille Dubois, 23 ans et déjà doublement greffé du rein.
« La loi dit qu’en France nous sommes tous donneurs d’organes, rappelle la chirurgienne qui a réalisé quelque 800 greffes de rein. Mais la plupart des gens l’ignorent et à Marseille nous sommes confrontés à plus de 50% de refus des familles des personnes décédées sur lesquelles on pourrait prélever le coeur, le foie, les poumons et les reins pour sauver des vies. Ils n’en ont jamais parlé, alors ils s’abstiennent de donner. »

« J’en ai parlé à mes enfants, chacun a dit son choix »
La médecin se confie un peu plus à destination de ces jeunes qui la touchent particulièrement. « Vous pourriez croire que c’est parce que je greffe des organes que je veux vous inciter à y réfléchir et à dire à vos proches si vous seriez donneurs en cas d’accident mortel. Mais non, pas du tout. J’ai moi aussi au cours de ma vie été personnellement confrontée à cette question. Et un jour j’ai décidé d’en parler avec mes enfants dont certains sont encore adolescents. On était à table, et chacun a dit ce qu’il voudrait. Au moins personne ne pourra dire ‘je n’étais pas au courant’ de ce qu’il ou elle aurait voulu ! » Pour mémoire, la loi dit qu’à partir de l’âge de 13 ans un Français peut dire s’il est pour on contre le don d’organes.
Le défunt était-il altruiste ?
Débute alors un cours sur ce qu’ils se passe vraiment quand un patient est déclaré en état de mort cérébrale. Son cerveau est détruit, irrémédiablement, mais ses organes sont encore perfusés quelques heures grâce aux machines qui l’aident à respirer.
« Nous interrogeons alors la famille afin de savoir si le défunt avait manifesté le souhait de donner ses organes, souligne Marlène Frutoso. Quand les gens en ont parlé de leur vivant, la décision va vite. Cet après-midi, j’ai posé cette question et la famille a immédiatement accepté le prélèvement parce que le défunt en avait parlé de son vivant. Si ce n’est pas le cas, nous les invitons à réfléchir à la question suivante : votre proche était-il une personne soucieuse des autres et aurait-il accepté de donner ses organes pour sauver des vies ? »

« Mon message : dites le à vos proches »
La Dr Delaporte renchérit : « Souvent, les gens refusent le prélèvement parce que la question leur est posée au pire moment, quand ils sont dans la douleur de la mort d’un proche. Ils n’en ont jamais parlé auparavant et par réflexe ils disent non, on ne sait pas ce qu’il aurait voulu. Si j’ai un message à vous faire passer, c’est « parlez-en avec vos parents et avec vos frères et soeurs », comme ça, en cas de drame, tout le monde saura ce que vous voulez. »
Les questions fusent dans la salle parmi les lycéens très intéressés. « Est-ce qu’on peut choisir les organes que l’on voudrait donner ? » « Si mes parents ne sont pas d’accord, mais moi oui, comment je peux faire pour que ma volonté soit respectée ? » « Est-ce que je peux donner de mon vivant ? » « Est-ce qu’il arrive que des organes partent dans un pays étranger ? »
Des sportifs greffés grâce à des tendons donnés !
L’infirmière explique bien qu’une fois les organes retirés minutieusement par les chirurgiens, le corps est rendu à la famille sans aucune trace apparente, comme après une intervention chirurgicale. « On restitue la personne dans le même état qu’avant le prélèvement, ça ne se voit pas. Le plus important dans notre démarche de soignants, c’est le respect dû au donneur. »
Les ados sont fort étonnés d’apprendre que l’on peut également donner des tissus, comme la cornée des yeux – qui rend la vue à deux personnes -, des tendons des jambes pour réparer par exemple le genou des sportifs victimes d’une rupture des ligaments croisés, et même des os comme le fémur ! « Les chirurgiens posent alors au donneur un os en plastique pour le remplacer. »
A 23 ans, Camille a déjà reçu 2 reins !
L’intervention de Camille est très attendue. Ce jeune habitant de Velaux près d’Aix-en-Provence, qui n’a que quelques années de plus que ces lycéens, marque les esprits en expliquant qu’une maladie a commencé à détruire ses reins à l’âge de 18 mois. « J’ai toujours vécu avec la maladie, mais heureusement j’ai pu bénéficier d’une greffe et ça a changé ma vie. »
En fait, Camille a reçu deux reins. Le premier à l’âge de 7 ans. C’était un don de son papa. Mais cet organe a arrêté de fonctionner cinq ans plus tard. Camille s’est alors retrouvé en dialyse tous les deux jours pour nettoyer son sang, et en fauteuil roulant pendant deux ans car son état de santé s’est dégradé. Puis à 15 ans, il a pu bénéficier du rein d’un donneur décédé et reprendre une vie normale.
« Je vais très bien, je fais tout ce que je veux comme activités. Je peux manger n’importe quoi mais j’évite certains aliments comme le sel qui abîmerait mon organe. Ma seule contrainte, ce sont les médicaments antirejet à prendre à vie, tous les jours. »
Pascale : « Les organes de maman ont sauvé 4 adolescents »
Un autre témoignage, totalement inattendu celui-ci, a également bouleversé la salle. C’est celui de Pascale, agente d’accueil dans l’établissement. Sachant la tenue de la conférence, elle a quitté son standard durant quelques minutes et ce qu’elle a dit a scotché l’assistance.
« Ma maman est décédée d’une rupture d’anévrisme quand j’avais 20 ans. C’était il y a trente ans. Les médecins nous ont proposé de prélever ses organes mais moi je ne voulais pas qu’on « coupe » ma maman. Mon père m’a dit : elle aurait voulu donner ses organes. Alors on a accepté et son coeur, son foie et ses deux reins ont été prélevés. Six mois après son décès, on a reçu une lettre de l’hôpital qui nous informait que les quatre adolescents greffés grâce à ses organes allaient bien. Ma maman avait un petit gabarit, donc cela a pu aller à des enfants. »
Prête à tout donner. Et vous ?
Un tonnerre d’applaudissements a salué le récit de cette dame que les élèves aperçoivent furtivement au standard. Et qu’ils regarderont désormais sans doute plus attentivement… Pascale reste-t-elle opposée au don d’organes comme à ses vingt ans ? Oh que non ! Elle reconnaît que ce don a donné du sens à ce qui n’en avait pas, à cette existence arrachée trop tôt à la vie. « Je suis même inscrite sur la liste des donneurs de moelle et bien sûr, je donne mon sang. »
Des élèves ont changé d’avis pendant la conférence
En fin de conférence, les élèves sont invités à répondre à un questionnaire mis en place par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille afin de mesurer leurs connaissances et leur perception globale du sujet. Le résultat est bien différent du premier sondage interne au lycée. De 80% d’élèves favorables à recevoir un organe, on est passé à 89%. Et surtout, encore plus significatif, le chiffre des potentiels donneurs a bondi : de 50% avant la conférence, il est passé à 80%. Comme quoi, l’information délivrée patiemment et avec enthousiasme par nos trois intervenants, ça percute et ça ouvre les esprits ! Les soignants sont sûrs que la plupart en ont parlé le soir à la maison tant cette rencontre les a intéressés.
Les élèves de Saint-Charles Camas sont repartis avec un fascicule de synthèse sur le don d’organes et un bracelet vert sur lequel on peut lire « Je donne, tu donnes ». Mais ils n’en ont pas fini avec le sujet. Volontaires, et guidés par leur formidable professeur Marianne Roux, plusieurs d’entre eux prendront la parole lors de la conférence publique et gratuite organisée par MProvence et l’APHM mardi 9 décembre à 18h au Pharo : « Etes-vous prêts à donner vos organes ? »
Vous êtes tous invités, vous lecteurs, à partager cet incroyable moment d’information et d’échange avec des médecins, des patients greffés et des jeunes Marseillais. Rendez-vous à l’amphi Gastaut d’Aix Marseille Université, jardin Emile-Duclaux, 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille. Parking public Q-Park en face du jardin du Pharo.

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