Don d’organes : Marseille veut mieux faire grâce aux jeunes !

En cas d'accident mortel, accepteriez-vous de donner vos organes pour sauver 6 ou 7 vies ? Trop de familles provençales répondent non. Les hôpitaux publics et notre média repartent en campagne dans les lycées pour convaincre. Comme au lycée Simone-Veil de Marseille avec 250 élèves de terminale.

Santé

D’accord il y a de l’espoir : Marseille a battu son record de greffes d’organes en 2024 avec 305 transplantations (6 053 pour la France entière). Mais parmi les médecins, personne ne crie victoire. En cet automne 2025 la situation reste tendue. Les soignants spécialistes du sujet ne le savent que trop bien. Surtout ceux en première ligne comme Marion Sainati, infirmière de la Coordination des Prélèvements d’organes et de tissus à l’APHM. Les dons d’organes sont ici toujours minoritaires par rapport aux refus.

« Quand on demande aux Français s’ils sont favorables au don d’organes, 80% disent oui. C’est super ! se réjouit Marion Sainati. Mais quand ils sont confrontés à ce choix, c’est beaucoup moins. Et à Marseille on a même quasiment 60% de refus (contre 36,5% pour la France entière)! » Les 250 élèves réunis en ce dernier lundi matin de septembre 2025 dans la salle polyvalente du lycée Simone-Veil dans le 13e arrondissement de Marseille dérogent-ils à la règle ?

58% des lycéens pour le don, 42% refuseraient

Ils ont été invités à participer à une conférence d’information sur le don d’organes, dans le cadre de la campagne de sensibilisation initiée depuis un an par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (APHM) et notre média MProvence. Et leurs réponses semblent a priori un peu plus généreuses. Mais ne nous emballons pas, c’est du déclaratif très théorique…

Selon un sondage concocté par les médecins marseillais et réalisé en amont du rendez-vous par leur professeur de SVT, Florent Casolari, 70% des élèves ont répondu. Signe positif, 100% des répondants ont entendu parler du don d’organes, par ordre de priorité dans les médias, sur les réseaux sociaux, en famille et à l’école. Parmi eux, 58% seraient d’accord pour être donneurs d’organes contre 42% qui s’y opposeraient.

Marie-Cécile Boyer, infirmière du lycée, Dr Marco Caruselli, Marion Sainati, infirmière hospitalière, Florent Casolari, professeur de SVT, Hdia Taghouti, greffée du rein.
Marie-Cécile Boyer, infirmière du lycée, Dr Marco Caruselli, Marion Sainati, infirmière hospitalière, Florent Casolari, professeur de SVT, Hdia Taghouti, greffée du rein.

Mais 85% accepteraient d’être greffés…

En revanche 85% accepteraient d’être greffés s’ils étaient malades et que leur survie en dépende. Un décalage habituel – les receveurs sont beaucoup plus nombreux que les donneurs -, souvent dû à une méconnaissance du sujet, dont on peut se désoler et sur lequel il faut travailler.

C’est tout l’objet de la campagne de sensibilisation amorcée en octobre 2024 par une poignée de médecins des grands hôpitaux marseillais et le signataire de ces lignes au nom de MProvence. Face à une situation particulièrement alarmante dans la 2e ville de France – l’an dernier le manque d’organes disponibles a provoqué le décès de 3 enfants et de plusieurs dizaines d’adultes dans les services de la Timone et de l’Hôpital Nord – l’idée a surgi de cibler les jeunes.

Les ados sont altruistes !

Pourquoi ? Parce que les jeunes sont généreux, à un âge où l’on a envie de changer le monde, et que le don d’organes est un sujet majeur de santé publique, fondamentalement citoyen. Et puis parce que les expériences qu’ils vivent à l’école finissent souvent sur la table familiale le soir venu !

C’est là qu’ils racontent les événements qui les ont marqués dans la journée. Du coup, en sensibilisant un adolescent au don d’organes, on touche 3 ou 4 autres personnes (parents, frères et soeurs).

Hedia : « Cette greffe m’a permis de revivre »

Bien des élèves de terminale rencontrés ce lundi au lycée Simone-Veil sont ainsi repartis impressionnés par le témoignage de Hedia Taghouti. Cette préparatrice en pharmacie à Plan-de-Campagne a été greffée d’un rein en 2019 en raison d’une maladie génétique. Quatre ans avant, c’est son petit frère frappé par la même maladie qui avait bénéficié d’un don de rein.

Hedia Taghouti, patiente greffée du rein en 2019.
Hedia Taghouti, patiente greffée du rein en 2019.

« Sans ce don d’une famille qui a perdu un des ses proches et que je ne connaîtrais jamais, je ne serais pas là pour vous parler, a commencé la jeune femme qui réside dans le 15e arrondissement voisin. Cette greffe m’a permis de revivre comme tout le monde, de manger normalement, de faire du sport, de voyager, et de suivre une formation pour faire le métier dont je rêvais. » La greffe de rein est la plus commune avec 3 757 transplantations en 2024 en France dont près de 150 à Marseille. 598 greffes ont été réalisées à partir de donneurs vivants et 3 159 grâce à des donneurs en état de mort encéphalique.

Le cerveau est débranché, ce n’est pas un coma !

Pour lever toute ambiguïté, diaporama à l’appui, le docteur Marco Caruselli, chef de la Coordination hospitalière des prélèvements d’organes et de tissus (CHPOT) à l’APHM, explique aux lycéens qu’une personne dont on prélève les organes est bien déclarée morte. « Regardez l’imagerie cérébrale, il n’y a plus de circulation sanguine« . Il insiste : il n’y a pas de confusion avec le coma où le cerveau conserve une activité électrique et une circulation sanguine. Ici tout est fini, aucun retour en arrière n’est possible.

A ses côtés, discrètement, Hedia avale un comprimé. Chaque jour à 9 heures pétantes, elle doit prendre sa barrette blanche d’immunosuppresseur. Sinon, son greffon se détruirait rapidement.

L’ordre du corps : détruisez cet organe greffé !

La séance prend alors des allures de cours de médecine. « Votre système immunitaire réagit aux agressions extérieures, c’est comme ça que votre corps combat par exemple le virus de la grippe ou du Covid, précise le Dr Caruselli. Quand on greffe un organe venant d’une personne décédée, c’est un corps étranger qu’on introduit dans votre organisme et lui, naturellement, il donne l’ordre à vos cellules de le détruire. »

D’où l’obligation de prendre à vie ce médicament immunosuppresseur, qui affaiblit les défenses immunitaires du receveur. « Mais à part la prise de ce cachet qui certes me rend plus sensible aux infections virales notamment en hiver, et des visites de contrôle régulières à l’hôpital, je n’ai pas d’autres contraintes », se réjouit Hedia. Qui rappelle aux élèves qu’en attendant la greffe libératrice réalisée à la Conception, elle devait subir une séance de dialyse de 4 heures un jour sur deux à l’hôpital pour nettoyer son sang, puisque ses reins ne fonctionnaient plus. « Je n’avais plus de vie, et en plus la dialyse est très fatigante pour l’organisme. »

Conférence sur le don d’organes au lycée Simone-Veil en septembre 2025.

Du rap au bloc pour honorer le donneur

Une partie de l’exposé qui intéresse bigrement les lycéens, c’est le prélèvement des organes. Comment ça se passe ? L’explication incombe à Marion Sainati. L’infirmière de la CHPOT participe à la démarche auprès des familles des défunts victimes d’accidents pour leur proposer le don d’organes. Et elle assiste au prélèvement en salle d’opération pour les tenir informées.

« Leurs souhaits sont totalement respectés. Certains nous demandent par exemple de ne pas prélever tel organe. Une fois, une famille a demandé qu’on mette du rap pendant l’intervention car c’était la musique préférée du donneur. Les chirurgiens ont prélevé les organes avec du rap diffusé dans bloc opératoire. »

4 heures pour greffer un coeur

Du coeur aux reins en passant par les cornées, des tendons et des os, l’intervention peut durer de 8 à 20 heures. Puis les organes sont transportés en urgence aux quatre coins du pays afin de greffer des malades en attente. Motards de la Gendarmerie et avions privés sont mobilisés « car on a 4 heures pour transplanter un coeur une fois qu’il a été prélevé. »

Evidemment, beaucoup de questions surgissent lors de ces interventions. « Est-ce qu’un organe greffé à un enfant continue de grandir avec lui ? » Oui car cet organe devient le sien à part entière. « Qui paie ces opérations, sont-elles gratuites ? » Oui, on est en France, on a de la chance, c’est la Sécurité sociale. « Si je suis donneur mais que je veux garder mon coeur, c’est possible ? » Oui les autres organes seront prélevés mais pas le coeur. « A partir de quel âge on peut donner son avis ? » La loi dit que c’est à partir de 13 ans qu’on peut s’inscrire sur le registre national des refus de prélèvement d’organes.

Le lycée Simone-Veil a accueilli la conférence de rentrée sur le don d’organes.
Le lycée Simone-Veil ouvert en 2017 dans le 13e arrondissement a accueilli cette conférence de rentrée.

OK ou pas : dites le à vos proches

Surtout, insistent les soignants, l’important est d’en parler en famille, que tout le monde s’exprime. « Ainsi vous enlèverez un poids à vos proches si un jour ils ont à choisir, explique l’infirmière. Car souvent les gens refusent en disant « On n’en a jamais parlé, on ne sait pas ce qu’il/elle aurait voulu, donc on préfère s’abstenir. »

Or un seul donneur peut sauver jusqu’à 7 vies avec le don du coeur, du foie, des poumons, des reins, voire du pancréas, et soulager encore 7 autres personnes avec ses tissus, comme rendre la vue grâce à un don de cornée. « J’ai déjà rencontré des familles de donneurs, leur accord au prélèvement avait permis de donner un sens à ce qui n’en avait pas, comme la disparition d’un enfant« , a témoigné Hedia Taghouti qui est également bénévole pour l’association Renaloo.

Lire aussi : À Marseille, on vous propose de tout donner

Le corps est rendu parfaitement conservé

Puis le corps est rendu à la famille pour les obsèques. « C’est comme une personne opérée, on ne voit pas qu’il y a eu un prélèvement« , précise Marion Sainati. En cas de refus de prélèvement, les machines qui maintenaient artificiellement le corps en état de fonctionnement bien que le cerveau soit détruit sont débranchées et la dépouille mise à disposition des proches. Répétons le : une personne pour laquelle on propose le prélèvement d’organes a été déclarée décédée par les médecins à la suite d’un électroencéphalogramme et d’une imagerie du cerveau.

Cette conférence aura-t-elle modifié l’approche des élèves, surtout les réticents ? Il faut du temps pour faire mûrir le sujet. Les autres sont emballés, à l’image d’Alissa : « J’étais déjà convaincue, mais alors là c’est encore plus net ! » lance la lycéenne dans un grand sourire. Le Dr Caruselli n’a pas hésité à lancer : « Si on est prêt à recevoir un organe, il faut aussi être prêt à donner. » Ajoutant car c’est fréquemment un argument pour justifier le refus de prélèvement : « Aucune religion n’est opposée au don d’organes. Partout, dans le Coran, dans la Bible, il est écrit : »Celui qui sauve une vie, sauve l’humanité ».

A la fin de la conférence, 15% de donneurs en plus

En fin de conférence, nous avons proposé aux lycéens de répondre à nouveau à un sondage, plus élaboré, permettant de tester leurs connaissances aux termes de l’échange. Et les résultats sont… encore plus encourageants. Ainsi ils sont 73% à se déclarer prêts à donner leurs organes pour sauver des vies (contre 58% avant), le taux d’opposition au don reculant à 27% (42% avant la conférence).

A noter que les soignants ont également bien expliqué qu’il était tout à fait respectable de ne pas vouloir donner ses organes, que cette décision relève de la liberté de conscience. Ils ont même indiqué aux élèves le lien internet pour s’inscrire sur le registre national des refus que consulte automatiquement la Coordination hospitalière avant toute proposition de prélèvement aux familles. Si une personne y est inscrite – comme c’est le cas cependant de seulement 300 000 citoyens sur 67 millions de Français -, le respirateur artificiel est débranché et le corps rendu immédiatement aux proches. Pour tous les autres, et parce que la loi de 1976 présuppose que toute personne en France est donneuse d’organes, la famille est interrogée.

On reviendra en 2026

Gageons que les discussions auront fleuri entre copains et dans les familles. C’est bien l’ambition des organisateurs de ces conférences. Marie-Cécile Boyer, l’infirmière du lycée à l’origine de cette rencontre, a déjà pris rendez-vous pour renouveler l’opération l’an prochain !

Merci au chef d’établissement du lycée Simone-Veil, Olivier Schnebelen, pour son accueil et son propos introductif en faveur du don d’organes, à Marie-Cécile Boyer, au professeur Florent Casolari, et aux enseignants qui ont accompagné leurs classes comme aux élèves impliqués et intéressés par le sujet.

Prochaines conférences

Prochains rendez-vous : le 15 octobre au lycée Perrimond dans le 7e arrondissement, le 17 octobre avec les étudiants en médecine à la faculté de la Timone, le 18 novembre au lycée Saint Charles Camas dans le 5e arrondissement, et le 9 décembre à 18h au siège d’Aix Marseille Université au Pharo (58 Bd Charles Livon) pour une conférence publique sur le don d’organes à Marseille : qui est concerné, comment ça marche, avec des témoignages de médecins et de greffés.

Affiche officielle de la Journée mondiale du don d’organes et de la greffe, le vendredi 17 octobre 2025 à 14h00 à la faculté de médecine – Amphi Toga (27 boulevard Jean Moulin, 13385 Marseille). L’événement propose un quiz, des témoignages et la présentation des résultats d’un sondage sur les étudiants face au don d’organes. Avec la participation exceptionnelle de Camille Dubois, étudiant doublement greffé du rein, du Pr Valérie Moal, présidente de la commission des transplantations de l’AP-HM, et du Pr Justin Michel, vice-doyen aux professions médicales et aux affaires générales. Campagne d’information et de sensibilisation organisée par MProvence, l’AP-HM et Aix-Marseille Université, avec le soutien de la Société francophone de transplantation, Grifols, Sa
Affiche conférence aux 3 ème année de médecine don d’organes et greffe – 17 octobre 2025

Les religions sont-elles favorables au don d’organes ?

Vendredi 17 octobre également, à 17h30, le public est invité à assister à une conférence (gratuite) à la grande bibliothèque de Marseille, l’Alcazar (58 cours Belsunce, 13001 Marseille, entrée libre) que j’aurai l’honneur d’animer. Le thème : « Les religions sont-elles favorables au don d’organes ? » En présence des médecins de l’APHM et du directeur général François Crémieux, d’un greffé Laurent Demola, d’un patient en attente de greffe, de responsables religieux (catholiques, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes, arméniens) et de l’anthropologue Yannick Jaffré.

C’est un sujet délicat, l’invocation de règles religieuses étant souvent propice à l’opposition au prélèvement comme en témoignent les médecins et infirmiers. On va donc aborder le sujet sans tabou et avec l’éclairage des responsables religieux eux-mêmes. Venez poser vos questions !


Affiche de la conférence du 17 octobre 2025 à l’Alcazar sur le don d’organes et les religions

Inscription conférence – Les religions sont-elles favorables au don d’organes ?


Lire aussi : Les maladies du foie explosent, les greffes ne pourront pas suivre

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