Vous devez peut-être vous faire opérer prochainement et vous avez peut-être également une peur bleue, non pas de l’acte chirurgical lui-même, mais de l’anesthésie. Ce moment où l’on va basculer dans le néant après avoir tenté de compter jusqu’à 10 et en général on s’arrête à 3 ! Plus de 13 millions d’actes d’anesthésie sont pratiqués chaque année en France, des plus banales chez le dentiste jusqu’aux anesthésies générales qui durent parfois plusieurs heures à l’hôpital. Notre crainte de ne pas nous réveiller est-elle justifiée ?
Professeur Marc Leone : Non, on a tort. L’anesthésie est devenue quelque chose de très sécure, qui est absolument contrôlé, où les patients sont pris en charge dans une grande sécurité. Il y a forcément un risque quand on va se faire opérer puisque ce qu’on ne se fait pas opérer pour rien et donc c’est qu’on est malade. Il y a le risque lié à cette maladie. Mais la procédure par elle-même est maintenant bien standardisée et entourée d’une grande sécurité.
Et puis il y a eu un décret le 5 décembre 1994 qui a encadré la pratique de l’anesthésie dans les blocs opératoires et dans les salles interventionnelles. Et depuis ce décret, la sécurité s’est décuplée et le nombre d’accidents est vraiment très, très faible. Il n’y a pas beaucoup plus d’accidents spontanément, dus à l’anesthésie toute seule, pas dus à la procédure, que finalement le risque de prendre votre voiture pour rentrer chez vous ce soir.
Risque numéro 1 : l’allergie aux produits
Mais en matière d’anesthésie, quels peuvent être ces risques encore aujourd’hui ?
Le risque qui persiste et qui persistera encore un certain temps, c’est probablement le risque allergique. Avec ce qu’on appelle les chocs anaphylactiques, les allergies à des produits d’anesthésie. En première ligne ce sont les curares, les médicaments qu’on utilise pour relaxer lors de l’intervention. En deuxième ligne les antibiotiques. Et puis après ça peut être le latex.
Tout ça reste relativement imprédictible, bien qu’on s’améliore, qu’il y ait des référentiels qui sortent, une meilleure connaissance, et puis des tests sur le marché qui vont arriver, qui permettront de détecter ça. C’est un cas toutes les 10 000 anesthésies à peu près. Ce n’est pas forcément très grave. Parfois il y a une allergie dont vous n’allez même pas vous rendre compte.
Intubation, hémorragie et âge : les autres risques
Il peut y avoir le risque de l’oxygénation, parce qu’on va mettre un tuyau souvent pour oxygéner les poumons et pour apporter l’air et l’oxygène. Quelquefois l’accès aux voies aériennes peut être difficile. C’est un risque qu’on avait bien identifié dans les années 90 et qui aujourd’hui, grâce aux nouveaux matériaux, a nettement diminué. Après il y a des risques qui sont plus liés d’une part à la chirurgie. Les chirurgiens aiment bien dire que tout est de la faute de l’anesthésiste mais en pratique il y a quand même une hémorragie. Cela, c’est le risque lié à l’intervention plus qu’à l’anesthésie. Et puis il existe des risques liés au terrain. Si vous êtes fort âgé, si vous avez une maladie cardiaque évoluée, si vous avez une maladie respiratoire évoluée, ça va être un peu plus difficile de récupérer après une anesthésie.
Vous montez 4 étages à pied ? Ouf !
Un certains nombre de ces risques sont évacués lors de la consultation préopératoire ?
Cette consultation a lieu au moins 2 jours avant l’intervention. Mais le mieux, c’est de la faire le plus tôt possible. C’est vraiment un moment capital. Il a diminué le risque de la prise en charge à l’hôpital et a vraiment permis d’améliorer le pronostic des patients. Dans cette consultation, on va justement sérier tous ces risques, les regarder un par un. On va vous poser quelques questions ciblées. Des fois vous n’allez même pas vous en rendre compte, mais on va vous poser quelques questions sur vos allergies. Est-ce que vous êtes allergique aux médicaments ? Est-ce que vous êtes allergique à des aliments ?
Sur votre performance cardiaque : on va vous demander « Est-ce que vous montez 2 étages à pied ? Si vous montez 4 étages à pied par exemple tous les jours, probablement qu’au point de vue cardiaque, ça va bien et il n’y aura pas trop de choses à faire. Au point de vue respiratoire, ce sera la même chose. On va vous poser quelques questions et on va établir des espèces de scores pour tous les éléments. On va vous faire ouvrir la bouche pour voir votre glotte au fond et voir si vous avez des critères, qu’on appelle d’intubation, difficiles ou pas. Basé sur cette consultation, on va tirer un protocole : quel type d’intubation, quel type de médicament et quel type de monitoring on va utiliser. Cette consultation est fondamentale pour la sécurisation du parcours du patient.
Parfois, il est trop risqué d’endormir un patient
Vous arrive-t-il parfois de refuser, ou de ne pas pouvoir endormir des patients ?
C’est rarissime, ça peut arriver. En fait, ça va être ce qu’on appelle toujours la balance bénéfice-risque. Quel est le bénéfice de l’intervention ? Quel est le risque lié à cette intervention ? De temps en temps, on retourne vers le chirurgien avec qui on est en contact permanent et on dit : « Le risque est quand même très grand par rapport au bénéfice attendu de l’intervention ». Quelquefois c’est une discussion qu’on a avec le patient. Il faut qu’il y ait une transparence totale. De temps en temps. avec le chirurgien, et le patient, on conclut que finalement le risque est trop grand par rapport au bénéfice. De temps en temps on se dit que le risque est immense, mais finalement la condition actuelle n’est pas supportable pour le patient et on prend quand même le risque. Mais il faut que tout ça soit fait dans une grande transparence.
Pourquoi n’est-ce pas le même anesthésiste qui m’endort ?
Il y a une chose qui perturbe certains patients. Ce n’est pas toujours le même anesthésiste qu’on voit en consultation et au bloc opératoire, à tel point qu’on redoute une perte d’information. Ca peut être le cas si, par exemple, on a une pathologie qui interdit certains produits anesthésiants. Pourquoi est-ce que ce n’est pas le même anesthésiste alors que c’est toujours le même chirurgien qu’on voit avant et celui qui nous opère ?
C’est l’organisation de l’anesthésie, qui est une organisation très transversale, qui est en équipes. Elle est basée sur des protocoles de prise en charge et sur des transmissions écrites. Après, il faut un anesthésiste s’occupant de 2 patients au bloc opératoire. C’est à peu près la règle, mis à part si le patient est très lourd et alors il y a un seul anesthésiste. Mais la plupart du temps, c’est deux patients. Forcément on n’arrive pas à suivre comme les chirurgiens. Si on suivait comme les chirurgiens, les délais d’intervention seraient nettement plus longs pour arriver à avoir ce binôme chirurgien-anesthésiste en permanence.
L’anesthésiste que vous n’avez pas vu mais qui lui a vu votre dossier à l’avance, qui en a discuté avec l’anesthésiste que vous aviez vu précédemment en consultation, est tout à fait au courant. Si demain vous prenez l’avion mais que le pilote qui doit faire la ligne est malade au dernier moment, il sera remplacé par un autre pilote qui va appliquer exactement la même procédure.
On peut choisir de dormir complétement… ou pas !
Il n’y a pas de perte d’information ?
Il n’y a pas de perte d’information. Il n’y a pas de perte de sécurité par ce système. Au contraire, ça pousse les gens à moins personnaliser et donc à appliquer des procédures standards, ce qui devrait être le cas dans toutes les disciplines.
A-t-on le choix entre l’anesthésie loco-régionale et l’anesthésie générale ? On entend souvent ce type de réflexion « Moi je préfère dormir plutôt qu’entendre le chirurgien me charcuter la jambe » et je m’excuse auprès des chirurgiens de ce terme.
Je peux comprendre cette réflexion. On a le choix dans la mesure du possible; ça dépend quel type d’intervention. Par exemple, sur l’orthopédie, on a le choix d’avoir une loco-régionale. Donc on va endormir un membre, une partie du corps. Ou faire une anesthésie générale, celle qu’on connaît tous, avec un tuyau dans la bouche. On peut avoir les 2 aussi parce qu’en fait il n’y a rien de mieux pour la prise en charge de la douleur que l’anesthésie loco-régionale. Donc on peut avoir une anesthésie loco-régionale et après une anesthésie générale.
Par exemple, si on vous opère du poumon, on vous fera une anesthésie péridurale au niveau du thorax, parce que la période après intervention peut être assez douloureuse. Et on vous endormira complètement parce que pour les conditions de l’intervention, il faut endormir complètement aussi. Donc toutes les solutions sont possibles en fonction du type de chirurgie, de l’endroit où on vous endort et des compétences de chacun à faire les gestes.
Un sommeil assez agréable…
Donc je peux avoir le choix même si j’ai une intervention qui n’est pas trop lourde, au pied par exemple. Je peux quand même vous demander une anesthésie générale et je l’aurai ?
Vous pouvez très bien avoir une anesthésie loco-régionale et avoir ce qu’on appelle une sédation. C’est-à-dire que vous penserez avoir dormi tout le temps. Si vous avez une endoscopie, une coloscopie, vous penserez avoir eu une anesthésie générale, vous allez dormir tout le temps. C’est ce qu’on appelle une sédation. Ce sont des anesthésiques généraux, mais des hypnotiques à une dose qui fait qu’il n’y a pas de dépression respiratoire. Mais qui fait aussi que vous ne mémorisez pas et que vous êtes dans un sommeil qui est d’ailleurs assez agréable.
L’intubation est obligatoire
En cas d’anesthésie générale, il y a forcément intubation ? C’est-à-dire qu’on va me rentrer un tuyau dans la bouche pour que je puisse bien respirer ?
A partir du moment où on a une anesthésie générale complète, où il y a cette association de produits hypnotiques, de morphiniques pour la douleur et de curare, alors oui. A ce moment-là on a un tuyau ou d’autres dispositifs qui peuvent assurer la ventilation et l’aération des voies aériennes supérieures.
Hypnotique + morphine + curare
Justement, une précision. Quels sont les produits que vous utilisez pour nous endormir ?
En fait, ils n’ont pas tant d’importance que ce qu’on pense. Pour dormir, il faut ce qu’on appelle un hypnotique, un produit qui fait dormir. En général, c’est le propofol qui a été vraiment diffusé, popularisé via Michael Jackson, malheureusement. Ou des gaz. Des gaz inhalés comme ce qu’on appelle le sévoflurane. Ces gaz ont une particularité, ils sont très pollueurs. Et comme on parle beaucoup d’écologie, actuellement ils ne sont pas très à la mode. Mais voilà on utilise les deux pour faire dormir.
Et puis après, comme ce sont quand même des actes douloureux, on utilise ce qu’on appelle des analgésiques. Ce sont des calmants de la douleur. En général, ce sont des morphiniques, c’est-à-dire des opioïdes. Et pour relaxer les muscles sur la zone opératoire, on a tendance à utiliser souvent des curares qui sont des espèces de poisons qui vont bloquer la plaque motrice, empêcher la contraction musculaire et permettre au chirurgien d’avoir le le meilleur confort pour opérer.
Vous êtes des alchimistes, en quelque sorte, vous mélangez un petit peu tous ces produits ?
On mélange tous ces produits. C’est le fruit d’une formation quand même qui est assez prolongée puisque après les 6 ans d’études générales en médecine, il y a un internat qui va durer 5 ans. Et souvent il y a 2 ans après de ce qu’on appelle le post internat. C’est quand même assez long pour arriver à maîtriser tout ça.
L’IA prévoit quand on va se réveiller !
Est ce que votre spécialité bénéficie de progrès ?
Oui. C’est une spécialité relativement jeune. Le début de l’anesthésie date du début du siècle dernier. Mais l’anesthésie telle qu’on la conçoit aujourd’hui a explosé à partir des années 1970. Pour les plus jeunes, c’est vieux ! Mais ce n’est pas si vieux que ça en termes de médecine. On fait des progrès tout le temps. On fait des progrès en termes de produits. On a eu beaucoup de progrès à la fin du siècle dernier, dans les années 2000 où le propofol est sorti, avec des produits beaucoup plus maniables, beaucoup plus faciles, beaucoup plus rapides.
On a eu des progrès en termes de monitorage, c’est-à-dire les outils qui nous aident à surveiller un patient. On peut connaître la profondeur de l’anesthésie, la réponse à la douleur, des choses assez complexes. Et puis aujourd’hui on a une explosion de tout ce qui est intelligence artificielle et qui nous aide à prévoir les bonnes doses, à prévoir à quel moment précisément le patient peut se réveiller et à individualiser de plus en plus notre approche.
3 jours pour récupérer au lieu d’un mois
Ensuite, on a eu des progrès en termes d’organisation. Et si aujourd’hui vous pouvez rentrer à l’hôpital le matin, être opéré, sortir le soir, ou avoir une grosse intervention et sortir le lendemain, tout de suite marcher – chez nous à l’Hôpital Nord, on fait marcher les patients en salle de réveil -, tout ça, ce sont des progrès liés à l’atmosphère de l’anesthésie, qui ont été impulsés par des anesthésistes. Tout ce qui est médecine péri-opératoire a été beaucoup porté par les équipes d’anesthésie. Ce sont des progrès qui ne sont pas matériels, pas technologiques, mais structurels. Ils vous permettent aujourd’hui d’être opérés et d’être en forme 3 jours après, là où avant il fallait un mois pour récupérer.
Vous êtes sûr que je ne souffre pas pendant l’intervention grâce au monitoring ?
Je suis sûr que vous ne souffrez pas parce que d’abord vous recevez des antalgiques, des calmants, parce qu’on a des outils de surveillance avec votre fréquence cardiaque, on a des outils pour mesurer les pupilles. On a un faisceau d’arguments pour savoir que vous ne souffrez pas. Probablement pendant l’intervention, c’est là où vous aurez les meilleures conditions de confort de votre vie (rires).
L’anesthésiste décide de transfuser
Si ça saigne comme on dit pendant l’intervention, il va peut-être falloir faire une transfusion sanguine. C’est l’anesthésiste qui gère également la transfusion sanguine ?
L’anesthésiste gère tous les à-côtés de ce qui est opératoire. Et puis il travaille en duo avec un chirurgien. Quand ça saigne, d’une part il y a le chirurgien qui va pouvoir aller arrêter ce saignement, mettre un clan par exemple sur un vaisseau qui saigne, comprimer un tissu qui saigne. Quand on saigne, la pression artérielle va chuter, l’hémoglobine va diminuer et c’est l’anesthésiste qui va prendre en charge toutes ces défaillances. D’abord il faut mesurer et faire le constat, faire le diagnostic de tout ça. Et puis après apporter les mesures correctrices, c’est-à-dire savoir si j’apporte du liquide, j’apporte du sang, j’apporte des produits qui vont modifier le cœur et les vaisseaux.
Un métier stressant
C’est stressant comme boulot ?
C’est passionnant ! Mais oui, c’est un métier assez stressant, sous plein de formes différentes. Que ce soit de façon régulière (programmée, NDLR) il y a quand même une notion de vitesse. Il faut que tout ça aille vite et donc ça produit un petit stress. Ou vous le faites pour de l’urgence, avec des patients très graves comme on peut faire de temps en temps au CHU, enfin c’est à peu près toutes les nuits… Et là c’est stressant parce que vous avez la vie des gens, vous avez une responsabilité énorme et des conditions de prise en charge qui sont souvent assez chaotiques. Mais vous avez quand même un environnement qui est tout à fait sécurisant, qui fait qu’on pratique dans de très bonnes conditions dans notre pays.
Quels risques pour notre cerveau ?
Une anesthésie qui va durer longtemps, 6 ou 7 h pour des grosses interventions chirurgicales, ou bien des anesthésies répétées, sont-elles délétères pour mon cerveau, pour mon organisme ?
C’est une question super difficile. Chez le jeune enfant, très jeune, les bébés ou les nourrissons, c’est probablement délétère. Chez le vieillard, on peut penser que c’est quand même pas très bon, parce que ça crée beaucoup de confusion. Chez un adulte en pleine forme comme vous et moi, c‘est pas très clair en fait. On n’a pas de réponse. D’une façon générale, l’exposition au risque doit être minimisée et donc plus c’est long, plus le risque est important. Donc on aime bien que ça aille quand même assez vite et ne pas perdre de temps.
Très honnêtement, si on peut éviter une procédure, d’ailleurs toute la procédure, pas que l’anesthésie, il faut savoir l’éviter. C’est un message capital. Quand on doit être opéré, quand on doit avoir une intervention, il faut être sûr que cette intervention va servir à quelque chose et qu’elle est pertinente et justifiée. Parce que vraiment, aller dans un bloc opératoire, une salle interventionnelle, pour quelque chose qui n’est pas justifié, ça peut être dramatique.
Les complications sont très rares
Quels sont en général les effets secondaires de l’anesthésie ?
Les premiers effets secondaires, ce sont les nausées, les vomissements post-opératoires. Qui sont plus présents chez les femmes, qui sont plus présents chez les non-fumeurs, bizarrement, et qui sont plus présents si vous avez utilisé des morphiniques et des gaz. On peut avoir un peu de confusion, notamment chez les sujets âgés, selon les types de produits qu’on utilise. Après on peut avoir quelques maux de gorge, des choses assez minimes qui sont traitées facilement. On peut avoir quelques très, très rares complications sur les 13 millions d’anesthésies. C’est quelques cas, voilà, mais ça peut arriver.
Il faut arrêter de fumer longtemps avant une anesthésie
Quand vous êtes face à un fumeur que vous devez endormir, est-ce une chose à prendre en compte ou ça ne pose pas de problème particulier ?
Cela pose des problèmes très particuliers, ça augmente à peu près tous les risques. Les risques respiratoires, le risque cardiovasculaire, le risque d’accident vasculaire cérébral. Ça augmente tous les risques, ça ne nous protège de rien et pour très peu de cigarettes. Donc vraiment, si vous devez vous faire opérer, faites un sevrage. Aujourd’hui, en plus, on a plein d’outils. Des patchs qui permettent de se sevrer rapidement. Vraiment, il ne faut pas fumer avant une intervention. Plus le temps d’arrêt est long, mieux ce sera pour votre période péri-opératoire.
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