Jérôme a fait bondir l’applaudimètre ce mardi soir au Cours Bastide. Témoignant dans le cadre de la conférence d’information sur le don d’organes organisée par MProvence et l’APHM, l’ingénieur aéronautique marseillais de 36 ans a conquis le coeur des 150 lycéens présents. Il faut dire que l’histoire qui le lie à sa soeur est peu banale et témoigne d’un amour familial remarquable.
La soeurette, donc. C’est Amandine, une brunette pétillante âgée de 33 ans. Elle a raconté son parcours sans rien cacher. « Je suis née avec deux tout-petits reins qui n’ont pas grandi. Ils mesurent 2 centimètres quand un rein normal ça fait 12 centimètres au moins. » Impossible pour ces organes atrophiés de remplir suffisamment leur rôle vital de filtration du sang. « J’étais toute petite, je ne grandissais pas bien. Quand j’avais 7 ans, on a proposé à mes parents de me greffer un rein. Et ma vie a changé. Je me suis mise à grandir, à vivre comme tout le monde. »
Une famille lui a donné le rein de son enfant décédé
L’opération s’est déroulée en l’an 2000 à l’hôpital de la Timone-Enfants. Amandine a bénéficié du rein donné par la famille d’un jeune patient décédé accidentellement. Des Amandine, enfants ou adultes, il en existe des milliers à travers la France. Plus de 22 000. Comme elle, ils attendent un organe pour vivre.
Malheureusement, et particulièrement à Marseille, les dons d’organes se sont effondrés ces dernières années. En 2023, 6 familles sur 10 ont refusé le prélèvement des organes sur l’un de leurs proches pourtant décédé (le taux de refus national est de 36%). La personne est en effet en état de mort encéphalique – son cerveau ne fonctionne plus. Seul son coeur bat encore quelques heures ou quelques jours grâce aux machines, permettant ainsi de perfuser les poumons, le foie, les reins…
« Je voulais avoir un enfant mais… »
Sa jeunesse a valu à Amandine d’être prioritaire dans l’attribution d’un rein. Mais un rein transplanté, ça vieillit plus vite qu’un rein natif. Et vingt ans plus tard, Amandine a compris au prix d’un drame effroyable que ce rein greffé était en bout de course. « Je voulais avoir un enfant et j’étais enceinte. Mais j’ai perdu mon enfant à 5 mois et demi de grossesse, mon rein ne fonctionnait plus. » Face à elle, les 150 élèves sont sidérés par la tournure des événements.
« J’ai été placée en dialyse. Trois fois par semaine pendant quatre heures je devais m’allonger pour que mon sang soit nettoyé. J’étais toute jaune, mon organisme n’évacuait plus très bien les toxines. J’espérais une greffe rapide, malheureusement en étant adulte je n’étais plus prioritaire. Je devais travailler depuis la maison », raconte la gestionnaire de patrimoine Les mois passent et une autre solution se fait jour. « Mes parents m’ont dit : si tu es dans cette situation, c’est un peu notre responsabilité aussi, alors on va te donner un rein. »
« Rien de plus beau que sauver ma soeur »
La greffe d’organe à partir de donneur vivant est en effet possible, mais uniquement pour le rein car on en a deux et pour une partie du foie quand le receveur est un enfant. « Mon père n’était pas compatible, alors mon frère a été testé. » Bingo ! Jérôme n’hésite alors pas un instant.
« Il n’y avait rien de plus beau pour moi que de sauver ma soeur ! » Rapidement, le duo est pris en charge à l’hôpital de La Conception. Le Jour J arrive. Jérôme est endormi dans un bloc opératoire contigu à celui de sa soeur. C’est le Pr Romain Boissier qui réalise le prélèvement du rein sur ce gaillard. Et c’est la Dr Véronique Delaporte qui accomplit la transplantation sur Amandine. D’un ventre à l’autre, le transfert n’a pas pris plus d’une heure trente. Des conditions optimales pour assurer le fonctionnement de l’organe.
Amandine a pu devenir maman !
Mais on vous l’a dit, et ça se voit sur la photo , Jérôme (pull marron) est un costaud. Il a une corpulence double de sa soeurette. L’avantage est que cette dernière bénéficie ainsi de ce que la chirurgienne qualifie avec humour de « rein de compétition« . Petit désagrément : ce rein greffé dans la fosse iliaque bombe légèrement sur le ventre d’Amandine. « Mais ce n’est vraiment pas grave ! » sourit cette dernière.
Et un autre miracle va bientôt se produire : Amandine, qui est partie vivre avec son mari à Embrun (Hautes-Alpes), est de nouveau enceinte. Le rein tient le coup. Elle a donné naissance voilà treize mois à une petite Lyana. Les lycéens applaudissent cette fantastique nouvelle.
« Dites à vos proches si vous êtes donneurs ! »
La Dr Delaporte est justement présente devant les adolescents aux côtés d’Amandine pour expliquer sur un plan médical ce qu’est le don d’organes. « Je ne suis pas venue pour vous convaincre absolument de vous déclarer favorables au don, même si c’est ce que nous espérons. Vous avez le droit d’y être opposés. Mais je vous demande d’en parler en famille pour faire connaître votre choix si vous perdiez la vie. »
C’est en effet fondamental. Beaucoup d’oppositions au prélèvement d’organes sont fondées sur l’ignorance de la volonté du défunt : « On ne sait pas ce qu’il aurait voulu. Donc on préfère ne pas donner« , disent souvent les familles.
Dommage ! Car comme l’a rappelé Marion Jacquin, infirmière spécialisée dans ce dialogue avec les familles, une personne décédée peut sauver 5 ou 6 vies grâce au don du coeur, des poumons, du foie, des reins, mais également du pancréas, des cornées, ou d’os qui sont généralement employés pour opérer des malades du cancer. Le corps est ensuite rendu à la famille pour les funérailles dans un parfait état de conservation. « Le prélèvement d’organes est réalisé dans les mêmes conditions que n’importe quelle intervention chirurgicale« , confirme Véronique Delaporte.
« Mon père a sauvé 5 personnes en donnant »
Marion Jacquin a d’ailleurs expliqué avoir été elle-même confrontée à ce choix l’été dernier lorsque son père de 70 ans a fait une chute fatale. Il ne pouvait plus respirer par lui-même. « Heureusement qu’il nous avait dit qu’en cas de malheur, il était favorable au don de ses organes. Cela nous a enlevé un poids de connaître sa volonté et on l’a parfaitement respectée. Il a sauvé 5 personnes. »
Interrogés anonymement avant la conférence, les lycéens avaient déclaré à 100% accepter qu’on leur greffe un organe si leur survie en dépendait. Mais près d’un quart d’entre eux toutefois refuseraient de donner leurs organes s’ils se retrouvaient en état de mort cérébrale. Curieux paradoxe. Nul doute que ce type de conférence fait réfléchir les indécis et transporte le sujet au coeur des familles. C’est l’objectif numéro 1. En parler. Pour savoir la volonté de chacun.
« Les organes, ça ne pousse pas sur les arbres ! »
« Ne comptez pas sur les organes artificiels ou sur ceux d’animaux comme le porc pour vivre », a d’ailleurs rappelé la Pr Valérie Moal, néphrologue et présidente de la commission de transplantation de l’APHM. « Cela ne marche pas. La seule solution pour sauver des vies, c’est le don d’organes. »
Conclusion de Marion Jacquin : « Les organes, ça ne pousse pas sur les arbres ! On a même le choix de dire ce qu’on voudrait donner comme organes. Et soyez rassurés, vous avez beaucoup plus de chances d’être receveur que donneur. »
Ambassadeurs du don
Après une série de questions posées aux soignants et à Amandine et son frère, après quelques larmes d’émotion et bien des éclats de rire, les lycéens sont repartis avec un bracelet vert « Je donne, tu donnes » accroché au bras et un petit document de synthèse sur le don d’organes dans la poche. Gageons que beaucoup deviendront des ambassadeurs du don auprès de leurs proches !
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