C’est un signal fort que cette salle pleine un lundi soir de novembre à Nice à l’initiative de notre média pour parler d’un cancer masculin encore bien tabou, celui de la prostate. Visiblement, comme à Marseille au début du mois puis à Saint-Raphaël, les hommes et leurs compagnes n’ont plus peur d’afficher leurs préoccupations en la matière. Et ils ont bien raison ! Et puis il faut dire que les Alpes-Maritimes comptent parmi les dix départements les plus touchés par ce cancer, en raison notamment d’une part vieillissante de la population plus élevée qu’ailleurs et d’un réseau de soins évidemment très développé, donc accessible et qui favorise le diagnostic puis la prise en charge.

La bonne nouvelle du Pr Durand
Ce cancer touche un homme sur 7, avec 60 000 nouveaux cas dépistés chaque année en France. Il est mortel s’il n’est pas soigné : 9 220 décès en 2022. A l’orée de cette réunion publique organisée dans la magnifique salle de spectacles du Stockfish, le professeur Matthieu Durand a rappelé que le nombre de cancers de la prostate est en augmentation « car nous vivons de plus en plus nombreux et de plus en plus vieux. Et comme nous faisons ce travail de dépistage soigné, nécessairement nous découvrons de plus en plus de cancers de la prostate.

« Mais, bonne nouvelle, on les découvre à des stades de plus en plus indolents, peu agressifs. Cela ne veut pas dire que le fait d’avoir un cancer de prostate qui est diagnostiqué va induire nécessairement un traitement. Tous les cancers de prostate ne sont pas graves« , rassure le chef du service d’urologie, d’andrologie et de transplantation rénale du CHU de Nice.
Autre signe des temps pour un thème typiquement masculin comme elle le pointait elle-même, c’est une femme, la conseillère municipale et conseillère métropolitaine Barbara Prot, qui a prononcé l’allocution d’ouverture. Affirmant que « le dépistage n’est plus une option« , et rappelant qu’on a tous « un frère, un père, un proche qui est ou a été touché, on est donc tous concernés par ce cancer. »

N’attendez pas : ce cancer est silencieux
Sous la houlette du Pr Durand, les médecins se sont succédé à la tribune pour délivrer un enseignement détaillé et rendu accessible à tous. Le Pr Damien Ambrosetti, anatomo-pathologiste à l’hôpital Pasteur, a expliqué comment les cellules cancéreuses prolifèrent à la périphérie de la prostate. « Ce cancer va mettre du temps pour vous gêner pour uriner et à produire des signes, d’où l’intérêt de le dépister. »

Plus la maladie est détectée tard, plus elle risque d’avoir débordé la petite glande séminale et colonisé les organes voisins, les ganglions, voire les os. Et alors la survie est compromise. C’est pourquoi le Dr Romain Haider, chef du service d’urologie de l’hôpital de Cannes, a plaidé pour un dépistage dès 50 ans et jusqu’à 75 ans avec dosage sanguin du taux de PSA et un toucher rectal pour palper la prostate via l’anus.

« Avant 50 ans, le cancer est exceptionnel. Si on a un facteur de risque, comme un frère ou un père atteint, ou des origines afro-caribéennes, on peut être dépisté à partir de 45 ans. N’attendez pas d’avoir des symptômes comme des envies fréquentes ou urgentes d’uriner, avoir besoin de pousser pour uriner ou du sang dans les urines. Ni d’avoir, comme c’est le cas quand le cancer est au stade métastatique, des douleurs dans le bassin, la colonne vertébrale, et même des fractures osseuses, la perte d’appétit et un amaigrissement. »
En cas de doute, comment ça se passe ?
Le toucher rectal est associé au dosage du PSA. « Mais ce n’est pas parce qu’on a un PSA élevé qu’on a un cancer ! Il peut être élevé si on a une grosse prostate ou un adénome de la prostate, si on a fait des infections. Si on a un doute, nous prescrivons une IRM, elle va déceler d’éventuelles zones suspectes, et si c’est le cas, on prélève des échantillons dans la prostate en pratiquant une biopsie sous anesthésie. »

Et après 75 ans, on n’a donc plus qu’à mourir puisque l’évolution de ce cancer est réputée lente ? Il revenait à la Dr Cyrielle Rambaud, onco-gériatre au centre Arnault Tzanck, de répondre… Non ! « On peut envisager un traitement mais en prenant en compte votre état de santé général, et vos pathologies. A partir de 70 ans si vous avez ce cancer, on va vous proposer une consultation avec un onco-gériatre afin d’évaluer votre état global. Ce qui aidera le chirurgien et l’oncologue à prendre la bonne décision de traitement. »
Après 75 ans, une fausse idée dangereuse
La Dr Rambaud tient à démonter un lieu commun : « C’est une fausse idée de croire que le cancer évolue tout doucement après 75 ans. Mais il est de bon pronostic, même s’il existe des formes agressives chez la personne âgée. »
Le Pr Durand insiste : « Dépister ne veut pas dire traiter ! » L’occasion d’évoquer la surveillance active, de plus en plus préconisée pour les nouveaux cas de cancer. « C’est une thérapie, rappelle le Dr Oskar Blezien, urologue à l’hôpital d’Antibes. On surveille de près le malade qui a un cancer qui n’est pas agressif et on se tient prêt à intervenir à tout moment si besoin. » Il faut que le cancer soit localisé à la prostate, de bas grade, avec un PSA inférieur à 10. Cette surveillance suppose un dosage trimestriel du PSA, un toucher rectal semestriel, une IRM annuelle et une biopsie 3 mois après le diagnostic puis tous les 2 à 3 ans.

Surveillance active = répit
Ainsi la qualité de vie n’est pas affectée par des traitements qui amoindrissent définitivement les capacités sexuelles et qui créent des fuites urinaires temporaires sur un an. 30% des patients surveillés sortent de ce protocole pour être traités car la maladie a évolué. Mais le Dr Blezien précise : « Même dans ce cas il n’y a pas de modification de l’espérance de vie. » En effet, ce cancer évoluant lentement, s’il vient à progresser il est pris en charge largement à temps. Toutefois, il faut psychologiquement supporter l’idée de vivre avec un cancer au fond du ventre, même indolent ! Certains préfèrent qu’on les en débarrasse tout de suite.
C’est le Dr Brannwel Tibi, urologue au CHU Pasteur et à l’hôpital de Menton, qui a présenté l’intervention chirurgicale qu’est la prostatectomie robot-assistée qui consiste à retirer l’organe entier. Il s’en pratique plus de 200 par an au CHU azuréen et environ 20 000 en France.

L’avantage du robot
« L’intervention dure de 1h30 à 3h, on essaie de préserver les nerfs de l’érection. Cela s’adresse à des patients présentant un cancer localisé, de faible volume, avec une agressivité significative. » Selon lui, la précision chirurgicale est augmentée par rapport à la chirurgie ouverte, conventionnelle, qui est encore pratiquée (avec succès) notamment dans certains hôpitaux périphériques sur le territoire national non dotés de robots. Autre avantage, la durée d’hospitalisation est réduite à 2 ou 3 jours, voire une journée en ambulatoire « car les patients n’ont plus mal » du fait d’incisions très réduites, moins délabrantes.
Et les effets secondaires ? Ils ne sont pas nuls. Concernant l’incontinence urinaire, elle est rentrée dans l’ordre au bout d’un an dans 74% à 100% des cas. C’est plus problématique pour la dysfonction érectile. « Les érections sont affectées dans 50% à 80% des cas car si le cancer est un peu trop étendu, il faut couper les nerfs érecteurs. » Toutefois, le Dr Tibi précise qu’un certain nombre de patients n’avaient déjà plus d’érections avant l’opération et que, pour eux, ce n’est donc pas tellement un souci.
Les rayons tuent les cellules cancéreuses
Le Dr Médéric Barret, oncologue radiothérapeute au Centre Antoine-Lacassagne, a présenté la deuxième alternative en matière de traitement : la radiothérapie. Elle peut concerner à raison de 5, 20 ou 33 séances (1 par jour ouvré) les cancers localisés, ceux qui sortent un peu de la prostate et les cancers métastatiques avec peu de métastases. Les rayons sont également préconisés si le PSA remonte au-delà de 0,2 ng/l après une chirurgie, pour une radiothérapie de rattrapage.

« Les rayons tuent les cellules cancéreuses, explique le Dr Barret. Pour atteindre la prostate, ils traversent d’autres organes, ce qui engendre des effets secondaires. Mais nos équipements sont de plus en plus performants. Parfois, on couple avec une hormonothérapie qui fait baisser le taux de testostérone dont se nourrit le cancer. » En radiothérapie comme souvent en chirurgie, on ne peut pas éviter d’endommager les nerfs érecteurs, avec cependant des effets toxiques décalés dans le temps sur la sexualité.
La thérapie focale prometteuse
Le Pr Matthieu Durand a délivré un point précis sur un traitement appliqué au CHU de Nice, la thérapie focale qui envoie des ultrasons de haute intensité sur la zone touchée de la prostate. Appelée Focal One/HIFU, elle s’adresse à des patients triés sur le volet, n’ayant que de petites lésions de faible risque ou de risque intermédiaire.
« La zone est détruite par des effets thermiques à 80 degrés, mécaniques et vasculaires. L’avantage, c’est qu’il n’y a pas de chirurgie invasive, que les fonctions urinaires sont préservées à 95% à un an et que 70% à 85% des patients conservent leurs érections (contre environ 50% avec la chirurgie et la radiothérapie). Une IRM et une biopsie de contrôle sont réalisées à 6 mois et à un an. 5 à 10 ans après l’intervention, 75% des patients sont définitivement guéris. » Mais qu’on ne s’emballe pas : ce sont uniquement des patients rigoureusement sélectionnés qui peuvent en bénéficier, présentant un profil très particulier.
Mangez des pâtes avant une opération !
Infirmière de coordination spécialisée dans la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC) , Jaël Verneuil a expliqué à l’auditoire comment bien se préparer à l’intervention chirurgicale avec une alimentation appropriée (mangez un bon plat de pâtes la veille pour emmagasiner des sucres lents !) et du renforcement musculaire pour aller au bloc avec une forme olympique.
« S’il est bien préparé, le patient sera moins angoissé pour sortir après l’opération. Quand on fait du patient un acteur de sa santé, on a de meilleurs résultats. » En 2024, ce sont 682 malades du service d’urologie du CHU qui ont ainsi été bichonnés avec ce processus de RAAC.

Le canapé, c’est la mort qui se rapproche
Evidemment, l’activité sportive adaptée est un élément phare de la remise sur pied. Bref, ce n’est pas parce qu’on a un cancer qu’il faut rester dans son canapé ! Au contraire selon Frédéric Chorin, responsable de la Plateforme Fragilité à l’hôpital de Cimiez et au CHU. « Plus vous passez de temps assis, plus votre risque de mortalité augmente ! » Il constate que « toutes les personnes qui accomplissent une préhabilitation, qui se préparent physiquement à la chirurgie, ont une meilleure récupération. »

Parlons de sexualité !
Ce qui est formidable à Nice, c’est cette chaîne préventive et curative mais aussi post-opératoire parfaitement huilée qui est proposée aux patients. Et la sexualité en fait partie intégrante, comme l’a souligné la Dr Flora Barthe, urologue spécialisée en andrologie à l’hôpital de Cannes et au CHU. « Personne ne parle de sexualité aux malades ! » Selon une enquête pour l’Institut National du Cancer, 43% ne s’étaient rien vu proposer, 17% avaient dû eux-mêmes aborder le sujet, 18% (seulement !) avaient été sensibilisés par les soignants et 17% n’avaient pas souhaité d’informations.

La verge rétrécit
« L’annonce d’un cancer de la prostate a des conséquences émotionnelles et relationnelles, elle engendre des troubles de l’humeur, et tout cela impacte la sexualité, et toute la sexualité, insiste la Dr Barthe. Après un traitement, par exemple l’orgasme sera différent, diminué, l’éjaculation sera absente ou diminuée, et il faut compter avec la fatigue. On assiste également à une diminution de la verge avec des déformations et une perte de longueur. Sans oublier le stress conjugal. La sexualité va être compliquée et on va adapter le traitement à votre désir fonctionnel. »
Après ce tableau inquiétant, la sexologue était attendue comme le messie. Car en permettant de mettre des mots sur ce malaise, la Dr Hélène Giralt (hôpital de Menton et CHU de Nice) ouvre des solutions. « On aura une sexualité appuyée sur une aide médicale mais pas absente. On a deux types de traitements médicamenteux, la pilule bleue et les prostaglandines. »

Une mini piqûre dans le sexe, et ça repart !
Si les bandelettes nerveuses déclenchant les érections ont été retirées, la médecin insiste sur l’efficacité des injections intracaverneuses. « Le patient se fait une petite piqûre avec une aiguille ultrafine – plus fine que celle utilisée par les diabétiques -, au bas de la verge 15 à 20 mn avant une pénétration, c’est le temps des préliminaires ! glisse avec malice la Dr Giralt sous les rires amusés de l’assistance. Cela ne fait absolument pas mal, ça peut faire peur, mais c’est tout, je vous le promets. La première fois on réalise cette injection avec le médecin qui vous apprend comment faire, en présence éventuelle de sa ou son partenaire. Et pour ceux qui ont un bidou et qui ne voient pas l’aiguille ou qui ont peur, il existe des stylos injecteurs qu’il suffit de recharger. Il n’y a aucune contre-indication médicale. »

Sans injection 2 fois/semaine, adios les érections
La sexologue insiste sur un aspect très important : une verge qui n’a plus d’érections va inéluctablement s’atrophier, faute d’apport sanguin et d’oxygénation. C’est pourquoi elle recommande aux patients, même aux célibataires ou à ceux qui n’ont pas de sexualité, de se faire des injections d’entretien des corps caverneux deux fois par semaine. « Il faut une prise en charge rapide après le cancer, sinon les tissus fibrosent et perdent leurs capacités érectiles. »
En cas d’échec des autres thérapeutiques, il ne reste que la solution des implants péniens. C’est la spécialité de la Dr Flora Barthe. Actionné par une interrupteur au niveau des bourses qui envoie de l’eau remplir la prothèse, il va servir de tuteur à une pénétration. « C’est une chirurgie irréversible. » On coupe le circuit avec le bouton, la verge se replie. « Le niveau de satisfaction des patients et de leurs partenaires atteint 90%« .
Les conseils de Patrick, opéré en 2017
Il revenait à Patrick, patient adhérent de l’Anamacap, de conclure les débats après avoir remis un flyer d’information à tous les présents. Car cette association conseille d’échanger et de partager ses questions et ses inquiétudes avec des hommes ayant vécu cette épreuve.
Opéré à Nice par chirurgie conventionnelle en 2017, il va très bien avec un PSA plafonnant à 0,04 ng/l. Et il est un habitué des injections dans la verge. « Mais toutes ces informations données ce soir, je ne les connaissais pas quand j’ai découvert mon cancer ! Et si j’avais su, j’aurais fait doser mon PSA plus tôt. »

Regrette-t-il d’avoir été opéré avec les effets secondaires que l’on sait ? « J’avais un cancer très agressif, le seul moyen de survivre était d’être agressif à mon tour. Les conséquences urinaires et érectiles sont passées alors au second plan. Je n’ai pas eu de problèmes urinaires. Et pour les érections, je pratique les piqûres, par plaisir et pour le plaisir hen ! » lance-t-il avec humour. « J’ai un moral d’acier, ça aussi ça compte. »
Patrick a fait le choix de ne pas en parler à son entourage, ni à ses enfants, avant d’être tiré d’affaire. « Ils vivaient à l’étranger, donc ça a été facile de leur cacher la maladie, je ne voulais pas les inquiéter. Mon épouse m’a épaulé, comme moi je l’avais soutenue quand elle a eu un cancer du sein. On a affronté la maladie à deux. »
Encore 2 conférences publiques à Avignon et Toulon
MProvence invite le public à deux dernières conférences publiques et gratuites en présence des médecins et soignants vauclusiens à Avignon et varois à Toulon, des patients témoins de l’Anamacap seront également présents :
- Mercredi 26 novembre à 18h à l’Institut du Cancer Sainte Catherine, 250 chemin Baigne-Pieds à Avignon.
- Jeudi 27 novembre à 18h au Palais des Sports de Toulon (salon VIP), 420 avenue Amiral Aube à Toulon.
ANAMACAP : Association nationale des malades du cancer de la prostate, info@anamacap.fr, sur Facebook. Permanence téléphonique du lundi au jeudi au 05 56 65 13 25 (non surtaxé)



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