On a tous des grains de beauté et souvent leur changement d’aspect nous inquiète. Quels sont les signes qui doivent nous amener à consulter ?
Dr Elodie Archier : Effectivement, on peut parfois s’inquiéter lorsqu’un grain de beauté est amené à changer d’aspect. Cependant il faut savoir que les mélanomes – qui sont les cancers de la peau qui nous préoccupent le plus et qui sont les plus graves – surviennent dans 80% des cas en peau saine. C’est-à-dire que ce n’est pas la modification d’une lésion préexistante qui aboutit au cancer de la peau. Au contraire, c’est quelque chose de nouveau qui apparaît à un endroit où il n’y avait rien auparavant. Dans les 20% des cas restants, c’est effectivement un grain de beauté préexistant qui va se mettre à changer d’aspect, de couleur, qui va se mettre à grossir ou peut-être à saigner au contact par exemple. Tout ça, ce sont des signes qui peuvent alerter les patients. Ils aboutissent souvent à une consultation qui, si possible, doit être rapide.
Parfois ce n’est pas un grain de beauté…
Est-ce qu’un grain de beauté qui évolue, qui change, c’est forcément le signe de quelque chose de grave, voire d’un cancer ?
Un grain de beauté qui se modifie doit être contrôlé par un dermatologue, c’est une certitude. Il arrive aussi souvent qu’on reçoive des patients en consultation qui viennent pour une modification d’un grain de beauté et qu’en fait la lésion en question ne soit pas un grain de beauté. La caractérisation précise de la lésion, c’est aussi important.
Donc il ne faut pas forcément s’inquiéter quand on a une lésion sur la peau qui se modifie. Il peut y avoir tout un tas de choses qui ne sont pas des grains de beauté sur la peau et qui peuvent y ressembler. Comme par exemple les kératoses séborrhéiques. Ce sont des espèces de verrues planes et discrètement pigmentées, un peu rugueuses au toucher. Ce sont des lésions bénignes qui peuvent grossir, changer d’aspect sans jamais être inquiétantes.
Je me suis écorché en me rasant…
On peut aussi avoir des lésions en relief qui sont les naevus dermiques. Ce sont des lésions en relief qui sont tout le temps bénignes, même quand elles saignent parce qu’on les arrache, etcetera. Ce sont des lésions qui ne se cancérisent jamais. On peut avoir aussi parfois des patients qui consultent pour des pendulum : ces petites excroissances de chair qu’on peut avoir dans le cou, sous les aisselles. Ils viennent consulter parce qu’ils les ont écorchés en se rasant par exemple. Pareil, ce n’est pas grave. Donc oui, effectivement, il faut consulter quand on a un grain de beauté qui change d’aspect. Mais toutes les lésions de la peau ne sont pas des grains de beauté. Et donc tous les changements d’aspect des lésions de la peau ne doivent pas forcément mener à une consultation.
Quand il y a un souci avec un grain de beauté, la solution consiste-t-elle systématiquement en l’ablation ?
Quand on a un doute sur le caractère malin d’un grain de beauté – c’est-à-dire sur le potentiel mélanome en place – la règle c’est l’exérèse. C’est-à-dire le retrait chirurgical, au bistouri, de la lésion. On ne prend pas de marge particulière, on enlève juste la lésion en totalité. Mais par contre, sauf cas exceptionnel, on ne biopsie jamais les lésions pigmentées. C’est à dire qu’on n’en prend pas un tout petit bout, on enlève tout d’emblée. Donc la réponse est oui : quand on a une lésion suspecte de cancer de la peau, elle se retire en totalité.
Les blonds et les roux plus à risque
On entend dire souvent que les peaux des blonds ou des roux sont plus à risque. Est-ce vrai ?
Oui c’est vrai. Les peaux claires sont plus à risque que les peaux mates de développer des cancers de la peau. On a parlé des mélanomes mais il n’y a pas que les mélanomes. Dans les cancers de la peau il y a également la famille des carcinomes cutanés. Ce sont les carcinomes basocellulaires et spinocellulaires. Les mélanomes sont liés à l’exposition intense dans l’enfance au soleil alors que les carcinomes, eux, c’est plus l’exposition chronique au cours de la vie qui aboutit au bout d’un moment à l’apparition de ces lésions chez le sujet plutôt âgé. Les mélanomes comme les carcinomes sont des cancers de la peau qui peuvent nécessiter une exérèse chirurgicale quand on les suspecte.
Les blonds et les roux doivent donc se surveiller plus attentivement ?
Plus la peau est claire, plus le risque de voir se développer ces lésions cutanées au cours de la vie est important pour les carcinomes mais aussi pour les mélanomes. Il y a plus de risque de mélanome chez les patients à la peau clair et au phototype clair que chez les patients à peau mate.
Les peaux mates doivent aussi se protéger du soleil !
Justement, si j’ai la peau mate, est-ce que je peux finalement me dispenser de me protéger du soleil notamment ?
Pas du tout ! Les peaux mates doivent se protéger également des rayonnements ultraviolets et c’est très important pour plein de raisons. D’abord pour se protéger du risque de cancer de la peau qui n’est pas nul, même chez les peaux mates. Il est moins important que chez les peaux claires, mais il n’est pas nul pour autant. Et puis ensuite le soleil c’est aussi le principal facteur de photo-vieillissement de la peau. Mettre une crème solaire, quel que soit son phototype, c’est le meilleur soin anti-âge qui existe. Les phototypes doivent tous se protéger du soleil, quels qu’ils soient.
Vous avez épuisé votre capital soleil…
On entend souvent parler aussi de l’expression « le capital soleil ». ce serait une sorte de quota d’exposition aux rayons qu’il ne faudrait pas dépasser durant sa vie. De quoi s’agit-il ?
C’est exactement ça. C’est une sorte de quota d’exposition au soleil. C’est-à-dire qu’au cours de la vie, certains patients vont avoir un très faible capital soleil. Et donc ils vont prendre un certain nombre de rayonnements UV et puis, assez jeunes dans leur vie, ils vont commencer à développer des carcinomes de la peau le plus souvent, parfois des mélanomes. Et puis il y a d’autres patients – on en voit plein qui vont prendre le soleil de manière extrêmement importante au cours de la vie- et qui finalement ne vont peut-être jamais faire de cancer de la peau, ou parfois très tard dans leur vie.
On n’est pas tous égaux. Il n’y a pas que la couleur de la peau qui compte. Il y a certainement d’autres paramètres qu’on ne maîtrise pas parfaitement, qu’on ne connaît pas tous encore à l’heure actuelle. Mais oui, effectivement, on a cette notion de capital soleil. Quand on commence à faire des carcinomes ou des cancers de la peau à répétition, on dit aux patients que clairement leur capital soleil est épuisé. Et qu’il faut vraiment se protéger du soleil pour éviter qu’il y en ait d’autres qui apparaissent au cours de la vie.
On ne met jamais assez de crème solaire
Quand on se protège du soleil, il faut se protéger toutes les parties du corps ?
Oui. Cela dépend ce qu’on entend par « s’exposer au soleil ». L’exposition au soleil dans le cadre des vacances à la plage, où on va volontairement bronzer, évidemment que là il faut se protéger du soleil en mettant de la crème solaire ou des vêtements couvrants, etcetera. Mais ce n’est pas le seul moyen de prendre du rayonnement UV, notamment dans nos régions très ensoleillées y compris l’hiver finalement. Le rayonnement UV a lieu toute l’année. Il est moindre l’hiver mais il n’est pas nul.
Je pensais par exemple au visage, aux oreilles, des parties qu’on ne protège pas forcément tout le temps. Il faut aussi couvrir ces parties là ?
On le conseille à nos patients lors des consultations. Surtout quand on a des antécédents ou des facteurs de risque de cancer de la peau bien sûr. La meilleure des protections solaires restera toujours la protection textile. Un t-shirt anti UV ou pas – mais anti UV a fortiori – mais un t-shirt tout simple aussi, ça protégera toujours mieux qu’une crème solaire appliquée. Pour arriver à respecter les consignes de photo-protection avec les crèmes solaires, il faudrait en appliquer des quantités totalement colossales. Alors qu’un habit couvrant, ça va toujours mieux protéger . Donc pour protéger un visage, ou le cuir chevelu, on conseille au patient une casquette, un chapeau à bord large. Tout ça va permettre d’améliorer la photoprotection, et une crème solaire en complément.
Méfiez-vous du soleil d’hiver
On est dans la période hivernale. Faut-il continuer à se crémer lorsqu’on s’expose au soleil en hiver, par exemple quand on va se promener tout simplement ? Ou bien peut-on quand même raisonnablement se passer de ces crèmes coûteuses ?
Cela dépend encore une fois de la manière dont on s’expose au soleil. Si on a une exposition solaire programmée – par exemple lors des sports d’hiver ou l’on sait qu’on va prendre un rayonnement ultraviolet important – là, évidemment, il faut se protéger du soleil. En revanche, si on va acheter le pain à la boulangerie et qu’on traverse la rue, on n’est pas obligé de se tartiner de crème juste pour ça. Sous réserve de ne pas avoir d’antécédents de cancer de la peau soi-même. A partir du moment où on a fait un cancer de la peau, là on devient à risque de développer un cancer de la peau suite à une exposition importante aux rayonnements UV. Et donc on se protège le plus possible, y compris l’hiver.
Si vous allez faire une randonnée dans les calanques en hiver pendant 3 heures, vous vous protégez ?
Tout à fait.
Tâches de vieillesse : que faire ?
Il y a un sujet qui fait là aussi la fortune des fabricants de crème et des pharmaciens, ce sont les tâches de vieillesse sur les mains ou le visage. A quoi sont-elles dues et peut-on s’en préserver ?
Effectivement. Ces tâches dites « tâches de vieillesse », ça s’appelle en langage médical des lentigos solaires. Leur nom l’indiquent bien : ce sont des tâches qui sont liées à l’exposition au soleil chronique au cours de la vie. En vieillissant – et plus les peaux sont claires, bien souvent – on va voir se développer ces lésions. Ce n’est pas pour rien qu’elles apparaissent sur les mains et sur le visage. Ce sont les zones d’exposition chroniques au soleil. Même l’hiver on a des vêtements qui ne couvrent pas les mains et puis le visage est exposé au rayonnement UV.
Cette exposition chronique au soleil va entraîner un photo-vieillissement de la peau et le photo vieillissement de la peau va également s’accompagner de l’apparition de tâches au cours du vieillissement cutané. On peut s’en prémunir avec une photoprotection. C’est toujours la même chose hein ! Donc sur les mains et le visage. C’est soit le port d’un chapeau soit une crème solaire à appliquer régulièrement. Par contre ce sont des lésions qu’on peut retirer à visée esthétique. Elles se retirent par cryothérapie ou par laser. Mais là on rentre dans un cadre de soins esthétiques.
Apparition des tâches dès 30 ans parfois
Ces tâches apparaissent en général à partir de quel âge ?
C’est extrêmement variable, ça peut apparaître à la trentaine. Parfois sur des peaux un peu plus mates c’est plus tard, vers la quarantaine ou la cinquantaine, c’est très varié.
Vous n’avez pas de tâches sur vos mains docteur Archier. Comment faites-vous ?
Parce que je suis jeune bien sûr ! (Rires) J’ai la chance d’avoir une peau plutôt pas très à risque parce que je suis plutôt mate. Et donc j’ai moins de nécessité de photoprotection à visée d’anti vieillissement. Mais surtout il faut penser à se protéger du soleil dès qu’on en à l’occasion, pour éviter l’apparition des tâches et le photo-vieillissement.
Le généraliste sait repérer les signes de cancer
Faut-il régulièrement consulter un dermatologue, comme on consulte le gynécologue pour les femmes ou un urologue pour les hommes à partir de de 50 ans par exemple, ou un cardiologue. Est-ce la même chose concernant le dermatologue ?
Je vais vous répondre que non. La démographie médicale actuelle ne permet de toute façon pas un dépistage de masse de la population. On a trop de patients qu’on doit voir pour des problèmes médicaux en place, pour pouvoir recevoir le dépistage des patients qui n’ont pas de facteurs de risque. Bien sûr qu’il faut consulter un dermatologue si on a une lésion cutanée suspecte. Bien sûr qu’il faut consulter un dermatologue si on a des facteurs de risque de cancer de la peau. Mais le dépistage des patients qui n’ont aucun facteur de risque n’est pas recommandé à l’heure actuelle.
Est-ce que mon médecin généraliste peut quand même traiter une partie de ces problèmes cutanés ?
Le médecin généraliste est au centre du parcours de soins du patient. Il faut rappeler d’ailleurs que la consultation dermatologique, quelle qu’elle soit, doit passer d’abord par une consultation chez le médecin généraliste. S’il le juge utile, il va adresser le patient au dermatologue. Pour respecter le parcours de soins et avoir accès au remboursement de sa consultation chez le dermatologue, il faut commencer par une consultation chez le médecin généraliste. Les médecins généralistes ont quand même cette formation de dépistage initial et d’adressage des patients pour leur permettre d’avoir une consultation si elle est nécessaire.
Envoi d’une photo en cas de doute
On a aujourd’hui en plus des outils de télé expertise qui permettent parfois aussi aux médecins généralistes d’avoir des accès un peu plus rapides à nos consultations lorsqu’elles sont nécessaires en envoyant simplement une photo de la lésion qui les inquiète à un réseau de dermatologues. Les dermatologues répondent « oui c’est inquiétant il faut que le patient soit vu dans tel ou tel délai » ou « non il n’y a pas d’inquiétude particulière, c’est une kératose séborrhéique, une lésion bénigne qui ne nécessite pas de consultation. » Cela permet d’éviter d’engorger les consultations dermatologiques qui sont à l’heure actuelle, notamment dans les déserts médicaux et les zones où il y a peu de dermatologues – et même dans les grandes villes, encore aujourd’hui chez nous à Marseille les délais de consultation chez les dermatologues sont très élevés – ça permet d’éviter justement d’engorger les consultations pour des lésions bénignes.
Prise en charge des cancers dans la semaine
Quand il y a une urgence dermatologique à ce moment-là, il y a toujours une solution qui est trouvée, notamment dans les hôpitaux ?
Bien sûr. Nous (à l’hôpital Saint Joseph de Marseille, NDLR), on accueille bien évidemment tous les cancers de la peau qui sont vus dans un délai extrêmement rapide, une semaine maximum. Les patients sont tous reçus à l’hôpital lorsqu’il y a le dépistage d’un cancer de la peau, soit un par un dermatologue de ville soit par un confrère médecin généraliste. On les reçoit par la suite dans la semaine pour la prise en charge et le traitement adaptés de cette lésion.
C’est grave un cancer de la peau ?
Cela dépend quel cancer de la peau. On ne peut pas répondre de manière générique. Le mélanome fait partie des cancers de la peau qui sont bien sûr préoccupants en fonction de leur épaisseur. Tous les mélanomes ne sont pas graves, mais les mélanomes de forte épaisseur sont des tumeurs à prendre extrêmement au sérieux. Les mélanomes superficiels ou de faible épaisseur ont d’excellents pronostics. Donc c’est très variable selon le type de mélanome.
Ensuite on a l’autre grande famille de cancer de la peau qui sont les carcinomes cutanés. Parmi les carcinomes cutanés par exemple, on a les carcinomes basocellulaires qui eux ne sont pas graves s’ils sont pris en charge de manière précoce. Ce sont des tumeurs qui ne donnent jamais de métastase par exemple mais qui doivent nécessiter une prise en charge chirurgicale adaptée dès le début pour éviter des rançons cicatricielles invalidantes si elles sont prises en charge trop tard.
Si vous savez la peau grasse ou sèche…
On prend quand même peu soin de notre peau, surtout nous les hommes. Quels conseils donnez-vous pour entretenir la peau ?
Les conseils d’entretien de la peau ne sont pas génériques non plus. Cela va dépendre du type de peau et de ce qu’il y a à faire. Par exemple, un patient qui va avoir un antécédent médical de cancer de la peau, ses soins d’entretien de la peau vont consister essentiellement en l’application d’une crème solaire. Le reste a moins d’importance.
Si on parle de routine de soins à visée esthétique, là encore ça dépend du type de peau, ça dépend de la carnation, si le patient a la peau grasse ou la peau sèche. Tout cela s’analyse et on ne peut pas avoir de réponse générique. Si le patient a la peau plutôt grasse, ce qu’il va falloir privilégier, ce sont des soins de nettoyage et d’exfoliation de la peau. Si le patient a la peau plutôt sèche, au contraire il va falloir l’hydrater, apporter de l’hydratation par des crèmes. On a tous des peaux différentes et chaque peau doit avoir une routine spécifique.
Il n’existe qu’une crème miracle : la crème solaire
La peau du visage est toujours exposée à l’extérieur. Conseillez-vous à tout le monde, et pas qu’aux femmes, de se crémer tous les jours pour hydrater la peau du visage ?
Je ne conseille pas forcément de s’hydrater la peau du visage tous les jours. Si on a une peau très grasse par exemple, on n’est pas obligé d’hydrater la peau du visage tous les jours, notamment l’été. Par contre l’hiver on a tous tendance à avoir la peau qui tiraille un peu avec l’arrivée du froid, même dans nos régions. Et donc dans ce cas-là, c’est même à visée de confort pour la peau qu’une crème hydratante est la bienvenue dans le cadre de la routine hivernale.
Pour avoir une peau en bonne santé, avez-vous des conseils hygiéno-diététiques à nous donner ? Par exemple des rituels ou des aliments qui sont bénéfiques à notre peau ?
A l’heure actuelle, il n’y a rien de prouvé en ce sens. On n’a pas de régime qui permet d’avoir une belle peau ou de rituel qui permet d’avoir une belle peau et une peau éclatante à tous les coups. Encore une fois, la crème miracle n’existe pas. S’il ne devait y en avoir qu’une seule, c’est la crème solaire parce que c’est celle qui va empêcher le photo-vieillissement et qui va aussi prémunir de la survenue des cancers de la peau.
La crème hydratante, c’est l’autre baguette magique si l’on peut dire, parce que ça permet de maintenir l’élasticité cutanée. Après, il peut y avoir tout un tas d’autres crèmes qu’on peut utiliser. Mais sur le plan alimentaire, en tout cas à l’heure actuelle, on n’a pas de régime à conseiller à nos patients pour améliorer la qualité de leur peau.
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