Jean-Marc Garnier, un éleveur des Hautes-Alpes à la tête d’un troupeau de 1200 brebis mères sur la commune de Ceillac, dans le Queyras, vient de comparaître à la barre du tribunal correctionnel de Gap.
Il répondait de « blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de moins de trois mois », en l’espèce cinq jours, soit autant d’infractions commises par deux de ses chiens patous. Entre le 24 juin et le 11 août derniers, ces deux jeunes chiens de protection ont semble-t-il mal apprécié leur rôle de protecteur du troupeau, s’en prenant à des randonneurs qu’ils ont manifestement considérés comme des intrus.
À quatre reprises, ils ont mordu des promeneurs plus ou moins fermement. Selon un témoignage figurant dans l’enquête de gendarmerie et rapporté par le président du tribunal, Benjamin Banizette, d’autres incidents sans gravité se sont produits, causant du désagrément à plusieurs vacanciers. « Vos chiens ont provoqué un important trouble à Ceillac selon les gendarmes » a-t-il ainsi rappelé.
La part d’inédit, dans cette comparution tient évidemment au fait que c’était la première fois qu’un éleveur devait répondre d’un tel chef d’accusation. « C’est rare, un éleveur à la barre ! », a d’ailleurs observé le magistrat.
Une cohabitation difficile
« Je reconnais les faits, mais les patous sont là pour protéger les bêtes, et ils n’étaient pas sans surveillance puisque le berger était présent », s’est défendu Jean-Marc Garnier, s’évertuant à justifier les circonstances malheureuses dans lesquels ces incidents sont survenus. « Les chiens n’ont pas fait la différence entre le loup et les promeneurs, a expliqué l’éleveur. C’est leur raison d’être que d’éloigner tout intrus ».
La cohabitation entre les chiens de protection et les randonneurs ou promeneurs est une difficulté qui ne date pas de cette année. « On nous demande d’avoir des patous ou autres chiens de protection », avait-t-il rappelé aux gendarmes au moment des faits. A l’époque, seule une partie du troupeau était à la bergerie, les autres bêtes étant sur l’alpage d’estive.
Aussi bien le président du tribunal que le procureur de la République ont tenté d’éclairer objectivement les débats. « Personne ne nie que votre situation est compliquée. Est-ce un problème d’éducation des chiens, de dressage ? », a interrogé le premie, précisant que « le patou n’est pas un problème. Le problème, c’est qu’il y a des chiens mordeurs ». Le procureur, Florent Crouhy, a avancé « la possibilité d’une aide pour vous conseiller, vous aider à dresser les chiens ».
Un grand nombre de plaintes pour morsures de chiens
Face à la répétition des faits, le président a estimé que l’éleveur avait tardé à réagir. Ce que le procureur a également souligné dans ses réquisitions. « Qu’a-t-il fait entre la première et la dernière morsure ? », a-t-il ainsi interrogé. « J’ai gardé les patous dans la bergerie à partir du 27 juillet. Ils ont réussi à en sortir malgré la barrière », a indiqué l’éleveur.
Le 11 août, ils s’en sont pris à une promeneuse, l’incident le plus sérieux de l’été. « Ils m’obéissent plus ou moins », a admis la bergère devant les gendarmes. Pour justifier sa décision de renvoyer pour la première fois un éleveur devant le tribunal, le procureur de la République a expliqué que « cette année, 23 plaintes pour morsures de chiens de protection ont été enregistrées, dont quatre pour le seul monsieur Garnier ».
En sa qualité de propriétaire des chiens, « le prévenu est le seul responsable pénalement », a précisé le magistrat, qui a requis deux mois de prison avec sursis, « une peine d’avertissement et la nécessité de protéger les gens » et deux amendes de 500 €, plus une de 150 €.
Me Éric Arditti, pour la défense, a rappelé le contexte de prédation auquel est confronté son client. « Vingt-cinq attaques dans la commune de Ceillac en 2020 », a-t-il souligné, assurant que « ce que craignaient les éleveurs depuis longtemps, c’était de se retrouver à la barre du tribunal ! »
C’est désormais chose faite. Outre l’aspect inédit de cette comparution, il y a aussi sans nul doute celui d’une inquiétude grandissante. Environ 1200 chiens de protection de troupeau sont à ce jour présents sur le sol haut-alpin, sans compter ceux qui viennent de l’extérieur, pour accompagner les troupeaux provençaux à l’estive, noamment.
Les agriculteurs mobilisés et solidaires
Le conseil de Jean-Marc Garnier a contesté la responsabilité exclusive de son client, citant une jurisprudence visant à mettre en cause le gardien du ou des chiens, en la circonstance, le berger. Il a aussi évoqué qu’en deux occasions au moins, les personnes mordues étaient proches du troupeau, alors que des panneaux conseillant de se tenir à distance sont présents sur les chemins emprunté par les randonneurs. Il a également réfuté l’accusation de divagation, « car lorsque le chien est en action de protection, il ne divague pas ». Avant d’énoncer ce qui pourrait survenir si les éleveurs devaient se passer de chiens de protection. « En l’absence de patous, a-t-il pronostiqué, le nombre de bêtes prélevées sera plus important, ce qui entraînera la fin de l’exploitation agricole ! »
Devant le palais de justice, une trentaine d’agriculteurs étaient présents pour soutenir Jean-Marc Garnier, dont le président de la chambre d’agriculture, Éric Lions, ceux de la FDSEA 05, René Laurans, des JA 05, Édouard Pierre, de la fédération régionale JA, Florian Pellegrin, ainsi que Christian Hubaud, vice-président du département en charge de l’Agriculture.
Pour accentuer la détresse du monde de l’élevage haut-alpin, des carcasses de brebis ou agnelles victimes du prédateur dans la nuit précédant le procès avaient été déposées devant les marches du tribunal et de la préfecture.
Maurice Fortoul
L’exaspération des exploitants est à son comble
La prédation ne cesse d’augmenter sa pression sur les troupeaux haut-alpins et les éleveurs n’en peuvent plus. Est-ce l’expression de cette exaspération qui s’est exprimée, quand un ou des individus ont abattu une louve et l’ont suspendue devant la mairie de Saint-Bonnet-en-Champsaur, le vendredi 24 septembre ?
Immédiatement, les syndicats haut-alpins ont réagi et ont organisé une rencontre au Forest-Saint-Julien l’après-midi même, avec également Éric Lions, le président de la chambre d’agriculture.
Tous se sont accordés à dire qu’ils ne cautionnaient pas cet acte, mais qu’ils le comprenaient. René Laurans, président de la FDSEA 05, parle d’un « acte de désespoir ». Selon lui, « les associations se sont dites révoltées devant le spectacle de la louve pendue, mais pensent-elles à la révolte et au désespoir des éleveurs et de leurs enfants devant le spectacle des brebis tuées ou blessées par le loup et qu’il faut euthanasier ? C’est une douleur épouvantable pour les éleveurs. Aujourd’hui il y a des attaques tous les jours. Quel est l’avenir pour l’élevage ? », interroge-t-il.
Alexandra Gelber
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