Quand j’étais enfant, j’entendais souvent des hommes dire d’un autre qui allait souvent aux toilettes : « Lui, il a la prostate ! » Je me demandais quelle était cette étrange maladie qui faisait subitement se lever de table un oncle ou un grand-père. Avoir la prostate, cela s’appelle scientifiquement l’hypertrophie bénigne de prostate ou bien l’adénome de prostate. Les hommes sont très nombreux à être concernés par cette envie pressante d’uriner. Si ce n’est pas grave, ce dysfonctionnement de la glande reproductrice située sous la vessie est fort embêtant au quotidien. Heureusement, ça se soigne, paraît-il, très bien.
Les hommes de plus de 50 ans ont-ils raison de redouter ce dysfonctionnement de leur prostate qui les fait uriner fréquemment ?
Docteur Rapahaëlle Delonca : Redouter, non, car tout est dans le nom. C’est une hypertrophie qui est bénigne, donc il n’y a jamais de dégénérescence en cancer. C’est en fait l’augmentation de la zone prostatique autour de l’urètre qui va créer les symptômes dont on parlera plus tard. C’est extrêmement fréquent. Ça concerne un homme sur 2 au-delà de 50 ans et ça a un fort impact sur la qualité de vie. C’est pour ça que la prise en charge est importante.
En revanche, à cet âge là, c’est l’âge du dépistage individuel du cancer de la prostate qui se développe sur une autre zone prostatique, la zone périphérique, et on dépiste ceci par le toucher rectal et le PSA.
Grosse urgence pour un si petit pipi…
Concrètement, si ma prostate grossit trop, que se passe-t-il ? Pourquoi est-ce que je vais avoir envie d’uriner fréquemment alors ?
D’abord, les symptômes ne sont pas corrélés au volume prostatique. On peut très bien avoir une grosse prostate et aucun symptôme. Et à l’inverse avoir une petite prostate et être très gêné au quotidien. Les symptômes sont liés à 2 choses.
1- L’augmentation de la zone prostatique, autour de l’urètre, qui va créer des symptômes de la phase de vidange. C’est-à-dire qu’on va avoir des difficultés à l’émission des urines au moment où on a envie d’uriner, donc on va avoir un jet qui est faible, une sensation de poussée abdominale, voire de mal vidanger sa vessie. C’est ce qu’on appelle la dysurie.
2- Cette glande est située sous la vessie, donc si elle grossit, elle va bomber sous le col de la vessie, va entraîner une irritation vésicale et donc va provoquer des symptômes de la phase de remplissage. C’est-à-dire des envies fréquentes d’uriner pour de petits volumes – c’est la pollakiurie -, des envies urgentes, des urgenteries qui peuvent même parfois être associées à des fuites. On comprend tout de suite l’impact sur la qualité de vie.
Envies nocturnes
Est-ce qu’il y a d’autres symptômes de cette hypertrophie qui doivent nous alerter ?
Le premier symptôme qui apparaît souvent chez les patients de plus de 50 ans et qui est assez handicapant, c’est la nycturie, c’est-à-dire le réveil nocturne pour uriner. Ensuite il y a tous les autres symptômes dont on vient de parler juste avant.
Cette hypertrophie bénigne de prostate est-elle toujours liée au volume de la prostate, c’est-à-dire à une grosse prostate ?
Oui, il y a toujours une augmentation du volume de la prostate, mais l’intensité des symptômes n’est pas corrélée au volume prostatique.

Pas de raison d’attendre !
À partir de quel moment est-il recommandé de consulter ? Est-ce qu’il faut gagner du temps, je me dis « Bon, ça me gêne un peu, mais pas trop et on verra bien plus tard si ça s’aggrave » ? Ou bien au contraire, il vaut mieux consulter tôt pour régler le problème ?
Je dirais que ça dépend vraiment de l’impact sur la qualité de vie. Et puis surtout, c’est une pathologie qui est extrêmement fréquente, avec un très grand panel de thérapeutiques, qui va de la phytothérapie à la chirurgie, d’un traitement symptomatique à un traitement curateur. Il n’y a pas de raison d’attendre parce qu’on peut vous aider pour que ça ne vous impacte sur votre qualité de vie.
Un risque d’infection urinaire
Nous allons évoquer les traitements qui existent, mais d’abord est-il risqué de ne pas être pris en charge ?
Il y a en effet un risque. Il existe 2 types de complications, les complications aiguës donc qui arrivent brutalement, et les complications à plus long terme. Les complications aiguës, elles, sont liées à la mauvaise vidange vésicale, donc à un résidu post mictionnel. Et on comprend bien que si des urines stagnent, on est plus à risque d’avoir des infections urinaires masculines, également appelées prostatites. Ou des orchi épididymites qui peuvent arriver un petit peu plus rarement. Et puis évidemment, on peut même carrément bloquer le passage des urines avec une rétention des urines, appelée également blocage urinaire.
Il y a des complications à long terme, Le haut appareil urinaire, donc les reins, sont soumis à des hautes pressions lorsqu’on pousse pour essayer d’évacuer les urines. Ce qui peut provoquer un reflux d’urine dans les reins et à long terme une insuffisance rénale chronique.
Toucher rectal + débimétrie + échographie
Donc un adénome de la prostate peut avoir de graves conséquences ?
Oui, si ce n’est pas pris en charge et qu’il y a des complications qui passent inaperçues, ça peut entraîner en effet jusqu’à une insuffisance rénale chronique. Mais ce sont des stades qui sont chroniques, à long terme et en cas d’absence de prise en charge. Ce qui est quand même rarement le cas.
Quels examens allez-vous réaliser pour déterminer cette pathologie ?
Le premier, c’est l’examen clinique, donc le toucher rectal qui permet d’estimer le volume prostatique et également qui permet de ne pas passer à côté d’un diagnostic différentiel qui est le cancer de la prostate. L’examen qui se fait assez facilement en consultation, c’est la débimétrie qui mesure de façon objective le débit urinaire. On va vous demander d’uriner sur une machine qui va mesurer la force de votre jet.
Et l’examen paraclinique qui est demandé systématiquement, c’est l’échographie réno-vésico-prostatique qui va permettre de mesurer le volume de la prostate et ses impacts sur la paroi vésicale ou alors le haut appareil urinaire, et qui va également mesurer de façon objective le résidu post mictionnel.
Ejaculation rétrograde
De quel traitement disposez-vous en première intention pour faire régresser cette excroissance de la prostate ?
Il y a différents types de traitements médicamenteux. Les plantes, la phytothérapie, ça marche, il n’y a pas d’effet secondaire et puis, au pire ça ne marche pas, donc autant l’essayer. On a les alpha-bloquants qui vont ouvrir le col vésical. Le seul inconvénient est qu’ils peuvent également dilater les vaisseaux sanguins et donc donner une hypotension orthostatique, c’est-à-dire une baisse de la tension artérielle lorsqu’on se lève. C’est pour ça qu’on propose de prendre ce médicament le soir.
Un autre effet secondaire qui est attendu par le mécanisme d’action de ce traitement, c’est l’éjaculation rétrograde et donc ça peut gêner soit un souhait de paternité, soit la sexualité (Note de la rédaction : au lieu d’aller vers l’extérieur, le sperme remonte alors en totalité ou en partie vers la vessie, car le col de la vessie est ouvert, pour être dilué dans les urines; cela n’impacte ni la libido, ni la jouissance ni la puissance sexuelle, mais il peut y avoir éventuellement un impact psychologique sur le patient). C’est important d’en informer le patient.
Les inhibiteurs de la Phosphodiestérase 5 sont plutôt connus pour la dysfonction érectile, mais pris à une faible dose et quotidiennement, ils améliorent les symptômes du bas appareil urinaire.
On va parler clair : c’est le Viagra, le Cialis ?
Voilà, c’est la même chose, mais pris à des plus petites doses et surtout de façon quotidienne, ils permettent d’améliorer les symptômes du bas appareil urinaire. Et la dernière classe thérapeutique, ce sont les inhibiteurs de la 5-alpha réductase. Ce sont des médicaments qui sont réservés à une prostate de plus gros volume, qui vont diminuer le taux de testostérone.
Cancer de la prostate : énormes progrès du suivi et des traitements
Quand il faut opérer…
Les médicaments dont vous venez de parler fonctionnent dans quel pourcentage des cas ?
En fait, ça dépend du patient, de son impact sur la qualité de vie, parce que ce sont des traitements qui sont symptomatiques. C’est-à-dire que si on les prend, ils fonctionnent. Si on les arrête, en 48 heures les symptômes reviennent. Les médicaments peuvent être gênants, parce qu’ils n’améliorent pas suffisamment la qualité de vie, les symptômes du bas appareil urinaire. Ils peuvent également être gênants parce qu’ils impliquent une prise quotidienne de traitement qui ne peut pas être arrêtée, sinon les symptômes réapparaissent.
Si les médicaments ne suffisent pas, devrai-je subir une intervention chirurgicale ?
Il y a une indication d’intervention chirurgicale si jamais on commence à avoir des complications de cette hypertrophie bénigne de la prostate comme un blocage urinaire malgré un traitement médical bien conduit. Idem si le traitement médical ne suffit pas à améliorer vos symptômes du bas appareil urinaire et qu’il y a toujours une dégradation de la qualité de vie, ou alors si jamais vous êtes dérangé par les effets secondaires de ces traitements – l’éjaculation rétrograde, l’hypotension orthostatique dont on parlait.
L’avantage, c’est que, à notre époque, on a 2 techniques mini invasives qui peuvent se voir en alternatives au traitement médical dont on parlera plus tard, mais dont les noms sont le Rezum et l’Urolift.
Techniques mini invasives
Comment se déroule cette intervention ? Que faites-vous concrètement sur la prostate ?
Il y a un grand panel de thérapeutiques, y compris de thérapeutiques chirurgicales. Donc on peut les classer en différents types. Il y a notamment les techniques mini invasives dont je parlais. Il y a le Rezum : on va brûler cet adénome à la vapeur d’eau. L’avantage, c’est que c’est extrêmement rapide. C’est une intervention qui dure 5 minutes, qui se déroule au bloc opératoire, sous anesthésie générale ou sous anesthésie locale en ambulatoire. Vous rentrez le matin et vous ressortez le soir. Ça permet de conserver l’éjaculation. Le seul petit inconvénient, c’est qu’il y a un port de sonde urinaire pendant 5 jours, le temps que l’oedème diminue.
L’autre technique, c’est l’Urolift. Ce sont les fils tenseurs de la prostate, ce sont des ancres qui permettent d’écarter les lobes prostatiques et donc d’ouvrir le canal. L’avantage est que ça peut se faire en consultation. Ça concerne également l’éjaculation, mais en revanche, l’indication est plus restrictive sur l’anatomie prostatique. Et enfin, il y a les techniques opératoires qui retirent l’adénome. Soit totalement, et ça c’est l’essor des traitements laser, des énucléations laser, quel que soit le laser. Ce qui implique une hospitalisation, ça se passe toujours au bloc opératoire par les voies naturelles.
Rabotage de prostate
Il y a également les techniques qu’on faisait avant pour de plus gros volumes prostatiques, qui impliquent une chirurgie conventionnelle, donc par laparotomie. C’est l’adénomectomie voie haute où on va retirer tout l’adénome, qui maintenant peut se faire par voie coelioscopique robot assistée. Donc ce sont des interventions qui se font pour de plus gros volumes prostatiques et qui ont quand même des suites opératoires qui sont plus lourdes. Et enfin il y a les techniques opératoires qui élargissent le canal de l’urètre sans retirer tout l’adénome. Donc ça c’est la résection de prostate ou, comme on peut dire de façon un petit peu plus vulgaire, le « rabotage » de la prostate ou la vaporisation avec un autre type de laser.
Cela veut dire que vous faites du sur-mesure en quelque sorte, en fonction de la prostate qui arrive devant vous ?
Exactement. Ce qui est très intéressant dans cette pathologie là, c’est que le traitement est adapté au volume prostatique, aux symptômes du patient, à l’état général du patient. Et en tout cas, on peut lui proposer un traitement qui sera vraiment adapté à sa symptomatologie, et personnalisé.
A 80 ans, un coup de Rezum et ça repart !
Y compris à un âge avancé, par exemple 80 ans ?
Eh bien oui, à 80 ans notamment. Dans mon activité par exemple, je suis amenée à proposer des techniques mini invasives telles que le Rezum. Pourquoi ? Parce que c’est comme on l’a dit, quelque chose qui dure moins de 10 minutes, qui a très peu de risque de saignement, qui peut se faire même sous anesthésie locale. Et donc en fait on se dit que pour un patient qui a 80 ans, qui est sondé à demeure, c’est-à-dire qu’on n’arrive pas à lui retirer cette sonde urinaire, autant essayer ce traitement là. Et puis si ça ne marche pas, le pauvre portera cette sonde à demeure, mais au moins on aura essayé une technique qui est peu invasive.
Les complications à redouter
Si je suis opéré, ai-je un risque d’incontinence urinaire ?
Souvent on se dit « chirurgie prostatique, incontinence urinaire ». Il ne faut pas faire d’amalgame entre la prostatectomie totale, radicale, qui se fait pour un cancer de la prostate et les techniques dont on a parlé là, qui se font pour l’adénome prostatique, donc une chirurgie qui est bénigne. Ce sont 2 choses totalement différentes et donc bien entendu, on ne tolérerait pas une incontinence urinaire pour la prise en charge d’une pathologie bénigne. Une incontinence urinaire à long terme, c’est considéré malheureusement comme une complication de la chirurgie qui est rare.
En revanche, selon le type de traitement, il peut y avoir une irritation vésicale liée au laser, à la vapeur d’eau, qui entraîne une hyperactivité de cette vessie, et donc des envies très pressantes, avec parfois des fuites post-opératoires, mais qui en fait vont en s’améliorant à mesure qu’on s’éloigne de la chirurgie.
Ouf, pas d’impact sur l’érection !
Ces interventions peuvent elles avoir un impact sur la sexualité ?
Elles n’ont pas d’impact. Encore une fois, pas d’amalgame entre le traitement de l’adénome et le traitement du cancer de la prostate. Elles n’auront pas d’impact sur l’érection parce qu’encore une fois, on ne touche pas aux nerfs érecteurs qui sont autour de la prostate, contrairement à la prostatectomie radicale qui est réalisée pour le cancer de la prostate. En revanche, certaines d’entre elles ont un impact sur l’éjaculation puisque, tout comme le traitement dont on a parlé au début, elles ouvrent le canal urinaire.
Les techniques qui visent à retirer l’adénome prostatique – donc tout ce qui est énucléation laser, adénomectomie voie haute, résection transurétrale de prostate – vont entraîner inévitablement une éjaculation rétrograde et c’est pour ça qu’il y a eu l’essor de ces techniques mini invasives comme le Rezum ou l’Urolift qui, elles, préservent l’éjaculation.
Aucun lien avec le cancer
Ces techniques, c’est le présent et l’avenir de ce type d’intervention ?
Je ne dirais pas forcément que c’est le présent et l’avenir. C’est juste un atout supplémentaire dans le panel thérapeutique. Le Rezum ou l’Urolift ne sont pas des choses qui peuvent être proposées à tous les patients. L’énucléation laser, l’adénomectomie voie haute ou robot assistée ont en fait toute leur place en fonction de la prostate et du patient.
L’adénome de prostate peut-il favoriser un cancer de la prostate ?
Ma réponse est non. L’hypertrophie bénigne de la prostate sera toujours bénigne. Il n’y a jamais de risque de dégénérer en cancer. Le cancer de la prostate se développe à partir d’une autre zone prostatique, la zone périphérique qui est accessible à l’examen clinique par le toucher rectal. Le cancer de la prostate se dépiste par le toucher rectal et le dosage du PSA.
La prostate, l’affaire de l’homme de plus de 50 ans
Il peut arriver que ces 2 maladies se croisent ?
Oui, et c’est pour ça qu’il faut toujours qu’un patient qui consulte pour des symptômes du bas appareil urinaire soit examiné et ait un PSA qui soit dosé parce que, bien que ce soit 2 pathologies différentes, elles touchent le même terrain, c’est-à-dire l’homme de plus de 50 ans.
cet article vous a plu ?
Donnez nous votre avis
Average rating / 5. Vote count:
No votes so far! Be the first to rate this post.
Donnez nous votre avis
Average rating / 5. Vote count:
No votes so far! Be the first to rate this post.