Les cancers digestifs sont parmi les plus fréquents et c’est peut-être logique tant le tube digestif parcourt une grande partie de notre corps. Ces cancers sont également parmi les plus redoutables avec des taux de survie assez faibles malheureusement si l’on pense seulement au cancer du pancréas, au cancer de l’estomac et à celui des voies biliaires. On a l’impression qu’ils sont difficiles à enrayer, à soigner. Il y a peut-être plus d’espoir du côté du cancer colorectal, qui reste cependant le 2e tueur par cancer derrière le poumon.
Des progrès existent, la recherche scientifique accélère. Pour aborder le sujet nous sommes avec le docteur Antoine Camerlo, chirurgien digestif à l’Hôpital Européen de Marseille. Pourquoi les cancers digestifs sont-ils aussi fréquents ?
Dr Antoine Camerlo : Effectivement les cancers digestifs sont très fréquents. Ils constituent un point majeur en cancérologie tant par la fréquence que par leur gravité. Un quart des cancers sont d’origine digestive. Et un tiers de la mortalité par cancer est due aux cancers digestifs. Alors pourquoi sont-ils si fréquents ? Le système digestif, par sa taille et par sa localisation, est exposé à de nombreux agents irritants. Tout ce qu’on boit, tout ce qu’on mange, tout ce qu’on avale, tout ce qu’on fume va irriter le système digestif et potentiellement le transformer en cancer.
Plus précisément, le cancer colorectal est largement devant en termes de fréquence de survenue des cancers digestifs. 43 000 nouveaux cas par an en France de cancer colorectal. Après suivent le cancer du pancréas et le cancer du foie avec respectivement 15 000 et 11 000 nouveaux cas par an. Puis arrivent les cancers de l’estomac et de l’œsophage avec 6 000 et 5 000 nouveaux cas par an.

Obésité, tabac, alcool, sel, malbouffe : 5 ennemis évitables
Sait-on à quoi sont attribuables généralement ces cancers ? Vous avez parlé de tout ce qu’on avale. Est-ce la cause majeure ?
Eh oui ! On a bien identifié tout ça. Dans les coupables il y a des facteurs de risque qu’on appelle les facteurs de risque évitables et les facteurs de risque non évitables. Dans les facteurs de risque évitables, il y a l’obésité, l’alcool, le tabac, la consommation de sel et de produits transformés. On sait aujourd’hui qu’environ 40% des cancers digestifs pourraient être évités en changeant nos habitudes de vie.
Par exemple pour le cancer du foie. Entre 60 et 80% des cancers du foie sont dus à l’obésité et à l’alcool. Ils pourraient être évités en luttant contre ces facteurs de risque. Parmi les facteurs de risque, on a des facteurs de risque non évitables comme la prédisposition génétique. Pour le cancer de l’estomac, l’infection à l’Helicobacter pylori est une bactérie qui entraîne des dégénérescences gastriques. Pour ces facteurs, plutôt que proposer des mesures de prévention, on va proposer des mesures de dépistage sur ces populations ciblées.
5 fruits et légumes par jour : arme anti cancer
Revenons sur l’alimentation, on se dit qu’on a le pouvoir sur notre assiette ! Des aliments sont-ils généralement préconisés dans la prévention des cancers digestifs ?
Oui. On sait qu’une alimentation équilibrée, notamment riche en fruits et légumes et en fibres réduit l’inflammation du tube digestif. Et donc réduit le risque de transformation des cellules digestives en cancer. On estime que la consommation de 25 grammes de fibres par jour réduit le risque de cancer colorectal de 30%. C’est environ l’équivalent de 5 fruits et légumes par jour.
Après il y a bien sûr le sujet de l’alcool. C’est un sujet important. Il faut réduire l’alcool car on estime qu’il est le responsable d’environ 8 000 cancers. Consommer le moins possible d’alcool protège contre le risque de cancer digestif.
Stop à la charcuterie industrielle !
Il y a d’autres aliments qu’il faut absolument limiter. Vous avez parlé du sel – je pense à la charcuterie qui est bourrée de sel et d’additifs par exemple… Est-ce un facteur dans la survenue de cancers ?
Tout à fait ! La consommation de charcuterie industrielle et de viande transformée expose aux risques de cancer digestif. Ils ont d’ailleurs été classés comme facteurs cancérogènes par l’Organisation Mondiale de la Santé. Donc il faut éviter la consommation de sel et de produits transformés. Et encore une fois éviter ou freiner la consommation alcoolique.
Les médecins ne sont pas pour l’interdiction parce que vous dites que ça ne marche pas ! Mais ça veut dire que si on parle d’alcool, on « peut » consommer quelle quantité ?
Il n’y a pas de règles malheureusement. Mais il faut essayer de consommer le moins possible en fonction de ses capacités. Il ne faut pas être dogmatique et essayer d’adapter sa vie en fonction de ce qu’on peut faire, et ne pas consommer tous les jours.
A part le FIT, pas de test de dépistage
Il existe une méthode efficace de dépistage du cancer colorectal c’est le fameux test FIT. Il est préconisé par l’Assurance Maladie à partir de 50 ans tous les 2 ans. Peut-on repérer d’autres cancers digestifs ?
Malheureusement, non. Il n’y a pas de test de dépistage. J’en profite quand même pour faire la promotion du test FIT, qui est le test de dépistage du cancer colorectal. Il diminue la mortalité par cancer colorectal de 40%. C’est un test qu’on doit réaliser à partir de 50 ans, tous les 2 ans, et qui a un vrai bénéfice sur la diminution du risque de mortalité par cancer colorectal.
Pour les autres cancers, il n’y a pas de test de dépistage. On propose des dépistages dans des populations ciblées, à risque. Par exemple on peut demander un bilan biologique et une échographie chez les patients qui ont une cirrhose ou une maladie du foie. On proposera une fibroscopie chez les patients qui ont des reflux gastro-oesophagiens à la recherche d’un cancer de l’oesophage. Enfin on proposera des scanners chez des patients qui ont de lourdes hérédités génétiques de cancer du pancréas.
La prise de sang magique…
Peut-on quand même parler de ce que vous appelez les marqueurs sanguins. Si à partir d’un certain âge on réalise un examen sanguin annuel, est-ce efficace pour identifier un cancer, et un cancer digestif en particulier ?
Malheureusement, non, il n’y a pas de prise de sang magique ! Les marqueurs dont vous parlez – CA 19-9 et ACE – n’ont aucune valeur diagnostique. Ils ont simplement une valeur dans le suivi des maladies. Donc il n’y a pas de prise de sang à réaliser pour dépister les cancers. Les seuls examens de dépistage sont le test FIT, les examens endoscopiques et les scanners en fonction des signes cliniques et des populations à risque.
Amaigrissement, perte d’appétit, difficulté à avaler : alerte !
Quels sont les symptômes d’un cancer digestif ? Qu’est-ce qui doit absolument nous alerter ?
Le problème, c’est que la plupart des cancers digestifs ne « parlent » pas. Pendant longtemps ils n’entraînent pas de signes. C’est pour ça qu’ils se développent et qu’on les diagnostique souvent tard. Mais il faut savoir quand même qu’il y a plusieurs signes digestifs qui sont importants et qui doivent amener à consulter.
Parmi ceux-ci, il y a bien sûr la présence de sang dans les selles et la modification des troubles du transit. L’amaigrissement, la perte d’appétit, sont des signes majeurs de tumeur digestive. Les douleurs abdominales, les vomissements, la difficulté à avaler, tous ces signes là doivent inquiéter. Globalement, tout signe digestif qui dure plus de 3 semaines et un amaigrissement doivent amener à consulter un spécialiste pour envisager de réaliser des examens de dépistage.
Si on maigrit, ce n’est jamais banal ?
C’est exact. Il faut s’inquiéter d’un amaigrissement. Il y a toujours une cause clinique à tout ça et il faut aller la rechercher. Et notamment rechercher éventuellement la survenue d’un cancer digestif.
Repéré tôt, un cancer colorectal guérit 9 fois sur 10
Donc ce n’est pas une fatalité ?
La survenue d’un cancer digestif n’est pas une fatalité. Il faut quand même savoir que la plupart des cancers digestifs sont diagnostiqués de manière trop tardive. La bonne information, c’est qu’on peut essayer d’aller chercher à faire le diagnostic le plus précocement possible, notamment en étant vigilant sur ses symptômes.
On sait par exemple que pour le cancer colorectal un diagnostic à un stade précoce permet 90% de survie à 5 ans. Un diagnostic à un stade tardif d’un cancer colorectal entraîne 15% seulement de survie à 5 ans. Donc c’est important de faire un diagnostic précoce, en étant vigilant sur ces signes cliniques et de consulter un médecin en cas de signes cliniques. Et faire le dépistage du cancer colorectal.
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Etre opéré c’est… bon signe !
On va parler de la prise en charge de ces cancers. Vous êtes chirurgien et quand on est pris en charge par un chirurgien, c’est bon signe, n’est-ce pas ?
En effet c’est bon signe. Parce que quand on opère, c’est qu’on est dans un projet curatif. On cherche à guérir la maladie. Même si aujourd’hui dans certains cancers digestifs – et notamment dans le cancer du rectum – on essaie de traiter ces tumeurs par de la chimiothérapie et de la radiothérapie pour essayer de conserver le rectum et de ne pas l’opérer.
Mais globalement, quand on est opéré, c’est qu’on est dans un projet de guérison. La chirurgie, au-delà du traitement du cancer, son enjeu est d’en diminuer les conséquences. Diminuer le geste et le traumatisme chirurgical. C’est-à-dire permettre aux patients de récupérer vite, de rentrer chez eux plus tôt, sans complication. De reprendre le plus rapidement leurs traitements parce que souvent ces traitements sont associés à de la chimiothérapie et de réduire le handicap digestif de ce geste. C’est un peu en cela que la chirurgie s’est modernisée avec la chirurgie mini-invasive et la chirurgie robotique qui permet de diminuer le traumatisme chirurgical et de récupérer plus vite.
Impressionnant arsenal thérapeutique
Généralement vous couplez donc la chirurgie à une chimiothérapie ou une radiothérapie ?
C’est très fréquent. La chirurgie fait partie d’un projet curatif global. En chirurgie digestive il est très rare que la chirurgie soit isolée dans le projet thérapeutique. Elle est souvent accompagnée d’un arsenal thérapeutique dont on dispose et qui est majeur : la chimiothérapie, les thérapies ciblées – c’est-à-dire les chimiothérapies qui viennent tuer les cellules tumorales de manière spécifique -, l’immunothérapie qui a un essor important aujourd’hui en cancérologie et qui stimule la réponse immunitaire du patient contre ses cellules tumorales. Tous ces traitements, dont la radiothérapie, viennent englober la prise en charge curative et la chirurgie fait partie des outils de ce traitement.
Les progrès des soins sont majeurs
Voilà 15 à 20 ans que vous traitez ces cancers. Avez-vous observé des progrès dans leur prise en charge ? Est-ce qu’aujourd’hui, quand on a un cancer digestif, on a plus de chances de s’en sortir qu’il y a 15 ou 20 ans ?
Il est clair que l’évolution se fait vers le progrès. Les nouveaux traitements sont de plus en plus efficaces. La recherche est majeure, avec chaque année des essais thérapeutiques français, mondiaux, qui font avancer les traitements du cancer. Oui, il y a des progrès ! Il y a des progrès en chirurgie également puisque la chirurgie s’est modernisée encore une fois avec toutes ces thérapeutiques mini invasives et ce qu’on appelle la « réhabilitation améliorée », c’est-à-dire permettre aux patients de retrouver le plus rapidement possible leurs fonctions d’avant l’opération.
Tous ces progrès là font que le traitement du cancer s’améliore et les conséquences du traitement qu’on administre sont moindres. En résumé, oui, je suis optimiste parce qu’on dépiste mieux, on traite bien, on recherche, on personnalise – c’est-à-dire qu’on fait de la médecine personnalisée en fonction des patients, des tumeurs, de la biologie moléculaire des tumeurs, de la réponse au traitement. Et ensuite on opère de mieux en mieux.
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Le vaccin anti cancer, ce n’est pas pour demain
Selon une étude publiée le 31 juillet 2025 – c’est tout frais ! – des chercheurs japonais ont développé un vaccin à base d’ARN messager qui serait très efficace contre les cancers gastriques et les métastases péritonéales. Pour le moment ce vaccin a été testé sur des souris. Est-ce selon vous une piste prometteuse ?
Comme vous venez de le dire, il s’agit d’une étude expérimentale, sur l’animal. C’est très intéressant parce que c’est un signal scientifique fort. C’est une nouvelle voie d’attaque comme les précédentes découvertes contre le cancer. Donc oui c’est enthousiasmant. On en est encore au stade expérimental, le chemin est long pour l’amener chez l’homme et en tester l’efficacité et la tolérance.
La prévention, c’est à la portée de tous
Pour se résumer, d’abord on fait de la prévention dans son alimentation, dans sa vie quotidienne, son activité physique et sportive. Et puis on fait attention aux signes qui peuvent survenir ?
Aujourd’hui on doit être actif dans la prise en charge de ces cancers. Et la prévention est un élément majeur. Donc s’alimenter, manger équilibré, bouger, éviter ou freiner le plus possible le tabac et l’alcool, se faire dépister quand ça existe – et on a de la chance, il existe un test dans le cancer colorectal à partir de 50 ans. Et consulter quand on a des signes fonctionnels digestifs qui persistent ou quand on voit un de ses proches qui maigrit pour l’alerter sur ces signaux.
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