Voilà, ça y est ! Le cancer des seniors a enfin sa journée nationale : la première aura lieu le jeudi 9 octobre 2025. Pourquoi avoir instauré une telle journée ? Mais, surtout, ce focus va-t-il améliorer la prise en charge des cancers qui frappent massivement les plus de 75 ans ? Pour en parler, nous avons rencontré une experte du cancer, la professeure Anne-Laure Couderc qui est onco-gériatre à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille. Elle est basée à l’hôpital Sainte-Marguerite, dans le service de gériatrie où elle s’occupe des personnes âgées atteintes de cancer.
Cette journée nationale aura sa déclinaison avec des stands d’informations dans les hôpitaux marseillais. La professeure Couderc l’a préparée avec la docteur Frédérique Rousseau qui est responsable de l’oncologie médicale à l’Institut Paoli-Calmettes. Il existe déjà plusieurs journées ou même des mois entiers dédiés à la lutte contre certains cancers. On connaît Septembre en Or pour les cancers pédiatriques, Octobre Rose évidemment pour le cancer du sein, Novembre pour la prostate et les cancers masculins, Mars Bleu pour le cancer du côlon et du rectum. Pourquoi fallait-il donc une journée spéciale pour lutter contre le cancer des seniors ?
Professeure Anne-Laure Couderc : Vous le dites, il y a plusieurs journées thématiques, que ce soit sur des types de cancers ou par exemple sur la population pédiatrique. La population âgée était la grande oubliée. Or le cancer est une maladie du sujet âgé puisqu’une personne sur 2 atteinte de cancer a plus de 65 ans. Vraiment c’est une population non seulement qui est exposée à ce type de cancer mais aussi qui est souvent diagnostiquée tardivement. Et donc c’est notre devoir en tant que médecins d’alerter la population sur des signes à risque, des symptômes qui peuvent les orienter à consulter très tôt.
Age médian de survenue du cancer : 70 ans
On va en parler, des symptômes. L’instauration tardive de cette journée signifie-t-elle que, finalement, la maladie du cancer chez les seniors est sous-estimée ? Ou bien vue comme une fatalité ? On se dit « Ben voilà, les personnes sont âgées, elles vont forcément avoir un cancer… »
Ce n’est pas sous-estimé mais c’est vrai que c’est une population, on le sait tous, qui a tendance à être parfois un peu mise sur le côté. Mais c’est une population qu’il faut vraiment cibler pour le cancer. La médiane d’âge c’est quand même 70 ans pour tous les cancers, sauf certains spécifiques comme le cancer du testicule ou la leucémie aiguë qui surviennent plutôt chez les personnes jeunes. Mais le cancer reste quand même avec une incidence élevée chez les personnes âgées.
Souvent c’est un petit peu sous-estimé tout simplement parce qu’on se dit que le cancer à 80 ans, eh bien ça va évoluer lentement. Or c’est faux ! C’est exactement les mêmes types de cancers que les plus jeunes et ils évoluent aussi mal parfois et aussi bien avec un traitement adapté. C’est exactement la même évolution. Donc il y a des idées reçues, des fausses idées sur le cancer. Notre rôle est d’expliquer à la population tout ce qui peut être fait pour éviter un diagnostic tardif.

Prostate et sein en numéros 1
Quels sont les cancers les plus fréquents chez les personnes âgées ?
Chez les hommes c’est plutôt le cancer de la prostate, du côlon et du poumon. Chez les femmes c’est le cancer du sein, le cancer du côlon et le cancer du poumon,. Avec le cancer du poumon qui devient de plus en plus fréquent chez les femmes âgées de par leur exposition au facteur de risque qu’est le tabac.
Elles ont commencé à fumer dans les années 70-80, un petit peu en décalage par rapport aux hommes et aujourd’hui elles ont beaucoup de cancers…
Exactement. Elles ont pris le mode de vie des hommes et du coup on a à peu près la même incidence au niveau de ce type de cancer.
Certains cancers sont-ils plus liés que d’autres au vieillissement du corps, de nos cellules ?
Oui. C’est certain que le vieillissement des cellules et des organes les expose à plus de modifications, ce qu’on appelle des mutations de l’ADN. Et du coup on a plus de risques avec le temps de développer des cancers. Par exemple le cancer de la prostate : il y a un vieillissement de l’organe qu’est la prostate et vous avez plus de risque de développer un cancer de prostate après 70 ans. Donc effectivement certains types sont plus fréquents avec l’âge.
Cancer du pancréas : augmentation exponentielle
Il y a un cancer qui semble en progression très forte, c’est le cancer du pancréas. Que se passe-t-il avec cet organe ?
Pour l’instant je ne peux pas vraiment répondre à votre question et pas grand-monde ne peut y répondre. On voit qu’il se passe quelque chose, c’est certain; ça touche tous les âges, pas que les sujets âgés, ça touche aussi les sujets jeunes. Il y a une grande augmentation de l’incidence de ce cancer. On pense que c’est une origine environnementale et il y a beaucoup d’études qui se penchent dessus et qui essaient de comprendre.
Le cancer du pancréas a plusieurs facteurs de risques et notamment le tabac. Mais il doit y avoir d’autres expositions environnementales. On ne sait pas si c’est alimentaire, si c’est autre. Il faut vraiment que la recherche nous aide là-dessus parce qu’on constate tous – et pas que les oncologues ou les gériatres – une augmentation très importante, exponentielle de ce cancer actuellement.
Perte de poids après 70 ans : danger
Malheureusement on ne peut pas y faire grand chose parce que le pancréas est un organe profond, que les symptômes arrivent tardivement et on repère ce cancer souvent de manière fortuite, c’est ça ?
C’est exactement ça. On ne peut pas le diagnostiquer de façon précoce parce que, quand il parle, c’est que déjà la tumeur provoque des douleurs. Il faut quand même être vigilant. Notamment, quelque chose qui est important à entendre, c’est qu’une personne de plus de 70 ans qui perd du poids, ce n’est pas normal. Je vois régulièrement des gens en consultation qui me disent « bah, ça faisait un an que je perdais du poids pourtant je mangeais bien. J’ai perdu 10 kilos mais je me suis dit que c’était l’âge. » Or c’est faux !
Perdre du poids quand ce n’est pas de façon volontaire quand on est âgé, ce n’est pas normal. C’est là qu’il faut faire un bilan et essayer de voir s’il n’y a pas effectivement une tumeur qui puisse expliquer cette perte de poids.
Méfiez-vous de ce bobo qui ne cicatrise pas…
Venons en aux signaux d’alerte qu’il faut garder à l’esprit, notamment chez la personne âgée. Quels sont ces signes qui peuvent faire penser à un cancer chez un senior ?
On a pas mal de signes d’alerte, comme perdre du poids de façon involontaire et depuis plusieurs mois. On a aussi parfois les personnes qui se mettent à tousser mais de façon chronique, ça dure plusieurs mois. Ce n’est pas normal aussi, il faut bilanter. S’il y a du sang dans les urines, ou des crachats sanguinolents, ça aussi c’est totalement anormal. La fatigue – une espèce de fatigue intense depuis des semaines ou des mois – nécessite aussi une consultation.
Quelque chose qui est un petit peu laissé pour compte, c’est des lésions de la peau qui perdurent depuis des semaines, qui ne cicatrisent pas, qui sont sur les zones exposées au soleil comme le visage par exemple ou les avant-bras. Là, il faut vraiment consulter parce que les cancers de la peau aussi sont souvent sous-estimés chez les personnes âgées. Parfois on a des diagnostics de mélanome ou de carcinome sur la peau qui sont pris trop tard, tout simplement parce que c’est négligé.
Attention au mélange des médicaments et des plantes
Existe-t-il une spécificité de la prise en charge du cancer chez la personne âgée ? Est-elle par nature plus fragile et donc plus difficile à soigner ?
Il y a des spécificités, c’est pour ça que l’onco-gériatrie a été créée. En fait l’onco-gériatrie ce n’est pas une spécialité, c’est une collaboration entre oncologues et gériatres. Ce sont des oncologues qui sont formés à la gériatrie et inversement des gériatres formés à l’oncologie. On travaille tous ensemble pour prendre en charge au mieux la personne âgée dans sa globalité. Effectivement, quand on vieillit, on a plus de risques d’avoir des maladies chroniques, avec des traitements, avec certaines fragilités comme parfois les troubles de la marche ou les maladies comme l’ostéoporose, des problèmes cardiaques.
Et du coup, quand on met en place un traitement oncologique quel qu’il soit – mais certains un peu plus que d’autres, comme par exemple la chimiothérapie – eh bien on doit prendre en compte ces maladies ou ces fragilités, et les stabiliser. On doit regarder s’il ne va pas y avoir d’interactions entre ces maladies et la prise en charge, et notamment entre les traitements personnels pris pour ces maladies et les traitements oncologiques comme la chimiothérapie ou les thérapies ciblées.
Les 8 questions qui changent votre parcours
C’est-à-dire qu’on ne soigne pas un cancer à 80 ans comme on le soigne à 60 ans ?
Exactement. Ce n’est pas du tout la même chose. Nous nous aidons des pharmaciens qui sont essentiels pour regarder les interactions entre les médicaments que prennent les patients et les traitements oncologiques. On regarde même s’ils prennent à côté des plantes, des épices qui peuvent interagir avec la chimiothérapie. On regarde aussi l’automédication et c’est essentiel parce que la prise en charge n’est pas la même.
Ce parcours vers l’onco-gériatre est-il réglementé ? Si j’ai 78 ans et que j’ai un cancer, vais-je automatiquement être orienté vers un onco-gériatre ?
Alors non. Il y a un parcours bien établi qui a été validé par l’Institut National du Cancer. Les oncologues, les chirurgiens, les radiothérapeutes, quand ils voient une personne de plus de 75 ans, font un score de repérage de la fragilité qui prend 8 questions, qui sont très rapides. Si dans ce score on voit qu’il y a des fragilités, alors la personne âgée est adressée systématiquement à un gériatre ou à un oncologue formé à l’onco-gériatrie.
Les précieux conseils des gériatres pour vieillir « correctement »
Repousser les dépistages à 80 ou 85 ans
Parlons du dépistage. On le sait, en France ça ne fonctionne pas très bien. Pourtant c’est gratuit. On est à moins de 30% dans notre région pour le dépistage du cancer colorectal qui est préconisé tous les 2 ans entre 50 et 75 ans. On dépasse péniblement 50% pour le cancer du sein (sur la France entière). Vous le disiez, on découvre des cancers tardivement, quand ils sont bien avancés et qu’ils vont tuer les gens. Ce sont ces retards dans le dépistage que vous espérez changer également ?
Le dépistage n’est pas proposé aux personnes de plus de 75 ans. C’est une décision de santé publique tout simplement parce que les études sur les dépistages de masse ont montré qu’au-delà de cet âge, ça n’apporte pas pour la mortalité. C’est à rediscuter puisque maintenant quand même l’âge recule et on vit de plus en plus vieux. Donc je ne suis pas sûre que le cut-off de 75 ans soit encore bon en 2025. Il faudrait peut être se poser la question d’aller plutôt jusqu’à 80 voir 85 ans. Mais ça c’est un autre débat.
En tout cas, étant donné que le dépistage – et notamment le dépistage du cancer du côlon – ne peut pas être proposé aux personnes de plus de 75 ans, c’est un dépistage individuel qui doit être proposé. Et donc ces symptômes dont je vous ai parlé tout à l’heure, ces signes comme la perte de poids, du sang dans les selles, du sang dans les urines, une toux qui traîne, toutes ces choses là doivent alerter le patient mais aussi son entourage. Les enfants et les petits-enfants sont essentiels pour amener ces patients à consulter leur médecin traitant et pouvoir repérer les choses assez tôt.
Les 5 fruits et légumes, ça marche !
Si je n’ai pas de signes, que j’ai 80 ans, est-ce que je continue à faire un dépistage individualisé du cancer colorectal par exemple ? Est-ce que je peux demander à mon médecin de me prescrire un examen ?
Oui tout à fait, surtout si le médecin traitant s’aperçoit qu’il y a eu une perte de poids, que la personne est un petit peu fatiguée, qu’il y a des antécédents familiaux. Bien sûr qu’il ne faut pas hésiter à dépister de façon individuelle encore une fois.
Que pouvez-vous nous conseiller de faire à partir de 50 ans ou 60 ans pour vraiment limiter le risque de cancer ? Qu’est-ce qui marche ?
Il n’y a pas de d’excellente recette. En tout cas il y a des petites choses à faire qui permettent quand même de reculer l’arrivée d’un cancer ou d’en éviter l’arrivée. Déjà quand on est fumeur : arrêter le tabac. Il y a beaucoup de consultations de tabacologie qui permettent d’aider à l’arrêt du tabac. Il est clair que le tabac est un gros, gros facteur de risque de beaucoup de cancers. Pareil avec la limitation de l’alcool voire l’arrêt total. Essayez de manger équilibré. Le fameux « 5 fruits et légumes par jour », ce n’est pas pour embêter tout le monde, c’est que ça marche !
30 mn d’activité physique = moins de cancers
Celle qu’on oublie souvent, c’est l’activité physique. L’activité physique est essentielle. On recommande de marcher une demi-heure par jour après 70 ans, ce n’est pas pour rien; ça a montré que ça diminue l’incidence de beaucoup de maladies et pas que le cancer -, l’incidence aussi des maladies cardiovasculaires. Mais ça améliore aussi les capacités cognitives. On se stimule. Il y a un environnement autour de soi qui permet d’améliorer les capacités cognitives. Cette hygiène de vie entre l’activité physique – sans courir, on peut tout simplement marcher et faire une marche rapide – plus les règles hygiéno-diététiques et éviter les facteurs de risque me semblent déjà la base essentielle.
De Marseille à Gap, Salon ou Martigues
Revenons à la journée du 9 octobre. C’est la première dédiée à la sensibilisation aux cancers des seniors. Comment allez-vous sensibiliser la population ?
Cette première journée va être dédiée au repérage des signes précoces du cancer et permettre de discuter aussi de ce fameux dépistage. Elle va être organisée en 2 temps. D’abord les unités de coordination en onco-gériatrie – qui sont les équipes de gériatrie et d’oncologie qui travaillent ensemble – vont faire des actions dans chaque région de France. Par exemple sur l’APHM ou sur l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille, il va y avoir un stand dans les accueils des hôpitaux pour sensibiliser la population qui passe à la prise en charge du cancer de la personne âgée.
Il va y avoir aussi des actions à Gap, Salon, Martigues, Toulon où les hôpitaux vont faire des actions locales. Comme c’est la Société Francophone d’Onco-Gériatrie qui organise cette journée, il va y avoir un débat au sein du Sénat à Paris. Une journée avec des thématiques comme le repérage, le dépistage mais aussi comment faire connaître à la population la prise en charge cancérologique du sujet âgé. Et comment améliorer la recherche chez les patients âgés, notamment les patients âgés atteints de cancer. Cette journée au Sénat est essentielle pour informer la population mais aussi informer nos pouvoirs publics et les sensibiliser à cette prise en charge.
« Le cancer n’est plus une fatalité ! »
Il faut donc se pencher de manière plus spécifique sur le cancer de la personne âgée aujourd’hui ?
Tout à fait, c’est essentiel parce que c’est une population plus fragile, plus à risque de ne pas avoir des traitements. Maintenant nous avons un panel de traitements auxquels les personnes âgées peuvent avoir accès qui est énorme. Avec des traitements parfois personnalisés qui permettent de traiter, de guérir le cancer. Le cancer n’est plus une fatalité, ça devient maintenant une maladie chronique. Et donc c’est vraiment important qu’on sensibilise et qu’on n’entende plus que « Ben il a le cancer, on va le laisser, il a 80 ans… » Maintenant on peut prendre en charge les patients selon leurs spécificités. Il faut vraiment que tout le monde y ait accès.
Après 80 ans, vivre longtemps avec son cancer
Vous dites qu’on peut avoir 80 ans, avoir un cancer et vivre finalement avec ce cancer encore plusieurs années ?
Tout à fait ! Il y a des gens qui ont un cancer de la prostate qui vivent plein d’années avec des prises en charge par hormonothérapie. Il y a des gens qui ont des thérapies ciblées pour les cancers du sein par exemple ou même pour le cancer du poumon. Ils prennent des comprimés à vie et vivent très bien avec. C’est devenu pour certains, notamment grâce à l’avènement de l’immunothérapie et de la thérapie ciblée, une maladie chronique.
Donc le 9 octobre il faut enfoncer le clou…
Que tout le monde se mobilise et s’informe sur cette population qui est plus exposée effectivement au cancer.
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