Les précieux conseils des gériatres pour vieillir « correctement »

Faire un bilan de santé à partir de 70 ans avec un médecin spécialiste de la vieillesse peut aider à repérer nos éléments de fragilité. C'est une manière d'anticiper les gros pépins. La Dr Sandrine Tournier-Louvel est cheffe du service de gériatrie à l'Hôpital Saint-Joseph à Marseille. Elle conseille sur les activités quotidiennes à mettre en place pour ne pas sombrer après 70 ans.

Santé

Si la vieillesse est une évolution naturelle, forcément elle nous inquiète. A quel âge considère-t-on que l’on devient « vieux » dans notre pays ? On parle de 3e âge, de 4e âge…

Dr Sandrine Tournier-Louvel : Il est assez difficile de répondre parce que chaque personne va se donner un âge qui va sous-entendre son histoire et son propre ressenti du vieillissement. En pratique on peut diviser la vieillesse en 3 catégories. 1- Il y a le jeune senior, la tranche 60-75 ans, donc c’est pas loin de la cessation de l’activité professionnelle. 2- On va avoir le début du vieillissement, réellement, où l’on parle vraiment de la population senior à partir de 75-90 ans. C’est d’ailleurs là que notre activité de gériatre commence, on évalue des personnes de plus de 75 ans. 3- Et après c’est le grand âge, le grand senior, le 4e âge : c’est au-dessus de 90 ans. Le 4e âge devient une population de plus en plus fréquente.

La grande crainte des personnes âgées, et de leurs enfants également, c’est ce qu’on appelle la dépendance. Qu’est-ce qui caractérise généralement cette perte d’autonomie, et à partir de quel âge survient-elle en moyenne ?

Que veut dire la perte d’autonomie ? On a tendance à dire que la perte d’autonomie c’est une perte d’activité motrice, mais pas que ! Un programme de recherche européen avait analysé ce ressenti de premier « coup de vieux » et en moyenne il survenait très jeune : à 35 ans dans les pays occidentaux ! Moi, quand j’ai lu ça, cela m’a fait peur. Cela sous-entend que chacun a un regard différent sur le démarrage d’une perte d’autonomie éventuelle. Mais on va dire que, logiquement, la grosse population colle avec notre population d’évaluation : c’est 75 ans.

Perte de la force, de la vitesse, de l’autonomie

De quelles façons se manifeste cette perte d’autonomie ? Quels sont les signes avant-coureurs qui doivent alerter, par exemple sur un plan physique ?

La perte d’autonomie va être, sur le plan physique, une perte de la force musculaire, une perte de la vitesse, éventuellement des chutes un peu plus fréquentes, un risque fracturaire plus élevé. Une perte d’autonomie, ce n’est pas que le plan moteur. Ce seront aussi des handicaps sensoriels avec une baisse de la vue, une baisse auditive. Ce n’est pas très gai en fait ! Le vieillissement physiologique, quand on l’analyse organe par organe, c’est quelque chose qui n’est pas forcément digeste. Il faut imaginer que c’est un vieillissement physiologique de tous nos organes qui peuvent arriver à une perte d’autonomie.

C’est pareil sur le plan neurologique. On va avoir des capacités mnésiques qui sont intègres – d’ailleurs la démence sénile, on ne devrait pas entendre parler de ce terme – mais la vitesse d’apprentissage sera un petit peu plus lente. On va avoir des modifications de notre sommeil, éventuellement de notre humeur. On va avoir des désordres métaboliques, des problématiques cardiologiques, respiratoires, en dehors de toute histoire de vie ou de pathologies ou de facteurs de risque.  Donc on a un vieillissement physiologique diffus et vous y intégrez des éléments qui vont en fait déstabiliser des stratégies innées de chaque individu qui font que, une personne âgée est différente, et qu’on peut pas catégoriser en fonction d’un âge.

Etes-vous un vieux robuste ou fragile ?

En gériatrie il y a 3 grands groupes de population : 1- les personnes robustes qui n’ont pas eu de maladie et qui ont un vieillissement physiologique comme tout un chacun, mais qui ont réussi à mettre en place une stratégie ou des actions pour remédier à leurs déficits. 2- On a les personnes âgées dépendantes qui sont effectivement pour une grosse partie en institution, en Ehpad, dépendantes avec des troubles cognitifs pour la moitié d’entre elles au minimum. 3- Et puis on a toute cette population fragile, c’est vraiment la population qui ne doit pas passer au travers du maillage en gériatrie parce que ce sont des gens qui à première vue sont bien, robustes, mais en fait non pas complètement. Et s’il se passe quelque chose dans leur histoire de vie, un traumatisme quelconque, ils vont basculer sur la dépendance et là tout le deal c’est qu’ils n’y basculent pas. Et si jamais ils doivent y basculer, qu’on arrive à les remonter dans la fragilité.

Justement, voir un gériatre permet de prévenir ce que j’appelais la perte d’autonomie, en tout cas ce basculement ?

L’intérêt de voir un gériatre au plus tôt, c’est justement faire une évaluation globale pour identifier des éléments de fragilité qui vont – s’ils sont déstabilisés par un événement extérieur – engendrer une perte d’autonomie. L’idée est de trouver un traitement de prévention, une stratégie de sécurisation au niveau de son environnement pour ne pas 1- vivre l’événement pathologique, et 2- s’il doit arriver, ne pas rester trop longtemps dans la dépendance pour revenir à leur statut de fragilité.

L’évaluation psychologique et sociale est primordiale

C’est-à-dire que les gens vous racontent un peu leur vie, vous expliquent leurs difficultés, et à partir de là vous les aidez à mettre en place des stratégies pour affronter ces difficultés, les intégrer, les surmonter ?

L’évaluation gériatrique qu’on peut mener dans le cas d’une consultation va être effectivement une évaluation basée sur des outils, mais pas que. Ils nous permettent d’avoir un langage commun entre professionnels de santé pour essayer de savoir dans quelle situation se trouve cette personne en face de nous. a partir de là, des stratégies vont être mises en place : des prises en charge médicamenteuses, de kinésithérapie, d’adaptation du domicile, une grosse part d’information sur le plan de l’alimentation, de la diététique…Donc oui, il y a des conseils qui sont donnés et prodigués pour mettre en place une stratégie. Je ne voudrais pas parler de « bien vieillir » mais d’une stratégie pour vieillir correctement.

Vous ne parlez pas d’accompagnement psychologique ou psychiatrique, est-ce important également quand on vieillit ?

Primordial ! Mais en fait tout dépend de la personne qui est en face de nous. Toutes les personnes âgées n’ont pas besoin d’un soutien psychologique. Par contre, quand on diagnostique une dépression, on n’a pas peur de s’en occuper par des thérapeutiques et éventuellement par des soutiens psychologiques. Mais une personne âgée peut ne pas avoir du tout de problèmes d’humeur.  Mais en tout cas c’est recherché. Comme l’état cognitif, comme l’état nutritionnel, comme l’état moteur. Ce sont vraiment des domaines qui sont spécifiques et qui nous permettent une évaluation globale; et une grosse part d’évaluation sociale parce qu’une personne âgée, sans analyse de son environnement, ça ne nous permet pas de gérer correctement cet individu.

On dort plus mal en vieillissant

On entend souvent les personnes âgées se plaindre de troubles du sommeil et dormir à longueur de journée. On connaît tous cela avec des gens âgés de notre entourage. Existe-t-il des solutions et est-ce un problème de prendre des médicaments pour dormir quand on a 75 ou 80 ans?

Qu’ont ait besoin de prendre un médicament pour dormir à un moment donné, si vraiment il y a un impact fort sur l’autonomie de la personne derrière, pourquoi pas ? C’est vraiment pour une situation aiguë. Un somnifère ne doit pas être donné au long cours, ça c’est la première chose. Après, il faut aussi accepter le fait qu’en vieillissant notre sommeil va être modifié. Ce ne sera pas le même sommeil que quand on était jeune, enfant ou adulte. Donc effectivement, les personnes vont soit s’endormir plus tôt soit s’endormir plus tard, en tout cas un lever plus tôt le matin. Il faut accepter ça, la structuration du sommeil est modifiée aussi.

J’ai tendance simplement à faire accepter le fait qu’il est normal quelquefois de ne pas forcément bien dormir, ça peut arriver. Comme il est normal de pas être en forme un jour. Après, il y a un une sorte de rituel du sommeil. Les conseils que je vais pouvoir donner c’est d’éviter des repas trop lourds le soir, éviter de prendre du café ou tout excitant le soir – alcool, tabac, café -, se mettre dans des conditions adaptées avec une bonne température au niveau de la chambre, favoriser plutôt la lecture ou la musique douce. Le truc à bannir c’est de regarder la télé dans le lit. La logique « j’ai un problème, je cherche un médicament, une solution », ce n’est pas du tout la bonne démarche à faire !

L’autre chose importante, c’est que si on ne se fatigue pas physiquement dans la journée, intellectuellement ou sur le plan moteur, eh bien la nuit on n’aura pas forcément envie de s’endormir très tôt !

Ne te repose pas mais fatigue-toi !

On dit souvent aux personnes âgées « Repose-toi ! »

On ne dit pas « Repose-toi ! » On ne dit pas « Ne fais pas ça parce que je vais le faire à ta place ! » On ne dit pas « Tiens, mange ça ! » Ce sont des personnes comme tout à chacun qui ont besoin d’une alimentation diversifiée et équilibrée, de bouger et de ne pas s’infantiliser.

Il est des pays, des civilisations où les personnes âgées sont respectées, valorisées pour leur expérience. Chez nous, en Occident, en France, les personnes âgées sont souvent vues comme des fardeaux. Est-ce qu’un regard positif sur la personne âgée lui permet de mieux vieillir ?

Obligatoirement ! En vieillissant on a, à un moment donné de sa vie, une perte de confiance et une certaine perte d’estime de soi parce que notre corps change, parce que le regard des autres change. On n’est pas forcément armé de la même façon pour le prendre en considération. Si à chaque fois sur le plan médiatique ou pour plein d’autres exemples qu’on a pu vivre récemment – et je ne citerai que la COVID – on met en avant un âge, ce n’est pas forcément évident. Quelqu’un qui perd son statut d’individu en tant que tel aura plus de chance d’avoir des pathologies ou de développer des pathologies, de rentrer dans des états de dépression. Et, oui, ça peut aller jusqu’à éventuellement des décès.

A 80 ans, faire des petits exercices d’endurance

Si on a un parent qui est âgé, il faut le stimuler, lui demander de nous rendre des services, le valoriser ?

En tout cas il ne faut pas le mettre à part. Il ne faut pas non plus lui demander des choses qui ne sont pas réalisables parce que, là, ce sera une mise en échec. Donc ça ne marchera pas. Mais par contre il faut qu’il préserve son statut au sein de sa fratrie. Et comme sur le plan actuel, dans notre population, il y a cette perte d’image, ça a un ressenti après sur une famille. Et puis une personne âgée reste une personne âgée ! Lui dire qu’il y a la crème anti âge ? Il faut quand même aussi l’accepter en tant que telle et ne pas à chaque fois se rappeler de cette personne quand elle avait 40 ou 50 ans. Donc l’accepter comme elle est mais pour autant ne pas le faire tout le temps à sa place, et surtout ne pas décider à sa place.

Quelles sont les 3 activités que vous recommandez aux personnes âgées pour garder le plus longtemps possible une autonomie, pour rester en forme ?

Mes consultations sont longues parce que je n’aime pas mettre des médicaments. Je suis gériatre. Quand il y a une pathologie, je mets un traitement. Par contre, sur mes ordonnances il y a une grosse partie où je leur demande de faire des activités physiques. Ce sont des exercices qui vont allier une activité d’endurance et un temps de travail de résistance, c’est-à-dire du renforcement musculaire ou des étirements. Cela, ils peuvent le faire de manière très autonome et quelle que soit leur position: debout, allongée, assise. Je leur demande de faire ces petits exercices tous les jours, complétés par un kiné si besoin.

Manger avec plaisir et voir des amis, c’est fondamental

L’alimentation est hyper importante. C’est un temps important de ma consultation. L’alimentation doit être diversifiée, équilibrée. Il faut garder le plaisir de manger,  adapter l’alimentation à des difficultés que des personnes pourraient avoir, être vigilant à ce que le handicap sensoriel ou le handicap de mastication ne soient pas trop perturbés. Ce sont des critères qu’on va chercher également. Garder une vie sociale (est important). Quand il y a la famille, c’est cela qu’il faut repositionner, la personne au sein de sa famille. Quand il n’y en a pas, il y a d’autres situations. Il y a des maisons du bel âge, il y a des associations, des clubs. Il faut leur faire comprendre que le lien social, c’est quelque chose de primordial.

Quand on est âgé, il faut structurer sa journée

Avez-vous des petits trucs, des rituels pour se faire du bien quand on vieillit ?

Quand je repense à mes consultations de ce matin même, j’aurais tendance à leur dire de restructurer leur journée. Parce que très vite, à partir du moment où ils n’ont plus d’intérêt, il y a une perte d’activité. Et moi je leur demande de se dire « Tiens, par exemple le matin vous allez me faire de l’activité de stimulation cognitive, mais ce que vous voulez ». Donc ça va être des mots croisés, des mots fléchés, et vous le faites une demi-heure. Si ça vous plaît, vous continuez. Si vous en avez marre, vous faites 20 min mais vous le faites quotidiennement.

Et puis après vous irez sortir un petit peu dans le parc et si vous ne voulez pas sortir, vous faites vos exercices dans la maison. Comme ça je leur demande de structurer leur journée de telle manière à ce qu’ils aient une activité même s’ils restent tout seuls dans leur appartement. Je ne suis pas dupe. Je ne suis pas sûre qu’ils m’écoutent tout le temps mais je pense qu’à partir du moment où il y a un échange qui est fait, il y a une écoute et quelquefois je suis ravie d’entendre dire qu’ils m’ont écoutée, que ça s’est bien passé. Finalement, sur le plan de la prise en charge derrière, c’est plus facile.

Maintenir la qualité de vie

On entend dire parfois que des personnes très âgées ou très limitées par la maladie sont fatiguées de vivre et souhaitent mourir. Est-ce le cas ? Est-ce que vous l’entendez dans vos consultations ?

Le sujet de la mort dans une consultation gériatrique tout venant n’est pas quelque chose qui est évoqué. Par contre, dans l’évaluation de l’humeur, forcément. On va rechercher l’existence d’idées pessimistes, d’idées noires, ce genre de choses. Mais ça ne va pas être forcément la première plainte. Par contre, dans mon activité d’onco-gériatre (spécialiste du cancer chez la personne âgée, NDLR), oui il y a des situations qui sont quand même compliquées, où je recherche l’adhésion ou en tout cas le consentement éclairé. Ce sont des mots qui ont du sens parce que c’est facile à dire, à écrire, mais à chercher ce n’est pas si simple que ça.

J’ai des personnes qui vont m’exprimer clairement qu’elles n’ont pas envie de traitement et elles le revendiquent et ça a du sens, une certaine lucidité. La plupart du temps, ce ne sont pas des gens qui ont peur de la mort. En fait ils estiment qu’ils ont fait ce qu’ils avaient à faire et que, voilà, si ça doit venir ça doit venir. En gériatrie, ce qu’on a tendance à dire, c’est qu’on n’est pas forcément là parce qu’on n’a pas les moyens de soigner en tant que tels. Le but est de préserver la qualité de vie. C’est notre ligne et nos objectifs, coûte que coûte la qualité de vie doit être maintenue,  à adapter en fonction de chaque individu. La qualité de vie peut être différente pour vous comme pour moi à nos âges avancés.

Notre environnement est délétère

Vos patients qui ont 75 ans aujourd’hui ont-ils changé par rapport à ceux qui avaient 75 ans il y a 20 ans ? Leurs exigences, leurs attentes sont-elles différentes ?

Ils changent c’est moins symptômes = traitement. Pour certains il y a une recherche, un questionnement sur l’origine des troubles. Et pour certains ça va être une recherche d’une prise en charge différente que de l’allopathie pure et dure, que des médicaments. Oui ça risque de changer et je pense que dans 10 ans les gens de 70 ans seront encore différents de ma population actuelle.

Vous voulez dire qu’ils ont plus envie de se prendre en charge, de faire attention à leur vieillissement ?

Je pense qu’il y a une prise de conscience en tout cas de l’effet délétère de l’environnement. Forcément il y aura une prise de conscience d’améliorer leur vie de manière globale. Par contre ça ne touchera pas toute la population. En tout cas il y aura du questionnement alors qu’avant c’était moins clair que ça.

Faites un check-up entre 70 et 75 ans

Pour nous résumer, vous conseillez aux gens qui arrivent à l’âge de 75 ans de faire une consultation d’évaluation avec un gériatre pour savoir où est-ce qu’ils en sont, qu’est-ce qu’on peut corriger, comment mieux vivre les années à venir ?

A 75 ans oui, c’est très important. C’est le check-up à 75 ans. Et même ! 75 ans c’est vraiment pour la gériatrie pure et dure. En onco-gériatrie on peut descendre à 70 ans. Entre 70 et 75 ans, allez voir un gériatre il ne faut pas avoir peur ! On ne va pas vous manger ! Clairement, prendre le temps de faire une évaluation globale pour repérer ces éléments de fragilité qui pourraient être corrigés pour éviter que ce soit plus compliqué d’ailleurs, oui il y a du sens. Et il y a un intérêt.

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