A 30 ou 60 ans, protéger son audition est capital

Non, les jeunes ne vont pas tous finir sourds à cause des écouteurs omniprésents ! Mais la menace existe... En revanche, trop de retraités s'appareillent trop tard. L'audition perdue ne se retrouve jamais. Comment conserver son capital auditif, quels comportements ou maladies menacent nos oreilles ? Les docteurs Laetitia Ros et Stéphane Gargula (service ORL de la Conception, APHM) nous aident à prévenir la surdité.

Santé

A 20 ou 30 ans, réglez bien vos écouteurs. Testez votre audition à 55 ans. Puis ne tardez pas pour vous appareiller. Car on ne retrouve jamais l’audition perdue. Les troubles de l’audition surviennent assez tôt car dès 65 ans deux personnes sur trois entendraient moins bien. On le sait moins mais les jeunes sont également touchés. Pourtant ce n’est pas une fatalité comme nous allons le voir avec deux médecins du service ORL dirigé par le Pr Justin Michel à l’hôpital de La Conception, la Dr Laetitia Ros et le Dr Stéphane Gargula. Mais d’abord, qu’appelle-t-on un trouble de l’audition ? 

Docteur Laetitia Ros : Un trouble de l’audition signifie que le patient a des difficultés pour entendre, comprendre son environnement sonore dans le silence ou dans le bruit. Il peut résulter d’un dysfonctionnement d’un ou plusieurs des chaînons de l’audition sur une oreille ou les 2. Il peut s’agir d’un problème au niveau du conduit auditif externe, des osselets, de l’oreille interne, du nerf de l’audition, voire de la façon dont le cerveau va pouvoir traiter ou interpréter les signaux auditifs. Le seuil le plus communément admis est de ne pas entendre les sons inférieurs à 20 décibels (dB) dans le silence.
Il faut comprendre que ce trouble de l’audition a un impact sur la communication et les liens sociaux.

Quand on monte le son de la télé…

Quels sont les signaux d’alerte qui doivent nous amener à consulter ? Nos proches nous disent « Mais tu n’entends plus rien ! » Et ça nous agace. Existe-t-il des symptômes ?

Docteur Stéphane Gargula : Le premier signal est souvent notre entourage. On monte le son de la télévision ou on n’arrive pas à suivre toutes les infos du JT ou du film. On fait répéter régulièrement, on répond à côté. On n’arrive pas à participer à une conversation au restaurant, on a des difficultés pour suivre une conversation téléphonique. Certains se plaignent d’entendre mais de ne pas comprendre, surtout dans le bruit. Et de se sentir fatigués après avoir été dans des ambiances bruyantes. Ces signes doivent amener à consulter.

Quelles peuvent être les causes de ces troubles ? Parlons d’abord des adultes qui
avancent en âge. Pourquoi ça se dégrade ainsi ?

Dr Ros : Il s’agit à ma connaissance d’une proportion d’un tiers de la population après 65 ans et la moitié après 75 ans. Bien sûr cela va dépendre de comment l’on définit la perte d’audition mais ce sont les chiffres les plus fréquemment admis. 9 surdités sur 10 sont liées à l’atteinte de ce que l’on appelle les cellules ciliées, qui sont des cellules neurosensorielles. Le vieillissement est la cause principale. C’est ce qu’on appelle la presbyacousie, qui s’explique par une usure progressive de ces cellules qui se régénèrent
mal.

C’est un phénomène naturel, mais qui peut être accentué par d’autres facteurs comme le bruit, des maladies locales comme des problèmes d’otite moyenne. Ou bien des pathologies plus générales comme les troubles vasculaires et le diabète. Ou bien encore une exposition au bruit ou la prise de médicaments ototoxiques. Tout ceci peut faire avancer plus rapidement l’apparition de la surdité.

 

Bonne santé = bonnes oreilles !

Peut-on échapper à cette perte d’audition grâce à la prévention ou bien sommes-nous condamnés à entendre moins bien ?

Dr Gargula : Nous pouvons éviter d’accélérer cette dégradation, en évitant les expositions prolongées à
des sons forts, et en se protégeant lors de situations à risque. Néanmoins il y a une part de vieillissement naturel qui est incompressible, et qui va varier d’un individu à un autre en fonction de pathologies générales. Quand on est en bonne santé, les oreilles se dégradent moins vite.

Il existe cependant des prises en charge des pathologies cardiovasculaires. Et une alimentation riche en antioxydants visera à limiter ce vieillissement précoce des cellules neurosensorielles. Si on pouvait faire une analogie, une exposition prolongée au soleil va accentuer le vieillissement cutané. Pour autant, se protéger des UV ne va pas vous empêcher totalement d’avoir des rides.

Faire un test auditif à 55 ans

Devrait-on réaliser un contrôle régulier de son audition comme on le fait pour ses dents ou sa vue ? Et si oui, où s’adresser pour avoir une analyse objective, non orientée commercialement ?

Dr Ros : L’audition s’évalue par une audiométrie avec les sons et la compréhension des mots. Mais le dépistage général n’est pas forcément nécessaire. Certains auront une surdité évoluée sans besoin d’aller consulter ou d’avoir des systèmes de réhabilitation alors que d’autres personnes seront plus sensibles à cette perte d’audition. De manière générale, la prise en charge de la surdité ne se fait pas sur un chiffre en décibels mais plutôt sur un retentissement sur le quotidien.

Là où je veux en venir, c’est qu’il faut écouter son entourage, s’écouter soi-même, et faire attention aux signes d’alerte que nous évoquions précédemment. Il est utile de faire un test auditif à partir de 55 ans, de voir un ORL de ville, simplement pour faire un état des lieux de la surdité, une audiométrie. Mais si la surdité n’existe pas, il ne sert à rien de faire un test tous les ans ou tous les deux ans, tant qu’il n’y a aucun impact sur le quotidien.

Examen de contrôle à l’hôpital de la Conception, service ORL du Pr Justin Michel.

S’appareiller tôt pour bien entendre

Conseillez-vous de s’appareiller tôt pour conserver au maximum son audition ? On voit souvent des gens dans notre entourage se résigner à être équipés quand ils sont déjà très gênés…

Dr Gargula : Oui c’est un point important. Une fois la gêne installée, il est important de ne pas laisser les choses évoluer. Il faut comprendre que l’appareillage nécessite une adaptation du cerveau, qui aura perdu partiellement l’habitude de filtrer et trier les sons de l’environnement. Si l’on s’appareille alors que la surdité est légère, l’adaptation sera facile.

En revanche, si la surdité est plus avancée, la marche va être plus haute, l’adaptation sera plus difficile voire décourageante pour le patient, qui en plus aura peut-être vieilli entretemps. A ce moment-là, il y a un risque qu’au début de l’appareillage, les sons soient perçus comme plus métalliques, plus agressifs, et la phase de transition sera un peu plus longue.

Porter un appareil n’est plus stigmatisant

L’appareillage fait peur à beaucoup de gens, moi y compris ! A part les appareils auditifs, quelles sont les solutions ? Si je compare le problème avec la vue, j’ai les lunettes, les lentilles et souvent le laser ou la chirurgie. Bref, comment éviter l’appareillage qui est encore souvent perçu très négativement, comme un signe d’invalidité, de bascule vers la vieillesse ? 

Dr Gargula : Cela dépend de la cause. Une proportion non négligeable des surdités, en particulier chez
les jeunes, va avoir une cause mécanique. Par exemple l’otospongiose qui est un problème fréquent lié au blocage de l’étrier. Dans ces cas-là, une chirurgie peut permettre de réparer l’atteinte et corriger la surdité. Pour une proportion importante des patients cependant, l’appareil sera la seule solution.

Concernant votre deuxième question, il est important de prendre en compte l’évolution de la société, dans laquelle porter des appareils, qui sont eux-mêmes de plus en plus petits et de plus en plus esthétiques, est vu de façon de moins en moins négative à l’heure où tout le monde porte des écouteurs sans fil et de l’équipement technologique sur lui.

Remboursement à 100%

J’entends souvent dire que c’est ruineux de s’appareiller, qu’il faut dépenser plusieurs milliers d’euros pour bien entendre, pas toujours remboursés. Quel constat faites-vous ? 

Dr Ros : C’était vrai il y a quelques années. Heureusement, le gouvernement, la sécurité sociale et les mutuelles se sont accordés pour rembourser à 100% un appareillage auditif. Il y a plusieurs types d’appareillage – des contours d’oreille, des intras avec différentes technologies et connectivités – qui sont remboursés à 100%. Ce sont des appareils qu’on appelle de classe 1.

Effectivement, s’il y a un besoin de connectivité, ou de réduction du bruit ou de traitement du signal plus important, ce seront des appareils qui nécessiteront des frais un petit peu plus importants. Mais ces classe 1 fonctionnent très bien, ont la même capacité esthétique que les classes 2. Sur le niveau d’amplification, c’est à peu près la même chose. Il faudra juste pouvoir aller voir l’audioprothésiste qui vous fera essayer les deux systèmes et ce sera à vous de choisir au bout d’un mois d’essai.

Ce n’est pas une paire de lunettes !

Les patients se plaignent régulièrement d’appareils mal adaptés, qu’il faudrait régler sans cesse. Ces dispositifs ne sont-ils pas suffisamment perfectionnés ?

Dr Ros : Si. Il faut comprendre que l’appareillage auditif, ce n’est pas une paire de lunettes ! Il va falloir faire travailler le cerveau, et le cerveau va être tout le temps en modulation, en plasticité pour comprendre l’information sonore. C’est pour cela qu’au départ, il y a besoin de plusieurs séances de réglage avec l’audioprothésiste. Sur les 4 ans normalement de port d’appareil auditif – parce qu’ils sont renouvelés au bout de 4 ans – vous pouvez avoir au moins un rendez-vous tous les 6 mois chez l’audioprothésiste pour justement s’adapter à ces nouvelles modulations cérébrales et sur-perceptions sonores. Si ça se dégrade, il peut adapter en temps réel. Effectivement, il faut un suivi régulier car ça apporte un bénéfice dans le quotidien.

Méfiez-vous de la tondeuse à gazon

Le bruit est donc un facteur aggravant de la surdité. A partir de combien de décibels l’exposition au bruit est-elle considérée comme menaçante pour nos oreilles ? 

Dr Gargula : Oui, le bruit est un facteur aggravant de la surdité. Il y a deux facteurs : le volume, l’intensité sonore, et la durée d’exposition. Une exposition prolongée à partir de 85 décibels sans protection – c’est le niveau sonore d’une tondeuse à gazon ou d’un concert – peut endommager l’audition de façon irréversible. Un son encore plus fort, même bref, peut également créer un traumatisme de l’oreille interne. Ce sera le cas si vous passez devant un réacteur d’avion au mauvais moment, ça peut aller très vite. Plus le son est fort, plus la durée d’exposition est longue, plus le risque est élevé.

Plus d’hommes sourds, mais ça change…

Hommes et femmes sont-ils à égalité face à la perte d’audition ?

Dr Ros : Dans les études, on retrouve que les hommes ont tendance à avoir une surdité plus importante, tout simplement parce qu’ils ont été exposés plus régulièrement au bruit dans les métiers du bâtiment, à l’armée, et dans l’industrie; Il n’y avait pas toutes ces méthodes de protection qui existent aujourd’hui. Mais avec les changements de modes de vie, l’écart tend à se réduire entre les hommes et les femmes.

Quand vous êtes dans la rue, un commerce, vous arrive-t-il de vous dire qu’il y a beaucoup trop de bruit et que les gens qui y travaillent devraient faire attention ?

Dr Ros : Dans notre environnement sonore quotidien, les restaurants, ces choses là, on est de plus en plus tous gênés. C’est pour cela que la sensibilisation à tout ce qui est bruit fort et continu, c’est important. L’utilisation de protections auditives devrait être plus adaptée et plus communément acceptée, même par la population jeune.

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Ecouteurs : 1 milliard de jeunes à risque !

Constatez-vous un accroissement significatif des problèmes de surdité parmi les jeunes générations justement ? L’avez-vous chiffré ? 

Dr Gargula : Oui et non. Il est certain que le mésusage des écouteurs en particulier génère un surrisque
auditif. L’Organisation Mondiale de la Santé estime qu’un milliard de jeunes sont à risque de dégrader leur audition à cause de cela. En parallèle, les mesures de protection au travail et les régulations se sont grandement améliorées. On retrouve donc à peu près la même proportion de jeunes atteints de surdité maintenant, dans les années 2000 et dans les années 1980. C’est-à-dire à peu près 1 sur 6. Il n’y a donc pas d’accroissement, mais la cause a évolué. Et cette cause est toujours évitable chez une grande proportion de ces sujets.

Mettre ses oreilles au repos

Parlons justement du phénomène des écouteurs. On croise plein de gens qui les ont vissés dans les oreilles non seulement dans la rue mais aussi à la maison. C’est le cas de nos ados qui sont constamment connectés en visio à leurs amis ou qui naviguent sur les réseaux sociaux. Faut-il s’en inquiéter ?

Dr Ros : On se rend compte que les chiffres d’aujourd’hui sont les mêmes qu’il y a une vingtaine d’années. Le problème existe. Mais ce n’est pas tant l’écouteur en lui-même, parce que les fabricants d’écouteurs ou de systèmes auditifs sont plutôt normés sur le volume sonore délivré, soit pas plus de 100 décibels au maximum. Et vous avez en plus maintenant des messages d’alerte quand vous augmentez trop le son, pour sensibiliser à la perte auditive.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’oreille est un système qui peut se saturer. Il est donc important de faire des pauses pour laisser l’oreille au repos, récupérer, et de ne pas avoir une écoute prolongée. Je conseille de privilégier les casques et les écouteurs qui isolent de l’environnement sonore.

Vive les écouteurs qui isolent !

Vaut-il mieux employer des casques plutôt que des écouteurs ? Je suis parent d’ados et je suis très inquiet quand je les vois des heures d’affilée, y compris quand ils révisent, avec des écouteurs dans les oreilles… Alors casque ou écouteurs ?

Dr Gargula : Il vaut mieux un dispositif qui isole. Parce que moins vous aurez un environnement sonore bruyant, moins vous allez mettre le son fort dans l’écouteur lui-même. Donc un casque c’est très bien, les écouteurs intraauriculaires c’est également bien. Et les nouvelles technologies permettent de réduire le bruit extérieur. La pire configuration, c’est un écouteur qu’on va mettre extrêmement fort pour masquer un bruit déjà extrêmement fort dans l’environnement. Le facteur principal reste le volume et la durée d’écoute, plus que le casque ou pas le casque, la marque ou le modèle

Portez-vous des écouteurs vous-même ?

Dr Gargula : Cela m’arrive. Des écouteurs intraauriculaires, pour cette raison d’ailleurs, et également des écouteurs à conduction osseuse qui sont bridés assez tôt et qu’on ne peut mettre extrêmement fort et qui permettent de ne pas s’enfermer dans une bulle. Mais c’est un choix personnel.

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Pas de sortie en boîte après un concert

Si on va souvent au concert, en boîte, dans des bars musicaux, doit-on être prudents ?

Dr Ros : Eux aussi sont normés. Dans certaines boîtes de nuit, le niveau de décibels est affiché en temps réel. L’important est que chacun est maître de sa propre audition, et donc de la protéger. Pour cela il y a des bouchons en mousse délivrés dans chaque concert gratuitement. Ou bien, si vous êtes adepte de la musique, avec un besoin d’entendre et de faire de la musique, des bouchons anti bruit peuvent être moulés directement au conduit auditif par un audioprothésiste. Il n’y a pas de remboursement pour ces dispositifs.

L’important est de faire des pauses, de diminuer le volume sonore et de laisser son oreille au repos. Le lendemain d’un concert, ne faites pas une sortie en boîte de nuit ou dans une ambiance sonore très bruyante parce que votre oreille va saturer. Vos cellules ciliées vont perdre en élasticité et se casser. Et malheureusement, elles ne se régénèrent pas.

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