Arythmie cardiaque : menace mortelle sur notre coeur

Des millions de Français ont le palpitant qui bat trop vite... mais beaucoup l'ignorent. Ainsi leur coeur se détruit à petit feu et abîme tout l'organisme. Le docteur Julien Seitz, coordinateur de l'unité de rythmologie interventionnelle de l'hôpital Saint-Joseph de Marseille, explique comment repérer cette maladie et conseille de voir un cardiologue à partir de 50 ans... et de maigrir. Il a mis au point une technique interventionnelle quasi unique au monde pour soigner la fibrillation atriale persistante.

Santé

L’arythmie cardiaque est un sujet majeur de santé publique qui toucherait des millions de personnes en France. L’arythmie c’est en gros quand notre cœur va trop vite ou trop lentement, qu’il bat de façon irrégulière. Le problème, c’est que beaucoup de personnes ignorent en être atteintes et risquent un grave accident cardiaque pouvant conduire à la mort. Sait-on de combien de décès chaque année les arythmies sont-elles responsables ?

Docteur Julien Seitz : Il est difficile de répondre à cette question. Quand on parle d’arythmie, on parle de troubles du rythme cardiaque qui englobent de nombreuses pathologies. Classiquement les troubles du rythme cardiaque qui provoquent une mort subite sont des troubles du rythme ventriculaire. On parle de fibrillation ventriculaire et on sait que par an à peu près en France on compte 50 000 décès de mort subite par fibrillation ventriculaire. Ensuite il y a d’autres troubles du rythme cardiaque, notamment la fibrillation atriale ou fibrillation auriculaire qui est aussi responsable d’une surmortalité mais sans parler de mort subite. C’est une surmortalité au long cours.

80% des patients en fibrillation persistante

La fibrillation atriale justement, c’est votre spécialité…

On travaille à Saint-Joseph sur cette pathologie depuis toujours. On fait beaucoup de recherches là-dessus, notamment la fibrillation persistante qui est la forme la plus fréquente. Je rappelle que cette arythmie cardiaque se divise en 2 catégories : les fibrillations atriales, simples, dites paroxystiques qui évoluent par crises qui durent quelques minutes à quelques heures; et la fibrillation persistante, donc des patients qui sont en permanence en arythmie, et là on parle à peu près de 80% des malades qui sont atteints d’une fibrillation persistante.

Palpitations, essoufflement, dépression…

Ils ont le cœur qui bat trop vite ?

Exactement. En général cette fibrillation s’accompagne d’une tachycardie, c’est-à-dire d’une fréquence cardiaque élevée mais c’est surtout un rythme cardiaque irrégulier qui est un signe d’alerte. Les patients se plaignent en général de palpitations, d’une sensation de battements cardiaques anormaux, d’une fatigue, d’un essoufflement, d’une lassitude parfois même d’une dépression. Il y a des gens qui ont des troubles psy liés à ça. On peut aussi noter une insuffisance cardiaque parce que la fibrillation atriale s’accompagne d’une baisse du débit cardiaque, significative. Et quand le débit cardiaque baisse, c’est l’ensemble des organes du corps humain qui sont moins perfusés, notamment le cerveau. Et donc on parle aussi de troubles neurocognitifs liés à la fibrillation.

Donc c’est un problème très vaste ! Qu’est ce qui provoque cette fibrillation atriale ?E st-ce que ça a un lien avec, par exemple, des maladies cardiovasculaires comme l’hypertension artérielle ou autre ?

Absolument ! Comme pour beaucoup de maladies, les causes sont pluri factorielles. Mais on sait qu’il y a des formes familiales de fibrillation, également des facteurs de risques pro arythmogènes notamment l’obésité, l’apnée du sommeil, l’hypertension artérielle et également toutes les pathologies cardiaques. Les cardiopathies peuvent s’accompagner d’une fibrillation atriale.

Votre montre vous dépiste !

Quand j’ai une maladie cardiovasculaire, est-ce que mon médecin ou mon cardiologue va penser à la fibrillation atriale ?

Bien sûr ! C’est un trouble du rythme tellement fréquent, ça touche 11 millions de patients en Europe et encore ! C’est possiblement sous-évalué et ça va ne faire qu’augmenter dans les années à venir.

A cause du vieillissement ?

A cause du vieillissement, et de l’obésité qui est une épidémie mondiale, dans les pays riches. C’est une maladie qui est très connue par les généralistes et par les cardiologues et qui est donc dépistée. Ce qui est très bien. Mais en cas de symptômes à type de palpitations, de fatigue, d’essoufflement, il est très important de penser à cette pathologie là qui se diagnostique par un électrocardiogramme (ECG). Aujourd’hui d’ailleurs il y a beaucoup de patients qui se dépistent tout seuls grâce à des objets connectés – des montres qui font des ECG, beaucoup d’applications permettent d’enregistrer le rythme cardiaque pour faire un diagnostic de fibrillation.

Conseil du docteur Julien Seitz : ne prenez pas l’ascenseur, mais les escaliers. C’est très bon pour votre coeur !

Les femmes en retard

Les hommes et les femmes sont-ils à égalité face à cette maladie ?

Pas tout à fait. Ces pathologies touchent plus souvent les hommes. Le risque de développer une fibrillation à vie chez les hommes est de 25% contre 20% chez les femmes. Par contre on sait aussi que les femmes répondent moins bien à une ablation par cathéter que les hommes. On n’a pas vraiment d’explication là-dessus. Il est possible aussi que les femmes soient adressées moins rapidement au bloc opératoire pour des raisons multiples. Quand elles sont touchées il y a un retard au diagnostic et une moins bonne réponse aux traitements.

On va parler des traitements. Mais d’abord quels sont les symptômes et signaux d’alerte ? Est-ce que je sens que mon cœur va trop vite ?

Exactement. On peut le sentir. On peut sentir des palpitations, une accélération cardiaque, on peut sentir un essoufflement, une fatigue, parfois même le diagnostic se fait au moment d’un accident vasculaire cérébral (AVC). En général les formes bruyantes sont plutôt une bonne chose puisqu’on fait un diagnostic précoce. Le problème, ce sont les patients qui ne sentent pas de palpitations et qui restent en fibrillation à bas bruit pendant des années. Ils vont possiblement développer à terme une insuffisance cardiaque. Et ça, ce sont les formes les plus graves puisqu’on parle de fibrillation persistante depuis de nombreuses années et qui sont plus dures à traiter ensuite.

1/3 des AVC liés à la fibrillation atriale

Dans l’hypothèse où j’ai cette maladie, suis-je à risque d’avoir une mort subite ?

On ne meurt pas de la fibrillation directement. On peut mourir des conséquences de la fibrillation atriale. Ce n’est pas comme la fibrillation ventriculaire qui elle-même provoque un arrêt cardiaque. La fibrillation atriale touche les oreillettes cardiaques, donc elle diminue le débit cardiaque, mais elle n’arrête pas le coeur. Par contre, la fibrillation atriale s’accompagne d’une surmortalité, d’une baisse de l’espérance de vie qui est en rapport avec de nombreuses choses notamment le sur risque d’AVC.  1/3 des AVC sont liés à la fibrillation atriale et également un sur risque d’insuffisance cardiaque.

On parle de cardiopathie rythmique, c’est-à-dire une dégradation de la fonction cardiaque sur le long terme chez des patients qui restent longtemps en fibrillation et qui du coup perdent vraiment de la fonction cardiaque. Ce qui à terme peut s’accompagner d’une mort subite. Mais on ne meurt pas d’une fibrillation directement, immédiatement.

Insuffisance cardiaque : les signaux d’alerte avant… la mort

Quels sont les traitements préconisés ?

Tout d’abord il y a des traitements médicaux. Il y a des traitements anticoagulants qui sont très efficaces pour réduire le risque d’AVC. C’est vraiment très, très important à savoir puisqu’on connaît les facteurs de risque de faire un AVC quand on a une fibrillation atriale. Il y a un score qui est très simple à utiliser et qui nous pousse à prescrire un traitement anticoagulant qui protège les patients.

Ensuite, il y a des traitements anti arythmiques. Ce sont des médicaments qu’on donne et qui empêchent les crises et qui marchent très bien dans de très nombreuses formes simples. C’est un traitement qui suffit pendant des années, des millions de patients sont ainsi traités. Et puis il y a des interventions. On parle d’ablation de fibrillation, c’est un geste qui se fait au bloc opératoire. Avec des cathéters on va introduire dans la veine fémorale au pli de l’aine des petites sondes, qu’on va monter dans le coeur ensuite, et qui vont permettre de cautériser des zones des oreillettes cardiaques pour empêcher cette arythmie de démarrer et de perdurer.

Eteindre le feu

C’est-à-dire que vous allez brûler des parties du muscle cardiaque, les cautériser, grâce à une petite sonde ?

Exactement. Une petite sonde qu’on introduit dans le cœur permet de brûler des zones du cœur spécifiques. On peut les brûler avec différentes énergies – la radiofréquence, la cryothérapie et maintenant on parle d’électroporation, c’est une nouvelle énergie – des zones anormales, qui sont le siège de foyers électriques. C’est un petit peu comme si on avait un feu de forêt, avec un foyer qui déclenche le feu et on peut éteindre ce foyer là.

Vous venez d’acquérir à l’hôpital Saint-Joseph un cathéter un peu particulier « Dual Energy », quel est ce nouvel équipement ?

On est parmi les tout premiers centres au monde à avoir ce matériel en évaluation externe. C’est un cathéter qui permet d’utiliser la radiofréquence, une énergie qu’on connaît très bien depuis des années, et également une nouvelle énergie qu’on appelle l électroporation qui est un petit peu différente. Qui peut être très utile dans certaines régions du cœur car elle est moins dangereuse aussi. Elle permet de cibler spécifiquement le muscle cardiaque, en préservant des structures externes au cœur, notamment des nerfs ou des choses comme ça.

Le surpoids est l’ennemi du coeur

Quand on a une arythmie cardiaque, quelles sont les précautions à respecter en matière d’hygiène de vie, d’alimentation ou d’activité physique ?

Avant toute chose vraiment, le surpoids, l’obésité, est un poison pour tous les organes, notamment pour le cœur. Quand je vois des patients en consultation qui ont une arythmie cardiaque, je leur conseille tout de suite de perdre du poids si c’est nécessaire. Chaque chaque kilo qu’on va perdre, chaque gramme qu’on va perdre, c’est une bonne chose. Ce n’est pas toujours facile parce qu’il faut changer son alimentation et son mode de vie, il faut donc bouger.

Il y a un gros problème de sédentarité et d’absence d’activité physique dans les pays développés, les pays riches comme le nôtre. Malheureusement les gens ne font pas assez de sport. Il faut vraiment monter les escaliers, éviter l’ascenseur, faire du vélo et prendre la voiture pour des trajets courts. Voilà des règles de base mais que les gens ne font pas malheureusement facilement. Il faut donc reprendre l’habitude de faire du sport, changer son alimentation.

Passez un électrocardiogramme à 50 ans

Des aliments sont-ils proscrits, bannis, à éviter ?

Ce sont tous les aliments qui sont responsables de l’obésité : le sucre, le gras. Il faut manger des légumes. Ce sont des conseils de vie simples et naturels.

Urgences cardiovasculaires : ça monte et c’est grave !

Recommandez-vous un suivi cardiologique régulier à partir d’un certain âge, si on n’a pas de problèmes particuliers, si on n’est pas suivi pour ce type de problème ?

Je pense que c’est nécessaire à partir de 50 ans de voir un cardiologue de temps en temps pour faire un petit peu de dépistage :, vérifier la tension artérielle, faire un examen clinique de base et un électrocardiogramme de temps en temps qui permettrait de dépister une fibrillation silencieuse qui aurait peu de symptômes et qui pourrait avoir des conséquences graves sur le long terme. Faire un électrocardiogramme à 50 ans me paraît raisonnable.

Détecter les foyers électriques

Vous avez créé une entreprise qui s’appelle Volta Médical parce que vous n’êtes pas un « simple » soignant. Vous faites aussi de la recherche scientifique et vous avez créé cette entreprise pour populariser vos découvertes dans le monde entier afin de les mettre à disposition des équipes de cardiologie. Que permet précisément Volta Médical ?

C’est une une start-up qu’on a créée il y a 8 ans avec nos associés les docteurs Clément Bars et Jérôme Kalifa – 2 cardiologues rythmologues comme moi – et un polytechnicien mathématicien Théophile Mhor Durdez. Au départ, le but était de démocratiser la détection des foyers électriques de simulation, telle que nous l’avons décrite au départ en 2017. Cette détection des foyers électriques, qui est une tâche assez complexe à partir des signaux électriques cardiaques, nécessite une expertise que nous avions développée mais qui était difficile à exporter. Nous avons décidé de la rendre automatique.

Le meilleur moyen pour mimer cette expertise humaine que nous avions développée au fil des années était d’utiliser l’IA (intelligence artificielle). Car on sait que toute cette technique d’apprentissage de machines, d’entraînement des machines, est le meilleur moyen de mimer l’expertise humaine pour les tâches complexes, les tâches qui nécessitent de cumuler plusieurs analyses en même temps. Volta Médical permet de détecter les foyers électriques de l’arythmie cardiaque et donc de pouvoir les traiter ensuite, notamment les formes les plus complexes, les fibrillations persistantes.

Volta Médical signe une première mondiale

On vient de publier dans le prestigieux journal Nature Médicine une étude, qui s’appelle l’étude Tailored AF, qui démontre la supériorité de cette technique guidée par l’IA de Volta par rapport au traitement de référence par cathéter. On vient de démontrer la supériorité pour les formes plus complexes, les fibrillations atriales persistantes. C’est une première mondiale puisque il n’y avait aucune étude de grande ampleur internationale qui avait démontré quoi que ce soit jusqu’à présent. Donc c’est la première fois qu’une technique démontre quelque chose dans cette maladie très complexe. On est très heureux !

J’essaie de résumer très concrètement comment ça se passe : le cardiologue interventionnel va monter la sonde dans le cœur et votre logiciel boosté à l’intelligence artificielle va lui dire sur un écran « il faut taper là, là et là ». C’est ça ?

C’est exactement ça. En fait on va reconstruire en 3 dimensions les oreillettes du cœur avec des outils qu’on a depuis des années. Ensuite, grâce aux signaux électriques et grâce à notre IA, on va localiser les zones anormales qui sont responsables de la fibrillation. Ce sont des zones qui sont le siège de tourbillons électriques et ces tourbillons électriques, il faut absolument les détecter pour les détruire. Une fois que notre IA a détecté ces quelques zones de tourbillons – il peut y en avoir 4, 5 ou 6 dans les 2 oreillettes – avec un cathéter qui peut avoir différentes énergies comme on l’a vu, on peut aller cautériser pour détruire ces tourbillons.

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