Cette enquête et la vidéo qui l’accompagne ont été réalisées par les étudiants du Master Information et Communication – Parcours Intérêt Général, de l’Ecole de journalisme et communication d’Aix-Marseille (EJCAM): Yachmine Nombre, Jordan Picon, Ilhasse Tchanile, Patience Vyizigiro. Un exercice conduit dans le cadre d’un projet tuteuré par Philippe Schmit, enseignant, en partenariat avec notre média MProvence et l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (APHM) qui pilotent la campagne en faveur du don d’organes « Je donne, tu donnes, il donne ». Cette initiative a reçu le soutien d’Aix Marseille Université.
À Marseille, la sensibilisation au don d’organes demeure au centre des préoccupations. Selon les chiffres de l’AP-HM, près d’un prélèvement d’organes sur deux y est encore refusé, contre 36% pour la moyenne nationale. Un écart important, qui témoigne des freins culturels, émotionnels et informationnels sur ce sujet dans la deuxième ville de France.
Pour mieux comprendre ces réticences, Aix Marseille Université (AMU) et l’AP-HM, en partenariat avec MProvence, ont mené entre juin et septembre 2025 une enquête d’envergure auprès de la communauté universitaire. Près de 5 000 participants – sur 90 000 qui ont reçu le mail – ont répondu à l’appel, dont les 2 tiers sont des étudiants et 1 tiers des personnels administratifs et enseignants. Ils ont rempli un questionnaire sur leurs connaissances et leurs positions concernant le don d’organes.
À partir de ces données, les étudiants du Master Information et Communication – Parcours Intérêt Général de l’EJCAM ont ajouté un volet qualitatif, en menant des entretiens sur le campus Saint-Charles afin de saisir la dimension humaine et sensible que les chiffres ne peuvent traduire : émotions, doutes, et représentations liées au don.
Des principes connus mais des démarches encore floues
80% des répondants connaissent le principe du consentement présumé : selon la loi, sauf refus exprimé, nous sommes tous potentiellement donneurs d’organes. Et près de 90% déclarent même se sentir en accord avec ce principe.
La gratuité du don, l’anonymat entre donneur et receveur, et l’attribution des organes selon des critères médicaux précis sont des règles intangibles identifiées par plus de 8 répondants sur 10. Ces chiffres montrent une base solide de connaissances, même si certaines notions restent floues.
Cependant, beaucoup ignorent encore les démarches concrètes : un tiers des interrogés ne savent pas qu’il est possible, si on le souhaite, de préciser les organes que l’on peut donner. Les étudiants rencontrés sur le campus Saint-Charles pour les besoins de ce reportage déclarent pour la plupart ne pas connaître les conditions exactes pour être ou non donneur.
En parler à sa famille pour 85% des sondés
« Je crois qu’on est tous donneurs, et après, si on ne veut pas l’être, il faut le dire »,
résume un étudiant. Cette phrase revient plusieurs fois : elle exprime la compréhension globale de la loi, mais aussi le manque d’appropriation des outils pour agir. Un autre étudiant ajoute : « Je ne sais pas ce que dit la loi, si on est donneur par défaut ou si on ne dit rien ». Nous relevons ainsi, sur le terrain, que les incertitudes sont persistantes.
La connaissance des outils paraît insuffisante. Lorsque l’on demande aux étudiants de quelle manière ils peuvent partager leur choix de donner ou non leurs organes, 85% songent à la famille – c’est la meilleure solution en effet pour que sa volonté soit respectée -, 60 % à leur médecin traitant, et 60 % évoquent la carte de donneur (qui n’a aucune existence légale et il n’y en a d’ailleurs quasiment pas en circulation). De plus, sur le terrain, la plupart des étudiants interrogés ignorent l’existence du registre national des refus, pourtant central dans le dispositif. Ils ne sont pas les seuls : ce dispositif accessible via internet recense environ 300 000 Français sur 68 millions d’habitants. Si l’on considère le taux national d’opposition au prélèvement d’organes qui dépasse 35%, il devrait comporter près de… 20 millions d’inscrits !
“Sauver des vies” : un idéal parfois abstrait
Lors des entretiens menés à Saint-Charles courant octobre 2025, une formule revient comme un réflexe :
« Sauver des vies » : c’est la première association d’idées lorsqu’on parle du don d’organes, également confirmée par 99% des répondants au sondage qui déclaraient se sentir concernés par le don d’organes.
Un étudiant renvoie le don d’organes à « un certain amour de l’humanité ». Mais cet élan généreux s’accompagne d’un flou sur la réalité de la greffe. Concernant le nombre de personnes que l’on pourrait sauver avec un donneur par exemple. Les étudiants tentent de nous répondre : « Je pense qu’on pourrait sauver trois personnes » estime un garçon. Deux filles se lancent : « Peut-être quinze ? »
1 donneur = 6 à 7 vies sauvées
Un donneur peut sauver 6 à 7 malades en donnant son coeur, son foie, ses poumons, ses reins et son pancréas. Et il peut aider une quinzaine de personnes s’il autorise le prélèvement des tissus (cornées, os, tendons, artères…). A Marseille, 900 malades attendent un greffon, elles sont quasiment 23 000 en France. En 2024 plusieurs dizaines de personnes sont décédées dans les hôpitaux phocéens faute d’organes disponibles (865 décès pour la France entière) dont 3 enfants à la Timone (20 en France).
Les incertitudes relevées traduisent une méconnaissance du geste, de son ampleur, et des organes réellement concernés. Le don demeure ainsi plutôt symbolique qu’opérationnel. Et c’est précisément là que la sensibilisation doit évoluer : rendre davantage visible la chaîne du don, du prélèvement à la greffe, pour faire du geste un acte concret, et non une abstraction morale. Il convient d’informer également sur le fait que le prélèvement se fera dans les strictes conditions d’une intervention chirurgicale et que le corps sera rendu dans un parfait état de conservation à la famille pour les funérailles. On ne voit pas de trace du prélèvement.
Une adhésion de principe, qu’il faut partager davantage
Sur le plan des valeurs, le soutien est donc massif : 9 répondants sur 10 de l’enquête au sein d’AMU se disent favorables au don d’organes, et autant d’entre eux accepteraient de recevoir un organe si leur survie en dépendait. Mais ce consensus ne se traduit pas encore en pratique.
Près d’1 répondant sur 2 n’a jamais évoqué sa position avec ses proches, bien que 94 % estiment qu’il est important qu’ils la connaissent. Ce paradoxe traduit le cœur du problème : le don d’organes n’est pas un sujet d’échange, mais une idée abstraite, qu’on soutient sans en parler. Or les soignants qui interrogent les familles sur la volonté du défunt sont unanimes : quand cela a été discuté tranquillement en famille, les proches sont soulagés de rapporter le choix du disparu. Ils n’ont pas cette responsabilité d’une décision à assumer dans un moment particulièrement douloureux.
Silence = renoncement à donner
Comme on le constate sur le campus Saint-Charles, cette option n’est pas la plus courante et correspond malheureusement à la tendance de la société toute entière : par crainte de la mort, ou indifférence, on n’aborde pas ces sujets-là ! Plusieurs étudiants l’expriment simplement : « Ce n’est pas un sujet où je suis hyper sensibilisée, je ne vais pas mentir ». « Ce ne sont pas des sujets qu’on aborde au quotidien ».
Cette méconnaissance a des conséquences directes : dans la plupart des refus, les proches expliquent ne pas savoir ce que la personne aurait souhaité. Dans le doute, elles préfèrent s’abstenir. Autrement dit, le silence vaut souvent renoncement.
Une étudiante explique : « C’est important d’en parler, comme ça, les personnes qui vont nous accompagner dans notre mort ne seront pas dans le doute ». Elle résume ici parfaitement le message de fond de la campagne en cours : Pour ou contre le don d’organes, parlez en à vos proches.
Une grande place à l’imaginaire
L’enquête révèle une persistance d’idées fausses : 6 répondants sur 10 pensent que l’alcoolisme empêche de donner ses organes, de même pour le tabagisme, le VIH ou encore le cancer. Or ils ne constituent généralement pas de véritables contre-indications médicales. De même que l’âge, qui est pourtant sélectionné comme élément potentiellement bloquant par 1 répondant sur 5. Il faut savoir que les médecins prélèvent parfois des organes sur des personnes de plus de 80 ans…
Ces confusions ne sont pas seulement d’ordre scientifique : elles renvoient aussi à des représentations sociales et morales. Une étudiante confie ainsi : « Ça me fait un peu peur, parce que je ne sais pas où va mon organe… imaginons, cette personne, selon moi, elle ne le mérite pas… ». Cette remarque montre que le don d’organes n’est pas seulement un geste technique : il interroge la confiance envers autrui et le sens de la transmission.
Doutes sur l’utilisation des organes
Cette inquiétude est mise en avant dans les résultats de l’enquête. Un tiers des répondants déclaraient ne pas se sentir directement concernés par le don d’organes, un quart d’entre eux indiquaient avoir des doutes concernant l’utilisation de leurs organes. Mais le premier aspect mis en avant, par 82% des “non concernés”, c’est simplement le fait de ne connaître ni donneurs, ni personnes ayant besoin d’un don. Pourtant, avec 66 000 de nos concitoyens vivant en 2024 avec un organe greffé, et 23 000 autres en attente de transplantation, on est loin d’une population anecdotique.
Un étudiant nuance cette inquiétude en rapportant sa perception : « En quelque sorte, c’est continuer de vivre à travers le receveur ». Nous comprenons ainsi les dilemmes intimes qui illustrent la complexité du sujet, où s’entremêlent la médecine, la morale et l’imaginaire.
Croyances et don d’organes : un doute persistant
Souvent supposées ou invoquées, les convictions religieuses ou culturelles ne constituent pas un frein majeur pour le panel interrogé. 9 répondants sur 10 estiment leurs croyances compatibles avec le don, et 1 sur 10 déclare ne pas pouvoir répondre.
Seulement 3% s’opposent au don d’organes en raisons de leurs convictions. Les motifs évoqués sont principalement l’inquiétude quant à l’intégrité du corps et au respect des rites funéraires. Certains ont également fourni d’eux-mêmes des précisions qui sont généralement synonymes de méfiance envers la médecine, ou d’incertitudes concernant la position de leur religion sur ce sujet.
Nous notons cependant que la moitié des interrogés reconnaissent ne pas savoir ce que disent réellement les religions sur le sujet. Beaucoup pensent que l’islam ou le judaïsme interdisent le don, alors que la plupart des autorités religieuses – et notamment les 3 grandes religions monothéistes – affirment au contraire que sauver une vie est un devoir.
Le don d’organes impacte tous les aspects de la vie
Ce décalage montre combien la question du don d’organes dépasse la simple information : elle touche à la spiritualité, au rapport au corps et à la confiance en la médecine, et en la société dans laquelle on évolue en général.
Pour tenter de lever ces malentendus, dans le cadre de la campagne en cours à Marseille, une conférence interreligieuse s’est d’ailleurs tenue le 17 octobre 2025 à la Bibliothèque de l’Alcazar. Médecins, représentants religieux et associations y ont rappelé un message commun : la greffe n’est pas une rupture spirituelle, mais un prolongement du sens de la vie. Toutes les religions encouragent le don d’organes au nom de la valeur suprême de la vie.
Comprendre, parler, s’engager
En 2025, à Marseille, où un don sur deux est encore refusé, chaque parole compte. L’enquête d’AMU et de l’AP-HM révèle une communauté universitaire éveillée au principe du don, mais encore hésitante face à la prise de position explicite. Les entretiens menés sur le campus Saint-Charles confirment cette tension : la volonté existe, mais la parole reste timide.
La campagne 2025-2026 d’AMU, de l’AP-HM et de MProvence s’inscrit dans cette logique : faire du don d’organes un sujet collectif, ouvert et concret, en rapprochant les chiffres et les récits, le médical et l’empathie. D’où les conférences mensuelles dans les lycées et maintenant sur les campus universitaires. Parce qu’à Marseille, plus qu’ailleurs, chaque greffe est une victoire, et chaque conversation initiée sur le sujet constitue un pas de plus pour contourner l’incertitude.
Retrouvez les étudiants enquêteurs le 9 décembre !
Les étudiants du Master Information et Communication – Parcours Intérêt Général de l’EJCAM présenteront leur enquête lors de la conférence publique « Etes-vous prêts à donner vos organes ? » mardi 9 décembre à 18h. Organisée par MProvence et l’APHM. En présence de médecins et de personnes greffées.
Rendez-vous amphi Gastaut, au siège d’Aix Marseille Université, jardin Emile-Duclaux (jardin du Pharo), 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille. Entrée libre.

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