Les fuites urinaires sont un problème de santé publique majeur qui coûte très cher à la société, et aux personnes concernées avec l’achat des protections. A tel point que l’association européenne des urologues réclame un plan massif pour la prise en charge des 60 millions d’hommes et de femmes affectés par l’incontinence urinaire en Europe. C’est en outre dévastateur pour l’estime de soi. Or il existe un éventail de solutions très large afin de faire cesser ce problème, qui peut également être prévenu.
Qu’appelle-t-on précisément incontinence urinaire ?
Pr Gilles Karsenty : C’est très simple : c’est une fuite involontaire d’urine. On peut même dire que l’urine peut sortir par n’importe quel orifice, même s’il n’est pas l’orifice naturel. Toute fuite involontaire d’urine est une incontinence urinaire.
A quel âge survient-elle ?
En règle générale, elle peut survenir à tous les âges de la vie. Il y a de l’incontinence chez l’enfant, chez l’adulte jeune et chez le sujet âgé. Trop souvent, on imagine que l’incontinence est une affaire de vieillards. C’est complètement faux. Il y a des profils. Pour la femme, il y a de l’incontinence après les grossesses, qui peut être transitoire, et parfois durer. Il y a une forme d’incontinence entre 45 et 60 ans qui est fréquente, qui est liée effectivement aux traumatismes obstétricaux. Il y a 2 formes d’incontinence qui peuvent arriver plus tard dans la vie : le vieillissement de la vessie et des maladies neurologiques peuvent les favoriser.
Chez l’homme, on a 2 grands profils : des incontinences après certaines chirurgies, dont des chirurgies de la prostate, et aussi des incontinences d’un autre type qui augmentent avec l’âge, à partir de 50, 60 ans.

Perdre 5% de son poids est bénéfique
On va parler d’abord des femmes. Est-ce que certaines habitudes de vie quotidiennes peuvent finalement favoriser la survenue de l’incontinence ?
Oui. Celles qu’on peut modifier et qu’il faut souligner, c’est le surpoids et le tabagisme . La correction du surpoids, à partir de 5% de diminution du poids du corps, améliore toutes les formes d’incontinence. Ça, c’est très important. L’activité physique est toujours bénéfique. Une parenthèse : les sportives de haut niveau qui font des sports à impact peuvent avoir un peu plus d’incontinence urinaire. Ça peut être un facteur de risque. Ça concerne une toute petite partie de la population dont il faut savoir s’occuper. Pour toutes les autres femmes, l’exercice physique, parce qu’il permet de diminuer et de maintenir le poids, est favorable.
Donc on fait attention si on pratique la course à pied. Qu’en est-il du Pilates qui a une cote d’enfer chez les femmes ?
Le Pilates, c’est vraiment une pratique excellente. Quant à la course à pied, la balance entre tous les bénéfices qu’apportent le sport et la course à pied, et le petit risque pour un petit nombre de femmes d’aggraver les fuites avec la course à pied ne doit pas faire reculer. Si vous faites de la course à pied et que vous avez des fuites, consultez, on trouvera des solutions pour corriger les fuites. Peut-être que, à un moment, il faudra s’orienter vers un autre sport avec moins d’impact.
De multiples solutions
Comment peut-on traiter l’incontinence urinaire ?
On a plusieurs formes de traitement. D’abord des traitements non chirurgicaux, de la rééducation, des mesures hygiéno diététiques, on en a parlé, par exemple la perte de poids. Éliminer certains excitants qui sont dans l’alimentation. Je pense au café, en particulier. Le café bu en excès peut favoriser certaines formes d’incontinence. On a aussi des médicaments. On peut combiner ces approches.
Lorsqu’il y a une carence hormonale, on peut corriger la carence hormonale. Donc on voit qu’on a tout un éventail de traitements non chirurgicaux. C’est cela qu’on va mettre en œuvre en premier en les combinant et en s’adaptant aux mécanismes de l’incontinence.
Pose de bandelettes
Quand ça ne marche pas, quand c’est insuffisant, là encore, sur la base d’un bon diagnostic de type d’incontinence, on a un éventail chirurgical. Pour l’incontinence d’effort, on va avoir des traitements par bandelettes synthétiques sous urétrales. Des agents comblants qui sont des gels qu’on met sous la muqueuse de l’urètre pour renforcer l’urètre. Des traitements sans prothèse, où on va utiliser les tissus naturels pour soutenir l’urètre, le col de la vessie.
Et puis dans certains cas d’incontinence beaucoup plus complexes, on va avoir des systèmes prothétiques, un peu comme une prothèse de hanche ou une prothèse de genou. On peut avoir une prothèse d’incontinence implantable complètement comme un sphincter artificiel ou des ballons gonflables qui vont renforcer l’urètre.
On a d’autres traitements chirurgicaux pour d’autres mécanismes, où on peut faire des stimulations électriques, injecter un produit dans la paroi de la vessie, c’est-à-dire injecter de la toxine botulique, agrandir la vessie. On a un arsenal très large.
Incontinence sévère = mort sociale
Que vous disent les femmes quand elles viennent vous voir pour une incontinence, ça leur gâche la vie ?
Exactement. L’incontinence, c’est au moins une gêne et un sentiment de dépréciation, et ça peut aller jusqu’à une véritable mort sociale dans les cas les plus graves. Avec des gens qui ne sortent plus, qui sont déprimés, qui ont des idées de suicide. Donc c’est effectivement l’impact sur la qualité de vie.
Et puis j’imagine qu’il y a un impact sur la vie affective, la vie sexuelle ?
Un impact majeur ! Il y a une détérioration de la qualité de vie, de l’estime de soi et donc de la sexualité.
Donc si on a 45 ans, 50 ans, 60 ans, qu’on a une incontinence urinaire, ce n’est pas normal et il faut consulter, essayer de trouver une solution…
Ce n’est jamais normal d’avoir une incontinence urinaire et il faut toujours consulter. De plus, dans certains cas, l’incontinence urinaire pourrait être le symptôme d’une autre maladie. Même si la plupart du temps le symptôme est à lui seul la maladie.

Les fuites supprimées dans 80% des cas
Dans quel pourcentage des cas arrivez vous à supprimer carrément les fuites ?
Je dirais dans au moins 80% des cas. Et on arrive toujours à trouver des solutions.
Vous avez évoqué la pose de bandelettes sous urétrales. Mais depuis 10 ans, ces bandelettes ont été signalées comme source de complications médicales importantes. Pourquoi et comment intervenez vous pour limiter ce risque ?
Depuis une dizaine d’années, on a découvert qu’une petite proportion de patientes sont « intolérantes », ont des réactions sous forme de douleurs à la présence de la bandelette, même lorsqu’elle est bien positionnée. Ça, c’est une chose. Et on s’est aussi rendu compte avec le grand nombre de bandelettes qui ont été posées que lorsque la pose n’est pas idéale, cela entraîne des complications. Ces complications – et ça, nous médecins devons en tirer la leçon avec humilité – lorsqu’elles ne sont pas reconnues, que les patientes ne sont pas prises en compte, ça crée une énorme frustration et de grandes souffrances. Et on a donc un certain nombre de femmes qui se sont regroupées dans des associations pour dénoncer l’usage de ces bandelettes.
Ne jetons pas le bébé…
Je dirais, « attention », ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Ces bandelettes ont constitué un grand changement pour les femmes, une grande avancée. Cependant, elles doivent être très soigneusement posées. Il n’y a qu’un seul type de bandelette, le premier qui a été décrit, qui doit être utilisé aujourd’hui. Toute complication doit être détectée. Ça veut dire qu’il ne suffit pas de poser une bandelette mais qu’il faut suivre les patientes avec attention.
Et quand il y a des complications, il faut les référer à un centre qui prend en charge ces complications. Notre centre (du CHU de La Conception) vient d’être désigné comme étant le centre de référence pour la région PACA lorsqu’il faut retirer ces bandelettes. Il ne faut pas avoir peur de ces bandelettes. Il faut des indications parfaitement posées pour des cas très sélectionnés. Et lorsqu’il y a un problème avec la bandelette, la patiente doit être vue. Et s’il faut l’enlever, elle est référée à un centre. Il y en a 23 qui ont été désignés par la Haute Autorité de Santé (HAS).
60 millions d’Européens ont des fuites
Preuve que l’incontinence urinaire est un problème majeur de santé publique, un plan européen contre l’incontinence urinaire proposé par votre corporation des urologues. De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce que ça va changer pour les patients que nous sommes tous ?
L’Association Européenne d’Urologie est allée auprès de l’Union européenne pour souligner le poids sur la population européenne. On estime que 60 millions d’Européens sur les 450 millions qu’on compte dans l’Union européenne souffrent d’incontinence urinaire, hommes, femmes, enfants tout confondus. Cela représente donc un impact sur la qualité de vie de ces gens et ça représente un coût pour les citoyens européens qui était estimé à ce que coûte le diabète. C’était estimé également à 2/3 du coût du cancer sur l’Europe.
Cet argument là est un argument pour faire prendre conscience aux instances politiques de l’Europe qu’il y a besoin d’un plan sur l’incontinence. Un plan pour promouvoir de la recherche pour que ce soit mieux compris, mieux dépisté et mieux traité. Et surtout rendre les traitements le plus accessible possible pour limiter ces coûts directs tout simplement.
Les couches : une fausse solution onéreuse
Quand on doit acheter et porter 3 à 4 protections par jour, ça fait des coûts annuels importants. Et puis il y a aussi la perte de productivité, l’absentéisme, le coût environnemental des protections et de leur dégradation dans l’environnement. Donc tout ça ajouté est une forte charge et il y a donc ce plan qui s’appelle « Urge to Act » – il y a urgence à agir – pour lutter contre l’incontinences.
On peut espérer que les politiques de santé européennes et de chaque pays vont mettre un petit peu le focus sur le diagnostic et le traitement de l’incontinence par les professionnels de santé, et non pas laisser l’incontinence aux vendeurs de protections absorbantes qui ont un marché dans lequel ils espèrent faire beaucoup d’argent. Il suffit de regarder la télé ou les réseaux. On voit un volume de publicité énorme pour ces protections, et ça dit bien qu’il y a beaucoup de gens qui sont touchés par l’incontinence et qui ne sont pas traités.
Chez l’homme à partir de 50 ans
Les hommes sont aussi concernés, mais pour d’autres raisons. Est-ce que vous pouvez nous rappeler lesquelles ?
La chirurgie de la prostate est une chirurgie qui comporte le risque d’incontinence. Alors attention, pas toujours. N’ayez pas peur, ne soyez pas terrorisé à l’idée d’avoir une chirurgie de la prostate si vous devez l’avoir, mais dans un certain nombre de cas, il peut y avoir un impact sur la continence, et donc arriver à l’incontinence. Ces incontinences se soignent souvent de manière chirurgicale. Pas toujours. C’est un premier groupe.
Le 2e groupe de patients, ce sont des patients qui vont avoir des envies très urgentes et des fuites par urgence. Et ça, c’est quelque chose que l’on voit chez l’homme à partir de 50, 55 ans. C’est aussi quelque chose qui se soigne bien, qui doit faire l’objet d’un diagnostic.
Envie urgente d’uriner après 50 ans : et si c’était la prostate ?
Rester avec sa honte, ça enferme
Pour les hommes comme pour les femmes, vaut-il mieux ne pas trop attendre pour cette prise en charge ? Ou bien ça n’a pas d’importance ?
Le fait d’attendre n’aggrave pas la situation. En revanche, rester avec sa gêne et sa honte, ça enferme. Et ça aggrave l’impact. Donc on reste sur le même message : l’incontinence, ce n’est pas normal et ça doit justifier une consultation.
Et comme pour les femmes, existe-t-il des médicaments pour les hommes ?
Exactement. On a pas mal de choses qui sont communes aux hommes et aux femmes, en particulier dans les mesures non chirurgicales de la rééducation, des médicaments de plus en plus nombreux et efficaces et lorsqu’il faut des traitements chirurgicaux ou instrumentaux.
Eviter le surpoids, limiter le café et les sodas
Peut-on éviter l’incontinence urinaire en agissant sur sa vie au quotidien ? Comme faire des exercices, de la prévention, manger tel truc… Ou alors est-ce que finalement, c’est la faute à pas de chance que ça me tombe dessus ?
On peut dire qu’il y a quelques petites choses à faire, comme éviter le surpoids. Chez l’homme, chez la femme, ça c’est favorable. En termes d’alimentation, il ne s’agit surtout pas de restreindre la boisson. On boit à sa soif, mais le café et les sodas sucrés sont mauvais globalement pour la fonction vésicale sphinctérienne et pour la continence.
Et le thé, je peux ? La bière aussi ?
La bière, c’est sucré, il y a pas mal d’alcool, ça a un effet diurétique. Donc la bière avec modération, oui, sinon il vaut mieux éviter. Le thé – la théine – peut être aussi en grande, grande quantité, un petit peu irritante, moins que le café semble-t-il. Tout est une question de proportion. On peut boire de l’eau, c’est la meilleure des boissons. Le message, c’est pas de restriction, on doit pouvoir boire à sa soif. Si on doit se restreindre, c’est qu’on aurait déjà dû consulter ! Ajoutons l’exercice. Ce sont les 2 grandes actions principales qu’on peut citer. Après, consulter quand il y a des fuites – à tous les âges de la vie et sans attendre – ça reste la meilleure solution.
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