Sans la réanimation, 95% des patients seraient morts

Bienvenue dans l'un des services hospitaliers les plus complexes et qui est absolument vital ! La réanimation accueille les patients souvent en danger de mort après un accident de la route, sur un terrain de sport, une mauvaise grippe ou une importante intervention chirurgicale. Ils nécessitent des soins massifs sans lesquels la quasi-totalité décéderait. Comment fonctionne la prise en charge : réponse avec le professeur Marc Léone, chef du service d'anesthésie réanimation de l'hôpital Nord de Marseille (APHM).

Santé

C’est l’un des services hospitaliers les plus pointus : le service de réanimation. Cela nous rassure de savoir qu’il existe en cas de situation grave. Mais évidemment quand on y est transféré, ce n’est jamais par confort, mais parce que la situation l’exige. Quand est-ce que les médecins décident qu’un patient doit être admis en réa ? Est-on toujours dans un état très grave ?

Professeur Marc Léone : J’ai envie de dire oui par définition. Puisque pour être admis en réanimation, par les décrets et les recommandations, il faut avoir une détresse d’organes – et au moins 2 organes – qui met en jeu le pronostic vital. Donc par définition on est à risque ou au moins on est à fort risque de développer ce type de détresse. En sachant qu’on met de moins en moins dans nos réanimations de patients en post-opératoire.

Il faut bien distinguer la salle de surveillance post-interventionnelle, la salle de réveil communément appelée où l’on va après l’intervention, de la réanimation. Ce sont deux choses différentes. Aujourd’hui il est préconisé de ne plus mettre en réanimation des patients en post-opératoire, mis à part quelques rares cas ou des patients de la chirurgie cardiaque qui reste très attachée à à ce style de fonctionnement. Mais donc aujourd’hui, quand on va en réanimation, c’est qu’on a vraiment une détresse. Après, il y a des niveaux différents. Tout est regroupé sous ce terme de soins critiques, mais il y a ce qu’on appelle les unités de surveillance continue ou les soins intensifs, où l’on met des patients moins graves, qui sont potentiellement graves, mais qui n’ont pas encore de défaillance d’organes.

Accidents de la route et accidents de sport

Quels sont les cas les plus fréquents qui arrivent chez vous ? Ce sont des victimes d’AVC, d’infarctus, d’accidents de la route ?

Cela va beaucoup dépendre du type de réanimation. En fait, on a tous nos sous-spécialités. Moi je travaille à l’Hôpital Nord et dans la réanimation polyvalente traumatologique on reçoit énormément de traumatologie, d’accidentés de la route, d’accidents de sport, c’est une grosse réa. Les collègues d’à côté ont une réanimation qui est plutôt orientée sur la détresse respiratoire, les gens par exemple qui vont avoir des grippes. A la Timone vous trouverez une réanimation qui fait de la défaillance hépatique. On va être plutôt orienté en fonction du type de pathologies qu’on a. En général, les grandes lignes, c’est détresse respiratoire, coma et puis ce qu’on appelle les détresses hémo-dynamiques. Donc c’est l’hypotension qui nécessite des mesures assez actives.

Une machine pour remplacer le coeur

Quels sont les moyens dont vous disposez pour sauver les personnes qui sont en détresse vitale et qu’on ne trouve pas ailleurs ?

On a une grande palette de moyens. D’abord, on a les moyens humains qui sont considérables. Quand souvent on manque de personnel infirmier dans les services, nous, on a 2 infirmiers pour 5 patients, on a 1 aide-soignant pour 4 patients, on a une masse de médecins qui est quand même très présente, donc on est très chanceux sur ces points là. On a des gens qui sont présents 24 h sur 24, c’est-à-dire que ce soit le jour ou la nuit, il y a des médecins présents, un nombre d’infirmiers qui ne ne varie jamais. Donc il y a beaucoup, beaucoup de monde dans ces réanimations. Ensuite, on a un soutien technologique qui est énorme avec des appareils de surveillance qui sont assez complexes mais qui sont très efficaces.

Et puis après on a tous ces appareils de supports d’organes qui commencent par le ventilateur qui va assurer la fonction de respirer, les dialyses pour remplacer le rein. On a même les systèmes d’ECMO. Ils assurent une circulation sanguine extracorporelle pour remplacer le cœur, les poumons. On a toute cette technologie qu’on doit utiliser à bon escient. Ça ne veut pas dire que tout le monde va être sauvé. Il ne faut pas entendre ce message comme ça, mais ça veut dire que si vous avez une défaillance qui peut être juste passagère et qui peut être corrigée, à ce moment-là, on va pouvoir intervenir.

« On ne fait pas le tri des patients faute de places »

Vous avez dit qu’il y avait beaucoup de médecins qui étaient présents. Est-ce que vous avez suffisamment de lits ? On a vu que ce n’était pas le cas pendant le COVID – mais c’était exceptionnel. Avez-vous suffisamment de lits pour prendre en charge les gens qui en ont besoin à Marseille ?

Alors à Marseille, on a largement de quoi prendre en charge les gens. C’est un débat. Nous on pense qu’on a suffisamment de lits. Il y a beaucoup de choses qui ont traîné sur les réseaux sociaux sur le triage des patients. Alors peut-être que pendant le COVID, dans quelques endroits en France ou en Europe, ça a été le cas. Mais dans la vie de tous les jours, c’est quelque chose qui n’existe absolument pas.

Il n’y a jamais un patient qui décède parce qu’il n’y a pas de place. Il y a des patients qui peuvent décéder parce que, à un moment donné, il y a des réanimateurs, des médecins qui ont décidé que vu la gravité, vu l’avancée des symptômes, ça ne sert à rien de mettre en réanimation. Parce qu’on n’est pas des services de soins palliatifs, on ne vient pas chez nous pour mourir. Vous avez vu toute cette technologie, tout ce personnel qu’il y a. On ne vient chez nous que si on a une cause curable et réversible. Mais l’accès à la réanimation en France, et particulièrement dans notre région, est quand même assez large.

Plus de 20% des patients ne peuvent être sauvés

On dit quand même qu’il y a un nombre de décès assez important en réanimation. Il est de combien ?

En France, il est de 21 à 23%. Ce sont des patients qui sont tous à risque de décès, donc des patients très graves. On estime que si ces patients n’arrivaient pas en réanimation, à 90 – 95%, ils décèderaient. Après, il y a une proportion de patients qui viennent dans les réanimations et puis vu leur histoire, vu leur santé, leurs antécédents, vu leur volonté aussi, on discute de tout ça, et on va se dire à un moment « On a essayé, on est en échec. » On va offrir des soins de confort pour accompagner le patient jusqu’au décès.

Là, finalement, continuer à se battre avec des thérapeutiques très invalidantes, ça ne sert plus à rien et il faut être raisonnable. A ce moment-là, on discute avec la famille et on arrive à ces solutions là. On aura toujours un pourcentage de décès et ce n’est pas tellement un critère de qualité de diminuer ce pourcentage.

Le coma artificiel met le cerveau au repos

De quoi s’agit-il quand on dit qu’un patient a été plongé dans un coma artificiel ? Et pourquoi ce choix des médecins ?

Alors ça veut dire qu’on va utiliser des agents d’anesthésie. Des sédatifs à forte dose pour mettre le cerveau ou le poumon, au repos. C’est quelque chose qui est très populaire, mais qui en fait est assez rare dans notre pratique et qui est de plus en plus rare à l’époque. Moi-même, quand j’ai commencé il y a une vingtaine d’années, on sédatait beaucoup de gens. Ce qu’on appelle « sédater », faire une anesthésie en réanimation. Aujourd’hui, on a bien montré qu’il fallait sédater au minimum. Donc on préfère avoir des gens un peu agités de temps en temps que des gens qu’on met dans le coma.

On met dans le coma deux types de patients. Il y a ceux qui ont une lésion intracrânienne, c’est-à-dire un accident vasculaire cérébral, un arrêt cardiaque, un traumatisme crânien très grave qui fait que le cerveau va avoir tendance à gonfler. Pour réduire ce gonflement, pour se battre contre ce gonflement, on endort profondément pour mettre le cerveau au repos. C’est relativement très rare dans notre pratique. Chez nous, à l’Hôpital Nord, on a beaucoup de traumatismes crâniens donc on le fait, mais c’est quand même une pratique un peu marginale.

La plongée dans le coma très profond

Le deuxième cas, ce sont les gens qui sont en détresse respiratoire très aiguë, qui ont besoin d’être totalement adaptés au ventilateur qui est à côté, qui doivent tolérer ce ventilateur, qui des fois sont mis sur le ventre pour être mieux oxygénés. Et eux il faut qu’ils acceptent et qu’on trouve un équilibre, une adéquation entre le ventilateur qui est assez violent et le patient. Et à ce moment-là ceux-là sont mis aussi en coma très profond. Mais ce sont finalement des situations qui sont, sur l’ensemble des patients qu’on peut avoir, assez rares. La sédation est utilisée chez 25% à 30% des patients.

Des patients restent 12 mois en réa !

Quelle est la durée moyenne de séjour en réa ?

Chez nous elle est de 6,6 jours pour être très précis. Mais ça va aller de 48 heures – pour des patients qui récupèrent vite et c’est bien – jusqu’à plusieurs mois. Les gens ont toujours tendance à penser que c’est juste quelques jours. On a des patients qui restent, et ce n’est pas rare, un mois voire 3 mois, 4 mois. On a patients qui sont restés 12 mois en réanimation. Ce n’est pas fréquent mais ce n’est pas quelque chose totalement exceptionnel quand on regarde l’ensemble du paysage sur le territoire.

Pas de grosses séquelles en général

Est-ce qu’on garde des séquelles quand on reste longtemps en réanimation, qu’on a été intubé, qu’on a été endormi, mis dans un coma artificiel par exemple ?

On garde des séquelles, mais c’est un peu difficile. Quand on est mis dans un coma comme ça, quand on est en réanimation longtemps, c’est qu’on a une cause dessous. On a une maladie, on ne vient pas là pour rien. Et donc c’est difficile de faire la part des choses entre ce qui est dû à la maladie sous-jacente qui a causé le séjour et d’autre part le séjour lui-même. Alors on peut garder quand même quelques stigmates de la réa. Ceci au point de vue musculaire, au point de vue articulaire notamment si au départ on n’était pas en pleine forme. Les sujets âgés vont pouvoir garder un peu de confusion.

Mais globalement, si vous n’avez pas des facteurs de risque, si vous n’êtes pas en mauvais état général au départ… Quand vous allez sortir de la réanimation, ça va être dur. Vous pouvez garder ce qu’on appelle des PICS, un syndrome de confusion, de stress après la réanimation. C’est pour ça qu’on essaie de revoir les patients après la réanimation. Il y a une espèce de syndrome post-traumatique, des fois, avec des cauchemars. Mais pour la plupart des patients, ça se passe plutôt bien. Il faut être plutôt rassuré.

Une spécialité prisée des étudiants en médecine

On dit qu’en France aujourd’hui on manque d’anesthésistes. Est-ce qu’on va manquer de réanimateurs ?

En France, il y a des réanimateurs qui sont formés en n’étant que réanimateurs, ce qu’on appelle la médecine intensive et réanimation. Et puis il y a une autre voie qui est la réanimation, qui forme des anesthésistes-réanimateurs, qui sont compétents sur les 2 champs. C’est une discipline duale avec 2 champs avec des gens qui ne font que de la réanimation, des gens qui ne font que de l’anesthésie et puis des gens qui ont une pratique double. On a beaucoup augmenté le nombre de personnes formées à Marseille. Dans ma génération était 6 par promotion formée. Aujourd’hui, on est à 23 internes qui sont formés chaque année.

On paye un peu les années précédentes où il y a eu un numéro clausus très restreint et donc on court un peu derrière. Mais je pense qu’à terme, on est sur une bonne voie pour compenser les départs. On manque un peu d’anesthésistes, on manque un peu de réanimateurs. Mais finalement c’est une spécialité qui plaît énormément aujourd’hui aux jeunes. C’est une des spécialités les plus choisies, l’anesthésie-réanimation, justement parce qu’il y a ce côté mixte de pratique. Et puis ça se pratique un peu sur tout le territoire et donc on pense bien compenser les départs assez rapidement.

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