A partir de quel âge les patients vous sont-ils adressés et quel est votre rôle dans la prise en charge ?
Professeur Anne-Laure Couderc : En général les patients nous sont adressés à partir de 75 ans. Mais quand il y a des fragilités ou plusieurs maladies chroniques en parallèle du cancer, on peut voir des patients de 65 ou 70 ans. Il faut savoir que l’onco-gériatrie est une collaboration entre oncologues et gériatres. Le but est d’améliorer le parcours et la prise en charge du patient âgé. Il a été créé un score de fragilité qui est fait systématiquement dans les services d’oncologie et de chirurgie, qui se nomme le G8 – il comporte 8 questions. Il permet de repérer la fragilité. S’il est anormal, alors les patients sont adressés avant leur traitement à un gériatre ou un oncologue qui est formé à l’onco-gériatrie
Diminuer la lourdeur et la toxicité des traitements
Cette consultation avec un onco-gériatre est-elle systématiquement proposée aux malades du cancer, ou bien est-elle réservée aux grands centres comme ceux dans lesquels vous travaillez ?
Docteur Frédérique Rousseau : Eh bien non ! C’est une une collaboration qui n’est pas réservée aux seuls centres de référence. Au contraire. Notre rôle, en tant que coordinateurs de l’unité de coordination onco-gériatrique sur la région, c’est de favoriser ces binômes gériatres-oncologues sur l’ensemble du territoire pour que tous les patients qui en ont besoin puissent avoir accès à cette consultation et à cette expertise qui permet de diminuer la lourdeur et la toxicité éventuellement des traitements.
C’est-à-dire qu’un patient ou une patiente qui a plus de 75 ans et qui a un cancer, systématiquement il ou elle va voir un onco-gériatre ?
Dr Rousseau : Non, pas systématiquement. Il y a un score qui permet de détecter ceux qui vont avoir besoin de cette évaluation et ceux qui en ont moins besoin. S’ils en ont besoin, normalement ils vont rencontrer un gériatre qui va faire une évaluation et qui, en coordination avec l’oncologue dont le patient dépend, va permettre de réaliser un plan de soins adapté au patient.
En 2050, 1 Français de plus de 75 ans sur 2 aura un cancer
Quelle est la proportion des personnes de plus de 75 ans qui sont touchées par un cancer dans notre pays ?
Pr Couderc : On dit maintenant que le cancer est une maladie du sujet âgé parce que ça touche en grande partie les personnes âgées. Le pourcentage des plus de 65 ans atteints d’un nouveau diagnostic de cancer représente près de 60% et même un petit peu plus. On pense qu’en 2050 un Français de plus de 75 ans sur 2 sera confronté à une maladie cancéreuse.
Quels sont les cancers les plus fréquents chez les sujets âgés ? Voyez-vous une évolution, une flambée de certains cancers – on pense au pancréas – ou au contraire un reflux d’autres cancers ?
Dr Rousseau : Les cancers les plus fréquents sont, chez les femmes, le sein, le côlon ou le rectum, et le poumon parce que les femmes sont exposées au tabac maintenant depuis environ une trentaine d’années. Chez l’homme, c’est bien sûr le cancer de la prostate en premier chef puis le cancer du côlon, le cancer du poumon.
Tabac, obésité et alcool font monter le cancer du pancréas
En termes d’augmentation d’incidence, certains cancers dont le cancer du pancréas ont vu leur incidence augmenter ces dernières années et continuent à augmenter. Les mécanismes d’explication ne sont pas parfaitement clairs, mais il y a quand même deux grandes catégories d’explications, pour le cancer du pancréas en tout cas. Ce sont le tabac d’une part et d’autre part ce qu’on appelle les syndromes métaboliques, c’est-à-dire l’obésité en particulier, ou les pancréatites chroniques, ou l’exposition à l’alcool qui soumettent le pancréas à un surcroît de travail. Cela, associé au vieillissement, peut favoriser les tumeurs du pancréas chez le patient âgé.
Quels sont les risques à prévenir chez la personne âgée qui est atteinte d’un cancer ?
Pr Couderc : La prise en charge du cancer chez la personne âgée est un petit peu particulière et c’est pour ça qu’on a créé cette collaboration oncologue-gériatre. Parce que c’est une population qui est un peu plus à risque de fragilité – je n’ai pas dit que toutes les personnes âgées étaient fragiles. Bien au contraire, la grande majorité sont robustes. Mais il y a plus de risques de développer une fragilité et du coup, aussi, des maladies chroniques qui risquent d’interagir avec le cancer. Et notamment les médicaments qu’on prend pour ces maladies chroniques qui peuvent interagir avec les traitements du cancer comme la chimiothérapie ou les thérapies ciblées. Donc on est là pour voir si les fragilités, les maladies chroniques et tous les médicaments pris peuvent être un problème dans la prise en charge du cancer dans cette population.
Gare aux médicaments, épices, paprika et jus de pamplemousse !
C’est-à-dire que les médicaments que je prends pour me soigner parce que j’ai une maladie chronique peuvent avoir un impact sur le cancer ?
Pr Couderc : Cela n’aura pas un impact sur le cancer, sauf si la maladie chronique n’est pas stabilisée. Par contre ce sont les médicaments que vous prenez qui peuvent entraîner des interactions parfois avec les médicaments. On s’aide des pharmaciens pour regarder les interactions avec la chimiothérapie ou la thérapie ciblée. Ils sont d’un grand recours pour regarder ce type de chose. Même la phytothérapie, et des fois on n’ y pense pas, mais prendre des épices, du paprika, ou du jus de pamplemousse, cela peut interagir avec votre traitement oncologique.
Donc il faut faire attention à ce qu’on prend quand on a un traitement contre le cancer ?
Exactement. Et il ne faut pas hésiter à demander à son pharmacien – que ce soit le pharmacien hospitalier ou le pharmacien de ville qui sont formés à regarder les interactions médicamenteuses.
On fait attention à l’automédication quand on a un cancer, qu’on est traité pour cela ?
Exactement ! C’est pour ça que, quand les patients viennent nous voir, c’est très long l’évaluation onco-gériatrique. On leur pose plein de questions sur toutes les ordonnances qu’ils ont ! Notamment l’ordonnance de l’ophtalmologue, toutes les ordonnances à côté pour regarder s’il n’y a pas d’interactions possibles.
Le cancer du poumon discuté cette semaine à Marseille
Avec le docteur Rousseau, vous participez cette semaine aux journées nationales d’onco-gériatrie à Marseille. Vous allez notamment aborder le cancer thoracique du sujet âgé. De quoi s’agit-il précisément ?
Le cancer est devenu une maladie du sujet âgé. Et le cancer du poumon est vraiment une maladie du sujet âgé puisque, actuellement, plus de 50% des cas de cancer du poumon diagnostiqués sont chez les plus de 65 ans et plus de 40% chez les plus de 70 ans. Les femmes sont très touchées maintenant par le cancer du poumon à cause de l’exposition au tabac. Il faut savoir que le cancer du poumon chez la femme est en train de prendre le dessus sur le taux de cancer du sein ou le taux de cancer du côlon. C’est vraiment devenu non seulement une maladie du sujet âgé, mais aussi une maladie de la femme et de la femme âgée.
Qu’attend-on de ce congrès sur ce sujet ?
Pr Couderc : On va déjà parler de ces problèmes épidémiologiques et comment prendre en charge les patients âgés au mieux dans leur parcours pour ce cancer du poumon. Mais aussi parler des thérapies innovantes. C’est quand même un cancer qui, ces dix dernières années, a vu sa prise en charge transformée avec l’arrivée de l’immunothérapie, et ça, beaucoup de gens en ont entendu parler. Il y a aussi des thérapies ciblées. Ce sont des molécules qui agissent spécifiquement sur les cellules du cancer du poumon et qui n’ont pas d’effet normalement sur les cellules aux alentours. Et puis vous avez encore des nouvelles molécules qu’on appelle les anticorps bi spécifiques, qui agissent sur les cellules du cancer mais aussi sur l’immunité. On essaie de voir comment les patients âgés peuvent avoir accès à ces thérapies.
Survie améliorée, moins d’effets secondaires
Aujourd’hui on sait que le taux de survie à 5 ans d’un malade du cancer du poumon, ce n’est même pas 20%. Même pas 20% ! On peut espérer gagner ?
Pr Couderc : Ah oui ! Je vais vous prendre l’exemple du mélanome. Il y a des années, il avait un taux de mortalité important et l’immunothérapie a transformé cette prise en charge. C’est ce qui est en train d’arriver au cancer du poumon. C’est-à-dire que les nouvelles thérapies permettent clairement d’améliorer la survie et d’améliorer aussi les prises en charge, avec parfois moins d’effets secondaires. C’est ce qui est important aussi dans la population âgée, qu’ils aient un traitement qui n’entame pas leur qualité de vie. On est là pour trouver des solutions et les accompagner jusqu’au bout du traitement.
Il y a 20 ans, la chimiothérapie c’était le « tapis de bombe »
On peut avoir l’impression que le cancer est une fatalité chez la personne âgée. Nous voyons que, pour elle aussi, il existe d’importantes avancées thérapeutiques. Quelles sont-elles ?
Dr Rousseau : Il est vrai qu’au cours des 10 dernières années, on a changé vraiment, conceptuellement, la façon d’aborder le cancer. Jusqu’au début des années 2000, on a été dans la formule chimiothérapie. Si on prend une image, c’est le tapis de bombe : on détruit les cellules cancéreuses qui se divisent vite et puis les autres bonnes cellules aussi. Dans le tas, les cellules cancéreuses disparaissent. Et puis on devient de plus en plus sélectif. De grandes avancées ont eu lieu et sont encore en cours actuellement. Il s’agit de l’association de médicaments de chimiothérapie à des cibles. Le traitement de chimiothérapie, il faut l’imaginer comme un petit train avec la locomotive qui amène directement le produit de chimiothérapie sur la cellule cancéreuse. Donc on limite énormément les toxicités générales des traitements, ça c’est une énorme avancée.
On a (ensuite) les thérapies ciblées qui sont des molécules qui ne sont pas de la chimiothérapie mais qui ont comme propriété d’aller sélectivement empêcher la division des cellules cancéreuses. Elles sont disponibles par voie intraveineuse – en perfusion – mais aussi par voie orale. C’est vraiment une révolution puisque maintenant, énormément de gens qui ont le cancer peuvent être traités ce qu’on appelle « hors les murs », ce qui nécessite une infrastructure. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas à l’hôpital qu’on n’a pas besoin d’un suivi rigoureux et régulier.
Révolution dans les cancers de la peau, du poumon, du sang
Et puis on a tout le versant de l’immunothérapie, c’est le grand champ des 10 dernières années qui s’est ouvert, qui a révolutionné la prise en charge du mélanome, la prise en charge du cancer du poumon, la prise en charge de certaines pathologies hématologiques. On peut manipuler les lymphocytes T du patient pour les lui réinjecter et qu’ils deviennent encore plus efficaces – ce qu’on appelle les CAR-T cells. Bref, on a le cancer, c’est une fatalité oui puisque c’est une maladie du vieillissement. Mais l’éventail des possibilités et des champs thérapeutiques n’est pas restreint, ni fini. Au contraire ! On a fait des énormes pas au cours des 15 dernières années.
Surveiller le patient chez lui grâce au numérique
Un thème abordé lors du congrès à Marseille cette semaine est le virage ambulatoire et numérique. Quels sont les gains espérés pour vos patients ?
Dr Rousseau : Les nouveaux traitements sont des traitements que les patients peuvent prendre par voie orale dans de très nombreuses situations. Ce sont des thérapies ciblées orales qui sont des traitements difficiles à prendre parce qu’il y a la conciliation médicamenteuse – il ne faut pas les prendre avec n’importe quoi, ils interagissent, ils peuvent donner des effets secondaires sévères. Ce sont des médicaments qu’on prend chez soi mais sous un contrôle à distance.
Toutes les techniques numériques se prêtent extrêmement bien à ce type de suivi. Le télé-suivi est quelque chose qui a été mis en place récemment. Le patient a un traitement à prendre et il a un certain nombre de rendez-vous, avec son appli sur sur son iPhone ou bien par téléphone – on a aussi les méthodes de communication normales ! – pour vérifier avec lui la toxicité, la compliance : est-ce qu’il a bien pris ses médicaments, est-ce qu’il a des effets secondaires – et réagir en temps réel. Ce n’est pas : « Je prends un médicament, j’ai un problème, j’appelle, etcetera. » Non. C’est : « J’ai un traitement à prendre et j’ai un programme préétabli de suivi à distance par un service dématérialisé. » C’est un service avec des infirmières, des médecins, des cadres infirmiers, qui ont un certain nombre de patients qui ne sont pas dans des lits mais qui sont chez eux. Ils vont gérer les traitements en termes de renouvellement d’ordonnance, de compliance – prend-il ses médicaments ou ne les prend-il pas ? -, de complications et d’évaluation, organiser les rendez-vous avec les oncologues.
Gain de temps, d’énergie, de souffrance, et d’argent : tout le monde s’y retrouve
Qu’est-ce que ça change ?
Dr Rousseau : Eh bien ça fait du temps hors de l’hôpital et de la meilleure qualité de vie pour le patient. Moins on est à l’hôpital, mieux on est. Cela fait aussi une espèce d’économie, on utilise mieux les ressources de l’hôpital. Si par téléphone, en consultation programmée, on voit qu’il y a une complication qui est en train de se profiler, on n’attend pas que le patient commence à se sentir très mal et qu’il doive appeler tous azimuts pour savoir comment être pris en charge. On dit : « là il y a peut-être un problème, vous venez en consultation et on évite un passage aux urgences. » C’est un gain de temps, d’énergie, de souffrance, et un gain économique tout simplement, incomparables. Toutes les technologies numériques se prêtent très, très bien à ces télé-suivis.
On sera tous suivis à la maison grâce aux objets connectés
C’est ce que vous allez expliquer dans la conférence qui est ouverte au public ce mercredi 6 décembre à 18h30 au palais du Pharo ?
Dr Rousseau : Oui c’est un peu ça. On a tendance à dire « sujet âgé – téléphone portable et numérique, ça ne fait pas bon ménage » Peut-être actuellement. Mais les gens âgés dans 20 ans, ce sera nous, des gens qui seront habitués et connectés et qui seront très agiles avec ça. Ce sera vraiment naturel pour eux d’être suivis de cette manière. Actuellement, même si tous les patients âgés ne sont pas outillés, équipés ou adaptés au numérique, leurs enfants le sont. Ces outils numériques peuvent être quand même utilisés, même si ce n’est pas le patient lui-même qui s’en occupe.
Et puis il y a tous les objets connectés qui peuvent nous aider : les balances connectées, les montres pour mesurer l’activité, tout ça, tous ces éléments qui sont facilement utilisables quel que soit l’âge de la personne. La connexion et le numérique, c’est une des façons non médicamenteuse si je puis dire de prendre en charge les patients âgés atteints de cancer. Quand on parle du numérique, il y a aussi tout le versant qui est de récupérer les données de nos malades, pour répondre à des questions que l’on se pose en termes de stratégie thérapeutique ou d’efficacité de nos traitements.
Conférence publique gratuite ouverte à tous mercredi 6 décembre, en distanciel et en présentiel, de 18h30 à 19h30 au palais du Pharo : « Le numérique en santé chez le patient âgé ». Avec notamment la Pr Anne-Laure Couderc, la Dr Frédérique Rousseau, la Pr Elena Paillaud, gériatre à Paris, la Dr Nathalie Quenel-Tueux, oncologue à Bordeaux, le Pr Pierre Le Coz, philosophe spécialisé en santé à Marseille, et Omar Beloucif, directeur de La Poste Santé et Autonomie. Jardin du Pharo, 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille (parking Q-Park en face du jardin). Renseignements : info@comm-sante.com
Programme complet du congrès : www.congres-sofog.com
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