Le cancer du poumon est le plus meurtrier des cancers en France et dans le monde. Malgré toutes les campagnes de sensibilisation, on ne voit pas le nombre de victimes reculer et la région PACA reste celle où l’on fume le plus. Un enjeu majeur est bien sûr la prévention du tabagisme. Un autre enjeu de la lutte contre ce cancer est la mise en place d’un dépistage pour les fumeurs, et les anciens fumeurs. L’Agence Régionale de Santé est un acteur majeur de ce combat. Son directeur général, Yann Bubien, lui-même ancien fumeur, dévoile ses idées.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à faire reculer significativement le nombre de victimes de ce cancer ? Qu’est ce qui ne fonctionne pas ?
Yann Bubien : Vous l’avez dit, le cancer du poumon reste le cancer le plus meurtrier en France. Dans notre région Provence-Alpes-Côte d’Azur, on a environ 3 500 nouveaux cas chaque année et près de 2 700 décès. Alors c’est vrai que c’est très préoccupant. Ces chiffres sont même assez alarmants. Dans la majorité des cas, ce cancer est diagnostiqué trop tard, parce qu’il n’y a pas vraiment de dépistage massif, organisé. Et d’ailleurs on n’en parle pas suffisamment !
On parle de certains cancers, on a des « mois du cancer ». Le cancer du poumon, on en parle beaucoup moins, alors que le tabagisme reste très élevé. Très élevé en France et très élevé dans notre région Provence-Alpes-Côte d’Azur. On a près d’un adulte sur 3 qui fume chaque jour, donc c’est important. Il faut qu’on travaille tous ensemble sur ce sujet de prévention, de promotion de la santé qui est extrêmement important : avec les professionnels de santé, avec les collectivités territoriales, avec les associations et bien sûr avec l’Agence Régionale de Santé (ARS).
Accélérer le diagnostic : le nerf de la guerre
Justement, quelle solution mettez-vous en place à l’Agence Régionale de Santé, et pour quels résultats ?
On a une feuille cancer, un programme de lutte contre le cancer qui est national, qui est rédigé par le Gouvernement, par l’Institut National du Cancer. Et puis on a une feuille de route régionale qui est adaptée à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui s’appelle « Cancer 2022 2025 » et qui cible tout particulièrement les cancers de mauvais pronostic comme le cancer du poumon. Dans notre région, on déploie des filières de diagnostic rapide, c’est important. Plus on diagnostique vite, plus le diagnostic est précoce, plus on a des chances de sauver la personne qui est atteinte d’une maladie.
On met en place une charte régionale avec des professionnels de santé pour améliorer la coordination ville-hôpital. Elle est très importante parce que c’est un travail qui doit être mené avec évidemment des professionnels de santé libéraux, les médecins de ville, le médecin généraliste, le médecin de famille. Et puis l’hôpital avec le service de pneumologie qui soit dans un hôpital public ou en clinique. On soutient aussi toutes les opérations de prévention. Et c’est un peu l’idée de ce podcast, c’est faire de la prévention active. D’utiliser tous les canaux, tous les relais possibles, pour faire de la prévention au quotidien.
« Nous sommes région-pilote pour le dépistage »
J’évoquais le dépistage, celui que préconisent beaucoup de médecins investis sur le sujet, à savoir un scanner rapide à faible irradiation (scanner dit « low dose »). Afin de repérer précocement un cancer du poumon, l’Institut National du Cancer a imaginé un programme pilote en ce sens, entre 2025 et 2030. Qu’en est-il de cette mise en œuvre dans notre région ?
C’est le programme Impulsion, que j’ai suivi et notamment quand je travaillais tout récemment encore au Gouvernement, quand j’étais en cabinet ministériel. Je connais très bien aussi le président de l’Institut National du Cancer, le professeur Norbert Ifrah. C’est un sujet très important sur lequel on est mobilisé à l’ARS avec un programme Impulsion qui prévoit d’expérimenter le dépistage par scanner à faible dose chez les personnes les plus à risque. Et ces personnes les plus à risque, ce sont les fumeurs ou anciens fumeurs qui sont âgés de 50 à 74 ans.
Notre région a été désignée comme région-pilote et ça va démarrer dès cette année pour essayer de mieux détecter, et détecter plus tôt avec des scanners faible dose, ce cancer. L’objectif est de dépister, de diagnostiquer et puis évidemment d’améliorer les chances de survie.
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« La prévention n’est pas suffisante en France »
On a vu le faible succès du dépistage organisé du cancer colorectal (moins de 30% de participation en 2024 en région PACA, en recul) et cela dure depuis longtemps. Celui du cancer du sein n’est quand même pas optimal non plus. Comment pourrions-nous convaincre les fumeurs, et les anciens fumeurs ciblés également, d’y participer ?
Vous avez raison. Malheureusement, la prévention n’est pas suffisante en France. Le dépistage n’est pas suffisant. Pourtant, il y a de nombreuses campagnes, des campagnes qu’on organise au ministère de la Santé, à l’Agence Régionale de Santé, avec l’Assurance Maladie. Ce sont des dépistages qui sont faciles à faire, qui sont gratuits. Et malgré tout, on voit qu’il y a encore un blocage. Le taux de recours au dépistage du cancer du sein est quand même élevé dans notre région, puisqu’il y a 60% des femmes qui sont éligibles, qui réalisent leur dépistage. Pour le cancer colorectal, les résultats sont insuffisants. Il n’y a qu’un tiers des personnes éligibles qui le font. Et ça c’est dommage.
On doit sensibiliser davantage la population. Il y a les grands mois qui existent, Octobre rose, Mars bleu. Il y a des opérations régulières à la télévision, sur la radio. Mais moi je crois qu’il faut aller vers les personnes cibles, vers les personnes qui en ont plus besoin. Ça, c’est un travail que nous menons à l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec les associations, avec l’ensemble des acteurs qui sont mobilisés. Avec tous les professionnels de santé, qu’ils soient libéraux, à l’hôpital public, dans une clinique privée.
Il faut absolument qu’on aille vers les populations qui en ont besoin. On a en plus dans notre région une population qui est vieillissante. On a le plus grand nombre de personnes âgées dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et notamment sur le littoral. Il y a presque un tiers de fumeurs au quotidien dans notre région, des personnes qui vieillissent. Il faut absolument dépister le plus tôt possible.
« Il ne faut pas culpabiliser les fumeurs »
Et il ne s’agit pas de culpabiliser les gens, les fumeurs….
Il ne s’agit de culpabiliser personne ! D’abord, il faut informer, faire connaître, faire savoir. Il faut qu’on comprenne de manière argumentée et scientifique, médicale. Il faut montrer quels sont les chiffres, quelles sont les réalités et puis quelles sont les solutions. Plus on est informé, mieux on est informé, plus on ira vers le dispositif. On a la chance en France d’avoir un système de santé performant et d’avoir la gratuité des soins. Il faut aussi profiter de la gratuité des dépistages parce que ça nous permet de sauver des vies.
Le professeur Pascal Thomas, chirurgien thoracique à l’Hôpital Nord, dit que dans notre région, ce dépistage pourrait concerner 300 000 hommes et femmes entre 50 et 74 ans, fumant ou ayant fumé un paquet par jour pendant 20 ans. Imaginons que ce dépistage soit plébiscité – on peut rêver -, notre région est-elle suffisamment équipée en scanners pour y répondre ?
Globalement oui. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est bien équipée. La question, ce n’est pas seulement le nombre d’appareils, le nombre de scanners qui sont à disposition, c’est leur accessibilité et leur mobilisation dans un parcours structuré de dépistage. On a beaucoup de scanners, d’IRM, d’imagerie dans notre région. Mais il faut aussi les utiliser à des créneaux qui soient les meilleurs possibles et avec un temps dédié qui soit important.
« Il faut un circuit court pour accélérer la prise en charge »
Aujourd’hui, il faut des circuits courts, dès qu’on dépiste, dès qu’un médecin généraliste diagnostique qu’il pourrait y avoir un problème parce que tel patient a fumé pendant longtemps et qu’il a tel âge, il faut un circuit court. Parce que si vous n’envoyez pas tout de suite cette personne vers un scanner dédié et relativement rapidement, si l’attente est trop longue, on peut oublier. On peut passer à autre chose et ne pas le faire. C’est ce qui arrive très souvent. Et donc là, il faut travailler avec les établissements de santé, avec les professionnels de santé, avec les radiologues, pour justement le faire le plus rapidement possible.
Ça va pouvoir se faire ? On sait qu’aujourd’hui, pour obtenir un scanner, il faut parfois attendre des semaines, sinon des mois.
Oui, c’est vrai, parfois il faut attendre longtemps. C’est pour ça que je vous parlais de circuit court, pour aller très rapidement faire ces scanners dédiés. On sait aussi qu’il y a de nombreux freins, des barrières, des barrières sociales, linguistiques, culturelles. C’est pour ça que je vous parlais aussi « d’aller vers ». Aller vers les populations les plus concernées, aller sur le terrain et ça c’est un vrai défi auquel nous sommes tous confrontés aujourd’hui.
« Mettre un scanner dans un bus »
Le docteur Ilies Bouabdallah – qui est chirurgien thoracique à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille et qui participe à notre campagne de sensibilisation « A pleins poumons contre le cancer » – a lancé l’idée d’équiper un bus d’un scanner pour faire du dépistage rapide. Par exemple à la sortie des supermarchés, sur les places des villages. Justement là, dans des endroits pour toucher des populations qu’il est difficile d’atteindre, Que pensez-vous de cette idée ?
J’ai rencontré le docteur Ilies Bouabdallah tout récemment. On en a parlé ensemble et il m’a convaincu sur ses idées innovantes. Il faut travailler ensemble justement pour pouvoir y parvenir. Je vous parlais tout à l’heure d’un circuit court. Le fait de pouvoir se déplacer sur les territoires, avec notamment peut-être un bus qui fasse du dépistage directement auprès des populations, ça peut être très intéressant. Cela existe déjà, pour d’autres dépistages ; ça existe aussi par exemple en cardiologie. Il y a le Bus du Cœur qui fait ça également. Moi je crois beaucoup à l' »aller vers » et à aller vers ces populations. Ça peut être une solution qui en tout cas a le mérite d’être proposée et qui sera étudiée très activement.
« J’ai arrêté de fumer et je ne le regrette pas »
Venons-en la prévention, à la source de 85% des cancers du poumon, c’est le tabagisme. On le disait en préambule, nous sommes donc dans la région qui fume le plus avec en gros 1 adulte sur 3 qui est fumeur et 1 adulte sur 3 qui est un ancien fumeur. Quelles sont vos actions pour inciter la population finalement à ne pas fumer ou à décrocher du tabac ?
J’en suis l’exemple type puisque j’ai fumé longtemps et j’ai arrêté de fumer. Moi je suis un ancien fumeur en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, j’ai arrêté, je ne le regrette pas. J’ai arrêté il y a une dizaine d’années maintenant et j’ai réussi à le faire parce qu’il faut se faire aider. Pour ça, il faut être convaincu. Il faut connaître la réalité des choses. Parfois, culturellement ou socialement, on peut avoir envie de fumer pour faire partie d’une catégorie sociale, pour appartenir et discuter et être ensemble. Voilà, ça peut être quelque chose de socialement acceptable, mais médicalement et sanitairement c’est un problème, ce tabagisme important.
Il faut absolument dire à la population et à tous les fumeurs tout ce qui existe, tout ce qu’on peut mettre en place. Il y a des consultations tabac. Il y a la possibilité d’avoir accès à des patchs ou à d’autres dispositifs. Il faut non seulement connaître les effets néfastes du tabac, qui ne sont pas que sur les poumons, mais sur l’ensemble des organes humains. Et donc il faut connaître ça. C’est très cher aussi ! C’est vraiment extrêmement cher, il faut en avoir conscience.
Mieux cibler les campagnes
Je crois que les campagnes contre le tabac sont importantes et il faut vraiment inciter tout le monde à y aller. Il faut que ce soit proposé par l’ensemble des professionnels de santé à toute personne qui est fumeur, leur expliquer les choses et puis leur proposer comment arrêter. C’est par ces messages qui sont répétés, relayés, qui sont adaptés aussi au public parce qu’on ne s’adresse pas de la même manière à un adolescent, un jeune adulte qui fume, qui fume pour d’autres raisons et qui lui n’a peut-être pas peur encore du décès, mais qui peut avoir accès à d’autres informations qui le concernent lui. Donc il faut absolument des informations qui soient ciblées.
Le cancer chez la femme, un enjeu majeur
Avez-vous pensé à une campagne spécifiquement orientée vers les femmes qui ont deux fois plus de risques de développer un cancer du poumon qu’un homme, à consommation égale de cigarettes ? La docteur Madroszyk à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille dit qu’aucun autre cancer ne présente une telle augmentation avec 5% supplémentaire de femmes touchées chaque année, c’est considérable…
Oui c’est considérable. C’est un constat très préoccupant et que nous partageons. A ce stade nos campagnes de prévention ne ciblent pas spécifiquement les femmes pour le cancer du poumon. Mais bien sûr on y pense parce qu’on le sait : il y a des prédispositions et il y a des aspects spécifiques qui concernent la santé des femmes. Et donc il faut absolument travailler sur ces sujets là. C’est ce qu’on essaie de faire avec l’ensemble des professionnels qui se penchent sur le sujet, avec les chercheurs. Il y a des études scientifiques qui sont maintenant nombreuses.
Il faut travailler pour que les femmes soient justement un public spécifique, à destination desquelles il faut absolument trouver les bons mots pour leur expliquer et essayer d’arrêter le tabac notamment et de faire du dépistage. La hausse des cas chez les femmes, elle est nette et elle reflète une réalité qu’on ne peut pas ignorer : à consommation égale, les femmes sont plus exposées au risque de développer un cancer du poumon. C’est un enjeu de santé publique pour nous, qui est majeur.
« On va devoir parler du danger du cannabis »
On a parlé du tabac. On va parler du cannabis. Les médecins constatent que le cannabis est un terrible accélérateur du cancer du poumon. Un joint, c’est l’équivalent de 3 cigarettes et la fumée est 4 fois plus de toxique pour les poumons, affirmait la docteur Marjorie Mussard qui est pneumologue à l’Hôpital Nord, la semaine dernière, lors de notre conférence publique à Marseille. Pourquoi si peu de communication sur le danger du cannabis, pour la santé des consommateurs qui sont des millions en France ?
Oui vous avez raison. Il y a de nombreuses études qui montrent aujourd’hui les effets néfastes du cannabis. Et là c’est le cas tout particulièrement comme effet amplificateur pour le cancer du poumon. Donc il faut le faire savoir. C’est vrai qu’aujourd’hui les campagnes de dépistage et les campagnes d’information ne ciblent pas vraiment ce sujet-là. Je crois que c’est un travail qu’il va falloir mener dans les mois et les années qui viennent.
Donc il faut en parler. C’est pas cool le cannabis…
Oui bien sûr. Il faut en parler, mais il ne faut pas en parler comme ça. Il faut en parler de manière scientifique. Il faut expliquer pourquoi ça a des enjeux pour la santé de chacun d’entre nous. Il faut absolument, là encore, adapter le message au public auquel on s’adresse.
« On est en retard sur la promotion de la santé »
Vous sortez un livre dédié à la prévention. Pourquoi est-ce que vous parlez de prévention ?
Effectivement, je publie dans quinze jours un ouvrage qui s’appelle « Innovation et Prévention en santé », que j’ai coécrit avec Anne Beinier. Ensemble, nous avons décidé il y a presque un an de faire travailler les auteurs, les scientifiques, les médecins, les associations, les chercheurs, les penseurs, les sociologues sur le sujet de la prévention. Parce qu’en France, on le sait, par rapport à d’autres pays occidentaux, on est en retard sur la prévention et la promotion de la santé.
On a depuis longtemps travaillé davantage sur le curatif, sur le soin. Ce qui est une très bonne chose parce qu’on a un système de santé de grande qualité. Mais on a souvent négligé la prévention en général à l’égard des patients. Mais à l’égard aussi des citoyens. Et donc cet ouvrage a pour objectif d’essayer de faire prendre conscience, à l’ensemble des Français, qu’il faut également accorder une grande importance à la promotion de la santé, que c’est un enjeu de santé publique majeur et qu’on est tous concernés.
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