Le tabagisme, à l’origine de 85% des cancers du poumon, est une mauvaise habitude très ancrée du Cap Corse à Bonifacio. On y fumerait immodérément, en tout cas plus qu’ailleurs. Et selon la Dr Gwendoline Bernard, pneumologue au pôle santé de Furiani, c’est particulièrement frappant chez les femmes : « Il y a beaucoup plus de femmes qui fument en Corse que sur le continent. Nous sommes dans une société matriarcale et la cigarette est un élément d’affirmation de la femme. Et puis on considère souvent que « ça fait bien » de fumer. »

Les femmes corses paient le prix fort
Ce cancer touche environ 300 insulaires chaque année, avec une sur-incidence de 9% pour les hommes (vs la France entière) et une sur-mortalité de 16%. C’est bien pire chez les femmes : la sur-incidence bondit à 36% (vs 5% pour la France) et la surmortalité à 31%. En cette soirée du 15 mai à Bastia, les annonces ont fusé à l’occasion de la conférence publique « A pleins poumons contre le cancer » organisée par MProvence.

« A tabagisme égal, une femme à 1,5 à 2 fois plus de risque d’avoir un cancer du poumon« , comme l’a rappelé la Dr Laurie Peysson, pneumologue à Bastia. Elle confie qu’on ne sait pas très bien pourquoi. Le rôle des hormones est questionné, comme l’effet des cigarettes light faussement jugées moins nocives. Le métabolisme féminin différent pourrait en être une cause : l’enzyme permettant la détoxification des carcinogènes du tabac serait moins efficace que chez l’homme, alors qu’une autre enzyme favoriserait l’effet carcinogène contenu dans le tabac.
Sans oublier le cancer du sein
Et cela ne s’arrête pas au poumon, comme l’a rappelé la Dr Peysson. « Le risque de cancer du sein est multiplié par deux en cas de tabagisme actif, et même passif. »
Si on y ajoute d’autres pratiques, comme l’usage du cannabis, la situation s’envenime un peu plus. « La France fait partie des plus gros consommateurs en Europe et le cannabis est souvent consommé avec du tabac« , souligne la Dr Marie-Pierre Perquis, pneumologue et oncologue thoracique au Centre hospitalier de Bastia. Or qui fume du cannabis va tirer bien plus sur le joint que sur la cigarette. Résultat : une absorption 5 fois plus importante de monoxyde de carbone !
Le cannabis dope le cancer, pas le CBD
Bilan d’une importante étude française rapportée par la Dr Perquis, les patients consommant 3 joints de cannabis par jour déclarent un cancer du poumon à 53 ans en moyenne, contre 66 à 68 ans pour le seul tabac. « Un seul joint par jour augmenterait de 8% le risque de cancer du poumon« . Et la chicha, c’est pire. En revanche, pas d’inquiétude à ce stade concernant l’emploi de CBD vendu légalement en France. « Aucune preuve scientifique ne montre qu’il augmenterait le risque de cancer du poumon ou d’un autre cancer. »
Et si on se mettait au vapotage pour échapper au effets dévastateurs du tabac ? Tout plutôt que la clope ! Certes, c’est toujours mieux. Si l’avis des experts est aujourd’hui assez partagé, beaucoup s’accordent cependant à dire que la vapoteuse doit servir de substitut momentanément. Pas à vie. C’est le point de vue du Dr Valentin Stalder, pneumologue et addictologue. Il se méfie des cigarettes électroniques… comme de la peste !

Arôme café latte ou pêche : c’est un piège !
« Quand on déclenche la vapoteuse, la température monte, le liquide passe à l’état gazeux en générant des microparticules qui pénètrent profondément dans les poumons. » Or les agents contenus dans le liquide sont dangereux lorsqu’ils sont inhalés. C’est le cas du menthol, de la cannelle, de la vanilline, du benzène bien évidemment, et des agents de refroidissements habilement maquillés avec des arômes pèche, concombre, et même café latte ! Des composés toxiques apparaissent à la combustion, comme le formaldéhyde et l’acroléine.
Le phénomène du vapotage étant récent, les scientifiques disposent de peu d’études sur les conséquences délétères du vapotage. Le Dr Stalder rapporte cependant des complications infectieuses. Il pointe une réduction des défenses immunitaires (des cellules moins efficaces, une diminution de la protection du mucus et du revêtement des bronches) et une augmentation de la virulence des bactéries et des virus (rhinovirus, grippe…).

A noter encore une augmentation de la fréquence des épisodes de bronchite chez les ados et de pneumopathies engendrées par le seul vapotage, possiblement mortelles dans 2 à 6% des cas selon une étude américaine. Sur le long terme, un essoufflement est observé voire une fibrose pulmonaire. Un autre fait provoque le doute chez l’addictologue : « N’oubliez pas que ces produits sont développés par les cigarettiers pour compenser leurs pertes de vente de cigarettes. » Objectif : remplacer une addiction par une autre.
Vapotage = risque de cancer ?
La question est la suivante : vapoter est-il cancérigène ? A ce jour, aucun lien n’est établi chez l’homme. « Mais on observe quelques signaux positifs chez les souris soumises aux effets du vapotage. » Bref, un effet pro-cancérigène commence à être suspecté. Une récente étude coréenne va dans ce sens.
L’addictologue préfère cent fois préconiser les patchs nicotiniques vendus en pharmacie (et remboursés par la Sécu !). « On peut les utiliser à vie pour obtenir sa dose de nicotine, c’est sans risque. La nicotine est le produit addictif mais elle ne crée pas de cancer ni de maladies cardiovasculaires. »

S’il est une autre arme fatale à privilégier absolument, c’est le dépistage par scanner thoracique à faible dose. Quelques secondes d’irradiation suffisent. Elles permettent d’identifier un possible cancer qui en serait à son début, qui serait donc opérable et guérissable.
Recommandé à partir de 50 ans pour tous les fumeurs consommant 1 paquet par jour et les anciens fumeurs ayant arrêté depuis moins de 15 ans – mais en fait c’est votre médecin qui va juger de son intérêt selon votre profil – , ce scanner est renouvelé à 6 mois, puis répété tous les deux ans. « Le risque de cancer du poumon persiste pendant vingt ans après le sevrage du tabac« , prévient la Dr Gwendoline Bernard.
La Corse est bien pourvue en scanners
Les médecins généralistes de Corse y seraient particulièrement favorables, n’hésitant pas à les prescrire. Et même si des équipements médicaux manquent encore à la Corse, et même si la Corse a été oubliée du programme pilote de dépistage « Impulsion » qui va s’étendre jusqu’en 2030 dans toute la France, tout n’est pas négatif. « La Corse est la région de France la mieux dotée en scanners, on obtient un rendez-vous en 2 à 3 semaines. »
Les questions ont fusé parmi le public. Ici tout le monde connaît de près les ravages de ce cancer généralement identifié à un stade incurable. Certaines auditrices sont venues de loin, comme Céline Arrighi descendue de Tralonca près de Corte. Cette infirmière à domicile a trouvé les échanges passionnants ainsi que de quoi nourrir son argumentaire face à des patients fumeurs par exemple, pour les sensibiliser au dépistage.
Radon dans les maisons : méfiez-vous !
Une autre spécificité corse (ou auvergnate, bretonne…) est la présence de radon dans le sol granitique de l’île, particulièrement dans sa partie occidentale et au Sud. « Le radon est responsable de 10% des cancers du poumon, et c’est majoré en cas de tabagisme actif, note la Dr Marie Mattei, du service hospitalier de pneumologie. Ce gaz pénètre dans nos maisons via les sous-sol, les vides sanitaires, les fissures, les aérations… Une solution simple pour l’évacuer est déjà d’aérer sa maison tous les jours« .

Afin de savoir si votre commune est concernée, rendez-vous sur le site irsn.fr/radon. L’observatoire de la qualité de l’air insulaire permet en outre de réaliser un diagnostic sur la présence de radon avec le prêt de capteurs. Des conseillers habitat vont prochainement être affectés en Corse, en particulier à ce diagnostic.
Progrès de la médecine
Voilà pour la prévention. Le Dr Pascal Thomas, chef du service de pneumologie et oncologue thoracique, s’est attaché à présenter l’évolution des traitements. « La révolution remonte à 2006 avec les thérapies ciblées, puis l’immunothérapie en 2015, associée à la chimiothérapie en 2017. Grâce à cela la survie médiane des patients est passée de moins d’un an à 38 mois. »

Au rayon des espoirs, il rêve de voir la Corse prochainement dotée d’un TEP scanner. Et l’arrivée à Bastia de la radiothérapie stéréotaxique, qui réduit pour certains patients le nombre de séances de rayons à 3 (au lieu de 30) et agit beaucoup plus précisément sur la tumeur, serait imminente. Enfin, « le nombre de médicaments de précision est en croissance constante. »
Le maire de Bastia : « On se connaît tous »
On peut dire que cette conférence publique a marqué les esprits. En témoigne la présence un peu exceptionnelle du maire de Bastia, Pierre Savelli. Il a évoqué les nombreux nouveaux cas de cancer et de décès dus au cancer du poumon, parfois à 45 ou 50 ans. « Ici, c’est une petite communauté, on se connaît tous. Et ces disparitions nous impactent tous. » Pour lui, il faut multiplier les actions de prévention.

Pouvait-on attendre autre chose du directeur de la Sécurité sociale (CPAM de Corse), Nicolas Adamian, que de plaider pour la prévention primaire : l’arrêt du tabac. « Vous l’avez dit docteur Thomas, sans le tabac il n’y aurait quasiment pas de cancers du poumon. » Oui mais voilà, les Corses fument énormément. C’est pourquoi « l’autre enjeu porte sur le dépistage secondaire » par scanner à faible irradiation.

La directrice adjointe du Centre hospitalier de Bastia était tout ouïe. Car, comme elle l’a indiqué, Françoise Vesperini fume de manière soutenue, et aimerait arrêter. « J’espère que cette conférence me donnera le déclic ! » Remerciant l’équipe des médecins engagés dans ce combat, elle a rappelé que le dépistage fait partie des missions de l’hôpital public.

Dernière conférence à Aix le 21 mai
Merci à la Ligue contre le cancer de Haute Corse pour son soutien, notamment sa présidente Anne Peraldi, et son secrétaire général Xavier Marchetti, à ICI RCFM et Corse-Matin pour les annonces, à Paola Lazzarini, responsable de la salle polyvalente de Lupinu pour l’accueil aux petits oignons !
Dernière conférence dans le cadre de notre campagne d’information « A pleins poumons contre le cancer » : mercredi 21 mai à 18h au Centre hospitalier du Pays d’Aix, avenue des Tamaris, à Aix-en-Provence. Entrée libre. Cocktail de clôture. Parking public.
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