1 femme sur 2 est victime de violences, et c’est pire chez les jeunes !

C'est un lieu de secours pour toutes les femmes victimes de violences. En un an et demi, 360 femmes ont été prises en charge médicalement par la Maison des Femmes Marseille Provence implantée à l'hôpital de la Conception, et dont la marraine est la chanteuse Clara Lucciani. Certaines ont été violées, excisées, d'autres frappées par leur conjoint, menacées. D'autres encore sont enceintes. Il y a aussi des dames âgées qui tout à coup ne supportent plus la violence de leur mari. Le Dr Sophie Tardieu, praticien hospitalier de santé publique, co-dirige la structure avec la Pr Florence Bretelle. Elle dévoile des situations et des chiffres affolants, notamment chez les femmes de 15 à 24 ans.

Santé

La Maison des Femmes a été conçue pour la prise en charge des femmes victimes de violences. Comment fonctionne-t-elle ?

Docteur Sophie Tardieu : La Maison des Femmes Marseille Provence a ouvert ses portes en janvier 2022 dans des locaux provisoires situés à l’hôpital de la Conception. A l’origine de ce projet on était 5 professionnelles de santé, toutes issues du milieu hospitalier. On avait envie de dupliquer ce modèle, qui existe depuis 2016 à Saint-Denis et qui a été créé par le docteur Ghada Hatem, sur le territoire marseillais. La Maison des Femmes, c’est un service hospitalier, un service de consultations où nous accueillons des femmes victimes de violences. Nous sommes ouverts du lundi au vendredi de 09h00 à 16h30. La porte d’entrée à la Maison des Femmes, c’est le soin. Nous sommes une équipe de professionnelles de santé – des gynécos obstétriciennes, des gynécos médicales, des psychologues, des psychiatres, des sexologues, des praticiens de santé publique, mais également des assistantes sociales, des secrétaires médicales.

Toutes les violences sont prises en compte

Quel est le parcours de soins et quelle est la prise en charge qui est proposée ?

Nous avons 3 parcours de soins. 1- Un premier parcours qui concerne les femmes victimes de violences, de tous types de violences, qu’il s’agisse de violences physiques, de violences psychologiques, de violences sexuelles et sexistes, de violences conjugales et de violences intrafamiliales. On est sur des violences qui peuvent être actuelles ou des violences passées. 2- Le 2e parcours est un parcours qui concerne plus spécifiquement les femmes victimes de mutilations sexuelles féminines : l’excision. 3- Un 3e parcours encore plus spécifique concerne les femmes enceintes en situation de violences.

Les femmes sont d’abord vues dans un premier entretien très généraliste, réalisé par deux professionnels de santé, un professionnel de santé médical et un professionnel de santé non médical. On va faire une évaluation des besoins des femmes à la fois sur un versant médical, psychologique, social et juridique. A l’issue de ce premier entretien, on propose aux femmes victimes de violences ce qu’on appelle un programme personnalisé de soins avec de la consultation gynéco, de la consultation obstétricale, de la consultation échographique, de la consultation psychiatrique, de la consultation psychologique; ça c’est sur le versant de la prise en charge individuelle.

Les victimes peuvent apprendre le karaté

A la Maison des Femmes, on propose une prise en charge globale qui va également intégrer une prise en charge collective au travers de groupes de parole. On a pour l’instant 2 groupes de parole : un groupe de parole dédié aux femmes en exil puisque 20% de notre file active sont des demandeuses d’asile. On a un 2e groupe de parole qui concerne les femmes excisées et leur sexologie. On a également des ateliers de retour à l’estime de soi, notamment un atelier karaté qui a lieu tous les jeudis après-midi pour ces femmes, pour qu’elles retrouvent une certaine estime de soi au travers de ce sport qu’est le karaté. Nous faisons cet atelier avec une association qui s’appelle « Fight for dignity » qui a été créée par Laurence Fischer, triple championne olympique de karaté. Donc c’est une prise en charge globale sur les versants médical, psychologique, social et juridique avec de la consultation individuelle médicale mais également des ateliers collectifs pour rendre aux femmes cette autonomie qu’elles ont très souvent perdue à cause de ces violences.

La violence, ça commence avec le sentiment de peur

Où commencent les violences faites aux femmes ? Que disent les études sur la proportion de femmes qui sont victimes de ces violences ?

C’est une question complexe mais en 1993 l’ONU a donné une définition de ce qu’étaient les violences faites aux femmes : c’est tout acte de violence dirigé contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tel acte, la contrainte ou la privation de liberté. Que cela se passe dans la sphère publique ou dans la sphère privée. A partir de cette définition, on comprend mieux où commencent les violences faites aux femmes. D’une manière générale, on dit que les violences faites aux femmes commencent à partir du moment où la femme ressent une peur.

670.000 victimes chaque année en France

Il y a de nombreuses études sur les violences faites aux femmes. Je peux citer quelques chiffres qui font froid dans le dos. En France, chaque année, on estime que 670.000 femmes subissent des violences. Parmi elles 220.000 femmes subissent des violences conjugales au sein du foyer. 46% des femmes en population générale subiront au cours de leur vie un type de violence. 46% c’est à peu près une femme sur 2 qui au cours de sa vie subira un type de violence.

Une femme décède tous les 3 jours sous les coups de son conjoint. 30% des cas de violences conjugales débutent lors de la première grossesse. C’est un chiffre très fort, qui nous a beaucoup interrogées quand on a lancé ce parcours pour les femmes enceintes. La période de la grossesse est une période de vulnérabilité dans laquelle l’auteur s’engage très rapidement, et les violences commencent à ce moment-là. De manière plus générale, on a des études internationales qui nous montrent qu’une femme victime de violences perd en moyenne 1 à 4 années de vie en bonne santé. Ce n’est pas anodin. Il y a la violence et puis il y a les conséquences somatiques de cette violence.

360 cas de violences conjugales chaque mois à Marseille

A Marseille, les violences conjugales c’est 12 appels au 17 (la police) par jour ! Et c’est plus de 360 cas de violences conjugales par mois ! On est vraiment une ville et une région très impactées par les violences et les violences conjugales en particulier.

Comment ces femmes victimes de violences s’adressent-elles à la Maison des Femmes ? Est-ce que ce sont les médecins, la police, les dentistes, qui les orientent ?

C’est difficile de pousser la porte de la Maison des Femmes parce que c’est déjà s’estimer comme victime. Aujourd’hui les femmes sont adressées à la Maison des Femmes dans 30% des cas par un service de l’APHM (Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille). On a communiqué sur notre existence à l’APHM. Ce sont des services essentiellement d’urgence qui nous adressent des femmes : urgences somatiques mais également urgences gynéco-obstétriques et d’autres types de services comme les services d’orthopédie pour des traumas aux membres inférieurs ou supérieurs. Mais également le service d’odontologie peut nous adresser des femmes, les services de stomato, les urgences de la main aussi nous adressent en interne.

15% des femmes viennent d’elles-mêmes

Pour le reste – 70% des cas – les femmes nous sont adressées très souvent par des structures associatives, dont celles qui hébergent ces femmes. Parce que dans ces structures qui hébergent les femmes, on n’a pas accès aux soins de manière assez facilitée. Donc on a tissé des partenariats avec ces structures et les structures d’hébergement, entre autres, ou les structures associatives nous adressent ces femmes pour une prise en charge globale des violences faites aux femmes. Ce qu’il faut savoir, c’est que 15% des femmes viennent de manière spontanée à la Maison des Femmes. C’est intéressant. Il faut qu’on travaille vraiment sur notre visibilité : se faire connaître des partenaires, mais aussi se faire connaître des femmes elles-mêmes pour qu’elles sachent qu’à l’hôpital de la Conception il y a un espace pour elles, pour qu’elles aient accès aux soins dans le cadre de leurs violences.

Moyenne d’âge : 35 ans

Afin de saisir un peu la diversité sociale des victimes, pouvez-vous nous décrire 2 ou 3 exemples de personnes concernées par votre aide ?

A la Maison des Femmes, on reçoit toutes les femmes. C’est un accueil inconditionnel. On peut venir à la Maison des Femmes, qu’on ait des droits à la Sécurité sociale ouverts ou pas. Notre moyenne d’âge est de 35 ans. On a un panel socio-économique très large. Je pourrais vous parler de ces femmes primo-arrivantes. 20% de notre file active, ce sont des femmes qui ont vécu des violences multiples. Ce sont des femmes qui ont vécu des violences dans leur pays d’origine. Souvent elles ont été excisées, ont subi un mariage forcé. Elles ont ensuite vécu des violences sur le parcours migratoire, notamment lorsqu’elles arrivent sur les plateformes en Libye, en Tunisie, où il y a de la violence et notamment de la violence sexuelle. Ensuite, elles arrivent à Marseille. Souvent, elles arrivent enceintes. Il y a cette vulnérabilité supplémentaire, et là elles peuvent être amenées à être à nouveau victimes de violences à la rue, en centre d’hébergement ou dans leur communauté. Ces femmes sont pour nous une population très particulière. C’est pour ça qu’on a monté un groupe de parole dédié aux femmes en exil. Ce sont des femmes isolées, qui cumulent les violences.

A 78 ans, elle dit stop à la violence de son mari

Je pourrais également vous parler de femmes victimes de violences conjugales : c’est vous – enfin c’est moi ! – c’est la voisine; ça peut être effectivement une jeune femme; ça peut être une avocate; ça peut être une infirmière, un médecin. Ce sont des femmes qui vivent la violence au quotidien. On donne souvent l’exemple de notre doyenne : c’est une dame de 78 ans, qui après 50 ans de vie conjugale violente, a décidé un jour de pousser la porte de la Maison des Femmes. Il y a le cas des jeunes filles. Aujourd’hui 9 jeunes filles sur 10 âgées de moins de 24 ans se retrouvent à un moment donné dans leur vie de couple dans une situation de violence. Nous recevons des jeunes filles, de très jeunes filles, qui peuvent être également victimes de violences – violences conjugales mais également violences sexuelles.

A 15 ou 16 ans, déjà des violences sexuelles

9 sur 10 c’est très important ! Vous estimez que c’est un chiffre qui est en augmentation par rapport aux générations précédentes ?

La libération de la parole a permis à ces jeunes filles de s’exprimer. Elles consultent de manière plus facile. Le milieu festif dans lequel souvent les jeunes sont intégrés participent également à ces violences qui apparaissent. On parle de soumission chimique en soirée, de violences sexuelles en milieu privé. L’idée c’est vraiment de sensibiliser ce jeune public. Il faut qu’il comprenne la définition de ce qu’est la violence conjugale quand on a 15 ans, 16 ans, 17 ans, et à qui peut-on s’adresser dans le cadre d’un couple dysfonctionnel, même lorsqu’on est très jeune.

Signalements à la police et la justice

Les cas de violences dont vous constatez les effets sont-ils signalés à la police, à la justice ? Que vous demandent les patientes ?

Bien sûr ! Comme tout professionnel de santé, nous pouvons et nous devons signaler les violences à la police, à la justice. Nous avons une convention avec le tribunal judiciaire de Marseille. Nous avons une permanence « avocat » qui nous permet d’adresser des femmes directement à des avocates tous les vendredis après-midi dans nos locaux, pour les femmes qui ont besoin de conseils juridiques. Mais nous avons également un protocole avec la police et en particulier le bureau d’aide aux victimes qui nous permet d’adresser des femmes directement sur des créneaux dédiés aux services de police, pour qu’elles puissent être accompagnées au dépôt de plainte.

La vie des femmes que vous avez déjà accompagnées a-t-elle changé ? S’est-elle améliorée ?

Nous avons 18 mois de recul sur l’impact de la Maison des Femmes. A ce jour nous avons pris en charge 340 femmes qui sont toujours dans le parcours d’autonomisation. Nous avons en moyenne 20 à 25 femmes qui sont sorties du parcours et qui aujourd’hui ont retrouvé une autonomie. Elles ont cassé ce cycle de la violence. 25 femmes sont sorties du parcours de manière différente.

Sensibilisation dans les écoles

L’une de vos missions concerne la prévention. En quoi consiste-t-elle?

Au-delà du soin, nous avons également en étant service hospitalo-universitaire une mission de prévention et d’éducation en santé sexuelle et affective. On dit toujours que c’est bien de soigner. Mais c’est encore mieux d’éduquer et de sensibiliser les publics. L’idée c’est de mettre en place des actions de formation. Ce sont des programmes de formation qui sont portés par Aix-Marseille Université mais également des actions que nous appelons hors les murs : des ateliers de santé sexuelle vers différents publics, notamment des publics jeunes. On va sensibiliser dans les écoles, dans les lycées, dans les collèges, à la faculté mais également auprès des associations qui accompagnent les femmes, qui hébergent les femmes. Nous mettons en place des ateliers de santé sexuelle. Nous essayons également d’être présents dans différents événements pour porter la parole et le message de santé publique autour de la lutte contre les violences faites aux femmes.

« Nous accueillerons 50 femmes par jour en 2024 »

Vous suivez plus de 300 femmes en file active aujourd’hui. Vous avez les moyens d’en accueillir combien ? J’ai vu que vos locaux sont exigus…

On est dans des locaux provisoires très petits Nous devons déménager en début d’année 2024 (NDLR: dans une maison de 3 étages à côté de l’hôpital de la Conception) où là nous avons pour objectif d’accueillir 50 femmes par jour, qu’il s’agisse de consultations individuelles ou de prise en charge collective. Ce jour-là, nous aurons une équipe étoffée avec une vingtaine d’équivalents temps plein, de nouvelles spécialités et la possibilité d’accueillir et de proposer à ces femmes un accueil bienveillant, sécurisé et optimal.

 

Contact : Maison des Femmes Marseille Provence, Hôpital de la Conception, sous-sol du bâtiment central (Bât. A), 147 boulevard Baille, 13005 Marseille. Du lundi au vendredi de 9h à 16h30. tel: 04 91 38 17 17 et maisondesfemmes@ap-hm.fr

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