Dépité, désabusé, désemparé, épuisé… les qualificatifs sont légion pour décrire l’état d’esprit de Frédéric Esmiol, le président de la chambre d’agriculture des Alpes-de-Haute-Provence, producteur de salades et de pivoines, deux cultures qui demandent une main-d’œuvre abondante.
« Nous avons travaillé pour développer nos marchés et fidéliser notre clientèle, notamment pour les salades, en produisant six mois de l’année. C’est le résultat de vingt ans de confiance, explique le président de la chambre d’agriculture bas-alpine, soulignant que nous avons augmenté progressivement notre masse salariale. Au début, nous avions des équipes de Portugais que nous logions, mais cela ne suffisait plus. Donc, nous avons cherché de la main-d’œuvre locale. Aujourd’hui, 60 % de nos employés sont là depuis vingt ans et vieillissent, mais nous n’arrivons pas à les renouveler. Impossible de trouver des jeunes. » S’il concède que le Covid a eu un effet positif et a créé une embellie l’an dernier, avec l’incitation de l’État à venir aider dans les champs, cet engouement n’a pas duré.
Impossible de pérenniser des équipes
Cette année a mal débuté au moment du ramassage des pivoines. « Les salariés n’étaient pas du tout assidus. Ils venaient quand ils en avaient envie. J’ai contacté les gens de Pôle emploi, qui ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour nous aider mais les gens ne restaient pas, déplore-t-il. Certains étaient encore sous le robinet des aides, donc ils ont préféré partir en vacances plutôt que de travailler, d’autant plus qu’ils ne savaient pas ce que leur réserverait l’automne avec la menace des confinements. Je ne suis jamais arrivé à trouver une équipe complète. Selon moi, il faudrait revoir les modalités d’attribution du chômage pour favoriser le retour au travail. Cela n’est pas propre à mon exploitation. Tout le monde est confronté à ce problème aujourd’hui. Certains viennent juste pour faire recharger leurs droits et ensuite, ils nous servent des excuses bidons pour arrêter. Ils font des calculs et se rendent compte que travailler est moins avantageux que de toucher les aides. Même avec les étrangers, on a du mal à fidéliser des équipes. Aujourd’hui, il est moins avantageux pour eux de venir travailler en France. Au Portugal, par exemple, l’État les incite à rester chez eux. On a essayé avec des ressortissants des pays de l’Est, mais il y a un gros problème de fiabilité. »
Charge administrative et mentale
Cet été, Frédéric Esmiol a fait plus de 80 déclarations d’embauche. « Pour une personne qui reste, il faut en embaucher deux. Je ne sais pas quelle est la solution. Je pense que, pourtant, nous les traitons bien, même si bien entendu, le travail est pénible. On ne les flique pas, on leur fait confiance. Pour nous, le travail administratif est énorme, sans compter la charge mentale. Cette saison, j’ai été obligé d’en appeler certains tous les matins pour les réveiller et pourtant, ce n’était pas des jeunes », s’attriste-t-il.
La situation est telle que l’agriculteur se demande s’il ne va pas réduire sa production pour s’adapter à la main-d’œuvre dont il est sûr de disposer. « Il faudrait peut-être réduire les cotisations patronales et harmoniser les salaires pour que l’on puisse lutter à armes égales, suggère-t-il. On est en train de se poser la question de faire appel à des agences de travailleurs détachés, mais ce serait quand même dommage que l’argent parte à l’étranger ». Difficile à comprendre dans un pays qui compte toujours plus de 3 millions de chômeurs.
Alexandra Gelber pour L’Espace Alpin
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