Le docteur Patrick Delasalle est un combattant infatigable du cancer colorectal, le plus meurtrier après celui du poumon. A Grasse où il exerce, ce gastro-entérologue ausculte et retire des polypes pré cancéreux à tour de bras depuis 35 ans. Mais le pire n’est pas sûr !
Car bien des patients viennent justement après avoir effectué le test immunologique (FIT) de dépistage recommandé par l’Assurance Maladie, tous les 2 ans après 50 ans. En général, le problème est stoppé net par le retrait du ou des polypes. Sinon, si le cancer repéré précocement par du sang dans les selles grâce au test s’est déjà installé, les médecins peuvent le guérir 9 fois sur 10.
Pas besoin de vivre comme un moine !
Moralité selon le Dr Delasalle (photo ci-dessous) : « C’est l’un des cancers parmi les plus évitables, de l’ordre de 50%. Si on évitait la sédentarité, qu’on baissait sa prise d’alcool, qu’on arrêtait le tabac et qu’on privilégiait une meilleure alimentation, on éviterait un cancer du côlon sur deux. » Facile à dire Doc, mais si c’est pour vivre comme un moine…
Eh bien même pas ! C’est ce qu’ont démontré mardi soir les soignants participant à Nice à la conférence « Sauver 10 000 vies, peut-être la vôtre ! » organisée par MProvence. Et sans même faire culpabiliser le public quasi exclusivement féminin – les hommes devaient avoir piscine… ou étaient restés à la maison pour faire le ménage sans doute – réuni dans le magnifique Centre Universitaire Méditerranéen sur la Promenade des Anglais. Ainsi le professeur Stéphane Schneider, gastro-entérologue et hépatologue au CHU de Nice, n’est pas venu tirer les oreilles mais fournir des recettes.
Les recettes du professeur Schneider
« La plus grande partie de ces cancers du côlon-rectum pourrait être évitée par l’alimentation, affirme le spécialiste. La moitié de ces cancers sont attribuables au mode de vie et à l’environnement. » « Mais, ajoute-t-il, attention, il est impossible d’étudier l’impact d’un seul aliment car il est toujours en interaction avec d’autres. » Voilà une pierre dans le jardin des gourous (et des influenceurs) qui « vendent » les alicaments ou des aliments censément « miraculeux » Et de citer le curcuma, dont il faudrait consommer tous les jours des quantités astronomiques pour un effet éventuellement bénéfique.
Toutefois le tableau qu’il présente sur les facteurs nutritionnels fournit des indications précieuses. Sont classées en « preuves probables » diminuant le risque de cancer colorectal : les céréales complètes, les aliments riches en fibres comme les légumes, les produits laitiers, le calcium. Autres aliments à privilégier selon le médecin mais avec des preuves scientifiques classées seulement « suggestives » : les aliments riches en vitamine C, le poisson, la vitamine D, les multivitamines.
Fuyez les viandes transformées, gare à l’alcool !
Dans le même tableau mais à l’opposé, marquée au fer rouge comme preuve quasi absolue augmentant le risque de cancer colorectal : la consommation de viande transformée. On pense au cordon bleu, aux nuggets et aux plats industriels bien gras et salés, dont on ne sait pas vraiment ce qu’ils recèlent comme ingrédients mais qui sont goûteux à souhait. Miam-miam pour nos papilles mais alerte pour notre organisme tout entier, et l’intestin en particulier. On peut en consommer bien sûr, mais avec modération. L’alcool est une autre source favorisant le cancer du côlon, il fait carrément pousser les polypes.
Un degré en dessous, parmi les causes jugées « probables » augmentant le risque de cancer figure la viande rouge (qu’on l’aime saignante ou bien cuite ne change rien au problème), sa consommation ne doit pas dépasser 500 grammes par semaine (et cela comprend le boeuf, le veau, le porc, l’agneau…). On pourrait ajouter la charcuterie avec un maximum de 150 grammes par semaine, en préférant le jambon blanc. Il est en outre conseillé d’augmenter sa consommation de légumes hors féculents, de fruits, et de limiter certains aliments contenant du fer héminique (comme les abats).
Comme le rappelle le Pr Schneider, il ne s’agit pas d’interdire tel ou tel aliment, mais de les consommer de façon très modérée pour certains. Dans son viseur encore, la viande cuite au barbecue. Ce mode de cuisson à une température très élevée et en contact direct avec la flamme peut présenter des propriétés cancérigènes pour nos intestins. Il doit rester occasionnel et il faut retirer les parties noircies.
Les cancers progressent chez les femmes
Question d’une auditrice azuréenne inquiète : « Pourquoi constate-t-on une augmentation du nombre de femmes qui ont un cancer du côlon ? » En effet, les estimations pour 2023 font état d’une progression de 0,2% chez la femme, quand ce cancer recule de 0,3% chez l’homme. Le Pr Schneider souligne qu’il s’agit, certes, d’une augmentation, mais que c’est une tendance relativement faible.
Le Dr Delasalle y voit l’augmentation du poids des femmes qui ne cesse de progresser : « Il y a plus de femmes obèses que d’hommes. » Et il regrette une baisse de l’activité physique chez les femmes ces dernières années. La progression du tabagisme féminin serait une autre cause potentielle de cette hausse, estime le Pr Jean-François Seitz du CHU de Marseille (hôpital de la Timone). Les polypes aiment également bien la cigarette.
6h d’activité par semaine = baisse de 50% du risque de cancer
L’autre grand atout dans la lutte contre ce cancer qui est le 2e plus meurtrier en France chaque année avec plus de 17 000 décès (et 47 500 nouveaux cas dépistés en 2023), c’est l’activité physique. Elle est tout en haut du tableau sur les facteurs réduisant le risque de cancer, c’est prouvé scientifiquement.
Le docteur en STAPS au CHU de Nice, Frédéric Chorin, a régalé l’assistance de ses conseils. « Ce n’est pas parce qu’on fait de l’activité physique qu’on n’aura pas de cancer, mais c’est une super arme pour lutter contre. » Citant une étude américaine, il précise : « Les personnes qui font 6 heures d’activité physique par semaine ont un risque de cancer diminué de 50% par rapport à celles qui n’en font pas du tout. » 6 heures, ça vous semble beaucoup ? Le Dr Chorin rassure : « L’effet bénéfique se fait ressentir dès la première heure. » Ouf !
Votre chaise est votre ennemie
Gare à la station assise : « Quand on passe 2 heures assis, on augmente son risque de cancer du côlon de 8%. Si on reste assis 8 heures par jour on passe à 16%. » Recommandation: se lever et marcher 5 minutes toutes les 90 minutes. Plus largement, il est préconisé de pratiquer une activité 30 minutes par jour à une intensité modérée. Par exemple si on marche, il faut ressentir un essoufflement : je dois pouvoir parler mais en reprenant ma respiration. Promener Médor tanquillou ne suffit donc pas à obtenir cet effet bénéfique. Sauf si Médor est du genre pressé ou énervé et qu’il tire sur sa laisse comme un demeuré, alors votre toutou devient une arme anti cancer !
La règle d’or, c’est de « prendre du plaisir« . Rien ne sert de se forcer à pratiquer une activité qu’on n’aime pas. Echec assuré. « Si vous aimez la balade ou le jardinage, c’est très bien! » note l’expert, qui aime rapporter ce dicton : « Ceux qui ne trouvent pas un peu de temps chaque jour pour leur santé, devront sacrifier beaucoup de temps un jour pour leur maladie. »
Brossez-vous les dents sur une jambe !
Sachez qu’il ne suffit pas de travailler vos capacités cardio-respiratoires. Il est important de faire du renforcement musculaire (des jambes, des bras…). Offrez-vous des haltères, faites la chaise dos contre le mur et les jambes à 90 degrés en tenant le plus longtemps possible, faites des pompes, des tractions, des squats ! Pensez également aux assouplissements 10 minutes deux fois par semaine et travaillez votre équilibre. Astuce du Dr Cheron : « Brossez-vous les dents en vous tenant sur une jambe, et en vous tenant avec l’autre main sur le lavabo pour ne pas tomber. »
Il conseille de se faire un programme écrit pour chaque jour de la semaine. « Cela ne prend pas tant de temps que ça, c’est juste une habitude à prendre. » Et si vous êtes déjà malade ? C’est aussi important de s’activer. « Si vous avez un cancer, vos capacités cardio-respiratoires diminuent de 17% à 30%. Faire du renforcement musculaire permet de limiter la masse grasse et c’est très important dans ce cas. »
D’ailleurs le surpoids est un ennemi absolu de la santé, il participe aux facteurs augmentant le risque de cancer, colorectal notamment.
Le test FIT, gratuit et super efficace
« A partir de 50 ans, le risque de cancer du côlon double tous les dix ans« . Le professeur Jean-François Seitz a un peu refroidi l’assemblée niçoise. D’autant que, se fondant sur des études américaines, il a pointé un risque en augmentation chez les moins de 50 ans par rapport aux années 2000, « et ça frappe notamment les femmes. » C’est pourquoi il insiste sur la nécessité de pratiquer le test immunologique FIT offert par l’Assurance Maladie tous les deux ans entre 50 et 74 ans.
On le réalise à la maison en allant à la selle, un jeu d’enfant que certains trouvent peu ragoutant (les pauvres!). Mais un jeu qui peut vous sauver la peau ! Le docteur Ludovic Evesque, oncologue au Centre Antoine-Lacassagne, a expliqué que des recherches sont en cours en Chine et aux Etats-Unis pour détecter très précocement ce cancer et bien d’autres, comme ceux du sein ou de la gorge, à partir d’une prise de sang. Ce test du futur, en cours d’évaluation et qui coûte la bagatelle de 940 dollars, permettrait de repérer l’ADN tumoral circulant. Mais on semble loin de l’objectif. « Il reste à prouver qu’il génère une réduction de la mortalité et que le coût est acceptable par la société« . En attendant, voici la solution : « De l’activité physique, une alimentation équilibrée, pas de tabac et un test FIT tous les 2 ans ! »
Pourtant, on ne dépasse pas 33% de participation au test en région Sud-Paca. Un crève-coeur. « C’est difficilement compréhensible car c’est gratuit et facile à réaliser« , insiste Barbara Prot, conseillère municipale de Nice déléguée à la santé. Par ailleurs présidente de SOS Cancer du sein, elle rappelle que le cancer est « une épreuve humaine, physique, psychologique et familiale. » Comme une bombe qui irradie largement. Voilà pourquoi le dépistage est si important. Car un cancer colorectal dépisté tôt guérit 9 fois sur 10.
Le calvaire de Balram
La bombe, Balram Dyal l’a vu exploser dans sa vie voilà 4 ans et demi. Elle a failli tout dévaster, et d’abord son corps. Cet ingénieur en informatique mauricien installé dans le Var a expliqué la sidération lorsqu’il a découvert ce cancer après avoir passé un test en octobre 2019. Son gastro-entérologue le rassure un peu, mais lui, qui est arrivé en France en 2017 après une carrière à l’international, ne maîtrise pas totalement les subtilités du français.
Il a bien reçu un premier courrier invitant au dépistage, et a laissé filer. Arrive un deuxième courrier. Il s’exécute alors et le ciel lui tombe sur la tête : « Quinze jours après, un médecin m’appelle de Toulon et me dit ‘on a trouvé du sang dans vos selles ». Direction le cabinet du gastro-entérologue. Il faut alors composer avec ce sentiment qui le submerge et qu’il appelle la honte. Honte de se déshabiller entièrement devant un docteur. Honte quand on lui fait un toucher rectal. Quatre jours plus tard, c’est la coloscopie. « Je me réveille, le médecin est là, il me dit que j’ai un cancer. J’ai peur. »
En janvier c’est la chimiothérapie, puis la radiothérapie. « Au bout de quelques jours j’étais épuisé, comme un zombie. » En avril 2020, en plein Covid, il est opéré. Il faut retirer la tumeur. « On m’a mis une poche (stomie) sur le ventre pour recueillir mes selles, ma vie a carrément changé« . Le patient évoque la douleur lancinante, le syndrome mains-pieds qui l’empêche de jouer de la guitare et du piano, de peindre. Il garde la stomie jusqu’en novembre. « Après j’allais à la selle jusqu’à 30 fois par jour, j’étais faible, toujours allongé, j’avais mal. Et ça a continué 2 ans ainsi. Puis j’ai appris à accepter ma maladie, à vivre avec. »
Il réorganise sa vie
Vivre avec, c’est organiser la moindre sortie pour être sûr de trouver des toilettes disponibles à tout instant. « Je ne peux pas avoir une vie normale. Pour participer à cette conférence, j’ai fait un régime pendant 48 heures afin de ne pas aller aux toilettes toutes les 30 minutes. »
Vivre avec, c’est aussi parler de sa maladie. A sa femme et à sa fille d’abord. Vivre avec, c’est être accepté par son entourage tel qu’il est désormais. C’est aussi la difficulté à travailler. « Je croyais que j’étais seul en France à traverser cette épreuve. Puis j’ai découvert le site de patients « Mon réseau cancer colorectal ». Et il y a finalement pas mal de gens comme moi ! Avec les autres, on cherche comment aller de l’avant en tant que patients et comment aider la recherche. » Désormais membre du réseau qui compte plus de mille personnes en France, Balram Dyal témoigne volontiers de son combat, comme ce soir de mars à Nice. Avec ce conseil : « N’attendez jamais pour vous faire dépister. »
Prochaine conférence publique et gratuite sur la prévention du cancer colorectal, organisée par MProvence : « Sauver 10 000 vies, peut-être la vôtre ! » mardi 19 mars à 18h à l’hôpital militaire Sainte-Anne, 2 Bd Sainte-Anne à Toulon. Venez poser vos questions aux médecins. Un buffet clôturera le débat. Inscription sur masanteprovence@gmail.com Renseignements : 06 33 78 35 79
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