90% des AVC sont évitables, voici comment

C'est l'accident médical que l'on redoute le plus parce que, bien souvent, il est fatal. 40 000 décès par an rien qu'en France ! Ou alors il laisse à sa victime de terribles séquelles. L'accident vasculaire cérébral frappe 150 000 Français chaque année. 1 personne sur 5 fera un AVC au cours de sa vie et c'est la 1re cause de mortalité chez la femme ! Mais on peut l'éviter grâce à son hygiène de vie et à la prévention de l'hypertension. Le professeur Laurent Suissa, chef de l'unité Neurovasculaire à l'hôpital de la Timone à Marseille (APHM), explique comment y parvenir et met en garde sur les conséquences du cannabis et de la pollution.

Santé

150 000 Français font un accident vasculaire cérébral chaque année. 25% en meurent. Nombreux sont encore les autres qui vivent avec des séquelles neurologiques terribles.

L’AVC survient généralement après 50 ans. Le tabagisme, la sédentarité, le mauvais cholestérol ou l’hypertension en sont des causes fréquentes, mais l’usage de cannabis et de cocaïne a rajeuni les victimes. A l’hôpital de la Timone (APHM), le Pr Laurent Suissa en a fait sa spécialité. Il détaille les moyens de le prévenir et il alerte sur les AIT, ces petites pertes de la vision ou du langage que nous négligeons et qui peuvent précéder un AVC massif.

Concrètement, expliquez-nous ce qu’est un accident vasculaire cérébral, et pourquoi est-ce si redoutable ?

Professeur Laurent Suissa : L’accident vasculaire cérébral, c’est la survenue brutale d’un déficit neurologique qui est lié soit à une occlusion d’une artère dans le cerveau – c’est la majorité des accidents vasculaires cérébraux -, soit à la rupture d’une artère cérébrale donnant une hémorragie intra cérébrale. C’est une maladie excessivement fréquente avec plus de 150 000 accidents vasculaires cérébraux par an. Ce qui revient à dire qu’une personne sur 5 aura un accident vasculaire cérébral dans sa vie.

La 1re cause de mortalité des femmes

Quand on fait une attaque cérébrale et qu’on n’en meurt pas, est-ce qu’on garde forcément des séquelles importantes ?

Pas forcément. L’accident vasculaire est à l’origine de séquelles neurologiques dans 1/3 des cas. Il y a tout un éventail de sévérité de l’accident vasculaire cérébral qui peut menacer à la fois le pronostic fonctionnel, et donc l’autonomie du malade, et qui peut menacer également le pronostic vital. Aujourd’hui, l’accident vasculaire cérébral est une des causes majeures de mortalité en France, la première cause chez la femme avant même le cancer du sein (12 100 décès annuels par cancer du sein, NDLR).

1 victime d’AVC sur 4 décède

Vous avez parlé de 150 000 AVC chaque année en France. Combien de personnes en décèdent ?

On peut considérer qu’à peu près 10% – selon des données épidémiologiques très récentes – vont décéder de l’accident vasculaire cérébral ischémique au cours de l’hospitalisation. La mortalité est bien plus élevée pour les AVC hémorragiques. Au total, la mortalité des personnes victimes d’AVC atteint 25%.

Ne négligez pas ces signaux d’alerte

Existe-t-il des signaux faibles qui préviennent du risque d’AVC ? À quels petits dysfonctionnements convient-il d’être attentif ?

Il n’y a pas authentiquement de signes précurseurs de l’accident vasculaire cérébral puisque les symptômes viennent quand l’artère se bouche ou se rompt dans le cerveau. Je crois qu’il faut être attentif à ce qu’on appelle, nous, l' »accident ischémique transitoire » ou autrement dit l’AIT. C’est un équivalent d’accident vasculaire cérébral par occlusion d’artères, mais dont la symptomatologie va durer moins d’une heure et qui est souvent banalisée. Elle est pourtant associée à un haut risque de faire un accident vasculaire cérébral dans les semaines qui suivent.

C’est par exemple une personne qui, tout à coup, se fige ?

Les signes révélateurs de l’accident vasculaire cérébral, c’est la perte de la motricité – que ce soit au niveau du visage, donnant une asymétrie de la face -, une perte de la force dans le bras ou dans la jambe, un trouble du langage, un trouble de la vue. Avec tous ces signes, s’ils perdurent dans le temps, on parlera d’accident vasculaire cérébral. S’ils durent moins d’une heure – ça peut être 10, 15 minutes – on parlera d’accidents ischémiques transitoires.

90% des AVC évitables à condition de corriger ces facteurs de risque

Existe il des terrains propices à l’AVC ? Je pense à l’hérédité, à la mauvaise circulation sanguine ou plus simplement à l’avancée en âge, évidemment. Ou bien l’AVC peut-il frapper n’importe qui, n’importe quand ?

L’accident vasculaire cérébral est une maladie qui n’est pas génétiquement déterminée, en tout cas pour la majorité, mais en lien avec des facteurs de risque de la maladie, qu’ils soient modifiables ou non modifiables. Et ce n’est pas pour rien aujourd’hui qu’on s’accorde à dire que 90% des accidents vasculaires cérébraux pourraient être évités en corrigeant les facteurs de risque de cette pathologie.

Hypertension, diabète, cholestérol, tabagisme, sédentarité : les ennemis des artères

Rappelez-nous lesquels.

Dans les facteurs de risque, on a en premier l’hypertension artérielle, le diabète, la dyslipidémie – le mauvais contrôle du cholestérol -, un mode de vie plutôt sédentaire, de mauvaises habitudes alimentaires. Et puis le tabagisme évidemment. Il y a d’autres facteurs de risque dont on commence à parler davantage, comme l’exposition à la pollution de l’air, les toxiques aussi qui se banalisent un petit peu dans notre société. C’est la consommation de drogue qu’on retrouve chez les plus jeunes et qui est probablement liée à une augmentation de l’incidence de la pathologie dans cette génération.

Le cannabis, facteur déclencheur d’AVC

On va aller plus loin. On va dire les choses. Vous avez parlé du tabagisme. On parle beaucoup de la consommation de cannabis en France. Est-ce que la consommation de cannabis peut favoriser la survenue d’un AVC ?

Oui, très clairement. On le sait maintenant grâce à des études scientifiques. On dit donc que le cannabis est un réel facteur de risque d’accident vasculaire cérébral, comme le tabac d’ailleurs.

La pollution de l’air favorise les AVC

Vous avez également évoqué la pollution atmosphérique. Est-ce qu’on a des données aujourd’hui qui attestent du fait que des gens qui vivent dans un milieu particulièrement pollué peuvent être plus fréquemment concernés par l’AVC ?

Oui, très clairement. On a maintenant des données épidémiologiques qui associent l’exposition à la pollution atmosphérique au risque d’accident vasculaire cérébral. Ce sont des données qui ont été publiées par l’Organisation mondiale de la Santé et qu’on retrouve maintenant dans notre littérature scientifique.

Est-ce que dans une grande ville comme Marseille, comme Paris ou Lyon, ou si on vit près d’installations industrielles, on est particulièrement concerné, on doit être particulièrement vigilant ?

C’est difficile de donner des conseils sur un facteur de risque qu’on ne maîtrise pas à l’échelon individuel. Mais très clairement le fait d’habiter dans des zones exposées à la pollution atmosphérique, comme on l’a très bien vu dans certaines villes d’Asie, expose à une augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral. Qu’il soit ischémique, lié à une occlusion d’artères, ou hémorragique.

Il vaut mieux vivre à la campagne ?

Très probablement.

Reprendre le contrôle éloigne le risque

Peut-on systématiquement prévenir l’AVC par des traitements ? Je pense aux anticoagulants…

Prévenir l’accident vasculaire cérébral, c’est avant tout – avant de parler de médicaments anticoagulants – corriger les facteurs de risque cardiovasculaires que je vous ai cités. Avant que l’accident vasculaire cérébral ne survienne, on n’est pas encore tout à fait au stade de prescrire des traitements anticoagulants ou antiagrégants.

Cela veut dire que si je fais attention à mon hygiène de vie, si j’évite les toxiques comme ceux dont vous avez parlé : tabac, alcool, cannabis, cocaïne, puisqu’il y a une consommation de cocaïne de plus en plus importante, notamment. Si je fais donc attention à cette hygiène de vie, je peux limiter mon risque de faire un AVC ?

C’est un message important. Les données épidémiologiques font ressortir qu’au moins 90% des accidents vasculaires cérébraux pourraient être évités par le bon contrôle des facteurs de risque aujourd’hui. Bien contrôler sa tension, bien contrôler son hygiène, arrêter de fumer, avoir une activité sportive sont les facteurs déterminants de l’accident vasculaire cérébral.

9 AVC sur 10 surviennent après 50 ans

Est-on  plus à risque de faire un AVC si on est très âgé ?

Oui, très clairement, même si l’accident vasculaire cérébral peut survenir à tout âge. 90% des accidents vasculaires cérébraux surviendront au-delà de 50 ans, et c’est une incidence qui augmente avec l’âge.

50 ans, c’est jeune ! J’ai cru que vous alliez me dire « au-delà de 80 ans ».

Au-delà de 80 ans, l’incidence est encore plus élevée qu’au delà de 50 ans. On a une médiane d’âge autour de 70 ans. Mais encore une fois, quel que soit l’âge peut survenir l’accident vasculaire cérébral.

Il peut survenir à un âge beaucoup plus jeune ?

Tout à fait. Alors avec des causes d’accident vasculaire qui seront très différentes de celles de la personne âgée. On a des jeunes patients victimes d’AVC.

Traitements: des progrès considérables depuis 10 ans

Quels sont les traitements efficaces quand survient une attaque cérébrale ?

Les traitements dits curatifs de l’accident vasculaire cérébral, notamment quand il y a une occlusion d’artères, sont appelés les traitements de recanalisation. Il y a eu de grandes révolutions dans ces traitements dans la dernière décennie, avec des traitements redoutablement efficaces quand l’accident vasculaire survient. Donc dans ces traitements de recanalisation, l’idée c’est de déboucher l’artère le plus rapidement possible. Soit par des traitements médicamenteux : on parle de thrombolyse cérébrale. Soit par des techniques radiologiques. Et là on parlera de thrombectomie. Nos collègues radiologues vont directement rechercher le caillot dans l’artère cérébrale.

Donc ce sont des progrès qui ne cessent de croître ces dernières années. Et aujourd’hui on peut considérer que le pronostic, grâce à ces traitements, s’est quand même totalement modifié par rapport à une dizaine, une vingtaine d’années.

Plus de 1 500 AVC traités à l’APHM

Combien prenez-vous en charge d’AVC, ici à l’hôpital de la Timone, sinon sur l’APHM ? 

Sur l’APHM, c’est au-delà de 1500 accidents vasculaires cérébraux par an. Il faut savoir qu’on n’est pas les seuls centres dans la région, mais ça reste des chiffres excessivement élevés.

Évidemment, c’est un service qui fonctionne 24 h sur 24, 7 jours sur 7, parce qu’il faut réagir très vite, n’est-ce pas ?

Complètement ! C’est un service qui fonctionne comme un service des urgences, mais dédié à l’accident vasculaire, donc avec une permanence de soins. Et il est ouvert en continu.

Chaque minute compte pour sauver le cerveau

Entre le moment où la personne fait un AVC et celui où elle doit être prise en charge avant qu’il ne soit trop tard, on dispose de combien de temps ?

Je dirais que chaque minute compte. Parce que chaque minute de retard de prise en charge, ce sont des milliers de neurones qui vont être détruits. Aujourd’hui, l’évolution de la médecine neurovasculaire fait qu’on peut traiter un patient jusqu’à 24 h du début des signes, selon un certain nombre de conditions. Mais il faut retenir que plus on agit tôt, plus on traite tôt, plus le pronostic sera meilleur. Donc ça, c’est un élément excessivement important : la rapidité de mise en œuvre du traitement.

Parfois, face à une personne qui fait un AVC, on ne pense pas forcément à l’AVC. On se dit que c’est peut-être un malaise, quelque chose comme ça… Mais il vaut mieux penser au pire ?

Ah je crois que c’est très clair ! Dès la survenue des symptômes déficitaires, donc de la motricité, de la vue, du langage, et y compris en cas de doute, l’urgence est de composer le 15. C’est la meilleure façon de rentrer dans la filière de soins le plus rapidement possible et la filière la plus adaptée. Et donc là je crois qu’il vaut mieux appeler par défaut que ne pas appeler du tout. Parce que, encore une fois, c’est le pronostic qui va se jouer si on tarde à traiter le patient.

Si mon voisin a un AVC : ce que je dois faire

Si je me retrouve face à une personne qui fait un AVC, une fois que j’ai composé le 15, qu’est-ce que je peux faire, à part une prière ?

Pas de choses particulières. Vous avez déjà tout fait une fois que vous avez appelé le 15 et que les secours vont arriver. L’idée c’est d’allonger la personne. C’est peut-être la seule chose qu’on peut réellement faire. Si vous êtes face à une personne qui fait un accident vasculaire, on peut essayer de récupérer un certain nombre d’informations qu’on va vous demander lors de la prise en charge médicale, notamment les traitements du patient, l’historique médical du patient, quand sont survenus de manière très précise les symptômes, l’installation des symptômes… Tous ces éléments seront des éléments très précieux. L’équipe médicale qui prendra en charge en aura besoin pour décider de la stratégie thérapeutique.

Quand les secours interviennent, que le SAMU est envoyé sur une suspicion d’AVC et que c’est bien un AVC, est-ce que l’équipe intervient directement au domicile ? Ou est-ce qu’il faut ramener le patient dans une structure hospitalière pour pouvoir essayer un acte pour lui déboucher l’artère ?

Il n’y a aucune intervention médicale au lit du malade en préhospitalier puisque, à la différence de l’infarctus du myocarde, on ne pourra décider des traitements à réaliser qu’une fois qu’on aura fait une imagerie cérébrale, notamment une IRM cérébrale. Toute la logique, c’est de transférer le patient dans l’unité neurovasculaire où il aura une expertise neurologique, une imagerie cérébrale. A partir de ce moment-là, on pourra décider du meilleur traitement à lui proposer.

Venez interroger le Pr Suissa ce 21 janvier à Marseille

Le professeur Laurent Suissa répondra aux questions des lecteurs de MProvence lors de la conférence « Attaque cérébrale, infarctus, artérite : les soigner et les éviter », mardi 21 janvier à 17h30. Rendez-vous amphithéâtre Gastaut, Aix-Marseille Université, jardin du Pharo Emile-Duclaux, 58 boulevard Charles Livon, 13007 Marseille. Entrée libre. Parking Q-Park face au jardin.

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