C’est le chantier herculéen de Aix-Marseille Provence. Les transports ? Une obsession. Un gros mot. Un grand corps malade. L’ennemi public numéro 1. Le décloisonnement du territoire a été érigé, tel un article dans une Déclaration, en priorité de toutes les priorités. Pourtant, le chantier ne va pas vraiment de soi…
La formule, parfaitement rodée, tient une bonne place dans toutes les conférences de presse. On pourrait même dire qu’elle feuilletonne. L’interlocuteur change au gré des séquences. La citation varie selon les personnalités. Avec plus ou moins de supplément de sens. Mais la fertilité du point de vue ne se dément pas.
« Il faut cibler, parmi les projets, ceux qui pourraient être les plus rapides à mettre en œuvre » (Martine Vassal, présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, lors de l’annonce d’un apport de quelque 300 M€ d’ici 2020 pour améliorer la « mobilité des Provençaux »).
« Il s’agit désormais d’affiner : voir ce qui est plus urgent, moins coûteux, plus faisable rapidement » (Jean-Pierre Serrus, le vice-président en charge des dossiers de la mobilité et des transports à la Métropole).
Le fond du message n’abuse pas celui qui tend l’oreille si tant est que cela lui avait échappé jusqu’à présent : les réalisations prévues dans l’ « Agenda de la Mobilité », un document voté en Conseil métropolitain fin 2016 établissant un programme d’investissements de plusieurs milliards d’euros sur 15 ans pour sortir de la clochardisation les transports de la métropole Aix-Marseille Provence, reste subordonnées à un financement grippé de l’État, auquel est régulièrement rappelé ses promesses jamais concrétisées. Parfois, l’amnésie est un moteur de la politique. En l’occurrence, elle contraint les élus à jouer les forçats de la négociation.
En attendant une loi …
« Le pouvoir politique a changé : trois Premiers ministres ont tenu des engagements à notre égard sous la mandature d’un autre président. Aujourd’hui, nous avons un nouveau président, un nouveau Premier ministre, un nouveau gouvernement. On doit négocier désormais avec ces nouveaux interlocuteurs », dilue Jean-Pierre Serrus, au talent d’acrobate pour justifier l’impression de surplace et l’absence de « continuité républicaine » chère à Jean-Claude Gaudin, son président.
Quoi qu’il en soit, le financement et l’échéancier des réalisations sont désormais tributaires de la future loi d’orientation sur les mobilités (LOM), dont le calendrier a été mis à mal par la réforme de la SNCF. Le projet de loi, qui devait être présenté au conseil des ministres ce mois d’avril, a donc glissé et son examen au parlement est évoqué pour septembre.
Le texte reste attendu (avec anxiété) par les élus locaux car il doit notamment fixer les priorités d’investissements dans les infrastructures dans les 10 années à venir, avec un cadrage budgétaire clair et des financements associés.
« Ici se joue une part du PIB de la France,l’ouverture sur l’Europe par le sud, la puissance économique de la France sur le bassin méditerranéen, les échanges avec l’Afrique »
L’homme des transports métropolitains ne cache pas que « la problématique actuelle est bien de trouver les financements ». Mais « lorsque les 240 élus ont voté l’Agenda de la Mobilité, tous étaient conscients que cette question serait centrale. Pour réaliser les réalisations prioritaires prévues dans ce document, il s’agit pas moins de passer de quelque 100 M€ d’investissements par an (niveau cumulé investi en moyenne ces 10 années précédentes par les ex-collectivités qui se sont regroupés au sein de la Métropole, ndlr) à une échelle de 300 à 400 M€ par an », explique Jean-Pierre Serrus, qui ne prévoit pas pour autant de sortie de route : « On ne réussira que si tous assument leurs engagements, réalisent l’urgence de la situation et soient conscients des enjeux : ici se joue une part du PIB de la France, l’ouverture sur l’Europe par le sud, la puissance économique de la France sur le bassin méditerranéen, les échanges avec l’Afrique », ose l’élu ex-LR qui a rejoint En Marche en janvier dernier.
Si le tour de table est bouclé pour 2018 (« on aura investi entre 80 et 110 M€ d’ici la fin de l’année »), il ne l’est pas pour 2019 (les besoins sont estimés entre 260 et 310 M€). Au-delà ? « D’ici à 2020, ce sont 623 M€ qui vont être dépensés sur un montant à engager de l’ordre de 2 Md€. On cherche encore 260 M€ ».
Le magasin reste ouvert
Contrainte par le pacte fiscal financier qui la lie aux 92 maires (qui impose des reversements aux communes à hauteur de 56 % de ses dépenses), par une dette de 1,9 Md€ (un indicateur plus pertinent est sa capacité de désendettement : en combien d’années elle rembourse sa dette si elle utilise son épargne brute) et des investissements engagés pour quelque 500 M€ hérités des anciennes communautés de communes, la Métropole est à la diète.
« Mais le magasin reste ouvert, tempéte Jean-Pierre Serrus. J’entends l’impatience des usagers mais nous ne faisons pas rien. Tous les jours, les choses bougent, nous lançons les études, les chantiers, les opérations sur les lignes express, les bus en BHNS ou la connexion avec les zones d’activité. Nous sommes dans le timing de notre programme ».
Et de citer Marseille-Aubagne en voie dédiée ou les travaux en cours sur l’Aixpress, le futur bus à haut niveau de service (BHNS) du Pays d’Aix qui sera une des lignes (de 7,2 km) du futur réseau premium métropolitain. Un investissement de 99,2 M€.
Jean-Pierre Serrus se plait aussi à mentionner le pass transport, utilisable en illimité sur l’ensemble des réseaux urbains des transports en commun (incluant l’utilisation des vélos en libre en service mais aussi sur les TER grâce à un accord avec la Région) à un tarif de 73 euros. Il faut dire que repenser l’organisation des autorités organisatrices au-delà des frontières administratives n’avait jamais été possible ces 30 dernières années.
Une métropole qui ne ressemble à aucune autre
Si la mobilité est l’un des enjeux majeurs auxquels toutes les cités doivent faire face (cf. Mobilité : tout un modèle à réinventer), le cloisonnement du territoire est une des problématiques – si ce n’est LA problématique – « que la métropole Aix-Marseille Provence (consacrée autorité organisatrice unique de la mobilité sur son territoire depuis le 1er janvier 2017 par la loi Maptam) doit résoudre en priorité », défend partout où il se « produit » Jean-Pierre Serrus, par ailleurs maire de La Roque d’Antheron.
Pour preuve le susnommé « Agenda Mobilité » fut le premier acte fort de la nouvelle institution. Telle l’article d’une Déclaration, il stipulait que « chaque individu doit pouvoir se déplacer facilement, dans des conditions de temps, de prix et de confort acceptable, être à une heure maximum de l’ensemble des services urbain, dans une logique porte-à-porte ».
Ici, les transports sont une obsession autant qu’un « gros mot » pour les métropolitains qui subissent au quotidien infrastructures saturées et insuffisance de l’offre de transports publics. Au sein de cette métropole, qui ne ressemble à aucune autre par son étendue (6 fois supérieure à celle du Grand Lyon, 4 fois celle du Grand Paris), sa multipolarité (loin du schéma classique ville-centre/périphérie), « ses « poumons de respiration » (tels les massifs de la Sainte-Victoire ou de la Sainte-Baume), qu’il faut néanmoins contourner, la voiture reste majoritairement le mode de transport domicile/travail. Pas moins de 6,5 millions de déplacements réalisés chaque jour par les habitants de la métropole. Et faute d’offre alternative vraiment attractive, ils sont à 94 % réalisés en voiture.
Le plan du réseau de transport urbain à horizon 2025
Pourtant, ici plus qu’ailleurs peut-être, mobilité et économie devraient aller de pair : le manque de desserte efficace de certaines zones d’activité ou le manque de coordination et anticipation des besoins sont rendus responsables d’entraver le développement économique et de fabriquer des inégalités dans l’accès aux ressources, et notamment l’emploi (cf.Transport et emploi, l’infernale problématique)
Le futur réseau de transports urbains, tel qu’esquissé dans la feuille de route validée par les élus métropolitains, repose principalement sur un réseau MétroExpress, un mix de bus, tram et trains (cf. plus bas), tout en ancrant des solutions hybrides (s’il faut continuer à rouler en voiture, autant que cela soit en favorisant l’électrique ou l’hydrogène par exemple) et multimodales (connecter des services comme l’autopartage ou le covoiturage aux systèmes de transports plus classiques).
Il faut sauver les transports
Appelé à grands renforts au chevet de ce grand corps malade que sont les transports et la mobilité dans cette métropole, en contrepoids de l’État défaillant, le Département, seule collectivité vraiment « riche » de ce territoire, s’est engagé (de façon inédite) à hauteur de 300 M€ d’ici 2020 pour améliorer la « mobilité des Provençaux », en abondant (souvent pour un tiers) au financement des projets fléchés par l’Agenda notamment sur les interactions rail-route. Une dizaine de projets sont concernés, parmi lesquels la création de pôles multimodaux à La Ciotat, Rognac, Velaux…mais aussi et surtout celui de la gare de Vitrolles-Aéroport-Marseille-Provence (VAMP), qui assure depuis 2008 la desserte ferroviaire directe de l’aéroport, de la ville et des zones d’activités des alentours.
Le département doit également financer des lignes BHNS dont une ligne Chronobus entre le centre-ville d’Aubagne et la zone des Paluds (un projet entre 24 et 26 M€, mise en circulation fin 2021), l’extension du parking relais de la gare d’Aubagne dont le taux d’occupation serait de 100 %.
La Région a en outre promis 120 M€ à la Métropole dans le cadre du Contrat régional d’équilibre territorial (Cret), qui permet de réserver une aide financière spécifique. Dans cette enveloppe, quelque 43 M€ « seront consacrés à la réalisation de lignes de tramway, de BHNS, de parcs relais, de pôles d’échanges multimodaux ou de pistes cyclables à Aix-en-Provence, Martigues, Salons, Sénas, Lamanon ou Trets » proclame la collectivité dans des encarts publicitaires parus dans La Provence.
Pour rappel aussi, l’État abonde via le Contrat de plan État-Région 2015-2020. Les éléments les plus visibles de cette contribution restent les voies dédiées sur autoroutes que ses services déconcentrés (Dreal) ont initiées en 2015 par l’autoroute A51 au niveau de l’échangeur de Plan de Campagne, dans le sens Aix-Marseille. Ce concept, qui aurait la vertu d’améliorer la situation des transports, dans des délais assez rapides et moyennant un investissement financier relativement faible, doit concerner bien d’autres voies d’ici à 2020 en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Au titre du CPER, 30 M€ sont fléchés, l’État, la région, le département, et la métropole apportant leur écot, chacun à hauteur de 25 %. Sont régulièrement évoqués des couloirs entre Aubagne et Marseille sur l’A50, Vitrolles et Marseille sur l’A7 et A55, avec un horizon à 2019, mais aussi l’extension de l’actuelle section réservée sur l’autoroute Aix-Marseille et d’autres sur l’A51 (qui sur son tronçon Sud relie le Nord de Marseille à Aix-en-Provence et à l’échangeur de la Saulce de Gap).
Le sujet reste très politique
Pour l’heure, les choses restent aussi suspendues aux attendus de la mission inter-inspections que la ministre des Transports Élisabeth Borne a diligentée l’été dernier afin d’évaluer le bien-fondé de la stratégie métropolitaine en la matière et de fixer des orientations pour sa gouvernance et son financement. Le sujet reste très politique dans le sens où le plan de transports a inéluctablement intégré la susceptibilité des élus à l’endroit de la ville-centre dans la répartition de ses investissements. De là à dire que ces derniers ne reposent pas tous sur des critères coûts/bénéfices … Les conclusions ont été rendues et elles figurent dans un rapport de 70 pages et de 220 pages d’annexes, porté à la connaissance des services de la Métropole mais dont on ne saura rien. Sollicité à plusieurs reprises par nos soins, le secrétariat du cabinet d’Élisabeth Borne n’a jamais donné suite.
« On a rencontré les inspecteurs il y a une quinzaine de jours, à l’initiative du préfet et sur demande du président de la Métropole Jean-Claude Gaudin. On en connaît les termes et l’on travaille sur ces bases-là avec les services déconcentrés de l’État », explique habile Jean-Pierre Serrus, non « habilité à communiquer » mais précisant : « rien ne nous laisse penser que les choses seront revues ».
Le tour de vis budgétaire d’inspiration comptable ne laisse pas non plus de doute sur les arbitrages qui seront nécessaires pour s’adapter à la nouvelle feuille de route gouvernementale sanctifiant le transport du quotidien.
Un brouillon ? Non, un document non opposable …
Le Val tram, projet de tramway sur une ancienne voie ferroviaire entre Aubagne et La Bouilladisse, est emblématique de la confusion qui règne. Inscrit dans l’agenda de la mobilité comme une de ses lignes « premium », son abandon est quasiment acté. Sans doute le rapport inter-inspections n’aurait pas (n’a pas ?) manqué de questionner la pertinence d’un ouvrage évalué à 147 M€ pour réaliser 14 km et transporter 7 000 personnes par jour.
Sans doute aussi certains élus grinceront-ils de voir disparaître certains projets voire d’en voir apparaître d’autres. Stéphane Mari (LREM) s’est déjà fendu d’une petite phrase : « On a voté cet Agenda de la Mobilité à l’unanimité et on s’aperçoit que c’était un brouillon ».
« L’Agenda de la Mobilité a précisément deux vertus, défend Jean-Pierre Serrus, autre marcheur : une planification sur plusieurs années avec la souplesse pour l’amender si besoin car ce n’est pas un document opposable. Il a été élaboré dans cette logique d’adaptation et de pragmatisme ».
— Adeline Descamps —
Cet article fait partie d’une enquête en trois volets
[Enquête 1/3] La mobilité, horizon indépassable de la Aix-Marseille Provence ?
[Enquête 2/3] Transport et emploi, l’infernale problématique
[Enquête 3/3] Mobilité : tout un modèle à réinventer
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A quoi ressemblera le futur réseau de transports urbains ?
La mise en service sera progressive avec une quinzaine de lignes de bus, connectées à des pôles d’échange et plusieurs lignes TER (Marseille-Aubagne et Marseille-Vitrolles-Miramas) qui, après aménagements ferrés, pourront offrir un service « premium ». Parallèlement, des projets routiers (contournement de Martigues et Port-de-Bouc, le Boulevard Urbain Sud à Marseille) offriront de nouvelles possibilités de desserte en transport en commun.
La période 2020-2025 sera principalement consacrée à prolonger le tramway pour atteindre près de 35 km (15 km actuellement). Les extensions se feront vers le nord (Euromed 2 puis Saint-Exupéry et une nouvelle gare à Saint-André), le sud (Parc Chanot, stade Vélodrome et Hôpitaux Sud), ainsi que l’ouest vers Les Catalans. Le métro devrait également bénéficier du renouvellement et de l’automatisation de ses rames.
Après 2025, l’agenda retient trois projets : une extension du métro, de Dromel vers Saint-Loup et, à plus long terme, La Valentine ; le prolongement du métro à Château-Gombert ; la création d’une 3e ligne de métro pour les secteurs difficiles à desservir en tramway : Belle-de-Mai, le Merlan, Endoume ou Bonneveine. Le réseau de métro aura alors doublé.
En 2030, « la traversée souterraine de Marseille, la gare souterraine de Saint-Charles, la quatrième voie dans la Vallée de l’Huveaune et l’entrée nord de Marseille permettront enfin de développer fortement le TER. Ces infrastructures seront réalisées à l’occasion de la priorité 1 de la Ligne Nouvelle PCA, en 2030. Un nouvel axe ferroviaire régional rapide se structure aussi, entre Toulon – Aubagne – Saint-Charles – Vi- trolles–Miramas–Arles–Nîmes. Il vient s’ajouter à l’axe TGV, entre le Var et Aix-TGV, Avignon et Valence ».
Au total, la totalité des projets nécessitera un investissement de quelque 10 Md€ d’ici à 2035, dont 3,5 Md€ pour les projets envisagés à horizon 2025 et 6 Md€ pour 2030.
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