La seule évocation du pancréas fait trembler le commun des mortels. A quoi sert cet organe ?
Docteur Régis Fara : Il est situé en arrière de l’estomac, à la portion initiale de l’intestin, dans le creux épigastrique. Il est traversé par la terminaison du conduit biliaire qui relie le foie à l’intestin. C’est une glande, qui a une fonction exocrine, qui permet la digestion des protéines par la fabrication d’une enzyme, la lipase. Il a également une fonction endocrine dans la régulation de la glycémie par la fabrication des hormones que sont l’insuline et le glucagon notamment.
La surconsommation d’alcool fait des ravages
C’est donc un organe vital, on ne peut pas vivre sans pancréas ?
On peut vivre sans pancréas en compensant ses deux fonctions : la fonction exocrine par la prise d’enzymes pancréatiques de synthèse. La fonction endocrine doit être compensée par l’apport d’insuline pour la régulation de la glycémie. Le diabète pancréatoprive (sans pancréas) est un diabète difficile à réguler. Il peut survenir chez de jeunes patients atteints de maladie auto-immune qui développent un diabète de type 1 par autodestruction du pancréas. On peut rencontrer ce type de diabète chez des patients opérés, lorsque la chirurgie supprime la totalité de la glande pancréatique.
Quelles sont les pathologies qui lui sont associées ?
En dehors des atteintes cancéreuses, on peut distinguer 3 formes d’atteintes pancréatiques.
1- les pancréatites aiguës qui sont une inflammation brutale de la glande, le plus souvent due à une consommation excessive et aiguë d’alcool. Mais pas exclusivement. Cela peut survenir à la suite de la migration de cailloux biliaires qui vont descendre de la vésicule biliaire et venir obstruer le canal biliaire et le canal pancréatique. Il existe d’autres causes moins fréquentes comme le stress organique, les traumatismes, des malformations. Les enzymes pancréatiques vont s’activer dans la glande et « auto-digérer » le pancréas. L’évolution est le plus souvent favorable avec une guérison totale. Mais dans certains cas, des inflammations dégénèrent et peuvent entraîner des nécroses, des abcès et infections sévères. Il faut attendre que ça passe, car la glande est tellement inflammée que, si on intervenait, ce serait comme si on jetait du kérozène sur un feu !
2- La pancréatite chronique est une destruction fibreuse, irréversible du pancréas. Elle est le plus souvent liée à une consommation alcoolique importante et chronique. On peut l’assimiler à une forme de cirrhose pancréatique. Il y a d’autres causes, des maladies familiales. Les patients deviennent insuffisants pancréatiques et vont développer un diabète. Le diabète augmente le risque de développer un cancer du pancréas.
3- Les anomalies anatomiques avec les tumeurs pancréatiques non cancéreuses. Il y a des formes kystiques qui sont les plus fréquentes, dont certaines exposent à un risque néoplasique, d’où l’intérêt de les identifier.
Age moyen de survenue : 70 ans
On entend de plus en plus parler de cancer du pancréas, c’est souvent un diagnostic qui apparaît de manière effroyable. Observez-vous une augmentation des cas et vers quel âge survient-il ?
C’est l’un des rares cancers dont l’incidence est en augmentation permanente. Son incidence devrait quasiment doubler dans les vingt prochaines années dans le monde. On recense 460.000 cas dans le monde en 2018 pour dépasser les 810.000 cas en 2040. En France, l’incidence a doublé ces dernières décennies avec plus de 14.000 nouveaux cas recensés en 2020. La progression est plus marquée chez les femmes (+3,8% par an) que chez les hommes (+2,7%). La mortalité du cancer du pancréas devrait ainsi dépasser celle du cancer du sein et devenir la 2e cause de décès par cancer (chez la femme).
En connaît-on les raisons ?
La population vieillit. Et les femmes consomment plus de tabac et d’alcool, rattrapant la différence avec les hommes. Ensuite, on a des moyens de dépistage beaucoup plus efficients. Parmi les facteurs reconnus dans le développement du cancer du pancréas, le tabac est en première position. Ce cancer survient exceptionnellement avant 50 ans. Dans les 3/4 des cas, c’est après 65 ans, et plus fréquemment chez l’homme à 53% autour de 70 ans. Chez la femme, c’est autour de l’âge de 73 ans.
Espérance de vie réduite
Pourquoi dit-on que c’est l’un des cancers les plus redoutables?
Parce qu’il y a une difficulté à le mettre en évidence. Il y a un retard de diagnostic qui péjore la prise en charge. Le cancer du pancréas est le plus souvent diagnostiqué à un stade avancé. Seuls 10 à 15% des patients ont un stade potentiellement curable au moment du diagnostic. C’est une maladie à fort tropisme métastatique, qui très souvent engendre une évolution en dehors de la glande elle-même, qui la rend inaccessible à un traitement curatif, une guérison.
Le traitement repose sur de la chimiothérapie exclusive, qui n’a plus pour objectif de guérir le patient mais simplement de ralentir la progression tumorale. Malgré les progrès majeurs dans les traitements et des résultats dans la plupart des maladies néoplasiques, cancéreuses, le cancer du pancréas conserve des taux de survie extrêmement bas, quasiment identiques à ceux des années 70. On recherche des angles d’attaque différents aujourd’hui. Traiter cette maladie avec un seul traitement, c’est empirique et on voit qu’on a des résultats qui ne sont pas bons. A la différence d’autres cancers où on a vraiment progressé.
Quel est le taux de survie à 5 ans ?
Si on prend tous stades confondus, il stagne autour de 8%. Les 10 à 15% de patients pris en charge à un stade où l’on peut leur proposer un traitement complet, peuvent – lorsqu’ils sont opérés et qu’ils ont de la chimiothérapie, qui sont les deux socles du traitement – obtenir une survie de l’ordre de 20% à 5 ans.
Jaunisse et aggravation récente du diabète doivent alerter
Des symptômes doivent-ils alerter le patient et son médecin traitant ?
Oui et non. Le pancréas est situé en arrière des viscères et assez profondément enfoui. Du coup son développement tumoral engendre peu de signes cliniques avant qu’il ne soit déjà à un stade avancé. Ce qui explique les découvertes tardives. Lorsqu’une tumeur se développe dans la tête du pancréas, dans sa portion terminale, qui est au contact de l’intestin et traversé par la voie biliaire, il peut survenir un ictère nu, une jaunisse, avec une coloration brune des urines, une décoloration des selles, une jaunisse sans fièvre ni douleur. C’est peut-être le seul signe clinique qui peut faire découvrir précocement un cancer du pancréas. Heureusement il n’y a pas que des cancers du pancréas quand on a une jaunisse !
Nous communiquons beaucoup auprès des médecins généralistes sur le fait que la découverte récente d’un diabète – ou l’aggravation récente d’un diabète -, cela doit être révélateur d’une souffrance pancréatique et peut faire découvrir une tumeur tissulaire. Cela doit alerter le médecin traitant et motiver une imagerie pancréatique, idéalement la réalisation d’un scanner. Pour résumer, un patient de 50 ans développant un ictère nu dans un contexte d’altération de l’état général, qui perd du poids, qui n’a plus faim, ou bien chez lequel on découvre brutalement un diabète, ça doit vraiment éveiller les soupçons et motiver les explorations à la recherche d’un cancer du pancréas. Les douleurs abdominales surviennent le plus souvent très tardivement, trop tardivement malheureusement…
Fatigue, perte d’appétit et de poids
La perte de poids brutale doit donc alerter ?
On parle de triade diagnostique dans les cancers. Ce sont les 3 A : Asthénie, Anorexie, Amaigrissement. Dès lors que vous êtes fatigué, que vous n’avez plus faim et que vous maigrissez, ce sont des signes de catabolisme. Vous épuisez vos ressources et dans ce contexte là, tous les cancers, pas que celui du pancréas, engendrent une hyper consommation d’énergie et du coup fragilisent l’état du patient, le font maigrir en puisant dans les réserves musculaires. Pour autant, on ne compense pas avec l’alimentation.
Chaque semaine perdue, la maladie accélère
Vous avez créé un service « Urgences Pancréas » à l’Hôpital Européen. Comment se passe la prise en charge du patient ?
Le diagnostic et le traitement font appel à plusieurs spécialités médicales. Le parcours moyen d’un patient chez lequel on découvre un cancer du pancréas est de l’ordre de 3 mois, pour arriver à réunir les différents examens, les coordonner, et ensuite poser le diagnostic. 3 mois ! En sachant qu’il y a une perte de chance qui est évaluée à 2,4% par semaine de retard de prise en charge. Nous avons la chance de disposer, à l’Hôpital Européen, de l’ensemble des spécialités médicales qui interviennent dans le parcours diagnostique et thérapeutique du cancer du pancréas. On a tout sur place !
On s’est dit qu’on pouvait espérer obtenir une amélioration sur ce délai et une prise en charge accélérée, et coordonnée de toutes les spécialités nécessaires dans ce parcours. L’idée est de placer chaque spécialité autour du parcours du patient, et pas l’inverse, ce qu’on fait habituellement. Le patient ne peut pas à lui seul réaliser un parcours exhaustif et complet. C’est déjà suffisamment compliqué pour nous spécialistes de le faire ! Le patient est perdu dans ce genre de prise en charge. Ce qui engendre la répétition d’examens qui sont faits sur des centres différents, qu’il faut récupérer, comparer, et ils ne sont pas toujours bien faits… C’est malheureusement ça qui explique le retard de prise en charge de la plupart des patients.
« On a gagné 10 semaines »
Pour qu’il n’y ait pas de retard, il faut que le patient puisse avoir accès immédiatement à la consultation avec l’oncologue, le chirurgien, l’anesthésiste, les endoscopistes, tous les examens, d’imagerie, d’anatomopathologie. On a imaginé dans nos plannings des plages de consultation exclusivement dédiées à ces patients. Une matinée par semaine, je ne vois que des patients inscrits d’une semaine sur l’autre dans le plan « Urgences Pancréas ».
En combien de jours arrivez-vous à organiser cette prise en charge ?
On a fixé un objectif : arriver en 15 jours à concentrer tous les examens dont on avait besoin, établir un diagnostic et décider une prise en charge thérapeutique. On passe d’un délai moyen de 12 semaines à 2 semaines. Ce plan a été mis en place en 2019. Il y a 30 gastro-entérologues, 3 radiologues digestifs, 6 oncologues digestifs, 2 chirurgiens spécialistes, des infirmières et des secrétaires coordinatrices qui organisent le parcours le plus fluide pour le patient, qui peut rentrer soit par lui-même, soit par son médecin généraliste, soit adressé par d’autres confrères. C’est assez libre.
Urgences Pancréas a triplé le nombre de patients
Avez-vous constaté, grâce à la rapidité de cette prise en charge, un gain en termes de bienfaits thérapeutiques, voire de survie?
L’organisation telle qu’on l’a conçue marche redoutablement bien. On réduit de six fois la durée du parcours avant la prise en charge thérapeutique. Mais ce cancer souffre d’un manque d’innovations dans les thérapeutiques. La chirurgie n’a pas beaucoup évolué hormis les techniques de voie d’abord, mais ce sont les mêmes gestes, lourds, mutilants et à risque. Malgré les évolutions des chimiothérapies, nous ne sommes pas capables d’identifier des profils de maladie sensibles spécifiquement à certaines chimiothérapies. Nous traitons empiriquement le cancer du pancréas avec des protocoles de chimiothérapie qui donnent les meilleurs résultats en termes d’efficacité aujourd’hui, efficacité qui reste limitée. N’ayant pas de maîtrise sur le traitement par chimiothérapie, le seul élément sur lequel nous pouvons agir efficacement est la réduction du délai de prise en charge; la perte de chance est estimée à 2,4% par semaine de retard pour la prise en charge du cancer du pancréas.
En diminuant de six fois ce délai, on est acteurs. Le gain potentiel est celui de la rapidité de la prise en charge et de ne pas laisser une maladie, dont on connaît le mauvais pronostic et la rapidité d’évolution, évoluer par elle-même pendant des mois avant qu’on puisse démarrer un traitement. On a démarré en 2019 avec un patient inclus par semaine dans le Plan Urgences Pancréas, aujourd’hui on est à 3 patients par semaine.
20 cigarettes par jour : le risque augmente de 62%!
Peut-on prévenir l’apparition de ce cancer par son mode de vie ?
On peut aider à prévenir l’apparition du cancer. Il y a des choses simples : zéro tabac. Les cancers du tabac, il y en a un paquet : les poumons, la gorge, l’appareil urinaire. C’est une catastrophe. Le tabagisme est un facteur avéré indépendant du cancer du pancréas. Pour 1 cigarette par jour, vous avez un risque qui augmente de 2%. A 20 cigarettes par jour, le risque augmente de 62%. Au-delà de dix ans de tabagisme, l’augmentation du risque de développer un cancer du pancréas est de 16%. Le tabac, c’est une cochonnerie !
Le surpoids et l’obésité ont également été identifiés comme des facteurs de risque indépendants du cancer du pancréas. Il existe des formes héréditaires vraiment minoritaires. Cependant, avec des antécédents familiaux de cancer du pancréas, vous avez un risque augmenté de 9 fois de développer un tel cancer. Ce qui suggère qu’il existe d’autres prédispositions génétiques qui ne sont pas identifiées aujourd’hui.
La diabète de type 1 et celui de type 2 sont des facteurs de risque.
Mollo sur la bière et les spiritueux !
Le rôle de l’alcool n’est pas encore complétement établi. Les dernières études tendent à identifier la surconsommation alcoolique comme un facteur de risque, quelle que soit la période de vie. Il concernerait plus spécifiquement la bière et les spiritueux. Concernant le rôle de la viande rouge (NDLR : elle est par exemple incriminée dans le cancer colorectal, il est conseillé de ne pas dépasser 500g par semaine), il n’y a aucun lien. Idem pour le café. Une seule étude a montré un lien entre les pesticides et le cancer du pancréas, mais il doit être confirmé.
Légumes verts et fruits rouges sont protecteurs
Pour terminer sur une note positive, l’alimentation riche en folates – qui est un élément qui joue un rôle particulier dans la réparation et la synthèse de l’ADN – est un facteur protecteur. Donc les légumes verts : épinards, brocolis, cresson, mâche, oseille, avocat, courgettes, haricots, petit pois… et les fruits rouges – fraises, framboises, cerises – sont les plus riches en folates. Il est recommandé d’en consommer un à chaque repas.
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