Plus d’1 adulte sur 2 déclare des douleurs du dos ou du membre supérieur, qui sont liées à ce qu’on appelle les troubles musculo-squelettiques, les fameux TMS. Passés 50 ans, on a même l’impression que notre corps se déglingue complètement. Quels sont donc les TMS que vous observez le plus fréquemment ?
Docteur Hervé Collado : Les TMS – ou troubles musculo-squelettiques – ce sont toutes les pathologies qui tournent autour des articulations. Donc muscles, tendons, articulations, os, etcetera. Ils sont liés souvent à l’activité professionnelle. Aujourd’hui le plus atteint est plutôt le membre supérieur. Donc ça va être les épaules, les tendinites du coude, du poignet, certains problèmes neurologiques au niveau du poignet – on y reviendra avec le canal carpien – et puis surtout, maintenant, les lombalgies, les problèmes rachidiens, les problèmes de dos.
Après, on voit un peu moins de pathologies des membres inférieures, comme les genoux. Ce sont par exemple les carreleurs, des choses comme ça. Le plus fréquemment ce sont des pathologies du haut du corps.
Nos tendons ne peuvent résister à ce qu’on leur demande !
On dit que leur cause est souvent d’ordre professionnel. A quoi ces TMS sont-ils dus ? Est-ce que c’est effectivement induit par de mauvaises postures, des gestes répétitifs ?
Oui. En gros, c’est l’inadéquation entre ce qu’on demande au corps et la capacité du corps à résister. C’est-à-dire que ça va être des mouvements répétitifs qui ne sont pas faits pour être faits ! Cela va être des mauvaises postures et le corps n’est pas préparé à ça. En premier lieu c’est la tendinite : les tendons ne sont pas suffisamment costauds pour résister à des mécaniques. Le dos aussi par exemple. On a des professions de plus en plus statiques, assises.
On a mal à cause du… repos forcé !
Est-ce qu’en 20 ans d’exercice vous avez constaté une augmentation des troubles musculo-squelettiques ? Si oui, quels sont-ils, et pour quelles raisons ?
C’est assez ambivalent mais je m’explique. En gros, on parle de troubles musculo-squelettiques liés à à l’effort. Mais en fait, maintenant, ces troubles musculo-squelettiques sont plus liés au repos forcé. On est devenu de plus en plus sédentaires et le fait d’être par exemple assis toute la journée sur une chaise, qui n’est pas forcément bien faite, va entraîner des lombalgies. Donc c’est plutôt l’absence d’activité physique et sportive qui entraîne des douleurs au niveau du dos. Vous voyez un peu le serpent qui se mord la queue ! Les lombalgies, pour des patients qui sont toute la journée assis, c’est quelque chose de douloureux.
La souris provoque des tendinites du coude
Après, il y a des choses qu’on voit beaucoup aussi maintenant parce qu’on utilise tous des ordinateurs avec la souris. On a ce qu’on appelle des épicondylites – ce qu’on a appelé et qu’on appelle toujours des « tennis elbow » car à l’origine ce sont des tennismen qui ont ça. Ce sont des tendinites du coude qui sont en fait l’apanage des tendons qui font bouger le poignet. Or quand on a une souris, on l’utilise beaucoup et donc on a des tendinites du coude par rapport à l’utilisation de la souris. Chez ces patients, afin de comprendre la gravité, il faut savoir qu’il y 3 stades.
Le premier stade c’est en gros : « j’ai mal quand je fais l’activité, j’ai mal quand j’utilise la souris. » Mais quand on rentre à la maison, on n’a plus mal. Le deuxième stade c’est « j’ai mal quand je fais l’activité et ça persiste un peu quand je rentre à la maison; ça m’embête un peu mais finalement ça passe. » Et le 3e stade, et là c’est presque déjà trop tard, c’est « j’ai mal tout le temps, j’ai mal quand je fais mon activité puis à la maison. » Et donc là on est déjà dans une pathologie qui est sévère.
Dans 50 ans, on aura tous des coudes hyper développés…
Est-on tous condamnés à avoir ces problèmes, parce que beaucoup d’entre nous travaillent avec des souris, et pas que dans des professions intellectuelles ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Peut-être que Darwin dirait qu’on s’adaptera dans 50 ans. On aura tous des coudes et des poignets hyper développés ! Mais pour rester proche de nous, on n’est bien sûr pas condamné parce qu’on peut adapter de deux façons. On va adapter le matériel, et ça quand on parle de TMS c’est l’apanage du patron, de la boîte (l’entreprise) qui va devoir adapter le matériel aux patients. Et après il y a le patient qui va devoir s’adapter, en lui donnant quelques conseils de renforcement musculaire, de préparation, d’étirements. Donc il y a ces deux niveaux où on peut jouer.
Consulter rapidement car ça ne va pas s’améliorer !
Vous le disiez : il faut réagir assez rapidement quand on a des douleurs récurrentes. Il faut consulter…
Il faut consulter parce que ça ne va pas s’améliorer, c’est-à-dire que si la douleur est due au fait d’un acte répétitif au travail, l’acte répétitif au travail vous allez continuer à le faire, ça ne va pas changer. Donc il faut vite consulter pour à la fois traiter la pathologie mais également essayer de modifier le geste qui est en cause.
Près de 6 femmes sur 10 et plus de 5 hommes sur 10 – ça fait quand même plus d’un adulte sur 2 – se plaignent de douleurs qui sont liées aux troubles musculo-squelettiques du dos et du membre supérieur en général, de l’épaule. Quels sont les facteurs qui favorisent ces douleurs, pourquoi ça se cristallise à cet endroit-là ?
Alors il y a un phénomène d’âge aussi. On n’a pas forcément les mêmes pathologies à 20 ans qu’à 50 ans. Un tendon est beaucoup plus déshydraté à 50 ans ou 60 ans qu’à 20 ans. Mais effectivement il y a certains métiers, on le sait, qui sont plus à risque. En gros quand un patient me donne sa profession, je sais à peu près déjà ce qu’il va avoir. Par exemple, l’horloger qui va être en flexion du rachis cervical du cou, attelé à sa tâche toute la journée, va voir des cervicalgies et de l’arthrose cervicale, c’est une évidence. Un plombier, autre exemple, va souvent avoir une épicondylite ou des problèmes de genoux parce qu’il est à quatre pattes et il va tourner (le bras) avec un tournevis. C’est inhérent au métier mais c’est aussi corrélé un petit peu à l’âge forcément. Le problème est qu’on a des gens qui ne sont pas encore à la retraite, qui ont 50-55 ans, auxquels il reste 10, 15 ou 20 ans de travail et qui souffrent. C’est une vraie problématique.
Les cervicales abîmées par le téléphone !
Vous parlez de l’horloger qui a le cou baissé avec des problèmes de cervicales. Des horlogers en France il y en a et on pense à eux, mais il n’y en a pas beaucoup quand même. En revanche, on a tous un téléphone portable sur lequel on est penché toute la journée, avec une position qui n’est peut-être pas très recommandée…
Tout à fait ! Il faut changer d’oreille, ça c’est sûr. Cela entraîne forcément une latéralisation du cou, d’autant plus si on veut coincer le téléphone entre l’oreille et l’épaule. Cela devient une habitude qui va entraîner effectivement à la fois des pathologies cervicales et des pathologies d’épaule parce que l’épaule est toujours en surélévation. On va avoir des tendinites, vous savez la fameuse tendinite de coiffe des rotateurs. Avant, la tendinite de coiffe c’était quand on taillait la haie le le week-end, et ça peut être dû effectivement au téléphone aussi.
Et quand on est penché sur son téléphone pour regarder des vidéos ou faire des jeux, comme on le voit dans les transports en commun et comme on le fait tous chez nous, on a peut-être le cou qui est dans une position qui n’est pas bonne…
C’est vrai, je suis d’accord avec vous, mais je ne pense pas que ce soit le premier problème lié au téléphone. Si on parlait de nos jeunes générations et des conséquences psychologiques du téléphone, je crois que ce serait largement supérieur aux TMS qu’engendre le téléphone.
Les bricoleurs débarquent en consultation le lundi
Il n’y a pas que le travail qui engendre des TMS, des troubles musculo-squelettiques, mais également le sport, le jardinage, le bricolage et on sait que c’est la passion des Français. Là aussi il convient d’être vigilant, d’éviter certaines postures et tensions ?
C’est pratiquement insoluble. Le lundi, il m’arrive très souvent de voir en consultation des gens qui, durant tout le week-end, ont monté des meubles parce qu’ils venaient de déménager. Alors là comment faire de la prévention ? Ce sont des gens qui sont affairés à leur tâche tout le week-end, ça nous est arrivé à tous – on monte un meuble, on on fait un déménagement -, on ne s’aperçoit pas sur le moment qu’on fait une surutilisation. Et c’est le lundi matin en se réveillant qu’on se dit « qu’est-ce qui se passe, il faut que j’aille voir le médecin, ça ne va pas du tout ! » Donc là, le côté préventif est beaucoup moins efficace qu’envers quelqu’un qui va être une secrétaire et à qui on va pouvoir dire sur des années « attention à la manière dont vous utilisez la souris. »
Quels sont les facteurs aggravants des TMS ? On évoque le surpoids notamment.
Le surpoids est en cause dans beaucoup de choses. Dans les TMS on parle beaucoup de membres supérieurs – les épaules, les coudes – et là le poids intervient beaucoup moins que sur les pathologies de genoux. Dans les TMS je pense à des facteurs beaucoup plus au premier plan comme le positionnement, la posture, le côté répétitif, que le poids en soi.
Plus on vieillit, plus nos tendons manquent d’eau
Il faut évoquer l’âge. Après 50 ans on a l’impression que notre corps se déglingue complètement, d’avoir de plus en plus de douleurs. Est-ce que c’est normal ?
Effectivement, l’âge entraîne une usure des articulations. Dans les tendons, il y a 90% d’eau et plus on vieillit, plus les tendons sont déshydratés. Ils deviennent un peu plus friables, cassables, et donc moins extensibles. Quand on leur demande une tâche répétitive, ils ne supportent plus. L’âge, de par l’usure articulaire et l’usure tendineuse, fait que les tendons seront moins résistants.
Comment la médecine prend-elle ces troubles musculo-squelettiques en charge ? On pense à la kiné bien sûr, mais cela suffit-il généralement pour échapper au bistouri du chirurgien ?
Oui. Il y a deux pans. Puisqu’on parle de TMS, il y a le côté qui n’est pas de mon ressort : le code du travail oblige les employeurs à adapter le travail à la position, à la tâche du patient. C’est la base parce qu’on peut faire tout ce qu’on veut derrière, si le lendemain matin le patient refait la même chose, eh bien on ne va pas y arriver. Donc on renvoie assez facilement vers le médecin du travail.
Arriver à la chirurgie, c’est un échec
Ensuite effectivement on va traiter ces patients-là comme n’importe quel autre sportif. Ils ont une tendinite, on va la traiter comme une tendinite. Si on parle de tendinite – et c’est la majeure partie des TMS – on fera de la kinésithérapie en premier lieu. Le plus souvent on y arrive avec de la kiné, du repos et la modification de la tâche professionnelle. Et si on n’y arrive pas, il y a d’autres techniques. Le bistouri on n’y arrive pratiquement jamais. Si on y arrive, c’est globalement un échec médical. Et puis il y a toutes les techniques de médecine régénérative qui sont efficaces quand la kiné ne l’est plus et quand on n’a pas envie d’aller à la chirurgie.
La médecine régénérative, ça va être les PRP – le « plasma riche en plaquettes » via des injections. Pour faire simple, la médecine régénérative c’est l’utilisation d’une partie de votre corps pour soigner une autre partie du corps. Donc le PRP ce sont les sélections de vos plaquettes. On va vous faire une prise de sang, prendre vos plaquettes et les injecter dans les tendons par exemple. La médecine régénérative regroupe beaucoup de choses mais il faut bien comprendre que ça vient en cas uniquement d’échec de la kinésithérapie et des mesures préventives faites par l’employeur.
Privilégier la souris verticale
Si on parle de prévention des troubles musculo-squelettiques, avez-vous des conseils à donner ? Si par exemple on passe 8 heures par jour devant un écran ou que l’on travaille debout, comme des vigiles ou des vendeuses ?
Bien sûr mais c’est difficile. Parce que pour donner des conseils, il faut observer le patient au travail et c’est en observant qu’on va corriger. Quand on travaille devant un écran, la première chose à faire c’est de se mettre à la bonne hauteur de l’écran pour que, par exemple, la tête ne soit ni en extension ni en flexion. Donc la taille, la position du siège, ça compte. On parlait des souris. Il y a des souris verticales qui empêchent l’hyper utilisation du poignet et c’est très bien. On va donner des petits conseils comme ça, mais ça va être adapté à la pathologie et au métier du patient.
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