En termes de maladie, certains chiffres font froid dans le dos. Ceux que publie chaque automne l’Institut National du Cancer (INCa) dans son « Panorama des cancers » sont redoutés et auscultés à la loupe. Les experts estiment le nombre de nouveaux cas de cancers en France en 2023 à 433 134, soit 245 610 hommes et 187 526 femmes. L’âge médian au diagnostic est de 70 ans pour les hommes et 68 ans pour les femmes.
Ces dernières partent, certes, de plus loin, mais malheureusement le taux d’incidence augmente encore en 2023 sur les cancers les plus fréquents : 19 339 cas de cancer du poumon (+4,3%), 21 370 cas de cancer colorectal (+0,4%), 61 214 cas de cancer du sein (+0,3%). Chez les hommes on observe 33 438 nouveaux cas de cancer du poumon (-0,5%), 26 212 cas de cancer colorectal (-0,5%), 59 885 cas de cancer de prostate (-1,1%).
Décès à 73 et 75 ans
On a totalisé 162.400 décès par cancer l’an dernier (90 500 hommes, 71 500 femmes), à un âge médian de 73 ans et 75 ans. Les localisations les plus fréquentes liées au décès étaient (chiffres 2021) chez l’homme : le poumon pour 23% des cas de cancer, la prostate et le colorectal pour 10% chacun, le foie et le pancréas pour 7% chacun. Chez la femme on retrouve le sein pour 18% des cas, le poumon 14%, le colorectal 11%, le pancréas 9%, l’ovaire 5%.
Selon ce Panorama des cancers en France, « les dernières estimations décrivent une situation plutôt encourageante chez les hommes, avec une diminution de l’incidence ou une stabilité pour les cancers les plus fréquents. Chez les femmes, deux cancers en particulier montrent une augmentation préoccupante : le cancer du poumon et le cancer du pancréas. »
Pancréas : un cancer encore trop méconnu
Pancréas : la seule évocation de ce nom donne des sueurs froides tant son cancer est souvent de mauvais pronostic avec un taux de survie nette standardisée à 5 ans de seulement 11%, surtout s’il ne peut être opéré (dans 10 à 20% des cas la tumeur est résécable). On connaît encore très mal ses causes, des programmes de recherche sont actuellement conduits par exemple dans plusieurs hôpitaux de Marseille (Institut Paoli-Calmettes, Hôpital Européen, Hôpital Saint-Joseph, CHU Timone.).
Cet organe situé profondément dans notre abdomen provoque des symptômes généralement tardifs, quand les cellules malades ont déjà colonisé l’organe, ses alentours, voire disséminé plus loin dans l’organisme. L’amaigrissement du patient est bien souvent le signal d’alerte.
Le tabagisme et le surpoids sont en cause
Le Panorama des cancers en France 2024 – que l’on peut télécharger sur le site de l’INCa – recense 15 991 nouveaux cas de cancer du pancréas en 2023 (52% hommes, 48% femmes). Ce cancer a progressé chez l’homme de 2 073 cas par an en 1990 à 8 323 cas en 2023 (+301%). Chez la femme il est passé de 1 617 cas par an en 1990 à 7 668 cas en 2023 (+374%). En matière de prévention, le Panorama précise : « Le tabagisme est le principal facteur de risque connu de cancer du pancréas. Il convient de prévenir le surpoids et l’obésité grâce à une alimentation équilibrée (riche en fruits et légumes, en produits céréaliers complets, sans excès de viandes, de charcuteries…), de limiter les aliments gras et sucrés et de pratiquer une activité physique régulière. »
Pour savoir ce qu’est ce cancer, et comment le prévenir, on ne saurait trop vous conseiller de lire ou d’écouter dans notre rubrique « Santé » la chronique très complète réalisée l’an dernier avec le Dr Régis Fara : https://mprovence.com/flambee-de-cancers-du-pancreas-de-plus-en-plus-de-femmes/
Près de la moitié des cancers sont… évitables
Revenons à l’évolution générale des cancers en France, toutes origines confondues. Il convient de rappeler avec l’INCa que « près de la moitié des cancers pourraient être prévenus en évitant ou en limitant l’impact des facteurs de risque externes dans nos vies. » Les 4 principaux facteurs de risque sont : le tabac pour 17% des cas, le surpoids (IMC entre 25 et 29,9kg/m2) et l’obésité (IMC supérieur à 29,9) pour 14% des cas, l’alcool pour 8%, et une alimentation déséquilibrée pour le reste. Souvent on cumule ces facteurs de risque et l’effet est démultiplié.
Peut-on quand même voire des bonnes nouvelles en 2024 ? Nous avons posé la question à l’un des meilleurs experts de notre région, le professeur Jean-François Seitz. Ce gastro-entérologue de l’Hôpital de la Timone (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille) a soigné des cancers toute sa vie. Aujourd’hui vice-président du Centre régional de coordination et de dépistage des cancers Sud-Paca, il poursuit la lutte en incitant chacun d’entre nous à la prévention par l’hygiène de vie et au dépistage à partir de 50 ans.
Les conseils du professeur Seitz face au risque de cancer
On a le sentiment que si le nombre de cas de cancer en France est à peu près stable et ne reflue pas, le nombre de décès ne flambe plus. Est-ce principalement dû à l’amélioration des traitements, notamment sur des cancers très meurtriers, comme le cancer colorectal ?
Professeur Jean-François Seitz : En fait, le nombre de cas de cancer a beaucoup augmenté en France : il a doublé entre 1990 et 2023 en passant de 216 000 à 433 000 nouveaux cas annuels. Les trois-quarts de cette augmentation sont liés à l’augmentation de la démographie, et surtout à l’augmentation de l’espérance de vie et donc au vieillissement de la population. Si bien que l’incidence globale des cancers n’a que légèrement augmenté et a plutôt tendance à se stabiliser.
+ de cancers, mais moins mortels
On estime cependant que sur cette période de 30 ans, le risque de cancer a augmenté de 20 % chez l’homme et de 47 % chez la femme. Malgré cette augmentation, le nombre de décès est resté stable, ce qui témoigne de progrès thérapeutiques majeurs, comme dans le cancer du côlon où le taux de survie à 5 ans a augmenté à 63 %, soit quasiment + 20 % en 30 ans. Dans le cancer du sein, le taux de survie à 5 ans atteint maintenant 88 %.
Quel est l’impact réel du dépistage, organisé ou non, sur la limitation du nombre de décès ?
Le dépistage a un réel impact sur la mortalité par cancer. Prenons l’exemple du cancer colorectal. On dispose d’un outil de dépistage avec le test immunologique fécal. Eh bien malgré son efficacité, sa gratuité et sa grande simplicité (un simple prélèvement de selles avec un petit bâtonnet que l’Assurance Maladie nous envoie à la maison sur simple demande ou que l’on peut demander à son médecin ou en pharmacie), ce test est boudé par les Français.es. Seulement 1 assuré sur trois de la tranche d’âge 50-75 ans y participe !
Avec 1 test tout bête, on pourrait sauver 10 000 Français par an
On estime pourtant qu’avec ce faible taux de participation, on sauve à peu près 4 500 vies chaque année. Et on évite plus de 8 000 nouveaux cas annuels de ce cancer. Avec une participation à la hollandaise (71 % contre 34,2% en France) on sauverait 5.000 vies supplémentaires ! Et si le dépistage était rendu obligatoire (à partir de 50 ans, l’âge auquel il est préconisé actuellement et à renouveler tous les 2 ans jusqu’à 75 ans, NDLR), ce serait 10 000 vies sauvées chaque année…
Peut-on parler de « guérison » pour certains cancers ? Des médecins n’aiment pas employer ce terme, redoutant toujours une récidive tardive…
En l’absence de récidive cinq ans après le traitement initial, on peut généralement parler de guérison, même s’il existe de rares récidive au-delà de cinq ans.
Des augmentations chez les femmes
On a malheureusement l’impression de voir flamber sans espoir de stabilisation prochaine certains cancers, à l’instar de celui du pancréas, du foie, de l’oesophage et du poumon. Pour quelles raisons principalement ?
Oui, on assiste à une augmentation de l’incidence d’un certain nombre de cancers, notamment chez la femme : les cancers du poumon et de la sphère O.R.L. qui, il y a 30 ans, étaient l’apanage de l’homme, se féminisent : leur incidence diminue chez l’homme qui fume moins, et augmente chez la femme, qui fume toujours plus. On observe aussi une augmentation de l’incidence du cancer colorectal chez la femme, notamment chez les jeunes femmes de 40 à 50 ans, alors que l’incidence de ce cancer diminue chez l’homme.
La sédentarité en question
Le tabac joue un rôle réel mais faible dans ce cancer, et on peut sûrement évoquer d’autres facteurs comme le surpoids et l’obésité qui augmentent plus rapidement chez les femmes, ou la sédentarité. D’autres cancers augmentent dans les deux sexes, comme le mélanome de la peau, car on ne se protège pas suffisamment du soleil. Le cancer du pancréas augmente dans les deux sexes, peut-être sous l’effet des produits chimiques, mais un peu plus chez la femme avec toujours la question du tabagisme et du surpoids.
Etes-vous optimiste pour que notre pays connaisse une réduction notable du nombre de cancers dans les dix ans à venir ? Ou plutôt inquiet d’une recrudescence ?
Réduire l’incidence des cancers est possible : on estime que 40 % des 433 000 nouveaux cas annuel de cancer en France sont évitables si on agit sur notre mode de vie : avoir une alimentation saine, pauvre en viande et en charcuterie, riche en fruits et légumes, ne pas fumer, ne pas boire d’alcool (ou en tout cas pas plus de 2 verres par jour et pas plus de 5 jours par semaine avec 2 jours consécutifs sans alcool), avoir une activité physique régulière et ainsi lutter contre le surpoids et l’obésité. En l’absence de tabac, on éviterait 80 % des cancers du poumon ou de la sphère O.R.L, du larynx notamment.
Les Français peuvent s’éviter de nombreux cancers…
En vaccinant systématiquement nos adolescents contre le papillomavirus, on ferait disparaître le cancer du col de l’utérus complètement (3 159 nouveaux cas et 770 décès en 2023), et la plupart des cancers de l’anus. Si tous les assurés à partir de 50 ans, hommes et femmes, réalisaient le test de dépistage sur les selles pour le cancer colo-rectal, ce test détectant les polypes, lésions précancéreuses faciles à enlever au cours d’une coloscopie, on éviterait plus de la moitié des 47 000 nouveaux cas annuels de ce cancer.
…mais ils sont les plus nuls !
Les assurés ont donc les cartes en main pour réduire le risque de cancer. Il faut arriver à mieux les informer, à les convaincre, à lever les freins et les peurs. Pour l’instant, les Français restent les derniers de la classe, et on peut se demander si des mesures plus directives ne devraient pas être prises, comme en Angleterre, aux États-Unis…
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