Don d’organes : le cri d’alarme d’une professeure

Tous les jours en France 2 à 3 personnes meurent par manque de coeurs, de foies ou de poumons disponibles. 22 000 Français sont en attente d'un organe. Le taux d'opposition des familles au prélèvement d'organes sur leurs proches en état de mort cérébrale ne cesse d'augmenter : il était de 36% en 2023. A Marseille c'est pire : 60% de refus ! La néphrologue phocéenne Valérie Moal appelle chacun à réfléchir à ce qu'il voudrait faire de ses organes en cas d'accident et à le dire à ses proches. Elle participera à une grande conférence publique le 4 décembre.

Santé

Nous sommes tous potentiellement donneurs d’organes, en cas de mort accidentelle notamment. C’est la loi. Pour vous raconter cette aventure citoyenne fantastique, nous sommes avec la professeure Valérie Moal qui est néphrologue à l’hôpital de La Conception, c’est-à-dire spécialiste des maladies du rein, et présidente de la commission de transplantation de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille. On a choisi de parler du don d’organes. Est-ce que l’heure est grave ?

Pr Valérie Moal : Le don d’organes permet de sauver des vies d’enfants, d’adultes, qui sont malades et qui ont besoin que leurs organes, qui ne fonctionnent pas ou très mal, soient remplacés. Des organes donnés sont greffés à ces patients qui les attendent. Les conséquences de l’absence de dons, c’est une augmentation du nombre de personnes en attente parfois dans des conditions difficiles.

Grâce à des machines, à des traitements lourds, ces attentes peuvent être très longues et parfois tellement longues qu’elles peuvent conduire au décès du patient qui n’a pas reçu l’organe souhaité. Donc le don d’organes est fondamental pour sauver des vies. Et donc cet élan doit persister, doit être développé, intensifié pour sauver des vies.

Seul 1 Français sur 200 a refusé officiellement !

Comment expliquez-vous que tant de familles refusent le don d’organes sur leurs proches alors que le cerveau de la personne est irrémédiablement détruit et que ces organes – qui pourraient sauver des vies – seront perdus une fois qu’on aura débranché les machines qui permettent encore au corps de vivre ?

Eh bien il y a des personnes qui sont inscrites sur le Registre national des refus, donc ça c’est une décision active qui a été prise à froid par ces personnes. Elles ont décidé de ne pas donner leurs organes après leur décès. Donc une fois que ces personnes sont inscrites sur le Registre national des refus, il n’y a pas lieu de discuter cette décision (NDLR : seules environ 300 000 personnes sont effectivement inscrites sur ce registre, s’opposant ainsi officiellement au don. Soit… moins d’1 Français sur 200).

Après, il y a les personnes qui ne sont pas inscrites sur le registre mais qui ont dit à leurs proches, de leur vivant, par écrit ou par oral, qu’elles ne souhaitaient pas donner leurs organes. Leurs proches témoignent de cette position. Et puis y a la 3e situation : les proches estiment que ce serait aller contre la volonté du défunt que de donner ses organes, même si ça n’a pas été clairement discuté en amont avec le défunt.

« On est certains que le donneur est bien mort »

Quand vous, médecins, déclarez dans ces circonstances une personne décédée, vous êtes absolument certains que son cerveau ne fonctionne plus ? On a pris toutes les garanties pour ça ?

Oui. La mort cérébrale en France est diagnostiquée selon des critères très précis qui obéissent à la loi. Ces critères sont d’une part cliniques – c’est l’examen fait par 2 médecins différents – mais aussi paracliniques, c’est-à-dire prouvés par des examens d’imagerie. Il s’agit le plus souvent par exemple d’un scanner cérébral qui montre l’absence de circulation de sang le cerveau. Quand le sang ne circule plus dans le cerveau, le cerveau est détruit de manière irréversible.

On n’a donc aucun doute ?

On n’a aucun doute.

800 patients décédés faute d’organes donnés

Est-ce qu’à Marseille – et partout dans le pays – des gens meurent faute de greffons disponibles ?

Tout à fait. En 2023, environ 800 patients sont décédés faute d’avoir reçu l’organe qu’ils attendaient.

Il y a les patients qui décèdent et il y a les patients qui ne peuvent pas vivre de façon plus « confortable » comme les patients dialysés ?

La greffe de rein permet aux patients en attente, qui dialysent, d’avoir une survie meilleure qu’en restant en dialyse. Donc elle leur permet de vivre plus longtemps et elle leur permet également une qualité de vie nettement meilleure puisque la personne qui dialyse se rend à l’hôpital ou en clinique pour faire chaque semaine 3 séances au moins de dialyse. Là, pendant 4 à 6 heures le sang va être épuré par la machine de dialyse.

La famille du défunt doit se décider très vite

Quand on fait un sondage auprès des Français, environ 8 personnes sur 10 se disent favorables au don d’organes. Ensuite, quand elles se retrouvent confrontées à cette situation, évidemment c’est beaucoup moins. On a un taux de refus qui est très important notamment à Marseille (60% en 2023 versus 36% pour la France). Pourquoi est-ce que les gens s’opposent ? Quelle est la raison principale qui vous est donnée par les familles ?

L’opposition, c’est justement différent d’une inscription sur le Registre des refus. L’opposition est donnée par les familles dans des situations qui sont contraintes, qui sont soudaines, qui sont très chargées d’émotions puisqu’on apprend le décès d’un proche qu’on n’attendait pas. Et on doit prendre une position à chaud dans ces circonstances. La famille doit décider au nom d’un proche, dont ils ne connaissaient pas forcément la position vis-à-vis du don d’organes.

Et puis ça va très vite. On a quelques heures, c’est ça ?

Les familles doivent se décider très vite effectivement. Donc tout le contexte peut expliquer le fait qu’une famille s’oppose au don d’organes.

On ne prélève jamais sans l’accord de la famille

Question peut-être un peu provocante : pourquoi les chirurgiens ne peuvent-ils prélever des personnes qui ne sont pas officiellement opposées, puisque théoriquement la loi les y autorise ?

Effectivement, la loi française prévoit que nous sommes tous donneurs d’organes sauf si nous avons exprimé un refus de notre vivant. Mais avant tout prélèvement d’organes, les équipes médicales des Coordinations hospitalières de prélèvement d’organes vérifient impérativement que le défunt n’est pas inscrit au Registre national des refus puis s’assurent auprès de son entourage qu’il n’avait pas fait part de son vivant d’une opposition au don de ses organes après sa mort. Cela, c’est ce que doivent faire les Coordinations hospitalières. Et si elles font face à un refus, à une opposition formelle, même si ceci fait fi des termes de la loi, on ne peut prélever dans ces conditions les organes du défunt.

Dites votre décision à vos proches

C’est donc pour toutes ces raisons que vous participez à cette campagne que nous avons organisée avec MProvence et l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille en faveur du don d’organes. Quelle est selon vous la meilleure façon pour développer le don d’organes ?

La meilleure façon de développer le don d’organes, c’est d’en parler. C’est parler de la mort qui peut survenir par maladie mais aussi par accident. C’est informer nos concitoyens sur le don d’organes et surtout sur sa finalité qui est de sauver des vies, sur la façon dont ça se passe. C’est aussi dire la vérité sur les positions favorables des religions vis-à-vis du don d’organes. Il y a un conseil à donner : si on est contre, on s’inscrit sur le Registre national des refus. Et si on est pour, on le dit absolument à ses proches. Parce que dans notre société où les personnes souhaitent que leurs droits soient exercés, on ne doit pas priver les défunts d’exercer leurs droits à donner.

Coeur, foie, reins, poumons mais aussi os et cornées…

Rappelez-nous quels organes peuvent être prélevés…

Le cœur, les poumons, le foie, les reins, le pancréas et puis il y a les tissus aussi qui peuvent être prélevés comme les os, la peau, les valves cardiaques, les cornées.

Chacun peut dire ce qu’il souhaite qu’on lui prélève éventuellement, s’il ne veut pas donner tous ses organes?

Oui. Mieux vaut donner quelques organes, quelques tissus ou un organe, que rien du tout !

Cela se passe comme une intervention chirurgicale

Comment, concrètement, se passe un prélèvement d’organes ?

Le prélèvement d’organes est un acte qui est effectué au bloc opératoire par des chirurgiens expérimentés, dans les mêmes conditions et avec le même soin que pour une personne en vie. Une fois le prélèvement effectué, l’état du corps est restauré, les incisions sont refermées par des points de suture et recouvertes par des pansements, comme dans toute opération chirurgicale.

Donc la famille récupère le corps de son défunt mais il n’y a rien qui montre qu’on lui a enlevé des organes?

Non. Les cicatrices sont sous les pansements. L’état du corps est restauré, le corps est habillé avec ses effets personnels et rendu à la famille qui peut réaliser les obsèques qu’elle souhaite. Aucune trace de l’intervention n’est apparente et aucun frais n’est demandé à la famille du défunt.

La famille du donneur peut savoir comment vont les receveurs

Quand une famille accepte le don d’organes, est-ce une chose importante pour l’aider à faire son deuil ?

Je pense que oui. Il est parfois demandé par ces familles qui ont accepté le don d’organes de leurs proches, d’avoir des nouvelles des patients qui ont été greffés avec ces organes. C’est la Coordination hospitalière des prélèvements qui à ce moment-là prend contact avec les équipes de transplantation pour avoir des nouvelles des receveurs. A l’inverse, les receveurs peuvent aussi confier des courriers écrits de manière anonyme, qu’ils confient à leur médecin traitant des services de transplantation pour remercier les familles des donneurs.

Rein artificiel, coeur de cochon : c’est pas pour demain !

On va simplement rappeler un chiffre : en France il y a environ 5000 greffes d’organes chaque année, c’est absolument considérable parce que ce sont 5000 vies qui changent radicalement et qui sont sauvées. L’humanité réalisant sans cesse des exploits technologiques considérables, arrivera-t-on prochainement à remplacer ces organes déficients par des organes artificiels ?

Pas prochainement. A plus long terme. Peut-être dans 20 ans, 30 ans. Mais là, actuellement, compter sur des organes créés à partir de cellules souches, compter sur des greffes à partir d’organes d’animaux, c’est illusoire pour sauver les 22 000 patients actuellement en attente en France. Donc il n’y a que le don d’organes qui permettra de sauver ces gens-là. Vive le don d’organes !

Venez vous informer le 4 décembre à Marseille

La Pr Valérie Moal participera à la conférence publique (et gratuite) « Je suis, tu es, il est donneur ». Le don d’organes comment ça marche ? Qui peut en bénéficier ? Mercredi 4 décembre 2024 à 18h30 au centre des congrès du Pharo, jardin Emile Duclaux, 58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille.

 

INSCRIPTION ICI  : https://forms.gle/Wv4f1mFrpdVKh9rd6

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